Quand la police, et partant la République, frappe, mutile et tue ses propres enfants
Il parait que la Mauritanie est un pays de droits de l’homme. C’est ce que déclare le Président dans ses discours, ainsi que le Premier Ministre, le Ministre de l’Intérieur, le Commissaire aux Droits de l’homme, le président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH).
Nous savions les hôpitaux mauritaniens des mouroirs. Mais voilà que les commissariats le sont tout autant. En clair, la Mauritanie est surtout devenue la patrie du non droit et des bavures policières, où la vie du citoyen ne vaut pas un khoms.
Les violences policières sont de plus en plus nombreuses et toujours aussi peu sanctionnées, preuve manifeste qu’elles sont bien le fruit d’un système et non le fait de quelques agents ultra violents.
Jeudi 9 février, un jeune homme, répondant au nom de Souvi Djibril Soumaré, militant des droits de l’homme est cueilli à son domicile par des policiers du Commissariat n°2 de Dar Naim. Pour quel motif, demande-t-il? Un policier lui dit qu’une plainte a été déposée contre lui. De la part de qui, interroge-t-il, surpris? Tu le sauras au Commissariat, répond l’homme en uniforme. Ils lui enjoignent de monter à bord de leur voiture. Il leur dit qu’il préfère les suivre dans la sienne.
Il appelle son frère Bahah, du Groupement Général de Sécurité Routière (GGSR), un corps équivalent à la police routière. Arrivé sur les lieux celui-ci tente de s’informer des raisons de la détention de son frère. Les policiers disent qu’un homme a déposé une plainte contre Souvi pour non paiement d’une dette. Ils ne lui révèlent pas le nom du créancier.
Ayant entendu la voix de son frère Bahah, Souvi l’appelle, lui disant de s’approcher. Les policiers l’empêchent de voir son frère, sous prétexte qu’ils étaient occupés avec Souvi et qu’il pourrait venir le voir une heure plus tard.
Peu après, il reçoit un appel de la Police l’informant que Souvi avait eu une crise cardiaque et qu’au moment de monter à bord du véhicule, il avait fait une chute. Resultat: il est mort. Le policier ajouté qu’ils se trouvent à l’hôpital Cheikh Zayed.
C’était jeudi, peu après le crépuscule, à 20h30 environ. Les policiers amènent le corps sans vie de Souvi Ould Djibril à l’hôpital, puis repartent. “Il est recouvert d’un drap. Des traces de menottes sont visibles sur ses poignets et ses pieds. Le visage est ensanglanté. Du sang coule de sa bouche, de son nez. Le cou est marqué de trace. C’était un homme fort, ayant un gabarit. Pour le torturer de la sorte, il a dû subir des électrochocs”, déclare la sœur du défunt, au bord des larmes.
Ayant jeté le corps à la morgue de l’hôpital, les policiers s’en vont, comme si de rien n’était.
Des visiteurs de l’hôpital Cheikh Zayed filment le corps sur leur téléphone puis mettent en ligne les images. Insoutenables. Les réactions fusent de partout. Les témoignages se succèdent.
Les médias mauritaniens relatent les faits.
Une impunité quasi systématique des policiers.
Le Ministre de l’Intérieur, si prompt à parler des élections ou aux partis politiques, ne pipe mot, pas plus que le Hakem de Dar Naim, ni le Wali de Nouakchott Nord ou encore l’édile (le maire) de la commune.
Aucun officiel ne condamne les agissements policiers, ni ne se déclare simplement “choqué” par les images.
La DGSN se fend d’un communiqué dans lequel elle précise qu’une enquête administrative est en cours.
Le ou les policier(s) responsables ne sont même pas suspendu(s).
Des policiers qui enquêtent sur d’autres policiers, de surcroît en Mauritanie ! Vous voulez rire? Un peu comme si on demandait à la même police de lutter contre la torture ou le racketter des citoyens. Une mascarade.
Les institutions en charge de droits ne manquent pas en Maurutanie: Commissariat aux Droits de l’Homme, Commission Nationale des Droits de l’Homme. Il existe même un machin appelé Mécanisme National de Lutte contre la Torture. Ah bon? Vraiment?!
Tout ce beau monde est resté amorphe. Les enquêtes contre des fonctionnaires de police, accusés de violences policières et de corruption, ne mènent à rien. Les conséquences sont dramatiques : décès, blessures irréversibles. Les policiers responsables ne sont pas condamnés!!!
Les forces de l’ordre mauritaniennes jouissent d’une impunité scandaleuse lorsqu’elles sont responsables de violences.
Le comble, c’est quand le ridicule et l’arrogance poussent le coupable à se considérer victime.
Le mécanisme policier pour couvrir les bavures est bien huilé. Généralement les fonctionnaires mis en cause portent plainte contre leurs victimes pour outrage et rébellion après s’être procuré des certificats médicaux avec des interruptions temporaires de travail. Les témoins ne manquent pas pour corroborer une comédie bien connue. De faux procès-verbaux sont rédigés pour étayer ce scénario.
Que vaut la parole d’un simple citoyen contre celle d’un fonctionnaire de l’Etat, en uniforme qui plus est? Rien.
Dans le cas de Souvi, un costaud d’à peine cinquante ans, la police ose affirmer que le défunt avait eu une crise cardiaque, qu’il était tombé au moment de l’évacuation à l’hôpital !
L’enquête interne, pourra conclure, bien après les faits, qu’aucune “faute professionnelle” n’avait été commise par les policiers, dont les états de services sont du reste “excellents”. Et oui. Vous ne saviez pas? Lancer une grenade sur un jeune manifestant pacifique, bastonner à mort un paisible citoyen pour une “histoire de dette” et les tuer, ce n’est pas une faute. Nous sommes en Mauritanie.
On nous dira, après cela, que la sécurité du citoyen est une priorité, que la jeunesse est une priorité du gouvernement … et de la police.
Mon œil !
Med Yahya Abdel Wedoud
Journaliste, Dakar