Ce que le racisme d’Etat et les discriminations font à la politique mauritanienne
Le racisme d’Etat, les exclusions normalisées et les pratiques politiques décadentes ont rendu possible une chose vis-à-vis de laquelle nombre de Mauritaniens avaient jusqu’à présent une aversion sans borne : la communautarisation de l’espace et des engagements politiques. Si cette créature hideuse, dont nous ne connaissons que trop bien la puissance de destruction, est à combattre dans les espaces publics et dans l’intimité des familles, il convient pourtant, pour nous qui vivons un moment exceptionnel de re-mobilisation politique généralisée, de ne point ranger les candidatures de Biram Dah et de Kane Hamidou Baba dans la rubrique de ces communautarismes (harratine, peule, soninké, wolof…) néfastes à décapiter. Au contraire, celles-ci doivent être prises pour ce qu’elles sont : des candidatures de combat, de visibilité sociale, politique et culturelle. Il s’agit, dans une République qui ne soucie guère de justice sociale au sens large, d’une nécessaire étape dans la « lutte pour la reconnaissance » de catégories discriminées. C’est l’une des manières pour des populations symboliquement et réellement infériorisées d’opposer un refus collectif face aux injustices, aux exclusions, vexations et humiliations.
Les moments Taya et Aziz, en sus d’avoir été médiocres, violents et attentatoires aux droits élémentaires de fractions importantes de gouvernés, (persécutions et massacres des années 1980-90, complicité /complaisance à l’égard de l’esclavage, recensements et exclusions des années 2010, ostracisation de langues nationales, arabisation aveugle de l’administration et de l’enseignement, spoliations des terres, etc.) ont durablement installé dans les esprits la méfiance du « même envers le même », celle du Mauritanien envers son double. Ce rapport biaisé à l’autre, les sultans et courtisans du haut en ont fait une arme, privatisant le pouvoir, le jeu politique, et donnant, au travers de candidatures ritualisées soutenues par une partie de leur communauté d’extraction, un corps réel à la méfiance et au repli communautaire. Il n’est donc pas inutile, pour enrayer ces manières de faire, éteindre ce feu qui consume tout, d’allumer des contre-feux, introduire des « candidatures miroirs » qui répondent à d’autres imposées depuis des années par des autocrates, embourgeoisés et issus des mêmes milieux. Ces candidatures miroirs, comme celles de Biram Dah et Kane Hamidou Baba, remplissent au moins deux fonctions : rendre présents ceux qui ont été rendus invisibles par des politiques racistes et discriminatoires, et pour les tenants du bégaiement stérile de la vie politique mauritanienne, révéler l’absurdité et l’iniquité d’une conception sectaire et étriquée de la politique. Cette démarche, dans notre entendement, ne pourrait être que provisoire, une transition vers la formation d’une société plus égalitaire, plus soucieuse du bonheur collectif de ses membres.
Ces « candidatures-exaltations » de groupes, au sens positif, en même temps qu’elles feraient œuvre d’instruction publique, pousseraient la logique des oppositions politiques jouant sur les sensibilités communautaires jusqu’à leurs limites, afin d’exposer au grand jour le vrai visage d’une société balkanisée. Si la Mauritanie, avec son statut de République islamique, est encore incapable d’ériger l’unité, la justice, l’égalité, la solidarité et la fraternité en valeurs cardinales, il faut donc aux Mauritaniens la possibilité d’envisager le franchissement des limites de l’acceptable pour perturber temporairement la relation politique. Au demeurant, ces limites ont depuis longtemps été franchies par une élite qui, abandonnant toute raison, a radicalisé les positions et naturalisé le fait que la gestion des affaires de la cité revenait de droit à quelques-uns au sein d’une communauté spécifique. Comment, dans ce cas, condamner la naissance de formations politiques majoritairement composées d’afro-Mauritaniens mais également l’émergence de candidats qui portent les revendications légitimes de groupes étouffés ?
Sidi N’Diaye,
Politiste, pour ADN