Madame Aminetou mint Ely, présidente de l’Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF) : ‘’Ghazwani doit prouver aux mauritaniens qui doutent de son indépendance vis-à-vis d’Aziz qu’il peut gouverner le pays sans tutorat de quiconque’’
Le Calame : Quelle est votre appréciation de la victoire annoncée du candidat Ghazwani, par la CENI?
Aminetou Mint Ely : Comme de nombreux mauritaniens, je ne suis pas surprise de cette victoire décrétée, il y a quelques semaines, par le président de la République Mohamed ould Abdel Aziz. Il ne vous a échappé que ce dernier a publiquement annoncé que son candidat et ami remporterait cette présidentielle, dès le premier tour. Nous n’avions donc qu’à assister à un simulacre, pour ne pas dire cirque, dont le décor était déjà planté, il y a bien longtemps.
Pour réussir son coup de « maître », le Président a mis, à la disposition de son dauphin, tous les moyens de l’Etat et de son administration ; « mieux », il s’est personnellement investi, en organisant des tournées à l’intérieur du pays, exerçant des pressions sur les tribus, cadres, forces armées et de sécurité.
Les sociétés d’Etat comme la SNIM, ainsi que les hommes d’affaires ont été obligés de sortir le chéquier et de mobiliser leurs employés… Après avoir raté le 3èmemandat, Ould Abdel Aziz n’entendait pas rater sa « sortie », tenant coûte que coûte, au contraire, à rester au plus près du pouvoir.
C’est la raison pour laquelle il a jeté son dévolu sur l’un de ses meilleurs confidents, le général Ghazwani, qui pourrait lui assurait ses bases arrières, après tous les biens qu’il a accumulés durant ses dix ans de règne.
Je signale que l’argent que les hommes d’affaires ont pu mobiliser, pendant cette campagne, n’a pas été versé sur le compte de la campagne du candidat, mais à la banque de Zeïne El Abedine, courtier du président de la République. Celui-là même qui a hérité du marché d’impression des cartes et bulletins de vote.
Autre atout du candidat Ghazwani, une CENI acquise au pouvoir, de par la composition de son comité directeur et du manque de contrôle sur les moyens techniques du fichier électoral. Face à cette « machine », il était donc pratiquement impossible que le candidat du pouvoir perde face à ceux de l’opposition.
– …pourtant, les candidats de l’opposition ont réussi à drainer des foules ?
– Le candidat Ghazwani avait, certes, des adversaires de poids, une force réelle : l’ancien Premier ministre, Sidi Mohamed ould Boubacar, dont l’expérience et l’aura sont tangibles mais qui a souffert de l’infiltration d’agents de renseignements et d’extrémistes de tout acabit.
Kane Hamidou Baba, candidat de la Coalition Vivre Ensemble (CVE) a rassemblé les victimes de l’exclusion, de la marginalisation et de la souffrance. Une coalition de frustrés, donc, et de victimes de répression qui continuent à réclamer justice, réparation et meilleure cohabitation entre les différentes composantes du pays.
Biram Dah Abeid tentait un second challenge et a réussi une bonne campagne, avec un score flatteur, quand on sait l’hostilité dont le pouvoir fait montre à son égard. Comme Kane, il prône un meilleur vivre ensemble en Mauritanie, une Mauritanie bâtie sur la justice et l’égalité entre tous ses fils. Son discours commence à prendre une véritable assise.
Quant à Mohamed Ould Maouloud, éminent intellectuel, patriote, et soutenu par un des plus grands partis politiques du pays, le RFD, et l’UNAD, il a basé son discours sur le social.
Le plateau de l’opposition était donc très relevé. Sans la fraude, un second tour était inéluctable. Mais, hélas, le jeu était perdu d’avance, face à des militaires plus que jamais déterminés à poursuivre leur OPA sur la Mauritanie qu’ils ont mise sous coupe réglée.
– Que pensez-vous des manifestations et arrestations auxquelles on a assisté, au lendemain du scrutin?
– En s’en proclamant vainqueur, bien avant la CENI qui ne le confirmera que le lendemain, le candidat Ghazwani a provoqué l’ire des militants de l’opposition descendus dans la rue pour protester contre ce qu’on peut qualifier de holdup électoral. Comme à l’accoutumée, les forces de l’ordre ont chargé les électeurs protestant contre cet état de fait.
C’était d’ailleurs prévisible, puisque Nouakchott s’était retrouvée militarisée le jour même du scrutin, les forces de défense et de sécurité investissant les grands axes et les environs des centres de vote.
Le 23, toute la ville était quasiment en état de siège. Arrestations, répression, saccages et mises sous scellés de sièges des candidats. On assistait comme à une panique du pouvoir. Une panique qui a conduit à l’arrestation de ressortissants étrangers, sénégalais, maliens et gambiens, accusés de manipuler les Mauritaniens, ce qui pouvait occasionner des incidents diplomatiques avec nos voisins. En agissant ainsi, le pouvoir traite les Mauritaniens en moins que rien.
Comment des ouvriers et manœuvres, à la recherche du pain quotidien, peuvent-ils nous manipuler ? Quel mépris envers le peuple mauritanien ! La Mauritanie a une histoire, des valeurs et des vertus… on ne doit traiter ses populations ainsi. Une panique que reflète, surtout, la déclaration incendiaire du ministre de l’Intérieur promettant une répression féroce et des peines lourdes contre les manifestants, c’est du jamais vu !
Cette répression démontre un grave recul de la démocratie et des libertés de s’exprimer, de manifester. Il faut le déplorer et le dénoncer. Les arrestations barbares du journaliste Camara Seydi Moussa et du président Samba Thiam illustrent on ne peut mieux cette dérive.
On débarque chez des gens, on sème la panique, on ramasse les ordinateurs et téléphones, mêmes ceux des domestiques. Dans quel pays sommes-nous ? Nous exigeons la libération de ces personnes et le respect de la Constitution qui garantit le droit de manifester, de se réunir et de s’exprimer.
– Alors, qu’attendez-vous maintenant du président élu ?
-Rien ! Il sera président comme tous les autres, militaires, qui l’ont précédé, la Mauritanie n’est pas sortie de l’auberge, hélas ! Elle demeura sous le joug de Mohamed ould Abdel Aziz qui n’a cessé de déclarer sa décision de rester au centre du pouvoir.
Reste à savoir comment. Le nouveau président Ghazwani demeurera-t-il soldat d’Ould Abdel Aziz, poursuivant la même politique et la même gouvernance ? Une gouvernance marquée par la corruption, le blanchiment d’argent, l’exclusion et le chaos. Dans cette hypothèse, Ghazwani n’aura qu’à gérer des crises.
Seconde hypothèse : il décide de s’émanciper de son faiseur de roi et assume la plénitude de sa charge présidentielle. A lui donc de prouver, aux mauritaniens qui doutent de son indépendance vis-à-vis de son ami, qu’il peut gouverner le pays sans tutorat de quiconque, en nouant des alliances politiques fructueuses. C’est à cette seule condition qu’il pourra satisfaire aux aspirations des citoyens qui l’ont élu, en s’attaquant aux nombreux défis qui l’attendent.
Propos recueillis par DL