Mauritanie : face au président Abdel Aziz, Bouamatou appelle à la « désobéissance civile » et affiche ses ambitions
Dans un « appel à la résistance contre la tyrannie » qu’il vient de lancer, l’opposant et homme d’affaire mauritanien, Mohamed Ould Bouamatou, a tiré à boulets rouges sur la gouvernance du président Mohamed Ould Abdel Aziz et ses velléités de briguer un 3e mandat.
C’est la première sortie politique de l’ex-allié du chef de l’Etat mauritanien qui a été contraint ces dernières années à l’exil à la suite de son divorce avec le régime de Nouakchott et qui prône désormais et ouvertement la lutte contre « la dictature ».
Avec cette sortie, Mohamed Ould Bouamatou se pose désormais en opposant en chef du président Adbdel Aziz et promet l’avènement d’une nouvelle Mauritanie, ce qui confirme les ambitions présidentielles que certains lui prêtaient depuis belle lurette. C’est désormais à visage découvert que l’homme d’affaires mauritanien, Mohamed Ould Bouamatou, monte au front contre le régime du président Mohamed Ould Abdel Aziz.
Dans un « appel à la résistance contre la tyrannie » qu’il vient de publier, l’opposant en exil n’y est pas allé avec le dos de la cuillère pour dire tout le mal qu’il pense de la gouvernance de son ex-allié, « le dernier Yahya Jammeh de la région », qu’il promet désormais de « combattre inlassablement jusqu’à l’avènement d’une Mauritanie libre et démocratique ».
C’est la première sortie publique de l’homme d’affaires qui a été ces derniers temps, et depuis son divorce avec le pouvoir de Nouakchott, dans laquelle il assume pleinement son opposition au président Abdel Aziz, tout en confirmant les ambitions présidentialistes que certains analystes lui prêtaient depuis belle lurette. Bien qu’il n’ai pas fait acte de candidature, l’appel qu’il vient de lancer ressemble fort bien au lancement d’un mouvement politique qui a déjà son mot d’ordre tout trouvé, « tout sauf la dictature ».
« Voilà dix ans que notre peuple souffre sous une dictature brutale et impitoyable. Voilà dix ans que la Mauritanie est prise en otage par un rebelle qui s’est emparé du pays par un coup de force militaire pour installer un pouvoir personnel sans partage et faire main basse sur les biens de l’Etat et les ressources de la Nation. Voilà dix ans que nos libertés sont bafouées et nos concitoyens exposés aux pires avanies de la police politique.
Il ne se passe pas un jour sans que des opposants, des militants de droits de l’homme ou des journalistes sont arrêtés et jetés en prison. Des artistes engagés sont persécutés et contraints à l’exil. Des sénateurs, des syndicalistes et des journalistes sont placés sous le contrôle de la police avec confiscation de passeports et interdiction de voyage.
Des mandats d’arrêts illégaux sont lancés contre des hommes politiques et des hommes d’affaires dont les biens sont arbitrairement saisis en connivence avec une justice aux ordres. Un climat de terreur et d’intimidation est entretenu pour étouffer toute velléité de contestation », épingle Ould Bouamatou dans son message.
La sortie de l’opposant et homme d’affaires n’est pas fortuite bien qu’elle intervienne dans un contexte électoral avec la campagne pour les élections législatives de septembre prochain. Elle intervient quelques jours après une nouvelle sortie publique du président Mohamed Ould Abdel Aziz dans laquelle il dévoila, mais toujours de manière ambiguë, des velléités pour un troisième mandat.
Le vendredi 24 Août dernier lors d’un meeting de son parti à Rosso une localité du sud du pays à la frontière du pays, le président a appelé la population à voter pour les candidats de l’Union pour la République (UPR), « pour la poursuite des projets et programmes de développement en cours ».
« Ceux qui parlent souvent de troisième mandat doivent d’abord gagner les législatives et permettre à l’UPR d’obtenir une majorité écrasante au Parlement, car cette majorité est indispensable pour continuer la réalisation de nos projets en cours », a lancé le président Abdelaziz.
Des propos qui ajoutent à la confusion sur les réelles intentions du président qui, légalement, arrivera au terme de ses deux mandats de cinq ans en avril 2019 et qui ont déjà provoqué une levée de boucliers de l’opposition politique regroupée au sein Front national pour la démocratie et l’unité (FNDU).
La balle au rebond
C’est donc dans la même lancée de la fronde qu’entend mener l’opposition contre le régime d’Abdel Aziz et ses intentions de prolonger son bail à la tête du pays que s’est arrimé, Mohamed Ould Bouatmou qui n’a pas fait dans l’économie des mots les plus acerbes pour tirer un bilan des dix ans au pouvoir de l’ancien militaire putschiste qu’il a pourtant soutenu lors de sa reconversion en démocrate. « Voilà dix ans que la corruption et la gabegie gangrènent notre pays.
Toute notre économie est mise au service d’un dictateur et d’une poignée d’individus autour de lui, qui sucent le sang du peuple comme des sangsues », assène l’opposant qui a eu maille avec la justice et les autorités du pays, depuis son divorce avec Abdel Aziz.
« Aujourd’hui, alors qu’il est à quelques mois de la fin de son second mandat, le tyran veut, coûte que coûte, modifier le texte de la Constitution qui lui interdit de briguer un troisième mandat. Tourmenté par la hantise de quitter le pouvoir et pris de panique à l’idée de devoir rendre compte de ses méfaits, il n’hésite pas à diriger personnellement, au mépris de la Constitution, la campagne électorale du parti fantoche qu’il a créé.
Sillonnant le pays avec les moyens de l’Etat, il s’emploie à menacer et intimider les hommes politiques et les citoyens afin de les contraindre à voter pour la perpétuation de la dictature », estime Ould Bouamatou.
Pour Mohamed Ould Bouamatou, « face au grave péril qui menace l’avenir de notre pays », tous les partis de l’opposition, les organisations de la société civile, les syndicats doivent se mobiliser pour « faire échouer les desseins irresponsables et criminels du dictateur ». « Nous devons taire nos différences et unir nos forces dans un élan patriotique. Nous avons tous l’impérieux devoir d’être solidaires dans cette épreuve décisive pour le destin de la Nation », poursuit-il, promettant que cette lutte ne s’arrêtera pas aux élections, « mais continuera jusqu’à la libération totale de notre pays du joug de la dictature et de l’infamie des marchands d’otages et des escrocs du Ghanagate ».
Projet politique et ambitions présidentialistes
Pour l’heure, l’homme d’affaires se contente d’appeler à la mobilisation contre le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz. Il s’est en ce sens adressé, en plus de l’opposition politique, aux dirigeants des partis de la majorité, aux personnalités indépendantes sans oublier des appels de pied aux jeunes, « principales victimes de la dégradation de l’enseignement et du chômage endémique qui frappe le pays », mais aussi aux forces armées, « qui sont conscientes que l’armée n’est pas faite pour opprimer le peuple, ni défendre une personne ou un clan mais le pays tout entier ».
Appelant à un vote massif en faveur des partis de l’opposition lors du prochain scrutin, Bouamatou plaide, pèle-mêle, au boycott actif du régime, ainsi qu’à la désobéissance civile. « Votre vote est décisif. Protégez-le en barrant la route à la fraude, à la duplicité et au mensonge érigés en méthode de gouvernement », appelle le nouvel opposant qui souligne que « le dictateur a entrepris une gigantesque opération de fraude avec l’utilisation des moyens de l’Etat, l’asservissement de l’Administration, la menace et l’intimidation des électeurs».
L’homme d’affaires qui a passé une bonne partie de son récent exil au Maroc avant de s’envoler pour Londres n’a pas manqué de revenir sur son cas avec la saisie de certains de ses biens et le gel de ses comptes. « Le tyran peut bien saisir nos biens.
Ce n’est pas l’argent qui compte le plus dans la bataille que nous engageons mais notre volonté et notre détermination à abattre la dictature », estime toutefois celui qui n’hésite pas à faire le parallèle avec Gandhi, « qui a libéré l’Inde de la colonisation alors qu’il n’avait pour toute fortune qu’un pagne blanc, une chèvre et des sandales ».
Si pour l’heure, il prône « la résistance et l’activisme », tout en appelant à faire que les prochaines élections « soient un raz-de-marée qui emportera le tyran et ses acolytes », Bouamatou a aussi profité pour dévoiler ce qui ressemble bien à des ambitions politiques.
« Pour ma part, je m’engage, pour le restant de mes jours, à lutter inlassablement pour l’avènement d’une Mauritanie libre et démocratique, une Mauritanie débarrassée du sinistre Basep et de tous les stigmates de la dictature, une Mauritanie où le citoyen se sent en sécurité sans risque d’être agressé ni inquiété arbitrairement, une Mauritanie qui vit dans “la justice à l’intérieur et la paix avec l’extérieur” et notamment les pays voisins », lance Ould Bouamatou.
« Je sais que je suis continuellement menacé » poursuit l’homme d’affaires qui affirme que « des barbouzes étrangers » sont payés pour attenter à sa vie. Mais, ajoute-t-il, loin de lui faire peur, « ces menaces ne font que renforcer [sa] détermination pour continuer à [se] battre jusqu’au bout pour la réalisation de [son] rêve, celui de voir [son] pays devenir un Etat de droit où tous les citoyens jouissent de la liberté, de la justice et de l’égalité des chances, un Etat où sont bannies à jamais la famine, la soif et tous les syndromes de la pauvreté et de l’ignorance ».
Selon lui, son ambition est de voir la Mauritanie devenir un Etat où le pouvoir n’est pas un raccourci pour l’enrichissement, où les droits de l’homme sont respectés, l’alternance pacifique assurée et le pouvoir du président limité à deux mandats, successifs ou non. « Mon vœu le plus cher est de voir la Mauritanie devenir, un jour, la Norvège de l’Afrique de L’Ouest », annonce comme projet politique celui qui a pris « l’engagement solennel d’élucider, un jour ou l’autre, les circonstances de la mort suspecte de [son] frère et ami, feu le président Ely Ould Mohamed Vall, tragiquement disparu dans des conditions encore mystérieuses ».
Tout un programme politique qu’il va devoir désormais traduire en acte et surtout structurer, en se faisant d’abord une place au sein de l’opposition. Bien qu’on lui prête des puissants réseaux sur l’échiquier politique mauritanien ainsi que des relais dans le secteur privé et à l’étranger, la partie qu’il inaugure avec ce nouvel engagement politique, s’annonce semée d’embûches pour Ould Bouamatou, qui comme beaucoup de ses semblables de la même trempe en Afrique, va devoir pour le moment endosser le rôle d’opposant de l’extérieur.
Par Aboubacar Yacouba Barma
cridem