Interview accordée à Cridem par Monsieur Moussa Fall Président du Mouvement pour le Changement Démocratique (MCD)
Cridem : Quelles sont les premières impressions que vous inspire le discours du Chef de l’Etat à Néma ?
Moussa Fall : Ma première impression est que j’ai trouvé le discours du chef de l’Etat à Néma particulièrement agressif et haineux. Comment un chef d’Etat qui se dit démocrate peut-il qualifier son opposition d’antinationale ? Comment un chef d’Etat peut-il traiter, tout au long son intervention, cette opposition de menteuse ? Comment un chef d’Etat peut-il s’en prendre à la femme mauritanienne lui déniant toute aptitude à avoir une opinion politique propre ? Comment un chef d’Etat peut-il comparer l’une des principales composantes de notre pays à des animaux qui se reproduisent sans retenue? Comment un chef d’Etat peut-il ironiser avec des propos inconvenants en parlant d’une puissance étrangère qui a toujours manifesté de la proximité et de l’amitié à l’égard de notre pays.
La seconde impression est l’absence dans ce discours de réponses aux préoccupations de ces populations qui ont été amenées de partout pour écouter un discours dans lequel elles n’ont finalement pas entendu une seule décision qui puisse alléger leurs souffrances quotidiennes. Cette déception a d’ailleurs été très largement partagée par tous les mauritaniens qui sont restés sur leur faim dans tous les sens du terme.
Cridem : Allons maintenant au fond. Commençons par ce qui a été la préoccupation de ces dernières semaines, à savoir la révision de la Constitution. Le Président a dit qu’il veut sa révision, mais il n’a pas dit qu’il veut toucher au nombre de mandats…
Moussa Fall : Vous savez ce discours reprend à l’identique les thèmes développés à Nouadhibou après le coup d’Etat de 2008. C’était alors le temps de l’affrontement entre le FNDD à l’époque et un Général qui venait de faire un coup d’Etat contre la démocratie et qui voulait imposer son système au pays. Par son contenu, par son ton, par la rage qu’il exprime on ne peut que tirer la conclusion que le Chef de l‘Etat est porteur d’un projet personnel qu’il veut imposer au pays et ce contre la volonté de son opposition. Quelle est la consistance de ce projet ? Est-ce un troisième mandat ?
A ce stade je ne peux pas me prononcer sur la formule envisagée. Ce que je peux dire avec certitude c’est qu’il tient à reconduire, au forceps, son système. Par cette option ainsi exprimée dans un discours officiel et solennel, le Chef de l’Etat prend sur lui une responsabilité lourde de conséquences. On espérait un discours d’apaisement, un discours de pacification de la scène politique pour préparer un dialogue responsable permettant de baliser de façon consensuelle les prochaines étapes de raffermissement de la démocratie dans notre pays. Au lieu de cela on déclare la guerre à l’opposition et on veut forcer le passage pour un choix personnel et autocratique. Dans ces conditions il ne reste d’autre choix pour l’opposition que de se préparer à la confrontation. Nous entrons donc à mon avis dans une nouvelle ère de confrontation. Dans des conditions qui sont très différentes de celles de 2008-2009.
D’un coté, Ould Abdel Aziz n’est plus un inconnu pour les citoyens, les promesses miroitées à l’époque se sont révélées dépourvues d’impacts significatifs sur les conditions de vie des populations, la conjoncture économique sur laquelle il a surfé de 2010 à 2014 n’est aujourd’hui qu’un lointain souvenir et le pouvoir d’achat n’a cesse de se détériorer eut égard à la pression fiscale et la dégradation en continu de la valeur de l’Ouguiya. De l’autre coté l’opposition est aujourd’hui beaucoup mieux préparée qu’en 2009 et son potentiel s’est considérablement accru du fait des politiques suivies par le pouvoir et de leurs conséquences sur les conditions de vie des populations.
Cridem : Le Président a dit que c’est toujours l’opposition qui dresse des obstacles devant le dialogue en avançant, à chaque fois, des arguments irrecevables, qu’en dites-vous ?
Moussa Fall : Je voudrai d’abord rétablir certaines vérités. La plate-forme de l’opposition ne comportait pas à ma connaissance l’intégration d’un quelconque fonctionnaire licencié, comme l’a dit et répété Aziz. Par contre, elle lui demandait une réponse claire concernant son intention de respecter ou non la limitation des mandats ainsi que l’application de la loi qui impose au Chef de l’Etat de faire et de publier une déclaration de son patrimoine, et c’est ce que Aziz n’a pas dit. Ce sont peut-être là certains des points qui font que Aziz ne veut pas répondre par écrit, alors qu’il s’agit tout simplement de se conformer à la Constitution et à la Loi.
Quant à dire que c’est l’opposition qui a toujours bloqué le dialogue, il suffit, pour se convaincre du contraire, de rappeler que le FNDU avait répondu par écrit aux propositions écrites qui lui avaient été transmises par le pouvoir. Contrairement à ce qui a été dit encore, le FNDU n’a pas exigé que tous les points qui figurent dans sa plate-forme soient satisfaits avant le dialogue, mais tout simplement qu’il y soit répondu. Et cette réponse, il l’attend depuis bientôt un an. Convenez avec moi qu’un partenaire qui refuse de répondre, soit positivement soit négativement, par écrit à des correspondances écrites ne peut se prévaloir de bonne volonté. D’ailleurs, voilà qu’il met lui-même un point final au processus qu’il avait engagé avec l’opposition.
Cridem : Le Président vient d’inviter à nouveau au dialogue, qu’en pensez-vous ?
Moussa Fall : Comme je l’ai déjà dit, le discours de Aziz traduit clairement sa volonté de conduire de manière unilatérale son propre agenda, en excluant à la fois l’opposition politique et les forces sociales du pays. Cet agenda, qui consiste à le maintenir au pouvoir, d’une manière ou d’une autre, il hésitait à le mettre en œuvre sans un dialogue avec l’opposition, dialogue au cours duquel il concéderait certaines concessions relatives au régime électoral et aux institutions chargées des élections, espérant que l’opposition se contenterait de ces réformes ou, au mois, se diviserait de manière significative les concernant. Cela aurait servi de semblant de caution à sa démarche. C’est ce qui explique d’ailleurs cette frénésie du dialogue que l’on a remarqué ces derniers temps chez le pouvoir. Aujourd’hui, voyant que cette manœuvre n’a pas abouti, voyant que l’opposition a sauvegardé son unité autour de sa position de principe concernant le dialogue, il semble qu’il a pris sa résolution de faire le forcing et d’aller, tête baissée, dans l’exécution de son agenda. Le dialogue annoncé par le Chef de l’Etat sera un dialogue en interne.
Aucune opposition tant soi peu digne et responsable n’y participera. Et c’est ce qui ressort des intentions de la quasi totalité des acteurs politiques du FNDU et du RFD.
Cridem : Quelles seraient, selon vous, les conséquences d’une telle démarche ?
Moussa Fall : Quand on obstrue la voie de l’alternance démocratique et pacifique pour accéder au pouvoir, comme ça semble être le cas, on ouvre immanquablement celle des changements anticonstitutionnels qui peuvent être parfois violents, qui exposent le pays à tous les dangers. Et c’est justement ce contre quoi travaille l’opposition. C’est également sur ces dangers qu’elle interpelle tous les mauritaniens, qu’ils soient avec le régime ou contre lui, car il y va de l’avenir de tous.
Cridem : Quelle serait alors la position et la stratégie de l’opposition ?
Moussa Fall : Je pense que Aziz n’a pas laissé d’autre choix que la confrontation politique. Le FNDU a d’ailleurs annoncé les couleurs de sa réaction dans l’imposante marche qu’il vient d’organiser à Nouakchott. Vous avez du noter la radicalisation de son discours et une montée en puissance de sa combativité. Avec l’accélération des évènements durant toute cette période cruciale, nous assisterons à une escalade de la confrontation. A moins que le pouvoir se ressaisisse et revienne à de meilleurs sentiments pour organiser dans la sérénité un dialogue responsable et inclusif.
Si le pouvoir persiste dans son agenda actuel, je pense que l’opposition doit s’organiser en prévision de cette inévitable confrontation et œuvrer de toutes ses forces pour barrer le chemin à l’exécution d’un agenda visant à perpétuer l’autocratie dans le pays. L’opposition doit s’allier à toutes les forces démocratiques, à tous les patriotes, à tous ceux qui se soucient de l’avenir du pays afin de créer un large courant capable de se dresser contre cette dérive du pouvoir personnel. Je pense que le mécontentement général, y compris dans les rangs de ceux qui s’affichent aujourd’hui avec le pouvoir, offre un potentiel énorme pour ce faire.
Cridem : Sur une toute autre question quels sont vos commentaires sur la ruée vers l’or qui constitue l’un des sujets majeurs de l’actualité dans le pays ?
Moussa Fall : Vous savez, la ruée vers l’or n’est pas un phénomène nouveau et inconnu. Nous connaissons les dégâts et les drames que ces fièvres ont provoqués partout ou elles se sont manifestées. On peut comprendre que dans notre pays le chômage et la précarité aient incités des milliers de citoyens à tenter l’aventure. Mais on ne peut pas comprendre que l’Etat les y encourage. Tous les géologues qui ont été consultés ou qui se sont prononcés sur la question ont exprimé leur scepticisme et leurs réserves. Les services compétents de l’Etat disposent normalement des données fiables permettant d’édifier les décideurs et les citoyens sur la question. On ne peut pas comprendre, dans ces conditions, que l’Etat accepte d’emboiter le pas à des vendeurs de matériels d’orpaillage. En délimitant des zones pour l’orpaillage, en délivrant des permis payants, en prélevant des droits de douane sur le matériel acheté par de pauvres citoyens, il a incontestablement poussé des milliers de citoyens vers l’aventure et la ruine. A mon avis l’Etat doit répondre des conséquences inévitablement dramatiques de cette tragédie.
©Cridem 2016——