Déportations Mauritanie : témoignage d’un ancien journaliste de Radio-Mauritanie réfugié en France
En avril 89 plus de 60000 noirs ont été déportés au Sénégal et au Mali sous le régime de Ould Taya. D’autres ont été contraints de quitter le pays pour demander l’asile politique en France. Parmi eux, un ancien journaliste de l’ORTM et ancien correspondant de RFI à Nouakchott pour les émissions culturelles. Voici son témoignage à l’occasion du 30ème anniversaire des déportations.
Journaliste, j’ai été engagé dans la fonction publique en tant que cadre. J’ai été détaché à l’office de Radio Mauritanie en 1977. J’y ai travaillé sans interruption jusqu’au moment des graves événements qui ont secoué le pays en 89 entre le Sénégal et la Mauritanie. Evènements qui ont été à l’origine de ma cessation d’activité et de mon exil en France.
Après les affrontements ethniques en avril 89 entre le Sénégal et la Mauritanie, j’accuse Ould Taya et son régime d’avoir engagé un vaste mouvement de déportations de citoyens noirs, en particulier contre une des composantes du pays, les Haalpulaar, une ethnie qui vit également du côté du Fleuve Sénégal.
J’accuse le régime Ould Taya d’avoir prémédité et entrepris cette opération par l’établissement d’abord de listes par la direction générale de Sûreté. Parmi celles-ci figuraient notamment de hauts fonctionnaires, des universitaires, des journalistes, cadres moyens ainsi que du personnel subalterne, des militaires et de simples villageois paysans.
Certains ont été conduits directement de leur lieu de travail à l’aéroport, d’autres ont comparu d’abord devant le directeur de la Sûreté ou un directeur régional de la police ou parfois même devant un simple commissaire de police de quartier avant de subir le même sort. Ce qui était encore la meilleure chose qui pouvait arriver à la personne.
Car il arrivait que l’on soit gardé dans des « villas » réservées à cet effet pour on ne sait combien de temps et soumis à des tortures. C’est dans ce contexte que j’ai été à plusieurs reprises amené et convoqué à la police.
Ce jeudi 22 mai à 11h, deux policiers en civil sont venus me chercher à la Radio au moment où je m’apprêtais à effectuer un reportage. Avant de les suivre, j’ai informé mes collègues de cette convocation.
A bord d’une R5 blanche de la police, nous sommes passés par la Télévision pour y prendre un collègue réalisateur Bâ Moussa Sidy avant d’être conduit au commissariat du quartier du Ksar. Arrivés à destination, les policiers nous ont introduits dans une grande salle d’attente bondée de monde, des négro-mauritaniens et essentiellement des Haaalpulaar.
Vers midi, le commissaire m’a tout simplement demandé de lui présenter mon certificat de nationalité. Après cette vérification d’identité, je suis reparti à la radio par taxi. J’ai appris par la suite que mon collègue de la Télévision avait été relâché.
Ce jeudi 1er juin, j’étais encore à la radio. A 9 h, un policier en tenue, cette fois-ci est venu me chercher en présence de mes collègues. Il m’a emmené à pied au commissariat de la police qui se trouve en face de mon lieu de travail.
A notre arrivée, il m’a immédiatement introduit dans la salle d’attente. Vu la longue file d’attente, je ne fus introduis dans le bureau du commissaire que vers 16h pour y subir un interrogatoire. J’ai décliné comme d’habitude mon identité. Mais à ma grande surprise, l’interrogatoire a porté sur mes « supposés relations » avec le mouvement FLAM ( Front de Libération des Noirs en Mauritanie). Ne voulant pas et ne pouvant pas répondre à aucune des questions sans m’enferrer davantage j’ai préféré garder le silence.
Le commissaire me renvoya à une autre audience le samedi 3 juin. Rentré chez moi, j’ai appris que Bâ Moussa Sidy a été déporté au Sénégal. J’apprendrais plus tard qu’il était question que je sois déporté en même temps que mon collègue de la Télévision, n’eût été l’intervention de ma tante Aïssata Kane, ex-ministre aux Affaires sociales sous le régime de Ould Daddah et à l’époque consultante d’une ONG et conseillère au Ministère de la Condition Féminine et actuellement à la retraite. Elle a joué un grand rôle de médiation dans cette affaire.
C’est ainsi que je me suis présenté au commissariat central la date susmentionnée accompagné de ma tante Aïssata Kane muni de la copie du certificat de nationalité. Auparavant je lui avais confié tous mes originaux par mesure de sécurité.
En effet, je craignais qu’on me les confisquât après l’interrogatoire comme ce fut le cas de la plupart de ceux qui avaient été convoqués. L’interrogatoire cette fois-ci en présence de ma tante portait sur nos liens de parenté.
Les autorités connaissaient bien ces liens de parentés avec elle et avec d’autres cousins comme Ibrahima Abou Sall et Kane Saidou et un collègue de travail Ibrahima Mocktar Sarr qui étaient à l’époque détenus à la prison d’Aioun, prisonniers d’opinion pour avoir publié le Manifeste du Négro-mauritanien, une diatribe contre le racisme des noirs en Mauritanie et soutenus par Amnesty International.
Après cette introduction, le commissaire demanda à un policier de me faire sortir pour le laisser en tête à tête avec ma tante. Il me conduisit dans une cellule en me poussant violemment à l’intérieur puis m’enferma à clé. J’étais seul dans une cellule réservée généralement aux délinquants. J’y suis resté jusqu’au moment où le même policier est venu m’ouvrir pour me reconduire chez le commissaire.
Il était 10h. Le commissaire m’a dit que j’étais libre et je suis reparti avec ma tante. J’ai voulu reprendre aussitôt service mais à ma grande surprise, le directeur de la radio m’a notifié verbalement que j’étais remis à la disposition du Ministère de tutelle. Ce que me confirma verbalement le directeur général à l’issue d’un entretien qu’il m’a accordé.
Et c’est le début d’un camouflage qui ne dit pas son nom. Après d’interminables va et vient au Ministère de l’information, j’ai appris que j’avais été licencié pour abandon de poste.
C’est le procédé utilisé pour donner une couverture légale aux nombreuses déportations ou licenciements abusifs. J’ai néanmoins procédé à un recours hiérarchique qui bien sûr est resté sans suite. Je pensais que mon licenciement était la finalité de toutes ces persécutions et que j’en avais fini avec les tracasseries policières.
C’était lourdement me tromper Ce jeudi 29 juin à 20h, deux policiers en tenue sont venus à la maison. Nous sommes montés dans une 404 camionnette noir blanc de la Police. Ils m’ont emmené au commissariat Toujounine, à 10 km environ de la capitale. Ils m’ont introduit dans le bureau du commissaire qui m’attendait. Ils sont ressortis me laissant seul avec lui.
Le commissaire a commencé à parler en Hassanya, dialecte maure. Ne comprenant pas tout ce qu’il me disait j’ai gardé le silence. Puis il reprit son discours en français pour me dire que c’était une preuve que je n’étais pas mauritanien parce que ne parlant pas Hassanya. J’ai rétorqué que je parle le pulaar et le français.
Cela l’a exacerbé et il m’a menacé de me faire retourner chez moi qui pour lui était le Sénégal. Il a commencé lui aussi à me parler du FLAM et a prétendu que j’en faisais parti. Puis le commissaire a appelé les deux policiers qui m’ont jeté par force dans une petite salle.Ils m’ont tabassé à coup de matraque avant de fermer la porte sur moi. J’ai passé la nuit dans cette salle minuscule jusqu’au petit matin.
Au réveil je divaguais dans un esprit vague par manque de sommeil. Je tournais en rond dans cette cellule. A 7 h j’étais enfin libre. Vu l’état dans lequel j’étais, je suis parti chez ma tante. Celle-ci s’est plainte aux autorités qui ont prétendu que c’était une erreur.
Craignant pour ma sécurité, j’ai décidé d’habiter chez un ami pour éviter l’isolement. Je suis resté ainsi sans emploi et sans ressources jusqu’au 23 août, date de mon embauche comme coordinateur et responsable de la mobilisation sociale à l’Unicef dans le cadre des journées maghrébines de vaccination du 15 octobre au 18 décembre 1989.
Ce contrat de travail me donnait en quelque sorte une protection internationale. Je ne me trompais pas puisque certains hauts responsables du Ministère de l’information sont effectivement venus, à plusieurs reprises, à l’Unicef pour s’entretenir avec le représentant de ma présence au sein de cet organisme.
Ce dernier qui envisageai de me mettre dans un autre projet à la fin de mon contrat, s’est vu, pour un problème de sécurité, obligé de me conseiller de quitter le territoire avec une proposition d’une mission à Paris. Cela devenait nécessaire car ma sécurité n’était plus assurée dans mon propre pays. J’ai quitté Nouakchott le 1er janvier 1990 à 00h 35 par un vol Air Afrique et depuis je vis en exil en France.
Bakala Kane