Le racisme et les discriminations
Dans un premier temps je propose que nous fassions le tour de ces deux notions. Le racisme est généralement entendu comme toute forme de violence à l’encontre d’un groupe humain, en raison de son appartenance prétendument raciale. Les formes de violence peuvent avoir des degrés différents. Cela va du préjugé au mépris, jusqu’à la discrimination, de la ségrégation jusqu’au meurtre.
Ce meurtre peut être aveugle, se faire un peu au hasard ou, au contraire, il peut être institutionnalisé et organisé par l’appareil d’Etat comme par exemple en Allemagne nazie.
Nous allons revenir sur la notion de préjugé et ce qu’elle peut engendrer. En effet, quand nous avons des préjugés par rapport à une personne, avant même de la connaître, de savoir qui elle est exactement nous la soupçonnons de tous les maux jusqu’à lui faire jouer le rôle de bouc émissaire. Ceci montre à quel point le racisme peut reposer sur quelque chose de totalement subjectif. Il repose sur des représentations, celles que l’on se fait de l’autre, qui généralement nous permettent de nous sentir revalorisé. Le préjugé ne repose pas forcément sur une expérience, c’est à mon avis très rarement le cas, de plus il s’appuie sur une généralisation abusive.
Le préjugé semble souvent prendre racine dans un nid de frustrations que nous aurions eu tout au long de notre vie. Frustrations de l’enfance mais aussi difficultés rencontrées à l’âge adulte. Si nous n’avons pas bien pu digérer tous ces traumatismes, ils peuvent se transformer souvent en hostilité à l’égard de ceux que la vie rend vulnérables. Le mot racisme vient du latin “racio” qui veut dire espèce en passant par l’italien “razza”. «Le racisme consiste à définir un ensemble humain par des attributs naturels, à en déduire des caractéristiques intellectuelles et morales qui valent pour chacun des membres de cet ensemble, quelles que soient leurs volontés ou leurs actions, et à éventuellement prolonger ces représentations par des pratiques d’infériorisation et ou d’exclusion».
Le mot “racisme” est très récent. Le Larousse de 1932 est sans doute le premier à en donner un sens politique. En fait, ce mot est apparu dans la période des lois de Nuremberg signées le 15 septembre 1935. Elles mettent les juifs au ban de la société, aussi une forte migration vers les USA s’est-elle organisée.
Dans le petit Larousse illustré il n’est noté qu’à partir de 1946 et la signification de ce mot évolue au fil du temps et des éditions.
En 1946 : «théorie qui cherche à fixer la pureté de certaines races », en 1948 elle change pour devenir «théorie qui tend à préserver la pureté et la race dans une nation». En 1960 elle devient «système qui affirme la supériorité d’un groupe racial sur les autres en préconisant en particulier la séparation de ceux ci à l’intérieur d’un pays». En 1966 sera ajoutée la notion d’extermination d’une minorité.
Ce n’est pas parce que le mot n’existait pas que le phénomène lui-même était absent. Il n’a pas toujours été une idéologie tirée du mot «race»au sens biologique du terme. Le racisme ne découle pas d’une recherche scientifique, mais il existe depuis bien longtemps, c’est ce que je vais montrer en m’appuyant sur des textes de l’ancien testament. Durant l’Egypte antique (Léon Poliakov idem page 39), lorsque la civilisation pharaonique avait atteint une certaine perfection, les Egyptiens se sentaient nettement supérieurs aux libyens et aux nomades du Sinaï, par contre ils n’avaient pas forcément une attitude péjorative. Par contre les différentes invasions de l’Egypte par des armées étrangères ont provoqué l’apparition de la xénophobie et du racisme, ce qui ne va pas empêcher des mariages mixtes comme par exemple la fille de pharaon avec le roi Salomon.
Les Egyptiens tout comme les Grecs avaient une aversion des Juifs, nous pouvons le lire dans la Bible «Moise répondit : il n’est point convenable de faire ainsi car nous offririons à l’Eternel notre Dieu des sacrifices qui sont en abominations aux Egyptiens, et si nous offrons sous leurs yeux des sacrifices qui sont en abomination aux Egyptiens ne nous lapideront – ils pas ? »
Les Egyptiens pensaient que les Juifs étaient totalement inassimilables ( Le livre d’Esther 3 v8 )”Alors Haman dit au roi Assuérus22, il y a dans toutes les provinces de ton royaume un peuple dispersé et à part, parmi les peuples, ayant des lois différentes de tous les peuples”. Alexandrie fut un lieu ou des Juifs ont été massacrés. C’était plus pour des raisons politico-religieuses que sur des notions de «races». Même pour Aristote les barbares, donc ceux qui n’étaient pas grecs et qui étaient nés dans un environnement peu propice, devaient être esclaves. Malgré tout il leur trouvait des vertus.
Les premiers mouvements de colonisation ont marqué le début de l’asservissement de peuples spécifiques qui allaient devenir des peuples dominés, forcés de s’incliner devant une volonté extérieure. La colonisation avance, au cours des siècles elle se renforce même. L’Europe s’est sentie investie d’une mission : assurer l’éducation sociale et religieuse des populations dites “sauvages” et perverses. Bien souvent ces populations ont tout perdu, que ce soit au niveau de leur culture ou de leurs racines.
La doctrine du racisme a introduit une hiérarchie entre les cultures de chaque peuple. La supériorité de certaines civilisations sur d’autres est fondée sur un déterminisme naturel basé sur le concept de «race». La science a refusé le concept de race en mettant en évidence son caractère subjectif fondé sur des préjugés.
Le mot “race” est apparu pour la première fois en 1498. Au VIè siècle il est déjà employé mais dans un sens bien particulier : il servait à désigner des espèces d’animaux ou de fruits. Le mot racé arrive à la fin du XIXè siècle, racial en 1911, le mot racisme quant à lui est apparu en 1902, mais à cette époque il n’avait pas le sens politique qu’on lui donne aujourd’hui (Larousse, Dictionnaire étymologique et historique du français.1993). La “race” est souvent la première information donnée à propos de ceux qui n’appartiennent pas au groupe dominant. Nous nous apercevons que nous pouvons nous passer de ce terme qui, comme je l’ai déjà dit, n’est pas approprié pour le genre humain et le remplacer par «la culture».
Le racisme peut être aussi une théorie à visée “scientifique”, Gobineau disait “l’histoire de l’humanité est celle d’une dégradation continue qui n’est que la perte de la pureté des races originelles” ( François De Fontette «Le racisme», presses universitaires col. Que sais-je ? 1985. Dans cet ouvrage l’auteur fait référence à l’œuvre de De Gobineau «Essaie sur l’inégalité» paru en quatre volumes en 1853 et 1855. Jean Gaulmier in Encyclopédie Universalis dit que Gobineau ne faisait en réalité, que reprendre et systématiser les idées de son siècle et de la classe politique de son temps. Les civilisations n’existent qu’en fonction de l’influence de la race aryenne sur le reste de la population. )
Le mot “race” n’a jamais été défini dans les sciences sociales de l’Homme et pas plus dans les doctrines racistes dont le fondateur est Gobineau.
Il a écrit un livre “Essai sur l’inégalité”, paru en quatre volumes en 1853 et 1855. Je pense qu’il est important de souligner que Gobineau a joué un rôle relativement important en France, en étant directeur de cabinet de Tocqueville alors ministre des affaires étrangères. Il a ensuite occupé des postes de diplomate. Gobineau pensait que la transformation des sociétés reposait essentiellement sur une dynamique raciale .
Pour lui les civilisations connaissent une dégénérescence à cause du mélange des races, mais elles se développent quand une nation en a conquis une autre. Gobineau pense que le mélange des races est donc facteur de civilisation ; mais il promet un sort d’autant plus misérable à l’humanité que le mélange des races sera complet. “L’espèce blanche a désormais disparu de la face du monde“
Il va sans dire que nous soulignons là une forte contradiction chez Gobineau puisqu’il dit que le mélange des races peut être le pire et le meilleur pour la civilisation. Le mot “race” est indéfinissable puisqu’il désigne une catégorie imaginaire. Le racisme est une théorie fondée sur un préjugé qui prétend l’existence de «races» humaines présentant des différences biologiques, celles-ci justifient donc des rapports de domination. Les pratiques très anciennes de l’esclavage et du servage illustrent des rapports de domination, de rejet et d’agression. Gobineau ne s’est jamais prétendu scientifique et a toujours reconnu sa subjectivité. Il était d’un pessimisme rare et n’avait certainement pas confiance en l’homme. La science a réfuté le concept de race justement à cause de son caractère subjectif.
Le racisme est aussi une théorie politique qui induit un projet de société visant à l’organisation selon des critères raciaux : Mein Kampf de Adolf Hitler pour aboutir enfin à la construction concrète, biologique, d’une “race” dominante.
Enfin, nous pouvons parler du racisme ordinaire, celui que nous rencontrons tous les jours. Les sociétés industrielles, démocratiques sont coutumières des pratiques racistes de discrimination et de ségrégation sans pour autant se référer à une intention théorique et doctrinale.
Les discriminations : «traitement différentiel et inégal de personnes ou de groupes en raison de leurs origines, de leurs appartenances, de leurs apparences (physiques ou sociales) ou de leurs opinions réelles ou supposées. Ce qui revient à exclure certains individus du partage de certains biens sociaux (logement, emploi, etc..» (Pierre-André Taguieff «Le racisme» Edition Flammarion, col. Dominos 1997, page 111).
Dans certaines entreprises nous rencontrons encore des discriminations à l’égard des salariés étrangers, discriminations portant essentiellement sur les salaires et l’avancement de carrière, ce qui est totalement illégal. La notion de discrimination relève d’un comportement, de pratique ce qui rend la tâche difficile quand nous voulons les démasquer, parce que tout cela peut prendre des formes particulièrement insidieuses. Le droit français prévoit l’égalité de traitement pour tous dans une même entreprise, ce qui n’empêche pas l’interdiction d’accès de certains emplois aux étrangers, c’est le cas dans la fonction publique.
Louis Dumont en parle dans son livre “Homo aequalis” en 1977. Cet anthropologue a eu une réflexion à propos des notions de caste, de racisme et de stratification. Caste est un mot portugais “casta” qui signifie race, espèce et s’applique autant aux animaux qu’aux hommes.
Pour mener à bien ce travail, il s’est appuyé sur une analyse des castes en Inde, et, revenu en Occident, ce qu’il a vu en Inde lui a permis de construire un modèle explicatif de l’origine du totalitarisme et du racisme, deux notions qu’il qualifie de pathologiques. Elles se résument ainsi : la négation, le refus de l’autre et le rejet de la différence. Les théories sur le système des castes ont eu en Occident de grandes répercussions. Les castes fondent leur existence à partir de la naissance, un individu en naissant est dans telle ou telle caste, il y reste. En France Gobineau s’est servi de ce système afin de démontrer la supériorité des Aryens. Le système des castes est condamné par les régimes égalitaires que nous connaissons.
En France, comme dans bien des pays, il y a des formes de discrimination de fait ; par exemple l’accès aux services publics, à l’emploi, au logement et au droit de vote. Les contrôles de police ne sont pas toujours très objectifs. Les pratiques dites “de contrôle au faciès” relèvent d’une application discriminatoire des lois, ce qui est une injustice incontestable. Les refus d’accès à l’emploi et au logement ainsi qu’aux lieux de loisirs comme par exemple les discothèques, relèvent de la discrimination quotidienne.
Faire de la discrimination, «c’est l’action de séparer, de distinguer des individus ou des groupes selon des critères sociaux particuliers. Le terme est le plus souvent utilisé pour désigner des formes de discriminations négatives, le racisme par exemple pour lequel les individus sont désignés selon leurs traits corporels et stigmatisés péjorativement». (Pierre Ansart in Dictionnaire de sociologie Le Robert. Edition le Seuil 1999.)
Dans certains pays on met en œuvre des «discriminations positives», par exemple en Angleterre et aux USA, cette pratique est là pour ouvrir la voie à l’adoption de mesures correctives des inégalités structurelles.
Elles ont été adoptées dans les années 60-70, après que les mouvements d’émancipation des noirs (USA et Grande Bretagne), féministes ou minoritaire (France et Canada), aient dénoncé la discrimination systémique et institutionnelle, (quand on parle de discrimination systémique on entend par là que le système même est discriminant, c’est à dire la base même de l’Etat).
La tradition politique et juridique française récuse tout dénombrement officiel en fonction des origines nationales, ethniques ou religieuses. Elle n’a jamais donné lieu à des mesures correctives de l’inégalité entre groupes organisés en tant que tels.
Les discriminations sont un phénomène complexe. Il y a les discriminations avant le travail, celle qui affecte la formation, les stages et les emplois saisonniers. Dans le monde du travail certaines personnes comme les jeunes d’origine maghrébine ne trouvent pas d’emplois ou alors l’évolution de leur carrière est bloquée.
Nous pouvons observer ce phénomène à tous les niveaux de formation, que ce soit chez les jeunes qui ont un faible niveau d’études ou chez les jeunes diplômés d’études supérieures. Bien souvent les jeunes touchés sont issus de l’immigration mais sont nés en France et sont français.
La discrimination n’est pas seulement un comportement individuel intentionnel mais une réalité sociale collective. La responsabilité de toute la société est engagée à l’égard des victimes de ce fléau.
En France, selon l’INSEE la notion d’étranger est fondée sur la nationalité, l’étranger est donc celui qui n’a pas la nationalité française, mais il peut l’acquérir. On peut donc devenir français par acquisition. L’immigré est une personne étrangère dans un pays étranger. L’immigration est en France un phénomène ancien et fortement lié à l’histoire économique de notre pays. L’industrialisation a suscité d’énormes besoins de main d’œuvre. Après la première guerre mondiale, l’entrée des travailleurs immigrés a augmenté en France. Notre pays avait besoin de main d’œuvre pour se reconstruire. Le phénomène a été identique après la deuxième guerre mondiale, et a subit des mesures de restriction à partir de 1974. Il s’observe également de 1932 à 1936 et jusqu’à la seconde guerre mondiale.
Avant d’analyser le racisme et les discriminations en France, il me semble important de présenter la façon dont le mouvement syndical français, et plus particulièrement la CGT, s’en est saisi pour en faire la question de l’étranger et de son intégration dans le mouvement.
Martine Valla- France.