Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Monthly Archives: September 2021

M. Messaoud Boulkheir, président de l’Alliance Populaire Progressiste (APP) et du Conseil Economique, Social et Environnemental : ‘’Le pays a besoin d’un Guide qui comprend plus et mieux que quiconque que l’heure n’est plus celle des atermoiements…’’

Le Calame : Depuis quelques jours, la conférence de presse de certains partis politiques de l’opposition et coalitions et fait couler beaucoup d’encre et de salive. Certains vous accusent d’avoir été très critique vis-à-vis du régime d’Ould Ghazwani à qui vous avez demandé de démissionner dans la mesure où il n’est pas disposé à « affronter les problèmes du pays ». Que lui reprochez-vous après deux ans de règne ?

Messaoud Boulkheir : Je n’ai pas été très critique mais seulement critique « en disant ouvertement ce que chacun pense intimement »

Un Président est surtout élu pour affronter et résoudre, autant que faire se peut, les problèmes, tous les problèmes de son pays et non pas pour les éviter par crainte de ne pas être en mesure de les résoudre ; or ne pas arriver à les résoudre sera toujours moins grave que de ne rien tenter pour y parvenir. Demander à un Président de démissionner est le slogan le plus usité à travers le Monde et de surcroît le plus civilisé. Il n’a aucun sens péjoratif. Quand un Président investi de presque tous les pouvoirs (même assez souvent de ceux dévolus aux autres Institutions) doute de ses capacités d’assumer ses lourdes charges, il doit au moins oser démissionner.

Quant aux raisons qui m’ont appelé à donner ce conseil, c’est que si le Pouvoir Exécutif, celui-là même duquel tout un chacun attend le plus et le mieux, préfère ne voir en les tourments que vit son pays et que subissent les citoyens qu’une affaire qui concerne au premier chef les Députés et les Juges, c’est qu’il veut s’en laver les mains à l’exemple de Ponce Pilate plus de deux millénaires avant lui.

C’est ce qui explique qu’après une décennie d’un pouvoir personnalisé à l’extrême et deux ans après que lui-même l’eût remplacé, rien ou très peu semble avoir été fait pour s’en démarquer au moins.

Pas en tout cas du point de vue de la méthodologie comme par exemple : Dresser un état des Lieux ou AUDIT au moins en ce qui concerne certains secteurs clés : les Institutions de la République (Présidence, Assemblée Nationale, Justice, Armée), l’Unité nationale et comment Vivre Ensemble, les Droits Humains, les Rapports sociaux et sociétaux, l’Enseignement, la Santé, l’Emploi, la Démocratie, les Problèmes Economiques (le Domaine Public, les Approvisionnements, la Banque Centrale, la Monnaie, la Pêche, les Mines, l’Energie, le Pétrole, l’Agriculture, les Infrastructures, etc…)

Je n’ai jamais prétendu que les choses étaient ou seraient faciles, bien au contraire, et c’est la raison pour laquelle le pays a besoin d’un Guide qui prend le taureau par les cornes car il est censé comprendre plus et mieux que quiconque que l’heure n’est plus celle des atermoiements…

-Au lendemain de la conférence de presse des partis politiques, le président de la République a convié les partis politiques représentés à l’Assemblée Nationale à une réunion sur les concertations qu’il pourrait lancer sous peu. Et selon nos sources, vous avez été sollicité, comme le président de Tawassoul par le président de l’UPR, mais vous avez décliné l’offre. Pouvez-vous nous dire les raisons ?        

-Ce n’est en tout cas pas par mépris, ou manque d’intérêt, mais tout simplement par logique et par habitude. J’ai l’habitude d’assumer mes choix et m’étant montré hier seulement dans une position, je ne pouvais accepter de me montrer le lendemain dans une autre… sans aucun préalable.

-Lors de votre prise de parole, vous avez déclaré que Ghazwani n’a pas fait mieux que son prédécesseur, Ould Abdel Aziz. Qu’attendiez-vous de celui à qui vous aviez apporté votre soutien pendant la présidentielle de 2019 ? Avec cette déclaration, le président du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) que vous êtes ne craint-il pas, comme beaucoup de perdre son poste ? Pour marquer votre mécontentement, certains pensent que vous devriez démissionner de votre poste de président du CESE. Qu’en pensez-vous ?

J’attendais un minimum qui aille dans le sens de tout ou partie de ce que j’ai évoqué en réponse à la première question.

Pourquoi devrais-je démissionner d’une fonction qui accrédite, plus que les mots, ma bonne foi et ma sincérité, au cas où certains, sûrement très nombreux, seraient opportunément portés à en douter ? Par contre si le Pouvoir considère qu’il faut me la retirer, je comprendrais tout à fait.

-Le dialogue politique auquel vous appelez devrait permettre de trouver des solutions aux problèmes d’exclusion des Haratines et des négro-africains de tous les secteurs économiques, de l’armée et des corps de sécurité, de l’esclavage ou de ses séquelles, du passif humanitaire, des langues nationales Pulaar, Soniké et Ouolof et de l’état-civil, en somme, la question du vivre ensemble. Pourquoi, à votre avis, le président Ghazwani ne s’est pas attaqué à ces questions cruciales alors qu’il s’était engagé, lors de sa déclaration de candidature le 1er mars 2019 à rétablir toutes les victimes d’injustice dans leur droit ? A quoi servirait un dialogue qui ne débattrait pas de ses questions ?            

 -En ce qui concerne tous les signataires du Communiqué ou de la Déclaration lu(e) en début de la Conférence de Presse, le Dialogue est la seule véritable porte de sortie des crises multidimensionnelles qui inquiètent les populations. La plus grave d’entre toutes est celle relative à l’Unité nationale dont dépendra l’avenir du pays. Il faut une relecture de notre Constitution pour définir ensemble et une fois pour toutes   comment assurer notre VIVRE ENSEMBLE.

Une fois cette étape franchie, tout le reste deviendra facile.

-Après votre conférence de presse, on ne peut pas ne pas se poser la question de savoir si votre front prendra part aux « concertations » dont parle le président ?  Au cours de la conférence de presse, vous avez laissé entendre que « c’est le dialogue ou rien »? Qu’est-ce qui pourrait vous amener à réviser votre position ? La réactualisation de l’ancienne feuille de route conçue entre opposition et majorité représentés à l’Assemblée Nationale ou un autre geste ?        

-Par Dialogue, nous entendons des discussions claires entre concitoyens et patriotes conscients de leur diversité, de leurs différences, de leurs particularités mais soucieux de leur complémentarité et véritablement désireux de vivre ensemble sur des bases de Liberté, d’Egalité, de Justice, de Démocratie, de Solidarité et de Partage. Il va sans dire que cet Idéal, pour être atteint, implique que les débats ne doivent éluder aucune question, que tous les débatteurs soient les bienvenus, que les résultats des discussions soient consensuels et qu’ils aient obligatoirement force de Loi (Constitutionnelle ou Organique.)

Je pense que ceci, décliné sous quelque forme ou vocable que ce soit   nous engagera certainement.

-Votre conférence de presse intervient au moment où l’opinion se demandait où était passée l’opposition depuis l’élection du président Ghazwani. Peut-on considérer désormais qu’elle est sortie de sa torpeur, qu’elle va se réorganiser et mettre fin à la longue période de grâce du président Ghazwani ? Allez-vous reprendre langue avec le RFD, l’UFP et SAWAB par exemple ?          

-Les développements futurs apporteront certainement des réponses à ces questions que vous posez.

-Que vous inspire le retrait du parti RAG de la coalition, aussitôt après la conférence de presse ?    

-Cela ne m’a inspiré ni plus ni moins que ce que m’avait inspiré sa position d’avant.

-Lors de sa campagne présidentielle, le candidat Ghazwani avait promis de lutter contre la gabegie. On a vu la création de la commission d’enquête parlementaire (CEP) sur la décennie d’Ould Abdel Aziz inculpé et placé en détention préventive depuis quelques mois déjà. Durant les deux ans, la gabegie a-t-elle reculé ? Pensez-vous qu’Ould Abdel Aziz pourrait bénéficier d’un jugement équitable ?

-N’ayant à son arrivée enregistré aucun paramètre permettant au profane que je suis de bénéficier d’une base d’évaluation crédible par rapport à laquelle comparer, je me contenterai de dire que s’il y a eu des améliorations, elles sont très peu visibles et encore moins sensibles mises à part les déclamations habituelles, mais là on est plus dans la ressemblance que dans la divergence.

Je souhaite à tout justiciable de bénéficier d’un jugement équitable et si Ould Abdel Aziz devait être le premier à en bénéficier, il doit se considérer comme le plus heureux des Mauritaniens et tous les Mauritaniens y verraient le seul véritable Changement intervenu après lui.

-Les partis politiques, majorité et opposition réunies reconnaissent tous qu’il ya des problèmes de l’unité nationale et de la cohésion sociale. Qu’est-ce qui, à votre avis les empêchent de trouver la solution ? Jusqu’à quand les communautés noires continueront-elles à se plaindre de leur « exclusion » ? La dernière présidentielle a laissé apparaître des candidatures dites « communautaires ». Avez-vous le sentiment que la composante arabe est suffisamment « sensible » à ces plaintes répétées ?

-Très sincèrement je pense qu’en abordant le problème du Vivre ensemble des communautés nationales, il ne faut pas impliquer ces dernières au point de les confondre tant avec ceux qui se croient investis de poser les problèmes en leur noms qu’avec les décideurs politiques qui pensent agir en notre nom à tous.

Les seuls responsables sont ceux qui détiennent le Pouvoir et leur perception de l’usage qu’il faut en faire : Est-ce qu’ils doivent l’exercer dans l’intérêt du grand ensemble ou simplement dans l’intérêt personnel ou à la rigueur du petit ensemble. C’est en cela que se distinguent les Hommes d’Etat des autres… et ce sont ces Hommes d’Etat que le Pays peine à « géniter » depuis plus de soixante ans…et que certains réclament de plus en plus fortement… y compris par les candidatures communautaires.

-Vous avez toujours été partisan du dialogue politique en Mauritanie pour dites-vous défendre l’intérêt de la Mauritanie. Vous vous êtes investis pour l’organisation de deux dialogues sous Ould Abdel Aziz dont certains ont pondu d’importantes recommandations mais restées hélas sans suite.  Est-ce à dire que lesdits dialogues n’ont pas été à la hauteur de vos attentes ? En quoi celui auquel vous appelez de vos vœux aujourd’hui pourrait-il être plus constructif que les précédents ?        

-Quoiqu’on puisse en dire, les Dialogues organisés sous le régime précédent ont permis certaines avancées majeures qui ne sont pas que théoriques sur le plan des Institutions, de la démocratie, des élections, de la proportionnelle, du Genre, du nomadisme politique, des candidatures indépendantes, de l’esclavage, du Droit à la différence, des coups d’Etat et même du 3ème mandat.

 Que certains de ces acquis aient été contournés ou qu’ils aient déçu les attentes, ne diminue en rien leur importance. La vie est ainsi faite qu’il faut oser, échouer, recommencer, jusqu’à la perfection…

-Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’avoir toujours soutenu Ould Abdel Aziz alors que son régime était gabegique et qu’il excluait les noirs de ce pays? 

-Ne me faites pas perdre mon temps par des réponses à des questions qui ne méritent pas qu’on s’y arrête. Ces accusations ne concernent que ceux qui les avancent.

-Le président du parti pour la défense de l’environnement, M. Dellahi a dénoncé l’usage de la langue arabe pour « bloquer » les négro-africains lors des examens, concours et recrutements nationaux. Partagez-vous son avis ?

-C’est certainement un des aspects qui renforce ce sentiment de frustration, d’exclusion et de discrimination chez cette Communauté.

-L’Agence TAAZOUR  a pour mission d’œuvrer pour la  Solidarité Nationale et à la Lutte contre l’Exclusion. Pensez-vous qu’elle accomplit cette mission ?  Avez-vous le sentiment que « les personnes cibles » profitent des milliards qu’elle investit depuis quelques années ?         

-Pas plus que ne l’a accomplie TADAMOUNE avant elle et à laquelle on n’a demandé aucun compte ni dressé aucun bilan. Ce ne sont que des officines au service de ceux qui les créent et de ceux qui les dirigent pour en faire tout ce qu’ils veulent, sauf ce pourquoi et pour qui elles ont vu le jour. 

                                                                  Propos recueillis par Dalay Lam

le calame

Dialogue/Unité nationale : Va-t-on dépassionner le débat ?

Que pourraient apporter à la Mauritanie les concertations actuellement en gestation entre les acteurs politiques ? C’est la question qui taraude ceux-ci, les observateurs et, dans une certaine mesure, les partenaires techniques et financiers, soucieux de stabilité pour leurs investissements. Ce n’est un secret pour personne qu’un certain « malaise », pour ne pas dire méfiance, sévit entre les différentes communautés du pays« Les Mauritaniens ne vivent plus ensemble », a-t-on même entendu dire, « mais côte-à-côte ». La situation est donc sérieuse et il faut en prendre toute la mesure. Cela fait des années que la question de l’unité nationale et de la cohésion sociale est rabâchée par les partis politiques et les acteurs de la Société civile. Des termes très « bateaux » dont on se demande si ces acteurs et l’État – qui en est le premier responsable…– se mettront d’accord sur le contenu et les solutions, tant sensiblement divergent les intérêts des uns et des autres. Déjà deux manifestes pour plus de droits politiques, économiques et sociaux ont été publiés : l’un en 1986, par les cadres négro-africains, et l’autre en 2014, par leurs homologues haratines ; tous dénonçant un racisme d’État qui les exclut, dans les faits, de tous les leviers politiques, économiques, sociaux, militaires, sécuritaires et autres…

Des frustrations qu’ils accumulent depuis des années. La dernière présidentielle de 2019 est venue accentuer le fossé entre les communautés. La question du « Vivre ensemble » fut l’un des thèmes centraux de la campagne électorale. Un long chemin dont les partis politiques à leadership négro-africain se sont chargés de rappeler quelques dates douloureuses. Notamment les évènements de 1986 à 1990, avec la déportation de milliers des leurs vers le Sénégal et le Mali et les exécutions extrajudiciaires dans les casernes des forces de défense et de sécurité. Les mouvements négro-africains parleront d’une « épuration ethnique » perpétrée par Ould Taya et dénonceront la loi d’amnistie de 1993 visant à protéger les présumés auteurs ou commanditaires de ces crimes. Sous ould Abdel Aziz, la marginalisation s’est renforcée, donnant l’impression à nombre de citoyens noirs d’« être étrangers en leur propre pays », comme s’en plaindront certains, constatant des « nominations à caractères mono-ethniques, des écoles réservées à certaines catégories de citoyens, le tribalisme et le clientélisme ». Au plan politique, on ressent comme une Mauritanie coupée en deux : riches, les uns seraient tous blancs, les autres tous noirs et pauvres. La topographie de certains quartiers de la capitale illustre cette dichotomie, excessivement manichéenne sans doute mais cependant expressive d’une indéniable généralité.

Toutes ces questions sont aujourd’hui d’actualité. Les victimes et rescapés des événements de 86-90 continuent à dénoncer le refus de l’État de leur apporter des solutions idoines. La loi d’amnistie de 93 qui fut adoptée avec un pressing manifeste de hauts cadres de l’État reste en vigueur et, rangé depuis sous le vocable « Passif humanitaire »,  tout ce dossier se voit ignoré sinon étouffé par nombre de maures. Avec la « Prière de Kaédi », Ould Abdel Aziz déclarant l’avoir réglé et clos, complicité de quelques rescapés militaires et veuves aidant.

Les journées de concertations pendant la transition 2005-2007 et les divers dialogues politiques sous Ould Abdel Aziz n’ont pas réussi à soigner les nombreuses plaies sur le chemin de l’unité nationale où la question de l’esclavage et/ou de ses séquelles dont sont particulièrement victimes les Haratines double la question raciale d’une dimension statutaire touchant toutes les communautés. Ici, malgré l’adoption d’une loi criminalisant cette pratique et ses conséquences, les organisations de défense des droits de l’Homme ne cessent d’épingler et de dénoncer des cas flagrants dont le dernier aura été celui de Ouadane, en Adrar. Les institutions mises sur pied pour sortir de leur dépendance économique et de leur pauvreté les anciens esclaves ainsi que leurs homologues« libérés » ou tout simplement désireux de sortir de la servilité, ne sont trop souvent que des structures« cosmétiques »à seule fin de plaire aux bailleurs et organismes internationaux. Les milliards mobilisés à cet égard sont en grande partie dépensés au profit de gros bonnets et de leurs fonctionnaires complices.

École et langues nationales

Voilà l’essentiel de ce qu’on appelle la « question nationale » ou « dossier de l’unité nationale ».Mais son soubassement tient à celui de l’école. Les Négro-mauritaniens dénoncent l’utilisation de la langue arabe – « langue nationale et officielle » – pour les empêcher d’émerger. Et de réclamer en conséquence l’officialisation et l’introduction des langues pulaar, soninké et wolof dans le système éducatif pour, d’une part, renforcer l’unité nationale et la cohésion sociale, et donner,  d’autre part,  les mêmes chances à tous les enfants du pays. Une expérience concluante fut menée dans les années 80, avant de se voir prestement étouffée quand il s’est agi de passer à sa généralisation. Des extrémistes qui avaient fini de phagocyter le pouvoir renversèrent le gouvernement militaire d’Ould Haïdalla et réduisirent l’Institut des Langues Nationales (ILN) à une coquille vide. L’école républicaine annoncée par le président Ghazwani lui redonnera-t-il vie ? Rattaché au Département des langues de l’Université de Nouakchott, il attend son heure…

Haro sur l’exclusion !

La « question nationale » a pris aujourd’hui une telle ampleur que même certains partis politiques jusque-là taxés d’extrémistes pour avoir refusé de dénoncer les injustices dont sont victimes les Noirs de Mauritanie s’en sont emparés. Il aura fallu que le défunt président de la République Sidi ould Cheikh Abdallahi décide d’amorcer le rapatriement des déportés au Sénégal et rencontre des mouvements négro-africains qualifiés, eux aussi, d’ultras, pour que leurs antagonistes s’engagent à déstabiliser son régime. 8 Août 2008. Face à une opposition déterminée à lui barrer le chemin, le général Ould Abdel Aziz s’attache les services de plusieurs de ses frères d’armes et autres opportunistes politiques pour rallier le vote des gens. Il organise la « prière de Kaédi » le 25 Mars 2009 et décrète une « Journée nationale de réconciliation » qui va, de fait, s’attacher surtout à diviser les organisations des victimes et rescapés militaires, au lieu de panser véritablement les plaies. Tout au long de la décennie qui suit, les partis politiques à leadership négro-africain  donnent de la voix et élèvent, dans l’Hémicycle, la dénonciation de la marginalisation de leurs communautés,  avec les députés Ibrahima Sarr, Thiam Ousmane et Sawdatou Wane. Ils sont soutenus par divers autres,  à l’instar de l’UFP, avec Kadiata Malick Diallo et Moustapha Bedredine, ou du RFD, avec Kane Hamidou Baba… De retour au pays, les FLAM – qui deviendront FPC, parti toujours non reconnu à ce jour – pourfendent « l’exclusion des Négro-mauritaniens et des Haratines »,à l’instar de l’IRA de Biram Dah Abeïd et d’autres organisations comme SOS Esclaves, AFCF ou le FONADH… Un front commun contre le « beïdanisme » semble ainsi se former.

Face à ces critiques et à la réaction de la Communauté internationale, l’UPR, le parti au pouvoir, et ses soutiens de la majorité présidentielle apportent la réplique. Dans les dialogues organisés avec divers partis de l’opposition, colloques et séminaires, les questions de l’unité nationale et du passif humanitaire ne sont plus sujets tabous. Tout le monde prétend s’en préoccuper… mais sans jamais y apporter de véritables solutions. Aujourd’hui et malgré la présence en son sein de plusieurs « nationalistes », l’UPR semble aborder ces problèmes avec moins de passion. Lors d’un atelier consacré au renforcement de l’unité nationale et à l’éradication des « séquelles » de l’esclavage, l’un de ses vice-présidents a défendu la recherche d’un consensus autour d’une plate-forme de convergence entre tous les acteurs politiques sur la question nationale, parce qu’« on ne peut plus », fait-il remarquer, « continuer à tirer, chacun de son côté, la couverture à soi » : le risque de la déchirer a trop grandi. Cette plate-forme doit permettre de répertorier tous les problèmes du pays en vue d’en débattre sans passion et sans parti pris.

Mais certains malins esprits s’entêtent à juger extrémiste, voire ennemi de la Nation, tout celui qui dénonce les injustices et les exclusions. On se rappelle des réprobations qu’avait suscitées le discours de Balas lors de l’ouverture du dernier dialogue politique au Palais des congrès. Le président du parti Arc-en-Ciel y évoquait le calvaire subi par les Négro-africains pendant les années de braises 89-91 ; se sentant morveux, certains boutefeux tentèrent de couvrir son discours par un vacarme hostile et Ould Abdel Aziz dut intervenir en leur demandant fermement de le laisser continuer.  On se souvient également de l’ire suscitée par les propos du président Biram Dah Abeïd affirmant la réalité de l’apartheid en Mauritanie. Le fait est que les extrémistes de tous bords paraissent incapables de parler de l’unité nationale sans passionner le débat. Les uns nient jusqu’à même les évènements de 89-91 et l’exclusion dont sont victimes les Noirs du pays ; les autres mettent tous les Maures dans le même panier, oubliant l’audace de ceux qui dénoncèrent publiquement les exactions racistes commises par le régime d’Ould Taya. Le cas des jeunes du MDI dont beaucoup étaient pourtant des « fils-à-papa »fut salué par tous les patriotes. La vérité est qu’il y a beaucoup de compromis, en Mauritanie, entre blancs et noirs –c’est son histoire même – et c’est tous ensemble qu’il faut avoir le courage de dénoncer les injustices et rétablir les victimes dans leur droit. On ne doit pas régler le problème des uns pour en satisfaire d’autres. Tout comme il n’y a pas de problème sans solution, sitôt qu’on accepte d’en parler sans passion.

On en est encore loin. La réaction de certains partis et acteurs politiques aux déclarations du président Messaoud ould Boukheïr, le président d’APP, de Moctar Sidi Maouloud de Moustaqbel et d’Ould Dellahi du PMDE, lors de la conférence de presse des partis de l’opposition, laisse sceptique sur ce qui pourrait advenir des concertations annoncées. Tous dénonçaient l’exclusion dont sont victimes les Noirs du pays. Samba Thiam, le président des FPC, souhaitait dans la foulée que le dialogue en gestation ouvre à une refondation de la Mauritanie sur des bases saines et justes. Nul n’a compris pourquoi le président Ghazwani a balayé du revers de la main tout « dialogue » politique arguant de ce que « la Mauritanie ne connaît pas de crise ». Mais, en off, bon nombre de cadres, et d’élus de la majorité présidentielle vous avouent que la situation du pays ne peut pas continuer ainsi.

Avec l’engagement de l’UPR et des partis de l’opposition, peut-on espérer que les concertations dont on parle partout amènent les uns et les autres à une réelle convergence de vue sur le vivre ensemble en Mauritanie ? Et le président Ghazwani à faire avancer d’un grand pas cette question, clouant ainsi le bec à tous ceux qui l’accusent de faire quasiment la même chose que son prédécesseur ?

Feuille de route à actualiser

Les thèmes de la feuille de route sont pertinents : processus démocratique en vue de réformes constitutionnelles et législatives, renforcement de l’État de Droit, révision du système électoral, normalisation de la vie politique ;  traitement des dossiers des droits nationaux en suspens en vue de l’unité nationale, éradication réelle de l’esclavage et de ses séquelles, mise en évidence des voies et mécanismes à même de consolider la cohésion sociale ; bonne gouvernance à travers la lutte contre la corruption, réforme de la justice, de l’administration et du Domaine, consolidation des réformes de l’enseignement, de la santé et de la décentralisation, formulation des processus garantissant  au citoyen l’accès aux services publics, assainissement des marchés publics et renforcement, enfin, de la juste application de la loi sur la Fonction publique. Ce chapitre devra permettre aux femmes, aux jeunes et à la diaspora de participer à la vie politique et au développement du pays ; accompagner et renforcer la réforme des médias publics et la liberté de la presse ; développer la préservation de l’environnement, le traitement des impacts des changements climatiques et la protection des intérêts supérieurs du pays. Mais il reste à revoir certains points : si la question de l’esclavage et/ou de ses séquelles est bien explicitée dans la thématique de l’unité nationale, le passif humanitaire est absent du paragraphe. L’expression « dossiers des droits nationaux en suspens » demeure floue.

                                                                       Dalay Lam

le calame