Quelle forme de lutte face à la radicalisation de la politique de discrimination raciale et d’exclusion systématique des noirs de Mauritanie ?
En parlant de noirs, je refuse d’entrer dans le débat sans fin opposant les partisans d’une négritude africaine des noirs de Mauritanie aux tenants d’une négritude mauritanienne spécifique supposée plus inclusive que la première. Le débat qui déchire la communauté Haratine entre arabité, spécificité identitaire et négritude, ne serait, ainsi pas à l’ordre du jour dans notre communication. Parlant de noirs, je désigne les communautés haratines, haalpulaars, bamanan, sooninkos et wolofs. De même j’userai le plus souvent du terme « beydane » qui reflète, à mes yeux, beaucoup plus la réalité identitaire des « arabes blancs » que le terme officiel consacré qui, d’une part prête à confusion, et d’autre part n’est utilisé que dans un esprit partisan. D’ailleurs, ce terme arabe est absent du vocabulaire courant des identités subjectives mauritaniennes. Qu’ils soient donc tous arabes ou pas, qu’ils soient tous consacrés maures ou pas, les termes consacrés « beydanes » et « haratines » traduisant les identités subjectives de ces groupes ont ce double avantage de la clarté épistémologique en refusant la confusion volontairement assimilatrice de deux communautés historiquement, culturellement et génétiquement différentes. Le critère linguistique, à lui seul, ne peut pas s’arroger le droit exclusif de la définition des identités anthropologiques.
Je ne reviendrai pas non plus sur l’historique de la cohabitation mouvementée entre ces différentes communautés noires et la communauté beydane du pays. Je ne ferai que des constats en m’appesantissant sur les réalités actuelles qui interpellent la conscience de plus d’un mauritanien soucieux de l’existence de ce pays en tant qu’agrégats de différentes communautés, ayant subi sans le choisir, l’option du vivre ensemble dans une même république. Les violences de l’esclavage et de la colonisation qui nous ont imposé cet état de fait que nous tenons à sauver à tout prix, ne nous ont malheureusement pas légué les outils et les moyens à la hauteur du défi.
Un pays de six communautés ethniques dans lequel une minorité représentant à peine 20% de la population s’arroge tous les leviers de pouvoirs et tous les avantages économiques, sociaux, culturels et politiques, est non seulement un non sens, mais une aberration politique et historique. Il faut l’avouer et le reconnaître, jusqu’à ce jour, toutes les formes de lutte pour l’égalité et la libération des esclaves ont échoué. Le système s’arc-boute sur ses privilèges et refuse d’admettre que le soleil se lève au levant et se couche au couchant. A l’ère du multipartisme et de la révolution cybernétique qui garantit la liberté des expressions, le système lui, se joue de la naïveté des combattants de la liberté et de la gourmandise des collabos pour assoir et raffermir son pouvoir et sa domination raciste par une politique d’exclusion raciale de plus en pus agressive, de plus en plus pensée et professionnalisée, et surtout de plus en plus extrémiste et violente.
Ainsi, la question que nous nous posons aujourd’hui, n’est pas celle de la défense des droits des autres composantes du peuple mauritanien, moins encore celle de l’égalité des citoyens et des communautés devant les pouvoirs et les privilèges de la république, mais bel et bien celle de la nécessité et de la possibilité ou non, de préserver cet héritage subi, cet outil qui devait être une innovation en matière d’intégration nationale de différentes communautés venus d’horizons divers, et que le premier Président de la république a si sournoisement qualifié de « trait d’union entre le monde arabe et africain ». La Mauritanie est-elle un projet viable ? Comment bâtir une nation sur la base du refus d’assumer son héritage historique et culturel ? Comment bâtir une nation en catégorisant de fait les citoyens et les communautés en citoyens et communautés du haut et citoyens et communautés du bas ? La relation entre beydanes et noirs qui bâtira la nation mauritanienne, – pour user de la traduction directe du pulaar au francais en mode sur facebook – , ne sera pas celle entre le propriétaire et son âne, ni celle entre le berger et le troupeau. La Mauritanie sera sur la base de l’égalité, de la justice et de la fraternité, conformément à sa devise, ou elle ne sera pas. Malheureusement, dans son projet de mariage, les conditions actuelles des fiançailles ne recèlent que les germes d’un violent divorce.
Les différentes formes d’exclusion
Depuis l’indépendance, et bien avant l’indépendance, la question de la cohabitation a été posée. Du congrès d’Aleg aux Etats généraux de la démocratie sous le pouvoir de Med Ould Abdel Aziz, en passant par le manifeste des 19, la création des mouvements de libération tels que El Hor, l’UDM, l’ODINAM, Les FLAM, IRA, KAWTAL, OCVIDH, les partis légaux, etc. et j’en passe, le combat a été long, le combat a été fastidieux.
Malheureusement, ce combat n’a pas empêché le système, malgré la promulgation de lois, de refuser de reconnaître formellement et officiellement l’existence de l’esclavage. Pire, malgré l’élévation de l’esclavage au rang de crime contre l’humanité, les criminels esclavagistes ont toujours raison devant les victimes, et cela conformément à l’esprit de la loi d’abolition de l’esclavage de 1981, qui avait exigé la bêtise de l’indemnisation des maîtres criminels. Ce combat n’a pas empêché le système d’accentuer et de renforcer sa mainmise sur tous les rouages du pouvoir. Aujourd’hui, le sud mauritanien vit dans une situation de quasi-colonisation par laquelle les administrateurs exclusivement beydanes et choisis selon leur degré de zèle, se comportent en colons en territoires conquis. Les populations vivent de au quotidien de rackets administratifs, d’intimidations et d’humiliations. Une administration au service d’un système de domination par une discrimination raciste, une administration de corrompus et de voyous. Des racistes qui refusent jusqu’au simple acte d’état-civil aux citoyens noirs, des voyous qui spolient les paysans et les pasteurs de leurs terres de cultures et de pâturages, et même de leurs cimetières, par le biais de décisions iniques, injustes et fallacieuses. Nous avons vu cette administration de bandits de grands chemins qui a permis jusqu’à autoriser à un berger maure de faire paître ses vaches dans les champs de maïs des villageois de Boulé, à quelques encablures de Boghé. Nous avons vu cette administration de délinquants mettre les populations de Niabina en quarantaine pendant plusieurs jours sous prétexte qu’un berger maure avait disparu. Nous avons vu ces corrompus ne présenter un médecin affecté à Djeol depuis plus de trois ans, que deux jours seulement avant l’arrivée de Aziz à Djeol dans le cadre de sa tournée dans le Gorgol d’il y a seulement deux semaines. Ne me demandez pas si ce médecin est resté à son poste, car Aziz n’habite pas Djeol. Les exemples sont nombreux, nous ne passerons pas notre soirée à faire le chapelet des forfaits de la gouvernance azizienne.
Comment-voulez-vous qu’une telle administration contribue à bâtir une nation sur la base de la volonté et de l’envie du vivre ensemble ? Comment voulez-vous qu’une telle administration bâtisse une nation sur la base de la liberté, de l’égalité et de la fraternité des cœurs ? Comment, voulez-vous, qu’avec de telles pratiques, le peuple mauritanien ne finisse pas par se poser la question qui taraude tous les esprits, celle de la viabilité, de la nécessité ou de la possibilité même de bâtir un état qui s’appelle Mauritanie ? A l’heure de la réhabilitation des pensées panafricanistes de Nkrumah et de Cheikh Anta Diop et de Thomas Sankara, poser la question de la viabilité d’un regroupement serait presque vu comme hérésie. Malheureusement, les contre exemples de tels regroupements ayant mal abouti, puisque non préparés et non voulus, de tels mariages contraints ou arrangés, sont légion.
Aujourd’hui encore, le noir est culturellement discriminé pour ne pas dire culturellement inexistant. Il ne survit culturellement que grâce à des initiatives privées. Malgré les promesses, l’institut des langues reste voué aux gémonies. Les télévisions et les radios aussi bien privées que publiques sont contrôlées par le système qui ne réserve aux composantes négro-africaines que la portion congrue des émissions.
Le système financier et bancaire est exclusivement contrôlé par les beydanes. Ainsi, le système de prêts, moteur de l’initiative privée, est prioritairement réservé à ceux qui ont la chance d’être nés du bon côté.
2- De l’ère Taya à l’espoir du 05 août
Avec Taya, nous avions atteint un degré de violence physique et symbolique du système que nous pensions ne pouvoir jamais être égalé. Des assassinats en masse aux déportations, en passant par les spoliations des terres et des villages, le génocide culturel qui rebaptisait tous les villages et les lieux conquis dans le sud, les licenciements en masse des fonctionnaires noirs, la politique de dénaturalisation de fait des opposants et des leaders traditionnels et d’opinion, etc. Taya avait atteint le summum de la barbarie dans sa politique qui n’était rien d’autre qu’un génocide de la contre la communauté négro-mauritanienne.
Un 05 août 2005, les militaires renversèrent son pouvoir. Un espoir était né. Mais il sera de très courte durée. On promit monts et merveilles. Mais le système était là. La révolution était interne au système. Elle ne concernait pas le peuple, ni l’Etat. Elle ne concernait que ceux qui se chamaillaient en privé dans la défense de leurs intérêts égoïstes. Mais il fallait berner le peuple. Il fallait tout faire pour lui faire avaler la couleuvre. Des assises nationales furent organisées, des missions furent organisées chez les bailleurs de fonds avec la bénédiction des plus irréductibles des opposants. Un consensus fut scellé. Avec Bruxelles, ce fut un document en 24 points qui devait ramener la paix et la sérénité dans le pays. Toutes les exigences des communautés noires étaient acceptées et inscrites en lettres d’or dans les accords. Le passif humanitaire devait être soldé. Les questions sociales, culturelles et linguistiques allaient trouver leurs solutions.
Une élection présidentielle fut organisée. Le candidat choisi par le système remporta la mise. Mais les lions de la savane ont la fâcheuse habitude de tuer leurs petits quand ils ont envie de quelques moments de douceur avec la maman. Sidy Ould Cheikh Abdallah était victime de cette règle héritée de la faune sauvage dont les mauritaniens ont la nostalgie. Il y avait tout de même un début de solutions à certaines préoccupations essentielles, notamment sur le retour des déportés. Mais le lion avait besoin de sa femme, et Sidy semblait être un rideau de fer.
Aziz ou l’incarnation du mensonge
Sidy Ould Cheikh Abdellah ne résista pas à la révolution qui a l’habitude de dévorer ces fils. Surtout si de tels fils sont illégitimes aux yeux de la religion consacrée. Les militaires mirent fin à l’unique expérience réussie d’élections non contestées. Aziz vint au pouvoir. Les chants sirène reprirent de plus belle. Il promit le ciel, la terre, le cosmos et tout ce qui bouge entre les planètes aux mauritaniens, et plus spécifiquement aux noirs. L’abolition de l’esclavage ne devrait plus être un vœu pieux, le solde du passif humanitaire né du génocide de l’ère Taya allait être définitivement réglé.
Les politiques, la société civile, les hommes d’affaires, le petit peuple à l’image de votre serviteur qui vous parle, la grande majorité de la communauté noire, un beau monde fut nargué et trahi par un simple lion qui avait besoin d’une saison d’amour avec sa dulcinée confisquée par d’autres du même clan. Ce beau monde lui accorda sa confiance et le soutint dans la légitimation et la légalisation de son forfait. L’opposition, qui avait gardé l’esprit alerte et refusait de cautionner le putsch fut narguée et roulée dans la farine par les compromis dits « Accords de Dakar ». Ces accords qui lui donnèrent la caution politique et juridique dont il avait tant besoin en légitimant de fait l’usurpation du pouvoir que ses protagonistes avaient pourtant tant combattu.
Aziz avait les coudées franches. Désormais président élu, dans son esprit, il ne s’agit plus de régler les problèmes, mais d’oublier jusqu’aux promesses. « Les accords de Dakar sont dépassés ». Le passif humanitaire doit être oublié. Ceux et celles qui le voulaient pouvaient accepter des dessous de tables pudiquement appelés indemnisations, pour oublier leurs morts et leurs droits. Quelques déportés furent re-déportés dans leur propre pays en provenance du Sénégal. On refusa de parler des autres. Et il n’existait officiellement aucun mauritanien déporté au Mali. Ne parlons pas de ceux éparpillés à travers les cinq continents. Pour ceux qui sont redevenus de simples déportés internes, pas de papiers d’état-civil, (Mrabih est passé par là), pas de village à retrouver, pas de terres de cultures à récupérer, ne parlons pas du bétail exproprié, encore moins des boucles d’oreilles arrachées.
Certains fonctionnaires furent réintégrés. Ils reçurent chacun, selon la grandeur de sa sébile, une aumône qui permettrait de calmer la faim des derniers jours de survie. La législation du travail, qui exige au moins quatre ans d’indemnités dans pareils cas, fut vouée aux gémonies. Pire, on leur refusa tout reclassement.
Seulement, Aziz ne s’arrêta pas là dans ses mensonges et trahisons. Il était venu animé d’une stratégie pernicieuse de poursuite de l’œuvre de son mentor Ould Taya. Pour Aziz, Taya n’était pas intelligent. Lui allait faire pire, sans remuer la curiosité de la communauté internationale par des méthodes de violence barbare et dépassée tout en faisant payer aux victimes de sa stratégie raciste, les frais induits par une telle politique. Ainsi, la politique d’enrôlement était mise en branle. Tout est fait pour enrôler le minimum de noirs et augmenter ainsi le pourcentage des beydanes du pays. Les communautés sahraouies et arabes du Mali étaient appelées en renforts et enrôlées sans scrupules au moment où on refusait aux mauritaniens authentiques tout lien avec le pays. Parallèlement, avec l’appui de l’agro-business arabe national et international, la politique d’expropriation des terres des noirs entamée depuis 1981 est accélérée. Les terres de la vallée sont devenues, pour des pseudo-investisseurs dits « samsara » et l’administration de bandits à cols blancs, un moyen de sucer les caisses de la banque du Crédit agricole sans investir un sou dans un quelconque projet. Aujourd’hui, les résistances de la caravane de Kawtal, Ira, MAPROM et autres partenaires, celles des populations de la commune de Darel Barka et des femmes de Thiambène, ne sont que des alertes vers un conflit qui dépassera l’entendement des bornés de la république. Nous nous dirigeons vers un tsunami qui risque de balayer tout sur son passage, la république y compris. Sans terre et sans papiers, sans cimetières et sans espace vital, sans pâturages et sans champs de cultures, que feront les populations noires de la vallée ? Deux uniques solutions s’offrent à elles ? Devenir esclaves des nouveaux colons en terres conquises, ou s’auto-déporter vers des pays plus cléments. Et paradoxalement, c’est cette dernière option qui ferait l’affaire du système, dans sa conscience de son incapacité et de son impossibilité à gérer un système d’esclavage, fut-il appelé moderne. Mais aussi et surtout, parce qu’une telle option donnerait aussi l’avantage d’aller vers la création mécanique d’une majorité beydane dans le pays.
4-Les mouvements politiques face à la Question nationale
Devant une telle urgence, les mouvements et partis politiques mauritaniens restent divisés et éparpillés. Chacun tenant à garder sa chapelle et sa spécificité, alors que toutes les formes de luttes semblent épuisées. Les tentatives de rapprochement en cours sont timides. Devant le caractère obsolète des formes de luttes jusqu’ici envisagées, il serait plus urgent et plus porteur de réfléchir à une unité d’action dans une forme de lutte novatrice, qui mettrait toute la communauté internationale devant ses responsabilités face au risque de naufrage du navire Mauritanie. Malheureusement, on en est encore à trouver des stratégies d’alliance dans un cadre prédéfini par le système lui-même et qui ne risque nullement de le mettre en danger. Le système électoral mauritanien est biaisé et corrompu. Le système de domination raciste en fait sa base de domination des noirs de Mauritanie. Sans redécoupage électoral sur la base du poids démographique des différentes circonscriptions, les mauritaniens noirs seront toujours sous-représentés dans les deux chambres du parlement et ne seront là que pour colorer et amuser la galerie. Seulement, il parait que certains sont prêts à s’y conformer, même si jadis, on croyait en eux pour tenir l’étendard de la lutte. Les concepteurs de fausses cartes d’électeurs ont été épinglés par la justice à Londres, pendant que leurs corrupteurs mauritaniens reçoivent la reconnaissance de la république. Penser un rapprochement sur la base d’un tel système, pour des considérations purement électoralistes, est un non sens qui ne servirait qu’à renforcer le système en le légitimant par le haut, alors qu’il renferme lui-même les germes de sa propre destruction. Le système corrompt les leaders, qui, seuls pourront en bénéficier en étant des élus salariés sur le dos de la souffrance de leurs électeurs qu’ils ne pourront nullement servir. Leurs voix seront surement entendues, mais elles ne s’arrêteront qu’aux échos des augustes salles des assemblées.
Une nouvelle forme de lutte s’impose
Une nouvelle forme de lutte s’impose. Elle doit être inclusive en impliquant tous les concernés et tous les justes du pays, et pourquoi pas les révolutionnaires amis étrangers.
Elle passe d’abord par une révolution des esprits qui commencerait par investir le terrain dans les villages et les hameaux les plus lointains, afin, non seulement de sensibiliser les populations, mais aussi et surtout d’éviter de confiner la lutte dans sa forme actuelle de combat de l’élite. Si on veut lutter pour la masse, il faut lutter avec la masse. L’implication et la participation communautaire ne doit pas être valable que pour les seuls projets économiques et sociaux. La lutte pour le peuple, ne se mènera que par le peuple.
Ainsi, cette implication du peuple dans la lutte, la prise en charge de la lutte par le peuple, nous permettra d’innover avec d’autres formes beaucoup plus spectaculaires et réussies, car engageant les véritables concernés. C’est ainsi que par exemple, des campagnes de désobéissance civique pourront être lancées à l’échelle nationale ou dans des zones circonscrites selon les nécessités du moment. Il faut ici louer les actions entreprises par les braves militants de Ira qui ont transformé la fête de Aziz au Brakna en calvaire. Ira, innove de nouvelles formes pacifiques de lutte, il faut saluer cet esprit, il faut l’honorer. Les populations apprendront à boycotter un wali ou un maire véreux et corrompu. Un jour nous lancerons, pourquoi pas, des campagnes de boycott systématique des écoles du système pour exiger l’introduction de nos langues dans le système éducatif. Un jour nous boycotterons les radios, les télévisions et les autres médias écrits pour exiger l’officialisation de nos langues nationales. Nous boycotterons les boutiques et les supermarchés du système, ses banques, les produits de son industrie pour exiger l’égalité devant le crédit et le système financiers des devises…etc. etc. Ceci n’est qu’une forme de lutte, mais j’en suis sûr qu’en réfléchissant ensemble, dans le cadre d’une synergie positive, nous pourrons trouver d’autres formes et d’autres méthodes de lutte plus porteuses et plus radicales en fonction des contextes.
Aujourd’hui, face au défaitisme des combattants de la première heure, le peuple est déçu. La confiance jadis accordée aux mouvements de lutte est en berne. Les partis politiques, qu’ils soient de l’opposition ou du pouvoir, quand ils ne sont pas très divisés, ne sont perçus par la très grande majorité que comme des vaches à lait servant les intérêts égoïstes de leurs leaders ou de l’entourage du chef. Face à une telle situation, les communautés reprennent les choses en main. Cela a commencé par le manifeste des Haratines. Ensuite les autres communautés s’y sont mises. Aujourd’hui un travail qui semble à priori plus fédérateur que celui des mouvements politiques ou de la société civile semble en marche. Il faut en tenir compte et l’intégrer dans la stratégie de lutte. Le système, ayant échoué dans ses tentatives d’interdiction de tels regroupements à caractère ethnique, essaie de s’en accommoder par des tentatives de récupération. A nous de résister et de légitimer leur efficacité.
Face au mutisme de la plupart des partis à leadership beydane, il semble urgent de tendre la main à cette minorité beydane convaincue de l’urgence de régler la question lancinante de la cohabitation. Ceci aurait comme avantage de nationaliser la lutte et d’éviter les cloisonnements ethniques. La lutte, si elle est motivée par la discrimination raciale, elle ne peut et ne doit être menée que par les justes de toutes les communautés. Si elle n’a pas besoin des beydanes tenants du système et de ceux qui s’en accommodent parce qu’ils en bénéficient, elle n’a non plus besoin de ces noirs zoulous de l’Inkhata. Ces noirs qui ont vendu leur âme au diable pour des miettes. Cette rencontre des justes de toutes les communautés a donné raison à l’ANC en Afrique du Sud face au PAC et à la Conscience Noire de Stève Biko qui tenaient à des organisations de lutte exclusivement composées de noirs. Et ce fut un blanc du Parti communiste sud-africain qui fut le premier dirigeant de Umkunto Sizwe, le mouvement armé, fer de lance de la lutte anti-apartheid, créé par Mandela en 1961 après l’interdiction de l’ANC.
Dans son caractère inclusif, la lutte ne peut pas reposer exclusivement sur les mauritaniens de l’intérieur. Les exemples israéliens, palestiniens et même sud-africains sont là pour nous le prouver. Dans des situations d’état d’exception, la diaspora doit seule assumer la relève de la communication, de la sensibilisation et des relations internationales. La légitimité d’une telle option a été prouvée lors de la grande guerre suite aux génocides des juifs. Les juifs de la diaspora assurent encore ce rôle dans le cadre d’un travail de lobbying très efficace. Le peuple palestinien ne survit principalement que grâce à sa diaspora. Un tel travail a été expérimenté surtout avec les FLAM, et ensuite avec d’autres mouvements créés en exil comme l’OCVIDH, l’AVOMM, l’ODH, durant les années de braise de Taya. Mais cette diaspora, doit être conscientisée et plus sensibilisée sur la nécessité de la lutte plus qu’elle ne l’est maintenant, pour ne plus reposer exclusivement que sur son élite intellectuelle. Les organisations de l’intérieur, plus proches des populations, souffrent énormément d’un déficit de cadres et de moyens financiers que seule la diaspora devait aider à combler. Malheureusement, faute de structures de collaboration adéquates, ce rôle reste très en deçà des attentes.
Seulement, pour une efficacité de la lutte, il faut des objectifs clairs et précis. Une feuille de route qui n’omet aucune alternative face au doute créé sur la viabilité du projet Mauritanie doit être tracée. Si ma conviction est que, quelque soit la forme d’état, un projet d’intégration nationale, dans le sens du donner et du recevoir des valeurs, des cultures et des cœurs, comme l’a si bien enseigné mon maître spirituel Khrisnamurti, demeure la meilleure option pour une confiance retrouvée, elle n’est certainement pas celle qui aurait la meilleure chance de réussite face aux résistances du système assimilationniste qui s’arcboute sur ses privilèges conquis. C’est pourquoi, dans le cadre d’une lutte de libération, aucune option ne doit être écartée. Depuis plusieurs années, nos organisations et nos projets de sociétés se focalisent sur des solutions souvent dépassées comme l’égalité et la justice dans le cadre d’un état unitaire. Les plus courageux parlent d’autonomie, de régionalisation, ou de décentralisation poussée. Les autres formes de projet qui ont fait leurs preuves ailleurs ne doivent nullement être omises dans notre recherche de solutions viables. Je veux nommer le fédéralisme, ou pourquoi pas, la séparation. Cette séparation qui n’est plus un tabou la chute du mur de Berlin, depuis qu’elle a fait ses preuves en Ethiopie et au Soudan. Un mariage réussi, c’est le vœu le plus cher pour tout être humain. Mais très souvent, un divorce est plus sain qu’une vie entière de souffrance subie. En Afrique, nous connaissons les mariages forcés et les mariages arrangés qui perdurent dans la paix et la sérénité, et qui parfois réussissent miraculeusement grâce aux sacrifices consentis par le couple. Mais nous savons aussi que très souvent, les divorces à l’amiable sont plus sains que les mariages dans la violence quotidienne qui aboutissent à divorces dans la haine, à des clashs familiaux et qui détruisent tout sur leur passage. Le poète n’a-t-il pas dit : « so dewgal ine dagii, ceergal ine dagii », en d’autres termes, « si le mariage est licite, le divorce l’est aussi ».
En conclusion, la situation de la question lancinante de la cohabitation en Mauritanie nécessite d’autres formes de luttes. Ces formes ne seront possibles, pertinentes et efficaces que si d’abord un véritable travail d’introspection organisationnelle est mené au niveau de chaque mouvement, chaque parti et chaque association. Il ne peut pas y avoir de nouvelles formes de lutte qui soient efficaces si un cadre fédérateur inclusif n’est pas mis en place. La lutte doit cesser d’être celles des élites, mais celle des masses, elle doit cesser d’être celle des victimes, mais celle des justes, et elle doit finir avec les cloisonnements et les intérêts égoïstes, pour épouser un contour holistique représentatif de toutes les sensibilités et de toutes les préoccupations. C’est le seul moyen de sauver notre projet Mauritanie, de sauver notre mariage arrangé.
Aziz est là pour faire échouer notre dessein et faire gagner son système, la balle de la résistance est dans notre camp.
Massy, France
Le 06/06 :2015
Amadou Alpha BA
Secrétaire Permanent du MPR
Porte Parole de KAWTAL