LA QUESTION NATIONALE MAURITANIENNE : GENESE ET ACTUALITES
Ce qui se passe sur le continent africain montre précisément le caractère universel de ce problème quoiqu’il revête en Afrique, selon les pays, des caractères particuliers.
S’agissant de la Mauritanie, le problème auquel on pense le plus facilement est la difficile cohabitation entre les communautés arabo-berbères et négro-africaines ainsi que la question de l’esclavage des couches harratines. Les diverses ethnies (pular, soninké, wolof, bambara et harratine) qui composent le pays ne veulent pas être soumises à la seule ethnie arabe et réagissent évidemment de manière parfois primitive à ce qu’elles considèrent comme des tentatives d’uniformisation, d’exclusion et de racisme d’état qui se manifeste dans les domaines politique, économique, culturel, social et même symbolique.
Ces ethnies, interrogent les lieux de diffusion de la connaissance (l’école), de la foi (mosquée), de la culture et de l’information (médias), du pouvoir (gouvernement et administration). Elles se rendent à l’évidence d’une politique raciale opérée par tous les pouvoirs publics de ce pays, dès l’accession du pays à la souveraineté internationale.
Cette même politique exclusiviste est bien perceptible au niveau des symboles, des sceaux et des armoiries de l’Etat mauritanien qui refuse systématiquement d’assumer la diversité de ses composantes nationales et sociales.
Héritier de la centralisation bourbonienne, jacobine, napoléonienne et coloniale, l’état est mis au banc des accusés dans sa volonté d’occulter le caractère biracial et multinational du pays. Son administration refuse de s’infléchir en fonction de la diversité culturelle. Les communautés concernées résistent contre ce qu’elles considèrent comme un projet d’acculturation par la politique d’arabisation, pratiquée depuis l’indépendance, par tous les gouvernements qui se sont succédés et qui sont demeurés incapables de comprendre la question et de la résoudre. Cela transparait dans toute la production intellectuelle et politique relative à ce sujet.
Ainsi, dans le Manifeste de février 1966, les auteurs (19 cadres négro africains constatent un « malaise profond et latent, car il est notoire que l’étude obligatoire de la langue arabe est pour les Noirs une oppression culturelle, un frein à leur développement culturel et scientifique et contre leurs intérêts. Nous entendons dès cet instant reconsidérer certaines bases de la coexistence entre communauté noire et communauté blanche ; car à l’heure actuelle nous assistons à l’accaparement total de tous les secteurs de la vie nationale par l’ethnie maure.
L’Etat, dès l’accession de la Mauritanie à l’autonomie interne, s’empressa de créer le mythe d’une prétendue majorité (80 % maure), le mythe du quart était né et règle depuis lors les dosages au niveau de toutes les instances politiques et administratives du pays. Dans la vie courante, cette manifestation de la contradiction raciale est perceptible au niveau de la représentativité de la communauté noire au gouvernement de février 1966 (2/9), au Bureau Politique National du parti (3/13) et à l’Assemblée Nationale (10/40).
La longue analyse de la situation des Noirs en Mauritanie, contenu dans le Manifeste de 1986 ne dit pas autre chose. Elle ajoute que c’est : « la France pousse le système, depuis 1960 à inscrire une politique de quota demeurée le même, entre les maures et les noirs (80% pour les premiers et 20% pour les seconds). Que ce lien entre poids démographique et antériorité de l’occupation de l’espace qui légitime l’hégémonie maure à la fois de la superstructure et de l’infrastructure. »
Cette dénonciation passe par un chapelet de griefs qui étaye les allégations des auteurs :
Le gouvernement de Haïdallah a promulgué l’ordonnance n° 83 127 du 5 juin 1983 portant réorganisation foncière et domaniale pour légaliser la confiscation des terres de la vallée, pour un double objectif de les remettre aux populations maures et orienter en même temps les revendications sociales et économiques des harratines vers ces terres pour susciter des antagonismes entre les composantes négro – mauritanienne.
Diminution progressive du nombre des cadres noirs au sein de l’Armée et des forces de défense et de sécurité du pays
Exclusion dans les temps d’antenne des langues et cultures négro mauritanienne (pular, soninké et wolof) au sein des médias publics.
Un système éducatif inique et assimilationniste qui a fini la systématisation de l’arabisation, en application d’une résolution du PPM, en 1971 qui disait ceci : “l’Arabisation est un objectif à long terme… Après l’institution d’un bilinguisme qui n’est qu’une simple transition, la réhabilitation de la langue et de la cultures arabes sera la renaissance de nos valeurs nationales”.
« Cinquante ans après l’indépendance les harratines qui se définissent comme une communauté nègre d’origine et arabo- berbère de langue (Hassanya), mais qui n’est ni nègre ni Bidhaan, sont toujours victimes de l’injustice sociale, de l’ostracisme et la discrimination. Dans un Manifeste de mars 2013, ils estiment que l’état indépendant n’a pas incriminé l’esclavage comme il n’a pas redistribué les terres aux esclaves, dans le cadre des réformes foncières.
Le régime de Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, dans ses deux versions militaire et civile, n’était pas différent de ses prédécesseurs. Pendant ses 21 ans de règne, les harratines n’ont jamais dépassé le seuil de 2 à 3 ministres par gouvernement, pour une composante nationale estimée à quasi 50% de la population nationale. En 21 ans de pouvoir, la seule communauté arabe du pays a contrôlé 90% des richesses nationales concédées par l’Etat comme l’ensemble des institutions financières (BNM, GBM, BMCI, BCI, Chengitty Banque, BADH et BACIM Bank etc.). Les deux décennies de pouvoir d’Ould Taya sont celles de la consolidation d’un système de domination économique, financière, politique, culturelle, sociale grâce à la bénédiction du régime, sur fond de racisme d’Etat.
L’arrivée au pouvoir en février 2008, Sidi Ould Cheïkh Abdallahi a permis de promulguer une loi incriminant et sanctionnant les pratiques de l’esclavage. Mais l’absence de mesures d’accompagnement et les hésitations de son gouvernement ont fini par émousser l’espoir des victimes.
Selon les auteurs du Manifeste, le sacre de l’hégémonie du système s’opère par trois points essentiels : Contrôle et orientation de l’information, l’exclusion des Négro-africains et l’assimilation forcée des Harratines.»
Pour le Conseil Représentatif des Soninké de Mauritanie (CRSM), la première discrimination est la tentation de favoriser le développement prééminent de l’identité arabe aux dépens des autres, en mettant en œuvre de manière exclusive, l’officialisation de la langue arabe ainsi que l’arabisation imposée de l’enseignement. Cette exception identitaire, consacrée dans la loi fondamentale du 22 mars 1959 et du 20 mai 1961 institutionnalise l’arabe comme seule langue nationale dont la conséquence constitue les exclusions de l’enseignement et de l’appareil judiciaire ; cette instrumentalisation des références identitaires est la cause des autres facteurs de désunion de la nation mauritanienne que sont les exclusions sociales, politiques et économiques ainsi que dans les choix des stratégies géopolitiques d’intégration au Maghreb aux dépens de la CEDEAO.
Les auteurs du document accusent ce racisme d’état d’être à l’origine des violations massives des droits humains, des crimes contre l’humanité et du génocide tragique perpétré en Mauritanie.
Le Président du Mouvement Pour la Refondation (MPR), Dr Kane Hamidou Baba, a eu cette réflexion pertinente, dans son programme de campagne et disait : « Les fractures sociales nées des atteintes à l’unité nationale et à la cohésion sociale constituent une menace qui pèse d’un poids décisif sur notre marche vers la paix et le développement de notre pays ».
Le Nouveau Pacte Politique (NPP) qu’il propose aux mauritaniens, bâti sur le socle de la REFONDATION, devra intégrer à la fois un contrat de confiance entre l’Etat et la société et un contrat de confiance entre l’Etat et le citoyen, comme mécanismes et réponses dans la recherche obstinée de l’intégration nationale.
Des réformes de nouvelles générations sont donc nécessaires, pour bâtir un consensus fort autour de certaines questions pour reconstruire la « Maison mauritanienne ».
Mataka