Secteur de l’agriculture : La désillusion des producteurs
Le président de la République, Mohamed Abdel Aziz, avait soulevé un immense espoir lors de la sa dernière visite au Trarza quand il avait promis que l’Etat allait acheter la totalité de la production rizicole. Il aurait parlé, selon certaines sources, sans mesurer les capacités financières disponibles au niveau du Trésor public. L’erreur sera par la suite relevée d’abord par le ministre des Finances qui nia formellement une telle déclaration pourtant immortalisée par enregistrement en son et image. Le Premier ministre vient de confirmer ce désistement en expliquant devant les députés, lors de la présentation du programme de politique général de son gouvernement, que l’Etat n’achètera que 40.000 tonnes sur les 120.000 tonnes de la production nationale de riz, indiquant que ce sont ces quantités qui correspondent à ses besoins.
N’empêche, la Chamama et ses habitants vivent ces temps-ci la désolation. Leurs champs sont livrés aux essaims d’oiseaux granivores, souffrant en silence, de l’absence de toute aide publique. Même les engrais que l’Etat livrait gratuitement n’ont pas été fournis, réduisant à néant les efforts publics pour le développement agricole, comme si la Mauritanie officielle avait déclaré une guerre tacite à l’une de ses principales ressources. Certains agriculteurs vont même jusqu’à entrevoir un complot ourdi contre l’agriculture, se demandant « à qui profite le crime ? »
Pourtant, le nombre d’ouvriers agricoles est estimé à plus de 35.000 individus, selon les chiffres fournis par la Fédération nationale des agricultures. Les chiffres officiels de la Mauritanie indiquent quant à eux que plus de 60% de la population mauritanienne vivent de l’agriculture. Les 35.000 paysans répartis sur l’ensemble du territoire se sont constitués en coopératives rurales ou familiales, en réseaux plus ou moins importants, d’autres évoluent seuls, et d’autres encore se sont spécialisés dans la vente des aliments de bétail, dans l’élevage…
Le secteur agricole avait connu dans les années 90 un boom sans précédent en termes de détournement et de gabegie, au moment où un flux massif de financements extérieurs et d’investissements privés sur prêts bancaires nourrissaient le secteur. C’étai l’époque où l’agriculture avait connu le plus grand appui international, mais les milliards de dollars qui lui étaient destinés n’ont jamais profité au secteur. Le népotisme, la malversation et la mauvaise gestion financière avaient empêché à l’agriculture de décoller et de donner les fruits qui ont profité à d’autres pays qui ont construit leur développement économique et social sur leur révolution agricole.
Pourtant, toute cette masse d’argent destinée à l’agriculture n’a profité qu’à une minorité d’hommes d’affaires influents, quelques notables traditionnels, des officiers de l’armée et des élus, qui se sont partagés la manne financière mobilisée sous le long règne de Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya.
Le feu de la corruption avait embrasé tous ces immenses financements ainsi que tous les budgets nationaux annuellement destinés au secteur de l’agriculture. L’action des prédateurs des fonds publics n’a ainsi jamais cessé avec la bénédiction des différents régimes qui se sont succédé dans ce pays. Leurs méfaits ont été toujours judicieusement couverts, sans contrôle ni poursuites administratives ou judiciaires.
Seule lueur d’espoir dans ce tableau apocalyptique, les observateurs relèvent le bref passage de l’ancien président déchu Sidi Ould Cheikh Abdallahi. C’est le seul Chef d’Etat mauritanien qui se serait, selon cette thèse, conformé aux normes de gestion établies par les bailleurs internationaux, lesquels ne lui ont exigé que ce qu’ils ont toujours exigé à ses prédécesseurs, à savoir le développement du secteur agricole en contrepartie de prêts financiers consistants.
Les démarches entreprises sous la présidence de Sidi Ould Cheikh Abdallai dans ce domaine sont considérées comme exemplaires. Il aurait commencé à redonner vie à un secteur moribond et détruit. Sont cités dans ce cadre les campagnes d’aménagement gratuit de milliers d’hectares avec l’appui de la BAD à travers la Société nationale d’aménagement du territoire (SNAT). En plus, l’homme avait initié un système de subvention au profit des agriculteurs, à hauteur de 57.000 UM pour chaque hectare cultivé. Assez suffisant pour que des milliers de Mauritaniens s’orientent vers l’agriculture. En plus, l’Etat mettait l’engrais gratuitement à la disposition des coopératives agricoles, cédant la moitié de leur prix aux privés. Toutes ces mesures ont été annulées après sa chute.
A l’époque de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, les tronçonneuses étaient louées 22.000 UM à l’hectare. Le même service a été revu à la hausse pour atteindre 100.000 UM à l’hectare, créant une poussée de colère tout le long de la Vallée.
La fédération nationale des agricultures n’avait face à ces mesures draconiennes que faiblement réagi malgré le recul constaté au niveau de la commercialisation des produits de la terre et malgré la perte de tous les acquis. Mais les réactions purement formelles de la fédération ont été supplantées par le tollé des agricultures qui sont allés jusqu’à brandir une grève générale, sous la forme d’une année blanche sans agriculture.
Résultat de la morosité qui gagne le secteur agricole, la présence de plusieurs milliers de tonnes de riz, emmagasinés sans décorticage. En plus de cela, le financement extérieur en faveur de l’agriculture a beaucoup baissé tout comme le flux financier interne. Le plus grand signe du délaissement du secteur de l’agriculture par les autorités, se manifeste par la démission de l’Etat dans la protection aérienne des champs contre les prédateurs des cultures.
Ainsi, les milliers d’oiseaux granivores qui ont dévasté près de 30% des cultures à la Chamama n’ont trouvé devant eux aucune résistance aérienne. L’Etat n’a déployé le moindre avion pour les combattre.
L’actuel ministre de l’Agriculture avait promis aux paysans, lors de sa dernière tournée qu’elle va en mobiliser pour chasser les oiseaux, mais rien n’a été fait, selon les agriculteurs.
Pire, la caisse d’épargne et de crédit agricole se serait elle aussi délaissé de sa mission. Elle ne reconnaît plus aux titres de propriété agricole la moindre garantie et semble également ne donner aucune importance aux garanties données par l’Etat aux coopératives et aux diplômés chômeurs.
De telles mesures auraient entraîné un recul de la production à 2 tonnes par hectare, pesant lourdement sur la capacité des agriculteurs à honorer leurs dettes et solder leurs dépenses. Le plus grand malheur qui est venu s’ajouter à tous les maux cités, le désistement de l’Etat à acheter la production rizicole, alors que tous les espoirs y étaient fondés.
Face à l’incapacité des délégations régionales de l’agriculture à répondre aux attentes du monde rural, certains l’accusant d’être des nids de corruption et de népotisme, beaucoup d’opérateurs ont passé des contrats tacites avec des conducteurs d’engins de pulvérisation pour les dépouiller de leurs parasites.
Le paradoxe serait l’arrestation d’une vingtaine de jeunes diplômés-chômeurs qui n’ont pas pu, sous ces conditions draconiennes de l’agriculture, payer leurs dettes à la Caisse de dépôt (CDD) alors qu’aucune possibilité ne leur a été offerte. Certains de relever que la masse financière qu’ils doivent à la caisse ne représente pourtant que 10% des dettes contractées par un puissant homme d’affaires dont l’ardoise a été purement et simplement effacée.
C.A