Le débat sur l’équipe de France : Un problème français ?
Cela fait des siècles que des Africains vivent en France et contribuent à la grandeur de ce pays. Dans tous les domaines. Le sport au XXe et au XXIe siècle n’est que la partie visible de l’iceberg noir. La population française dans sa majorité n’a jamais eu de problèmes avec cela. Même durant les douloureux siècles où le Royaume de France devint une grande nation esclavagiste sous les tropiques dans les Amériques déportant par millions les Africains, légiférant l’ignominie en 1685 via un Code noir qui déshumanisait le nègre devenu bien meuble. Comme dans toute l’Europe esclavagiste et “négrière”, on proclamait chez soi les droits de l’homme et on les bafouait allègrement dans les colonies.
On se souvient de ces braves habitants d’un tout petit village de France qui envoyèrent aux Etats-Généraux de 1789 une demande d’abolition de l’esclavage des nègres: « Les habitants et communauté de Champagney ne peuvent penser aux maux que souffrent les nègres dans les colonies, sans avoir le cœur pénétré de la plus vive douleur, en se représentant leurs semblables, unis encore à eux par le double lien de la religion, être traités plus durement que ne le sont les bêtes de somme. Ils ne peuvent se persuader qu’on puisse faire usage des productions des dites colonies si l’on faisait réflexion qu’elles ont été arrosées du sang de leurs semblables : ils craignent avec raison que les générations futures, plus éclairées et plus philosophes, n’accusent les Français de ce siècle d’avoir été anthropophages, ce qui contraste avec le nom de français et encore plus celui de chrétien. C’est pourquoi, leur religion leur dicte de supplier très humblement Sa Majesté de concerter les moyens pour, de ces esclaves, faire des sujets utiles au royaume et à la patrie. »
Après moult hésitations, la Convention finit par abolir l’esclavage cinq ans plus tard en 1794 en pleine révolution des esclaves de Saint-Domingue.
Ainsi le jeune Thomas Alexandre, né esclave en 1762 d’une mère esclave yorouba (suivez mon regard), à St Domingue, allait devenir à Paris l’un des officiers généraux les plus gradés de l’armée française sous cette même Révolution. Mais…mais le cynisme raciste d’un moins gradé que lui qui allait faire un coup d’État et se proclamer empereur des Français allait changer la donne. Le Consul empereur lui fit appel pour aller rétablir l’esclavage à St Domingue et capturer Toussaint Louverture…
Le Général Dumas, reconnu à l’époque comme le Premier soldat du monde, déclina dignement l’offre infâme du mânant: “Quoi, Premier Consul? Aller remettre ma Mère et mes soeurs sous les fers de l’esclavage? NON!”. A partir de là, Napoléon ordonna de ne plus lui présenter “ce nègre“. Nous étions en 1802. Non seulement il annula le decret abolitionniste de 1794 pour rétablir l’esclavage dans toutes les colonies françaises, mais il promulgua aussi les premières lois racistes dans un pays européen: interdiction de mariages entre Blancs et Noirs, expulsion des grandes écoles de France de tous les élèves noirs, limogeage immédiat et sans indemnités de tous les officiers noirs de l’armée française dont bien-sûr celui qui était devenu son ennemi pour avoir refusé la mission secrète qu’il allait finalement confier à son beau-frère le général Leclerc. On connaît la suite.
Toussaint mourut sous ses ordres au Fort de Joux mais les esclaves africains de St Domingue vainquirent la plus puissante armée du monde de cette époque et proclamèrent leur indépendance… Bonaparte finira lui aussi ses jours dans un château fortifié à Ste Hélène.
Savait-il que Toussaint préparait lui aussi dans le plus grand secret une importante expédition militaire pour aller détruire les forts négriers sur les côtes africaines et ainsi mettre fin à la déportation de millions d’Africains ?
Pourquoi ce rappel historique alors que nous parlons de footballeurs négro-français vainqueurs de la Coupe du Monde de Foot 2018? Parce qu’une partie de l’élite française actuelle est héritière du racisme d’État napoléonien. Tant que des Nègres peuvent servir à l’enrichissement ou au prestige de la France, utilisons-les. Les tirailleurs nègres ont bien sauvé la France en 39-45, ceux qui écrivent l’histoire pourront toujours effacer leurs exploits et vanter les mérites des “Français de souche”. Napoléon avait donné l’exemple. Il avait fait effacer de la mémoire des Français ses héros nègres: St Georges, Dumas et bien d’autres.
Quand Napoléon fit faire à Girodet un grand tableau de la prise de la Mosquée du Caire, il fit peindre au milieu de la scène un officier blanc aux cheveux blonds à la place de celui qui avait dirigé la cavalerie française lors de l’Expédition d’Égypte. Devinez qui? … Le brave général nègre haïtien de mère yorouba, DUMAS. De Gaulle suivra l’exemple en 1945.
Une photo officielle des joueurs sur le perron de l’Elysée prise au lendemain du Mondial 2018 suscite la polémique. S’il est avéré que les joueurs noirs ont été placés à l’arrière comme l’ont suggéré des internautes mécontents, on dira tout simplement que certains font se répéter l’histoire. Certains refuseraient-ils d’assumer la diversité de la France de 2018?
A suivre certains commentaires avant la finale de la Coupe du Monde, une partie de l’élite n’a pas hésité à exprimer son agacement ou son malaise. Cette élite arriérée, rétrograde, bonapartiste, nostalgique, incapable de vivre avec son temps n’est-elle pas toujours aux commandes ? Il y a quelques années, les mêmes disaient que si on ne voyait pas des journalistes noirs à la télévision, c’était tout simplement parce qu’il n’y en avait pas de qualifiés ! Une injure à des centaines de professionnels formés aux mêmes écoles à qui on fermait tous les accès. Le tout nouveau Président français semblait jusque-là présenter une image différente…
Le Président Macron a la responsabilité de faire en sorte que dans quatre ans, que ce soit à la direction de la Fédération Française de Football et dans le staff technique et d’encadrement des Bleus, il y ait des professionnels noirs français. La Belgique a déjà donné une belle leçon à la France en recrutant Thierry Henry auquel personne n’avait pensé à la FFF, bien-sût… Le meilleur buteur français de tous les temps de la Coupe du Monde de Football ? Vous plaisantez ? Cela me fait penser à une autre grande championne partie aux Etats-Unis pour pouvoir continuer à exister professionnellement : Surya Bonaly…
Les Africains de France, disais-je au début de ce texte, ont toujours contribué au prestige de la France qu’elle soit leur première ou seconde patrie. Mais des spécialistes de l’effacement de leurs traces dans l’histoire sont là, tapis dans l’ombre. Combien savent de nos jours que le seul personnage non couronné enterré à la célèbre Basilique de St Denis où sont enterrés les rois de France, est un Nègre? Oui, Du Guesclin, ce héros de l’histoire de France est un Africain.
Combien savent que l’écrivain français le plus lu au monde, le plus traduit au monde, le plus adapté au cinéma au monde, Alexandre Dumas est le petit-fils d’une esclave yorouba, et le fils d’un esclave devenu général français? Combien se souviennent que vingt ans durant, le Nègre Monnerville fut Président du Sénat français? Combien savent…? Qu’un autre Nègre, Severiano de Heredia fut Maire de Paris et Ministre des transports au XIXe siècle? Vu de France, vu de l’intérieur, ce sont les commentaires que je voulais faire.
À présent, voyons les choses de l’extérieur. Ces jeunes joueurs noirs revenus victorieux de Russie avec la Coupe du Monde sont bien français quoique d’origine africaine. Parce que la France est multiraciale et que cela ne devrait plus surprendre personne. Ils ont joué pour leur pays et lui ont obtenu une seconde étoile, haussant ainsi leur pays dans le club très sélect des Champions du Monde à deux étoiles.
La jeunesse africaine a le droit de s’émerveiller en les voyant accomplir des exploits. Ces jeunes prodiges afro-français du foot peuvent bien leur servir de modèle comme ils le sont aussi pour des dizaines de millions d’autres jeunes sur les autres continents. La jeunesse africaine n’est pas responsable de la faillite d’une élite gouvernante africaine incapable de mettre leurs talents et génies au service du continent. Il appartient aux dirigeants d’apprendre à cette jeunesse à rêver pour l’Afrique.
Quant aux pays en Europe ou ailleurs qui se réclament ouvertement racistes, qui refusent de recruter en sélection nationale de grands joueurs au motif qu’ils sont noirs et donc pas représentatifs pour eux, et bien, tant pis pour eux! Ils se contenteront de dire comme certains Italiens ou croates que c’est l’Afrique et non la France qui a joué en finale jusqu’au jour où je l’espère, ils réaliseront leur bêtise… Avoir raté une coupe du monde parce qu’on a dénié à ses compatriotes d’origine africaine le droit de représenter leur pays! Je peux parier ici que dans quatre ans, comme vient de le dire le plus jeune joueur français Kylian Mbappe, cette équipe française très multicolore remportera la Coupe du Monde en 2022 et pourquoi pas celle de 2026. Que cela plaise ou non aux pays qui discriminent leurs joueurs noirs!
Un dernier mot sur les enjeux de cette victoire française. Ces jeunes ont gagné parce qu’ils étaient d’une efficacité redoutable. Les Croates étaient plus forts et pourtant ils ont perdu avec une différence de buts indiscutable. Pourquoi l’historien s’intéresse-t-il à ce moment présent et à un sport de divertissement? C’est Théophile Obenga qui donnera l’explication, le fin mot de l’histoire. En 2013, au Salon du livre de Genève, une table ronde avait été programmée sur la bande dessinée “Eto’o fils” de Jeki Esso qui venait de paraître aux Editions Dagan BD.
L’éminent égyptologue Obenga y avait participé. Le débat fut très riche en enseignements et le modérateur, un jeune militant panafricaniste afro-suisse, avait déclaré qu’il ne voulait honnêtement pas au départ animer cette table ronde consacrée à une star africaine du foot parce qu’il y avait des sujets plus sérieux concernant l’Afrique. Et l’égyptologue de lui dire qu’il ne fallait jamais mépriser les artistes et les sportifs car en examinant notre histoire du XXe siècle, ils avaient été les premiers à réaliser des percées (breakthroughs) dans les luttes contre l’oppression et le racisme. Ouvrant ainsi la voie à des réussites ultérieures dans d’autres domaines. De Jack Johnson premier Noir américain champion du monde de boxe au début du XXe siècle à Barack Obama, Président noir des États-Unis au début du XXIe siècle, l’histoire s’est déroulée dans un sens qui ne peut laisser indifférent l’historien.
Dagan Dieudonné Gnammankou (Contribution)
https://lanouvelletribune.info/2018/07/le-debat-sur-lequipe-de-france-un-probleme-francais/