Bouleiba BS: Les rôles de « veilleur et d’éveilleur » de notre élite
Roger Bésus disait : « L’élite n’a pas sa place dans la cité, si elle n’est pas d’abord conscience. Elle doit être en parties égales, un veilleur et un éveilleur. Si donc il convient, le débat s’institue entre les pouvoirs et les autres, son rôle n’est pas de le passionner mais d’y introduire la raison.
L’élite doit exciter les esprits mais apaiser les passions. La difficulté de sa situation et ce qui la rend suspecte à tous les camps, c’est qu’elle ne peut être inconditionnellement du parti de l’un deux. »
Si j’ai choisi cette définition de Roger Besus sur le rôle de l’élite, c’est parce que nous ne mesurons pas souvent la lourde responsabilité qui est la nôtre dans le destin de notre pays. Dieu seul sait combien ce pays a payé pour couvrir nos études du primaire à la spécialisation avant de nous confier de grands postes de responsabilité avec beaucoup d’avantages matériels et les honneurs.
La question qui doit tarauder chacun d’entre nous, s’il lui reste un zeste de patriotisme est la suivante : est ce que j’ai fait à ce peuple le retour d’ascenseur qu’il faut pour payer cette dette que j’ai envers lui. ? Quand les populations sont en grande partie analphabètes, quand la pratique démocratique a été éclipsée pendant une longue période et que son retour est tout récent, il faut que l’élite joue son rôle de « veilleur et d’éveilleur ». Malheureusement, les positionnements politiques nous empêchent souvent de jouer ce noble rôle. Ceux qui restent en dehors des tranchées politiques sont nombreux, surtout au niveau des centres universitaires, des classes moyennes et de la diaspora.
Ils restent passifs car les premières initiatives qu’ils ont voulu prendre se sont heurtées à l’intolérance des acteurs politiques, au sein de l’opposition comme dans la majorité, qui devraient être les premiers intéressés par leur écoute et leurs propositions. L’opposition les considère manipulés par la majorité, parce que certains sont fonctionnaires de l’Etat. La majorité n’a d’attention que pour les initiatives qui viennent de ceux qui sont proches d’elle.
L’existence d’une société civile agissante et vraiment indépendante est une bonne chose pour le renforcement de la démocratie et l’Etat de droit. Normalement, la société civile n’est pas partie prenante dans les luttes politiques des partis. Elle doit être l’un des grands leviers de l’élite non partisane et neutre pour permettre en cas de besoin de faire œuvre utile.
La scène nationale entre 1945 et 1964 avait ses acteurs : les divers partis politiques mais aussi une société civile composée des syndicats et la JM -Jeunesse de Mauritanie : un mouvement intellectuel apolitique-. Leur participation dans la préparation organisationnelle et intellectuelle contribuera largement au succès du Congrès d’Aleg en mai 1958, première rencontre de tous les Mauritaniens dans toute leur diversité et qui posera les principes fondamentaux du futur Etat mauritanien.
KIERKGAARD DISAIT : « Ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est le chemin. »
Les élections prévues en 2018 /2019 sont l’un de ces boulevards que l’histoire ouvre aux peuples. Il n’en tient qu’à nous pour que ce boulevard soit le plus large possible pour nous contenir tous avec nos espérances, nos différences et nous conduire vers la prospérité et la stabilité de notre pays au lieu de se boucher et devenir une impasse à cause de nos égoïsmes et notre tendance à nous entredéchirer.
Ces boulevards que l’histoire ouvre aux peuples peuvent être porteurs d’un avenir radieux, comme ils peuvent être porteurs de tsunamis sociaux qui lézardent fortement ou emportent pour toujours, les petits pays comme les grands. On n’a plus besoin de voyager pour voir comment cela se passe. Une simple poste radio FM, un téléphone portable ou un téléviseur vous font voir ces spectacles de désolation et carnage, en son et en images. C’est abominable et terrible dans tous les cas et quel que soit le pays. C’est plus abominable et terrible quand les images viennent d’un pays que vous connaissez pour y avoir séjourné ou étudié et ce sera plus dramatique et plus abominable quand vous imaginez un bref instant qu’un jour ces images peuvent venir de votre propre pays.
Hier j’écoutais le gouverneur d’une des régions de notre voisin et frère Mali expliquer que les 30 morts d’aujourd’hui et les 12 d’hier, constitués de paisibles éleveurs et agriculteurs sont victimes de vindictes entre deux milices, l’une qu’on dit proche du gouvernement et l’autre affiliée à Al-Qaïda. En quoi ces humbles citoyens sont concernés pour qu’on leur ôte la vie. ? Qu’est-ce que leurs épouses et leurs enfants ont fait pour voir leurs maris ou pères assassinés froidement ? Je ne suis pas le mauvais génie annonciateur de l’apocalypse, ni un « directeur des consciences ». Je suis tout simplement lucide et j’ai horreur d’entendre ceux qui prétendent avoir la science infuse- dire : « non ! ça n’arrivera pas chez nous, ça n’arrive qu’aux autres ». En tant que citoyen soucieux de l’intérêt de mon pays, j’ai le devoir de mettre en garde contre des dérives qui peuvent être le début de la fin.
Certes nous avons un répit sur le front extérieur depuis quelques années mais cela ne nous autorise pas à lever le pied. Il faut continuer à s’équiper et former, car ces mouvements qui présentent une menace pour nous sont susceptibles de changer de méthodes. Ils innovent sans cesse dans leurs approches et modes d’action. Pour y faire face, se constituer en un front intérieur apaisé, sanctuarisé et sécurisé, est un impératif stratégique. Assurer la sécurité du citoyen et ses biens, préserver son moral et garantir sa contribution à l’effort de construction général, sont à ce prix.
Certains grands centres urbains requièrent plus d’attention en matière de politique sécuritaire. Comme nous le voyons ailleurs, le terrorisme n’a plus besoin de se déplacer. Il suffit aux chefs de ces groupes de donner des ordres et ils trouveront toujours des répondants sur place, notamment dans les grandes agglomérations sur peuplées.
– Il importe que tous les acteurs politiques sachent qu’eux seuls seront collectivement responsables des conséquences découlant du choix de l’un ou l’autre des scenarios ci-dessous.
A- Premier scenario : ouvrir la voie à un avenir radieux exige de nous de poser des actes forts.
-Nous devons individuellement et collectivement faire preuve de patriotisme, d’esprit de responsabilité et surtout de tolérance.
– Nos responsables politiques doivent admettre que la politique « est l’art du possible » et que l’art du possible n’est pas synonyme de compromission mais de raison.
– Nous devons tous avoir à l’esprit que ce n’est pas seulement notre destin personnel, aussi légitime soit-il, que nous jouons en cette période, mais prioritairement celui de notre pays et notre peuple et peut être au-delà celui de notre sous région.
– Dans la préparation des échéances prochaines, il faut résoudre sans passion les problèmes de procédures qui peuvent se poser, y réfléchir dès à présent et les anticiper sans attendre le dernier moment. Attendre le dernier moment, c’est ouvrir la voie à la surenchère et au surdimensionnement qui sont le terreau fertile des groupes extrémistes dont l’agenda est aux antipodes de la saine pratique démocratique, et porte par conséquence préjudice à la tenue d’élections transparentes et justes.
-Les comportements politiques responsables et civilisés sont les caractéristiques fondamentales qui ont permis de consolider la démocratie dans les Nations, qui nous ont précédées sur cette voie, et de réussir des réformes qui débouchent sur les progrès économiques et sociaux.
2-Le scenario du pire : un tsunami social. Toute personne ou groupe qui pratique la politique à quelque niveau que ce soit doit, dans toute action, tenir compte des facteurs suivants : le contexte propre de son pays, les menaces extérieures et surtout donner la priorité à l’analyse des conséquences de son action sur l’avenir de la Nation. La démocratie et la pratique politique n’ont d’utilité que si elles ont pour finalité une dynamique de progrès économique, social, d’unité et de sécurité pour la collectivité nationale. Par contre, elles n’ont, ni sens, ni légitimité si elles peuvent conduire à des désordres, qui sont toujours prélude aux guerres civiles.
– Nos responsables politiques doivent avoir la sagesse de ne pas se laisser instrumentaliser, ni dans leurs discours, ni dans leurs actions par les va-t-en-guerre ; et Dieu sait qu’ils n’en manquent pas, et dans tous les camps !
-lls ne doivent penser qu’à un objectif, le seul qui vaille pour tout patriote sincère : Que la Nation Mauritanienne continue d’exister en tant qu’Etat souverain, aujourd’hui et demain.
-Ils doivent se garder de cette fâcheuse tendance à l’intolérance qui s’instaure de plus en nous. C’est vrai que ce risque reste encore circonscrit à une frange très limitée de l’élite politique. Heureusement ! J’ai toujours dénoncé ce phénomène dans mes écrits et je ne suis pas le seul. Je ne le faisais pas pour prendre à partie une personne ou un groupe donnés, c’est juste pour qu’on revienne à nos mœurs fondamentales et séculaires où la tolérance était la valeur cardinale glorifiée par notre sainte religion. Je dois souligner ici une exception toute mauritanienne et à laquelle on ne mesure pas suffisamment la symbolique forte qu’elle porte.
Dans de nombreux pays du monde, les anciens chefs d’Etat sont : soit tués, soit condamnés à des peines à perpétuité et emprisonnés dans des conditions abominables ou obligés de s’exiler afin d’échapper à de tels sorts. Parfois quand ils meurent en exil, les pouvoirs refusent qu’ils soient enterrés sur leur sol natal. Les nôtres n’ont jamais connu ce sort, Dieu merci. Certains ont connu des périodes de mise en résidence surveillée plus ou moins longues, mais ils ont toujours été relâchés et rétablis dans leurs droits et avantages « d’anciens Chefs D’Etat ». Ceux qui nous ont quittés, paix a leurs âmes, ont eu droit à des funérailles nationales. Ceux qui sont vivants, que Dieu leur accorde longue vie, sont parmi nous, pris en charge par l’Etat et entourés de toute notre considération. Un seul de nos anciens Chefs d’Etat a choisi de vivre en exil et chacun respecte ses raisons. Leurs photos, tous, sont affichées a l’entrée du Palais présidentiel.
Chaque fois que nous avons été intolérants et que nous sommes allés à l’extrême punition, cela a laissé des lézardes fortes sur la cohésion de la collectivité nationale dans toute sa diversité.
Le Mahatma Gandhi écrivait dans une lettre adressée au vice-roi des Indes : « vous avez réprimé des populations adeptes du principe de la non-violence, fait des centaines de morts et de prisonniers, mais nous resterons non violents malgré vous et vos actions. Je vais simplement vous rappeler : Que la violence n’a jamais engendré autre chose que la violence ».
Peut-être que certains s’interrogeront : pourquoi je consacre la plupart de mes écrits à ce thème ?
La réponse : quoi de plus urgent et de plus important, que de prêcher la tolérance, l’unité et la stabilité du pays ! Je crois que cela en vaut la peine. Quitte à me répéter.
Les actions que nous devons mener pour préserver notre pays, son unité et sa sécurité :
-Mener un combat d’ensemble intra-muros pour parfaire notre unité et sanctuariser notre pays contre le risque de voir nos problèmes instrumentalisés par autrui.
-Renforcer notre front intérieur et extérieur pour éviter les dangers présents dans la sous région du Sahel, qui est très proche de nos frontières
-tout faire pour laisser de côté nos égoïsmes, nos replis identitaires et idéologiques
-Donner de nous une image d’hommes de bon sens et de consensus dans toutes nos actions politiques.
-Faire plus de place pour notre pays et nos concitoyens dans nos cœurs, et non seulement dans nos discours de circonstance et de propagande politique.
-Faire de telle sorte pour que la pratique politique ne soit pas une guerre de tranchées, mais une confrontation saine des idées.
-Se garder des actions et des discours politiques qui font appel aux instincts grégaires et à la violence
Ayons foi que notre situation actuelle et nos désaccords politiques ne sont pas irréversibles. Ils ne sont que le fruit de nos égoïsmes et de notre démission collective
Brahim Salem ould Elmoctar ould Sambe dit ould Bouleiba
Avril 2018
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