Bios Diallo, Et la jeunesse devint… Satan
Traversées Mauritanides – Le 30 juin 1990, le Discours de La Baule prononcé par le président français François Mitterrand intime à l’Afrique de s’ouvrir à la démocratique !
Pour la 1ère consultation électorale en Mauritanie, j’ai accompli mon devoir citoyen à Sélibaby, ma ville natale. A mon retour à la capitale, alors étudiant à l’Université de Nouakchott, je partage mes observations à travers une Tribune publiée dans le journal Mauritanie Nouvelles : N°9 du 14 au 21 mars 1992.
A la veille d’une autre effervescence électorale, je la « reconvoque ». Le texte témoigne peut-être du cheminement d’une pensée.
Tribune
Et la jeunesse devint… Satan
Par Bios Diallo, Etudiant à l’université de Nouakchott
La jeunesse est un passage obligé pour tout homme. Malheureusement, certains, aujourd’hui, s’obstinent à la considérer comme une étape insignifiante à laquelle ils tentent d’usurper toute responsabilité. A n’en pas douter, ils l’ont dans le collimateur.
A Sélibaby, où le devoir de citoyen m’avait entraîné le 24 janvier dernier, je me suis senti très mal dans ma peau de jeune. Assister au premier scrutin de son pays, dans une localité natale, devrait être le souhait de tout un chacun. Mais, le cours réel des événements avec son cortège de drames familiaux et d’amitiés brisées, me brisa le cœur.
Dans les pays sui s’attèlent à installer leur démocratie, les jeunes désirent que l’on oublie le spectre des mouvements estudiantins qui hantaient le pouvoir dans les années soixante. Mai 68 est une grande date dans la vie politique de l’humanité. C’est à ce moment là que ceux que l’on nomme, non sans dédain, « les hommes de demain » allaient devenir la source du renouveau. Partie de France, la rafale atteignit très tôt les points les plus fragiles de la planète. L’Afrique saigna. Alors, le malaise d’être jeune commença. Dès que les pouvoirs, sortis de leur somnolence, ont à faire face à une situation critique, il suffit qu’un jeune lève le doigt pour que l’on dise : « Les voilà ! » « Ils récidivent ! » « Ils sont insupportables ! » Et la jeunesse fut transformée en Satan.
Au Guidimakha, comme partout dans le monde, on peut constater trois types d’individus : ceux qui croient au pouvoir actuel pour des raisons qu’ils disent personnelles ; ceux qui se rangent du côté de l’opposition parce qu’il faut tout mettre par-dessus bord ; enfin, ceux qui ne trouvent de crédibilité nulle part. Ils se cherchent et, la mort dans l’âme, se rendent compte que les lignes de l’avenir ne sont pas encore tracées. S’il faut aspirer à un changement celui-ci doit être conséquent. Or, aujourd’hui, on pense que toute la jeunesse est à sacrifier car elle est présumée être de « l’autre camp ». Coincés entre les politiques qui décident et les suivistes qui les fuient, les jeunes ne savent plus où donner de la tête. Le monolithisme, ils n’en veulent plus mais quelle est l’alternative ? Que la jeunesse s’allie avec le diable qui lui fait des promesses alléchantes, cela arrive car l’espoir fait vivre. Mais il serait absurde de croire qu’elle puisse signer un chèque en blanc à quelque politicien que ce soit.
Le désir des jeunes est universel : Espoir d’un avenir radieux. Ils ont besoin de se retrouver dans les projets qui concernent leur avenir. Cette décision qui leur incombe, on leur usurpe. Le sage Amadou Hampaté Bâ (Paix sur lui) ne disait-il pas : « Que les jeunesses aient tort ou raison, ils auront toujours raison, car ils sont les maîtres de demain » ?
L’inquiétude de la jeunesse est plus que patente car « l’état comatique est à une épaisseur de semelle de la mort ». Cet état de déréliction semble être une manifestation d’impuissance de sa part. Or, la balle est dans son camp. C’est un défi. Elle doit compter sur le génie de sa conscience pour éviter de tomber dans le traquenard du passé récent qui, hélas, n’est pas glorieux !
Au Guidimakha, je m’étais trompé en étant intérieurement content de la division symbolique de la région. A mon sens, il pouvait, en effet, paraître dangereux que toute une région se range d’un seul côté. Il n’était pas mal de polariser les chances. PRDS, UFD et autres n’étaient, pour moi, que des échiquiers jouables. C’est avec l’espoir que les valeurs du sperme, du sang et du lait puissent être réhabilités que je me réjouis de constater la variété de candidatures qui se proposaient dans cette région du Sud : nous allons travailler dans la divergence symbolique pour le foyer commun.
Donc, si le pouvoir en place a gagné (PRDS), il faut que nos ressortissants, adhérents à ce parti, sachent que leur leader avait fait des promesses à ces pauvres cases. Qu’ils l’amènent à les tenir. La jeunesse n’a d’autre choix que cela. Qu’on nous sorte de la torpeur. C’est à e moment seulement qu’ils (PRDS) feront honte à ceux qui ont été de l’opposition. Mais qu’on ne se contente pas uniquement de se pavaner de la réussite de son candidat.
Quant à l’opposition, elle ne doit pas faire fi des responsabilités qu’elle partage avec les gagnants, face à cette jeunesse qu’elle grise mais qui étouffe et se rapproche de jour en jour du « no future ». Elle, que la terminologie définit comme antagoniste, devrait, pourtant, s’allier au pouvoir pour trouver une issue valeureuse à ses fils. Si elle n’a pas cette préoccupation, elle sera indésirable pour la jeunesse. Cela tuerait la démocratie qui doit se faire en faveur des jeunes ! Une opposition crédible se doit de compléter le pouvoir.
Aujourd’hui, partout dans le monde, les jeunes sont au banc des accusés pour avoir souhaité la concertation sur les décisions qui sanctionnent leur vie ! Les vieux sont l’avenir… C’est d’autant plus vrai qu’ils s’opposent farouchement à leurs fils. On n’hésite plus à répudier sa descendance, sous le simple motif de la divergence d’opinion.
Il ne reste plus à la jeunesse qu’à trouver un second souffle pour espérer, à nouveau, en un avenir aux ailes déployées.
Bios Diallo
Source : Mauritanie Nouvelles N°9 du 14 au 21 mars 1992