M. Ahmed Ould Daddah, président du RFD : ‘’Le climat qui prévaut actuellement ne représente pas une solution aux problèmes dont souffre le pays et ne permet donc pas, à lui seul, de dépasser la crise politique’’
Le Calame : Vous avez rencontré à plusieurs reprises le président Ghazouani, quelles impressions vous a-t-il laissées et sur quoi ont porté vos entretiens ?
 Ahmed Ould Daddah : J’ai trouvé M. le Président convivial, courtois et d’une grande capacité d’écoute. Nos entretiens ont porté, essentiellement, sur les questions d’intérêt national, à savoir les préoccupations du citoyen, la concorde nationale, la démocratie, la gouvernance, le développement…
Est-ce qu’on peut dire, à présent, que la crise politique que nous vivons depuis une décennie est derrière nous ? Que la situation politique est désormais décrispée ?
 Il faut rappeler que la crise politique a pour causes principalement les atteintes à la cohésion nationale, la mauvaise gouvernance, le refus obstiné du pouvoir d’alors d’accepter un dialogue sérieux avec les partenaires politiques, la conduite unilatérale des processus électoraux, le mépris affiché à l’égard de l’opposition, le harcèlement des opposants, leur poursuite à l’intérieur du pays et à l’étranger, la profanation des symboles de l’État que constituent le drapeau et l’hymne national…
Le climat qui prévaut actuellement ne représente pas, à nos yeux, une solution aux problèmes dont souffre le pays et ne permet donc pas, à lui seul, de dépasser la crise politique. Il constitue, néanmoins, une passerelle entre le pouvoir et l’opposition, ce qui, somme toute, est normal en démocratie. Nous apprécions, par conséquent, cette ouverture à laquelle nous avons, d’ailleurs, favorablement répondu.
Dans une récente interview accordée au journal Le Monde, le président a déclaré qu’il n’y a pas lieu d’organiser un dialogue politique du moment que le contact est établi avec l’opposition. Partagez-vous cet avis et croyez-vous qu’un dialogue politique formel est toujours nécessaire pour assainir la situation ?
Les questions d’intérêt national, au premier rang desquelles se trouvent la cohésion nationale dans tous ses aspects, la bonne gouvernance et la transparence électorale, font l’objet de profondes controverses entre les différents protagonistes politiques. La recherche d’un consensus national pour trouver des solutions durables à ces problèmes majeurs nécessite l’organisation d’un dialogue politique, dans un climat de sérénité et d’entente nationale.
Afin de rassurer les populations et décrisper la scène politique, il est, néanmoins, urgent de prendre des mesures qui ne requièrent ni dialogue politique ni moyens financiers exceptionnels. Il s’agit, notamment, de l’amélioration des conditions de vie des citoyens, de la levée des poursuites et mesures arbitraires à l’encontre des opposants, sénateurs, hommes d’affaires, syndicalistes, journalistes et artistes ainsi que tous nos concitoyens contraints à l’exil, de l’arrêt de la répression contre tous ceux qui expriment pacifiquement leurs revendications (étudiants, travailleurs…) et de l’instauration d’une véritable égalité de chances pour l’ensemble des Mauritaniens devant les services publics et toutes les opportunités offertes par l’Etat.
Lors de votre dernière entrevue, vous avez évoqué avec le président, entre autres, la situation des exilés politiques. Vous a-t-il rassuré sur la fin des poursuites judiciaires engagées contre eux ?
J’ai perçu chez M. le Président un intérêt porté à cette question.
Ceci étant, je continue à penser que l’instrumentalisation de la justice aux fins de régler des problèmes personnels est un comportement d’un autre temps…
Vous avez discuté avec lui des multiples problèmes dont souffre le pays, notamment l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Qu’en pense-t-il ? Vous a-t-il dit comment il va procéder pour que les populations profitent réellement des retombées de la croissance et des richesses de leur pays ?
Effectivement, nous avons abordé en priorité la question liée à l’amélioration des conditions de vie des citoyens.Â
Il semble que des initiatives aient été déjà prises, tendant à améliorer la situation matérielle de nombre de citoyens. Cette action est appréciable et nous considérons qu’il faut la multiplier, la généraliser à l’ensemble des groupes nécessiteux. Ceci, d’autant plus que les perspectives économiques qui s’offrent au pays sont de nature à permettre un effort supplémentaire pour que personne ne soit plus laissé sur le bord de la route. Une redistribution équitable des richesses nationales est un facteur de paix sociale et de cohésion nationale, elle constitue également un important levier de la croissance par l’activité économique qu’elle génère à tous les niveaux.
Le pays croule sous le poids d’une dette colossale léguée par l’ancien régime. Comment l’économiste que vous êtes voit la situation ? Pensez-vous que les finances publiques peuvent supporter l’encours de la dette ? Si non que faire ?
Nous avons besoin d’être rassurés sur l’encours de la dette et sur son service annuel (principal et intérêts). Ensuite, il y a lieu de voir, en fonction de ces données, le rapport entre le service et les ressources de l’Etat. Nous sommes, par ailleurs, en droit de nous demander à quoi a servi cette dette.
C’est le lieu de réitérer la nécessité de mener un audit des comptes de la Nation, des établissements publics, des société d’Etat et des sociétés d’économie mixte, de déterminer les conditions d’adjudication et de conclusion des marchés publics et conventions conclues entre l’Etat et des entreprises privées nationales et étrangères pendant la dernière décennie, d’identifier les conditions ayant abouti à la liquidation de la Sonimex, de l’ENER, de l’AMEXTIPE et de l’Agence de Promotion de l’Accès Universel aux Services. Les résultats de ces investigations doivent être publiés et toutes les conséquences de droit doivent en être tirées.
Il ya quelques jours des rapports de la Cour des Comptes ont fuité, qui révèlent une gabegie sans précédent au cours de la dernière décennie. En avez-vous eu vent ?
Nous n’avons cessé de dénoncer la corruption et la prévarication qui gangrènent tous les rouages de l’Etat. En dépit de la rétention de l’information et de l’opacité qui entoure l’utilisation des ressources de l’Etat, nous avons publié, en septembre 2016, un document assez fourni, en vue d’éclairer l’opinion nationale et attirer l’attention des partenaires au développement du pays sur l’immensité des dégâts causés par la gouvernance désastreuse du pouvoir d’alors.
Tout le monde sait que les marchés publics sont octroyés dans l’opacité totale et que les budgets de l’Etat, des établissements publics, des sociétés d’Etat et des sociétés d’économie mixte vont, pour une partie non négligeable, dans des poches privées par le phénomène de la surfacturation et par la corruption ambiante, au détriment des populations et de l’économie nationale.
S’agissant des documents auxquels vous faites allusion, je pense qu’en vue de lutter sérieusement contre toute forme de gabegie, il est nécessaire de publier systématiquement les rapports produits par toutes les institutions de contrôle de gestion des ressources de l’Etat (cour des comptes, inspection générale de l’Etat, inspection générale des finances, contrôles internes aux départements ministériels, aux établissements publics, sociétés d’Etat et sociétés d’économie mixte …). Les conclusions de ces rapports doivent être suivies d’effet et non rester lettre morte, comme c’est le cas jusqu’à présent.
Malgré le désaveu cinglant qui lui a été infligé par les élus et les instances de l’UPR, Ould Abdel Aziz refuse de lâcher prise. Il veut continuer à avoir son mot à dire sur la gestion du pays. Suivez-vous les soubresauts de ce parti et que vous inspire ce baroud d’honneur d’Aziz ?
Nous ne sommes pas enclins à discuter des affaires internes d’un quelconque parti politique. Encore faut-il rappeler qu’il s’agit-là d’un parti qui a usé, sans retenue, des moyens et de l’autorité de l’Etat sous forme de passe-droits, au préjudice de ses concurrents politiques. Cette situation nous interpelle. Nous considérons que l’existence d’un parti-Etat est anti-démocratique.
Sortie affaiblie de la dernière présidentielle, l’opposition dite radicale ne veut pas baisser les bras. Comment comptez-vous procéder pour reconquérir votre électorat ? Votre diabolisation par le régime précédent a-t-elle joué un rôle dans ce déclin ou tout simplement parce que vous n’avez pas pu parler d’une seule voix ?
Nous n’avons pas le sentiment que notre électorat nous a quittés. Je considère que les résultats électoraux demeurent encore fantaisistes et politiquement contestables dans notre pays, du fait de l’ingérence de l’Etat dans le processus, par l’action de l’administration et la disponibilité des ressources au profit des candidats du pouvoir ; du fait aussi du parti pris de la CENI pour un camp donné, une CENI où l’opposition démocratique n’est pas représentée…Cette situation empêche le citoyen de choisir librement ses représentants.
Lors des dernières élections, le RFD a assumé pleinement son engagement au sein de l’opposition en choisissant d’endosser, dans le cadre de la Coalition des Forces du Changement Démocratique, la candidature du Président Mohamed Ould Maouloud.
Forts de notre positionnement actuel et de la tenue prochaine de notre congrès ordinaire, qui marquera un tournant important dans la vie du parti, nous continuerons à œuvrer pour l’émergence d’une démocratie apaisée, dans une Mauritanie stable et prospère.
Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh
le calame