Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

LA TIDJANIYYA, ARME SECRETE DU « SOFT POWER » MAROCAIN EN AFRIQUE

altDe Fès à Kano, en passant par Tivaouane et Kaolack au Sénégal, la Tidjaniya s’affirme comme la confrérie soufie la plus importante d’Afrique de l’Ouest.

Elle puise pourtant ses sources au nord du Sahara, entre l’Algérie et le Maroc. Le nom de la tarîqa (« confrérie ») vient de celui de son fondateur, Ahmed Tidjani (1737-1815), qui l’établit dans sa ville natale d’Ain Madhi, aux portes du désert oriental algérien. Mais c’est au Maroc voisin, à Fès, où il fut accueilli par le sultan alaouite Souleiman, qu’il est enterré. Son mausolée est l’objet d’un pèlerinage qui tient, pour ses adeptes, un rang presque aussi haut que celui de La Mecque. La zaouia (inzawa, « se retirer »), siège de la confrérie Tidjaniya au Maroc, est un atout maître dans les ressources de la diplomatie religieuse de Rabat en Afrique, que lui conteste d’ailleurs le pouvoir algérien.

Les deux pays se disputent ainsi l’organisation des rencontres internationales de la confrérie. Après la première grand-messe des « tidjanes » mise en place par le gouvernement algérien en 2006, le royaume marocain a organisé à Fès, en mai 2014, un pèlerinage massif de dignitaires religieux d’Afrique de l’Ouest pour marquer le 200e anniversaire de la mort d’Ahmed Tidjani.

Pour la chercheuse italienne Nazarena Lanza, du Centre Jacques-Berque à Rabat, ce type d’événements « répond au désir de raffermir le Maroc en tant que berceau de la tarîqa et vise à promouvoir l’image d’un islam marocain soufi, ouvert et tolérant, ainsi qu’à consolider des relations privilégiées avec les pays subsahariens, y compris par la relance d’un tourisme religieux ». A leur retour du hadj (le pèlerinage à La Mecque), les pèlerins du Sénégal – où la Tidjaniya est le plus ancrée – accomplissent régulièrement la ziyâra (« visite ») à Fès, où une offre particulière s’est développée autour du mausolée d’Ahmed Tidjani. Et la compagnie Royal Air Maroc a récemment mis en place une liaison directe entre Dakar et Fès.

Pour le Maroc, la maîtrise du réseau tidjane correspond à deux enjeux majeurs. D’abord, soutenir la stratégie du royaume pour s’imposer comme un acteur panafricain. Au prix d’une diplomatie économique très active, et de tournées du roi Mohammed VI en Afrique de l’Ouest, les banques mais aussi les compagnies d’assurances du Maroc ont pris une importance considérable dans la région. La première banque, Attijariwafa, avec 353 agences dans la zone CFA, est d’ailleurs considérée comme proche de la confrérie, ce que ne reconnaissent pas explicitement ses dirigeants. Le Maroc est aussi devenu le premier investisseur en Côte d’Ivoire, devant la France et la Chine, avec un projet à 150 millions d’euros pour rénover la baie de Cocody à Abidjan.

Intense travail de relations publiques

Au Sénégal, la Tidjaniya jouit d’une influence sans pareille. «  Tous les marabouts du pays fréquentent assidûment l’ambassade du Maroc à Dakar, dont le travail de relations publiques est intense », observe Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute à Dakar. Deux dynasties familiales relaient le message spirituel de la Tidjaniya : les descendants d’El Hadj Malick Sy, établis à Tivaouane, et ceux d’El Hadj Abdoulaye Niasse, qui ont pris pour siège la ville de Kaolack. Cette deuxième branche, dite « niassène », est aujourd’hui plus stratégique pour le Maroc, en raison du nombre de ses adeptes au Niger, au Ghana et dans le nord du Nigeria, où le royaume chérifien a de grandes ambitions.

L’autre enjeu, pour le Maroc, est la question du Sahara occidental. Dès 1985, Hassan II réunissait califes et marabouts de la Tidjaniya à Fès pour un colloque international et leur faisait signer une motion de soutien à la marocanité du Sahara. Pour le royaume, le réseau tidjane est l’une des manières de contourner son absence dans l’Union africaine (UA), dont il s’est retiré en 1984 en raison de la reconnaissance par l’UA de la République arabe sahraouie démocratique, sous la pression d’Alger.

Les acteurs de la coopération religieuse entre les deux rives du Sahara insistent pourtant sur la priorité du spirituel sur le politique. « Lorsque nous invitons nos frères pour le pèlerinage à Fès, il n’y ni conditionnalité ni allégeance, confie un ancien ambassadeur marocain, excellent connaisseur de l’Afrique. Dans les chambres d’hôtel, nous mettons simplement à disposition de la documentation détaillant notre cause nationale. » A la manière de la Bible et du Livre de Mormon, que le client trouve dans sa chambre des hôtels Marriott.

Youssef Ait Akdim

 

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