Mauritanie: Interview de Kaaw Touré, le porte-parole des FPC et membre de la Coalition Vivre Ensemble
Il n’en démord pas. Kaaw Touré reste constant dans son combat pour une Mauritanie apaisée et réconciliée avec sa diversité. Nous avons rencontré, le leader du FLAM, plus politique que jamais.
L’originaire de Jowol s’est livré à senalioune.com. Exclusif.
Pouvez-vous, vous présentez à nos lecteurs, s’il vous plaît?
Je n’aime pas trop parler de moi mais comme vous y tenez allons-y. Je m’appelle Kaaw Mouhamadou Touré, je suis originaire de Jowol, dans le Sud de la Mauritanie plus précisément dans le département de Kaédi au coeur du Fouta. Je me suis engagé dans la lutte très jeune à l’âge de 15 ans alors que j’étais jeune lycéen, ce qui m’a valu la prison à l’âge de 18 ans et qui a fait de moi, pour la petite histoire, le premier plus jeune prisonnier politique de Ould Taya en 1986.
Cette expérience carcérale sous le régime militaire dur et pur m’a renforcé dans mes convictions et n’avait pas entamé mon engagement, ni ma détermination à combattre le Système. J’ai récidivé aussitôt après ma sortie de prison en 1987 avec d’autres jeunes camarades au lycée de Kaédi en dirigeant une grève pour protester contre l’exécution de nos 3 premiers martyrs le 6 décembre 1987. J’ai été à nouveau recherché et poursuivi par la police mauritanienne.
Cela m’a plongé dans la clandestinité et ensuite vers un exil forcé le 15 décembre 1987. J’ai rejoint à Dakar nos camarades exilés qui avaient échappé aux filets de la police de Taya en 1986 et nous avons reconstitué ensemble le noyau dur des FLAM. Ainsi nous avons pu alerter l’opinion internationale sur la politique d´Apartheid en Mauritanie, mais surtout sauver la vie de certains de nos aînés détenus à Oualata.
Grâce à nos contacts et la mobilisation de la presse internationale et des organisations des droits humains nous avons mis la pression sur le gouvernement mauritanien qui a concédé finalement la visite de nos camarades détenus par des journalistes de Jeune Afrique et de Sud Hebdo et des organisations des droits de l’homme.
Nous avons maintenu le flambeau de la résistance jusqu’à la libération de nos dirigeants anciens détenus à Oualata, nous avons encadré et soutenu les premiers déportés mauritaniens au Sénégal et au Mali suite aux événements douloureux dits Sénégalo-Mauritaniens de 1989.
Depuis le 4ème congrès ordinaire des FLAM, j’ai été propulsé comme responsable du département de la presse des FLAM et directeur de publication de notre organe d’information le FLAMBEAU. Cet activisme débordant auprès de la presse sénégalaise et internationale m’a valu des mises en demeure répétées au Sénégal sous la pression diplomatique de l’administration mauritanienne.
Le refus de me soumettre aux injonctions du pouvoir sénégalais m’a valu une tentative d’extradition en Mauritanie suivie plus tard d’une expulsion en juillet 1999. Grâce aux Nations-Unies, j’ai obtenu l’asile politique en Suède où je vis depuis et continue mon activisme en tant que responsable des FLAM.
Après le congrès de mutation des FLAM d’août 2014, le parti à travers le président Samba Thiam m’a encore renouvelé sa confiance en tant que responsable de la communication extérieure et porte-parole du parti des FPC.
Je suis marié et père de petits mignons bouts de bois de Dieu. Je suis de formation ingénieur en planification économique, mais aussi j’ai continué mes études jusqu’aux diplômes de master en sciences sociales et histoire des langues dans les universités suédoises. Je travaille comme formateur et chargé d’insertion des immigrés et réfugiés dans la société suédoise qui nous viennent plus particulièrement des pays en conflits dans le monde.
En dehors de mes activités politiques et professionnelles je dirige une association panafricaine et de solidarité qui regroupe plus d’une trentaine de nationalités d’origine africaine vivant en Suède. Voilà en résumé ma petite présentation.
Quelle compréhension tirez-vous de la déclaration récente du nouveau Président Ould Ghazouani pour la diaspora, en termes d’associer la diaspora à la gestion du pays, et du recensement des émigrés mauritaniens dans le monde.
J’ai entendu parler de cette déclaration faite paraît-il par le ministre des affaires étrangères et de la coopération et qui dit que son département compte effectuer un recensement de tous les Mauritaniens installés à l’étranger et que ce recensement aura lieu avant la fin de l’année en cours et a annoncé en même temps qu’une conférence portant sur ce thème sera organisée à l’été 2020 à Nouakchott.
L’intention est bonne; c’est une initiative à saluer mais nous attendons de voir plus clair sur sa feuille de route et si tous les Mauritaniens seront concernés ou ce serait la reproduction du fameux enrôlement raciste qui a privé des dizaines de milliers de Négro-Mauritaniens de l’intérieur de leur citoyenneté et aussi de leur droit au vote lors des dernières élections.
Il faut rappeler, en même temps, au gouvernement mauritanien qu’il y a une autre urgence qui attend depuis bientôt 30 ans, le dossier de ces Négro-Mauritaniens déportés et qui végètent dans des camps d’exil au Sénégal et au Mali.
Ils ne souhaitent qu’un retour digne et organisé au pays natal. Sans oublier les anciens déportés rapatriés et qui sont devenus presque des ”étrangers” ou des sans papiers dans leur propre patrie!
Quant au deuxième aspect de la question à savoir l’association de la diaspora à la gestion du pays, vous savez plus que nous, que personne ne quitte son pays par gaité de coeur. Si la Mauritanie était un pays normal, paisible et juste, rien ne pouvait justifier la fuite de nos cerveaux et des dignes fils et filles de la patrie vers d’autres cieux qui profitent aujourd’hui de cette matière grise.
Vous ne mesurez pas l’ampleur de l’amertume de ces braves citoyens de ne pouvoir offrir leurs compétences et leur expertise à ce pays qui leur est plus cher que tout le confort du monde.
Il n’y a pas d’exil doré. Du moins pour des patriotes sincères, car comme disait l’autre « on n’est bien que chez soi ». L’exil doré est un mythe, naïvement développé par ceux-là qui n’ont pas été contraints à quitter leur terre natale !
Et comme le disait bien le martyr Tène Youssouf Guèye l’auteur de ” Les Exilés de Goumel: “Je n’oublierai jamais, moi, la vie mouvementée d´Exilé, pourchassé de ville en ville, les journées sans but et les nuits longues interminables où le mal du pays vous tient l’oeil ouvert et vous déchire les entrailles”.
Parlez-nous de la mutation FLAM vers FPC. ET pourquoi la division au sein de FLAM?
On ne peut parler de cette mutation sans revenir aux résolutions du VIIe congrès ordinaire des 28, 29 et 30 mai 2011 à Champs-Sur-Marnes en région parisienne qui avaient adopté le redéploiement du mouvement en Mauritanie après plus de 27 ans d’exil. Une décision qui a été prise suite à des discussions et aval de toutes les instances du mouvement. Un retour devenu effectif le 24 septembre 2013 avec le retour et un accueil triomphal et historique du mouvement.
Le mouvement est revenu avec une feuille de route bien définie: implanter le mouvement à l’intérieur, soigner l’image de l’organisation largement ternie et diabolisée pendant les années de braise et notre exil par nos adversaires politiques, créer un cadre de concertation entre tous ceux qui souhaitent la résolution de la question nationale.
Mais le principal objet de ce redéploiement consistait surtout à préparer les conditions de la tenue d’un congrès qui devait décider de l’avenir de l’organisation avec plusieurs options possibles telles que rester un mouvement tel que nous l’avons toujours été (cette éventualité a été d’emblée rejetée à l’unanimité comme irréaliste), devenir une ONG? fusionner directement avec d’autres partis de même sensibilité, se muer en Parti politique, si oui avec ou sans le sigle FLAM?
Au cours de ce congrès, un débat démocratique, avec des discussions quelques fois âpres, a eu lieu, comme cela a toujours été le cas dans nos différents congrès, avec la présence des délégués des différentes sections du mouvement venus de l´Europe, des Amériques, d’Afrique et de l’intérieur. Au terme des échanges, l’avis d’une nette majorité s’est dégagé pour transformer le mouvement FLAM en parti politique dénommé Les Forces Progressistes du Changement. Voilà et tout s’est passé dans la plus grande transparence et démocratie interne.
Il faut reconnaître qu’après le congrès, sans remettre en cause la nouvelle orientation politique du mouvement et sa mutation, certains camarades qui se disent attachés au nom mythique des FLAM se sont démarqués du changement du nom, mais la vaste majorité des sections et des militants s’est soumise aux résolutions du congrès conformément aux dispositions d’éthique et du règlement intérieur de l’organisation.
Quelle est votre relation avec la branche de FLAM qui est toujours en exil?
Il n’y a aucune relation officielle entre nous et nos ex-camarades en exil sinon les relations personnelles et humaines que les uns et les autres entretiennent et qui sont tissées pendant nos longues années de camaraderie en prison ou en exil.
Comment allez-vous continuer la lutte pour les Mauritaniens et quelle sera votre stratégie pour avoir des élus au sein du parti FPC ?
La lutte doit continuer parce que les raisons qui nous ont poussé à l’engagement demeurent entières à savoir la persistance du racisme d’État érigé en règle de gestion du pays. Nous allons continuer avec tous ces Mauritaniens qui militent dans notre organisation ou qui sympathisent avec notre cause.
La non reconnaissance de notre parti ne peut-être un frein à notre engagement, à notre conviction et à notre patriotisme. Nous nous sommes engagés dans la lutte bien avant la « démocratisation » ou l’avènement du multipartisme intégral au moment où la liberté d’expression n’était pas encore libérée, au prix de nos vies et de toutes les privations.
Nous continuerons à mener cette lutte auprès de notre peuple et avec toutes les forces vives et progressistes qui souhaitent le vrai changement et l’instauration d’un véritable Etat de droit pour une Mauritanie apaisée et réconciliée avec sa diversité et sa vocation naturelle de trait d’union et de carrefour culturel entre l’Afrique noire et l’Afrique du nord. Quant à la stratégie de conquête du pouvoir ou de la stratégie de lutte, elle ne se discute pas sur la place publique.
Qu’est-ce que les FPC attendent du nouveau président Ould Ghazouani ?
Les FPC ne se font pas trop d’illusions sur le nouveau régime parce que le porte-parole du gouvernement vient de dire que ce gouvernement sera la continuité du Système de la zizanie. Espérons que c’était une simple erreur de communication du ministre.
En toute honnêteté, nous souhaitons une rupture entre le nouveau gouvernement et le Système qui nous a été imposé jusqu’ici depuis nos indépendances, un système inique, raciste basé sur la stratification des citoyens, un système où certains mauritaniens ne se reconnaissent plus dans leur État, un système qui prive certains mauritaniens de leur Mauritanité, un système qui décide arbitrairement qui est mauritanien et qui ne l’est pas, un Système qui impose une seule identité, une seule culture, une seule langue sur les autres composantes racio-culturelles du pays.
Le général Ghazouani doit surtout se libérer des courants nationalistes arabes chauvins et devenir le président de tous les Mauritaniens, comme il l’a promis dans son discours d’investiture et pour cela, il nous faut un vrai débat national sur la question nationale et sociale et repartir sur des nouvelles bases. S’il veut être utile à la Mauritanie, il doit avoir le courage de se démarquer du Système pour réconcilier les Mauritaniens à travers un dialogue franc et ouvert.
Est-ce que notre Général devenu président, même mal élu, va se départir de ses réflexes d’homme de casernes et rompre avec la mauvaise renommée de n’être que l’ombre d´Aziz pour s’assumer afin de réconcilier les Mauritaniens ? Est-ce qu’il va réconcilier l’Etat avec les opprimés et exclus du Système? Va-t-il détruire les fondements du Système raciste et esclavagiste du pays? L’avenir nous le dira.
Un congrès des FPC est-il à l’horizon ?
Conformément à nos statuts et règlement intérieur, il y aura bien sûr un congrès au moment opportun quand toutes les conditions seront réunies et ne vous inquiétez pas nous vous tiendrons informés de la date précise des assises, Incha allah.
Comment décrivez-vous le rôle des FPC lors de la dernière élection présidentielle ?
Je peux dire avec fierté que le rôle des FPC a été très important à la dernière présidentielle surtout au sein de la CVE. Si la candidature unique a pu être obtenue au sein de notre mouvance, c’est grâce à la sagesse et au désintéressement du président Samba Thiam qui a fait preuve de hauteur et de sacrifice personnel pour que le consensus soit obtenu malgré les grincements de dents et les appels répétés des franges importantes et issues de nos différentes composantes nationales et qui exigeaient sa candidature.
Nous avons mobilisé des moyens, tous nos militants et sympathisants pendant la campagne électorale avec loyauté et conviction à l’intérieur comme au niveau de la diaspora pour la victoire du candidat de la CVE.
Notre président en premier est parti sillonner la vallée pour apporter son soutien au président Kane et a demandé à tous nos militants de descendre auprès de la base et dans nos fiefs respectifs pour soutenir cette candidature de la CVE.
Tous les Mauritaniens sincères et honnêtes ont remarqué notre présence sur le terrain à travers notre jeunesse militante et notre apport significatif aussi bien dans la communication, à travers notre activisme débordant sur les réseaux sociaux pour rendre notre candidat plus visible et audible.
C’est l’occasion de saluer la dynamique unitaire de tous les partis et militants de la CVE qui ont tous contribué au succès de notre candidature commune en l’occurrence Dr Kane Hamidou Baba.
Quelle analyse tirez-vous de la Coalition Vivre Ensemble ? Et Qu’attendez-vous de la CVE justement ?
La coalition Vivre ensemble est une dynamique unitaire à saluer et à renforcer. Elle a permis d’unir toutes les forces progressistes qui mettent en avant la résolution de la question nationale et sociale. Tous ont compris que la lutte en ordre dispersé contre l’ennemi commun n’a pas d’autre effet que la défaite pour tous et les dernières législatives l’ont bien confirmé. La pression et le souhait de nos bases respectives ont été déterminants pour rapprocher les positions.
Au niveau des FPC, depuis notre retour d’exil, notre combat a toujours été d’unir toutes les forces démocratiques et progressistes autour de l’essentiel, de trouver un cadre de concertation et de lutte pour faire entendre notre voix. Malgré les quelques petites réticences et réserves par- ci, par-là, nous avons été persévérants et c’est dans ce sens qu’il faut comprendre et situer la position responsable et courageuse du président Samba Thiam.
C’est une conviction et non un calcul politicien ou autre non dit. Dans l’ensemble, il faut saluer la campagne malgré quelques manquements au niveau de l’organisation, de la communication et de la coordination au niveau du staff de la campagne qui ont été soulignés par tous pendant la journée d’évaluation de la CVE.
Maintenant que les élections sont derrière nous les parties-alliées doivent se rasseoir et envisager l’avenir, déterminer quelle forme et quelles règles pour la CVE. Ce qu’il faut c’est de repartir sur des bases justes et saines et surtout avec une exigence de transparence dans le fonctionnement de la Coalition Vivre Ensemble qui n’est encore qu’une coalition.
Nous devons maintenir cette coalition dans la perspective des futures échéances électorales tout en gardant la liberté d’action et d’indépendance d’esprit des partis et associations membres de la CVE. Nous devons être une véritable coalition démocratique, un creuset des idées qui respecte notre diversité et nos différentes sensibilités et comme disait le sage Amadou Hampathé Ba pour ne pas le nommer ”C’est la diversité des couleurs qui fait la beauté d’un tapis”.
Pour le dossier du passif humanitaire. Quelle stratégie faudra-t-il adopter pour la plaie béante ouverte depuis plus de 30 ans ?
Il faut encore revenir sur ce terme de « passif humanitaire », qui n’est en fait qu’un euphémisme utilisé par ceux-là qui répugnent à parler des déportations, du génocide ou des crimes contre l’humanité commis contre les Négro-mauritaniens pendant les années de braise de 1986-1991.
Il faut encore rappeler que nous avons toujours dit que nous nous insurgeons contre la démarche singulière choisie par le pouvoir de Nouakchott qui consiste à vouloir solder un problème de fond par des réparations pécuniaires et matérielles.
Voilà pourquoi nous continuons à dire que le règlement du passif humanitaire doit plutôt reposer sur l’équilibre à trouver entre le refus de l’impunité, les exigences de vérité et des réparations et la nécessité du pardon, au bout.
Soulager les ayants droit, c’est une bonne chose mais on ne peut acheter notre silence par des compensations pécuniaires. Si certains sont prêts à le faire, il y en a beaucoup d’autres qui le refusent et qui se battront jusqu’au bout pour que la justice soit rendue et pour que plus jamais des Mauritaniens ne soient réprimés, torturés ou tués parce qu’ils sont nés différents.
Nous continuerons à faire pression pour que la lumière soit faite sur cette page sombre de notre histoire. Il faut du reste rappeler que le dossier des déportés est loin d’être clos puisque que d’autres déportés Négro-Mauritaniens continuent à croupir toujours dans les camps d’exil au Sénégal et au Mali.
Le problème de fond, encore une fois, ce n’est pas le retour des déportés ou l’indemnisation des veuves, des ayants droit ou des rescapés, mais l’essence ou le fondement injuste même de l´Etat mauritanien qu’il faut résoudre, à savoir cette politique chauvine et raciste qui est érigée en règle de gestion du pays.
La question nationale est au début et à la fin de tous nos problèmes et il faut donc impérativement lui trouver une solution juste et durable, en osant rompre résolument avec la politique de l’autruche. En attendant le grand soir nous disons toujours la lutte continue.
Propos recueillis par Diarry Ndiaye Ba