CPI: réactions contrastées à la première journée du procès Gbagbo
Le procès de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo s’est ouvert jeudi 28 janvier devant la Cour pénale internationale. Il est accusé de crimes contre l’humanité. Mais il n’est pas jugé seul. Dans le box des accusés se trouve aussi Charles Blé Goudé, son ancien ministre et bras droit. En Côte d’Ivoire comme aux Pays-Bas, où se tient ce procès inédit, l’affaire ne laisse pas indifférent.
Avec nos envoyées spéciales à La Haye et nos correspondants à Abidjan
Pour ses partisans, l’ex-chef d’Etat ivoirien n’est en rien responsable des crimes commis pendant la crise post-électorale de 2010-2011. Jeudi, certains d’entre eux se sont donc donné rendez-vous devant la CPI, pour protester vivement contre l’ouverture du procès tant attendu de Laurent Gbagbo.
Munis d’écharpes et de bonnets aux couleurs du drapeau national, ils ont dénoncé une procédure qu’ils qualifient d’injuste. « Nous trouvons que notre président Laurent Gbagbo est injustement incarcéré ici », explique par exemple, au micro de RFI.
Au fil de la matinée, la tension retombe d’un cran parmi les partisans de l’ancien chef d’Etat de Côte d’Ivoire. Dans une ambiance bon enfant, les manifestants rassemblés autour d’une scène, installée derrière la Cour, suivent le déroulé de l’audience en direct.
« Pour moi, c’est ahurissant »
Les supporters du président, et de son ancien bras droit, voient ainsi plaider « non coupable » Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, tour à tour, devant la CPI au premier jour de leur procès. De quoi les réconforter, puisque ces mêmes supporters prétendent qu’il n’y a rien, dans le dossier d’accusation de la procureure Fatou Bensouda.
Durant l’énoncé des charges, l’accusation est ponctuée par la projection de vidéos et de graphiques montrant l’ampleur des violences ayant suivi les élections de 2010 dans le pays. Ces documents frustrent quelque peu les partisans des deux co-accusés.
Abdon Bayeto, qui représente au Royaume-Uni le Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Laurent Gbagbo, peste à la vue de chaque image ou vidéo présentée par l’accusation : « Ce n’a été que de la honte, comme un cirque. On dirait que les dés sont déjà pipés. Ils disent n’importe quoi », s’agace-t-il.
« Montrer une telle vidéo pour attester que Charles Blé Goudé a armé les jeunes, pour moi, c’est ahurissant », s’indigne le docteur Patrice Saraka, qui se présente comme le médecin particulier de l’ancien leader des Jeunes patriotes depuis 1995.
Le docteur Saraka s’insurge que Fatou Bensouda puisse décrire Charles Blé Goudé comme le cerveau à l’origine des violences : « L’équipe du procureur montre là des arguments qui attestent bien que Charles Blé Goudé est un combattant aux mains nues, qui prône des idées. Ce n’est pas quelqu’un de violent. »
« Puéril, enfantin et irresponsable »
Malgré l’amertume, les partisans ont bien l’intention d’assister à l’ensemble du procès. Ils ne seront pas les seuls, car parmi les adversaires du clan Gbagbo, on suit également les débats de La Haye de près. A Abidjan par exemple, parmi les cadres du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara, la posture de la défense interpelle.
RFI a recueilli la réaction de Joël Nguessan, porte-parole du RDR et victime de graves violences au plus fort de la crise. Pour lui, nier le rôle joué par l’ex-chef d’Etat dans la crise, comme ce dernier et Charles Blé Goudé l’ont fait jeudi en plaidant non coupables, c’est faire preuve d’une incroyable « irresponsabilité ».
« Le contraire nous aurait étonnés, dit-il. Dans le clan de Gbagbo Laurent, ils n’ont jamais été capables de reconnaître, dans leur vie politique, une seule fois, leurs responsabilités. Ils ont toujours considéré que tout ce qui arrive par leur action politique est de la faute des autres. »
« On a trouvé ça un peu ridicule de leur part », ajoute Joël Nguessan. « Quand un colonel – un ex-colonel de l’armée -, parce qu’il a commis l’erreur d’aller rendre visite à ses amis au Golfe là-bas (hôtel du Golf, quartier général d’Alassane Ouattara pendant la crise, NDLR), sort et qu’on le prend, qu’on s’en va l’abattre, franchement c’est puéril, enfantin et irresponsable congénitalement de penser qu’on n’a pas de responsabilité. »
La Côte d’Ivoire partagée sur le procès
A l’image des positions opposées adoptées par l’accusation et la défense à La Haye, la situation est assez contrastée dans la capitale économique ivoirienne. D’un côté, les victimes présumées des forces ou de partisans de Laurent Gbagbo – par exemple celles du marché d’Abobo bombardé le 17 mars 2011 – espèrent que le calvaire qu’elles ont connu sera démontré et exposé aux yeux du monde. Elles demandent des réparations et des condamnations.
De l’autre côté, on trouve les soutiens de Laurent Gbagbo. Les responsables politiques et les simples militants du FPI ne se contentent pas toujours d’asséner que le dossier est vide ; certains vont jusqu’à parler d’un complot international ourdi par les grandes puissances comme la France et les Etats-Unis. Une sorte de procès du procès.
Jeudi dans un maquis, un bar du quartier de Yopougon devenu le quartier général des militants et des soutiens des accusés de La Haye, ils étaient environ 500 à suivre sur écran géant la retransmission de la première journée d’audience. Et la mobilisation risque de ne pas faiblir au fil des deux ou trois ans que doit durer ce procès historique pour la Côte d’Ivoire.
■ « On essaie de diviser les Ivoiriens »
Hors partis, dans la salle d’audience même de La Haye, il y a aussi des soutiens parfois venus d’ailleurs autour du président Gbagbo. Comme Bernard Houdin, un Français qui a longtemps vécu en Côte d’Ivoire, jusqu’à devenir, en 2007, conseiller spécial du président. Interrogé par RFI à la sortie de l’audience de jeudi, il se dit choqué de la manière de présenter les choses qu’a choisie la Cour. Et ne mâche pas ses mots.
« J’ai honte d’être occidental », lâche M. Houdin. « Je suis révolté moralement, parce que nous, ” l’Occident “, on a apporté soi-disant des valeurs à l’Afrique, etc. Et aujourd’hui, j’ai l’impression que toutes les valeurs que l’ont veut inculquer sont bafouées et que cette Cour, qui devrait justement préserver l’unité internationale, est en train de créer des fractures. Parce que la façon dont le débat est lancé, c’est une insulte à l’intelligence. »
Et de développer son propos : « On essaie de diviser les Ivoiriens, on parle d’ethnies. Le directeur de campagne de Laurent Gbagbo s’appelle Malick Coulibaly, c’était un médecin du Nord et PDCI d’origine. Parce que Gbagbo choisissait les gens en fonction de leur valeur, de leur compétence, non de leur ethnie, non de leur religion. Et aujourd’hui, on veut réintroduire en Côte d’Ivoire ce débat, et on est en train d’essayer de mettre le feu au pays. »
Dans le discours de l’accusation, l’accent a été mis sur la dimension religieuse et ethnique des violences qui ont ensanglanté la Côte d’Ivoire entre 2010 et 2011. Les partisans de Laurent Gbagbo dénoncent une vision manichéenne et dangereuse pour la cohésion de leur pays, à l’heure à chacun, disent-ils, n’aspire qu’à une chose : la réconciliation.
« Continuer à rechercher la vérité »
Le procès est également observé de très près par certaines organisations ivoiriennes de la société civile. Parmi elles, la Ligue ivoirienne des droits de l’homme. Neth Willy Alexandre, son secrétaire général, ressort optimiste de cette première journée d’audience, qu’il a suivi depuis La Haye même. Optimisme lié à l’assurance donnée par Fatou Bensouda, qui dit enquêter sur tous les crimes commis par toutes les parties. Ci-dessous, sa déclaration à RFI :
« Ce procès est une partie de ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire. Et Mme le procureur l’a certainement compris, parce qu’elle a dit dans son intervention préliminaire que les enquêtes étaient en cours pour continuer de rechercher la vérité, qui permettra ensuite d’arrêter d’autres personnes qui ont commis des violations des droits de l’homme. Tous les rapports qui ont été produits en Côte d’Ivoire sur la crise, y compris le rapport produit par la Commission nationale d’enquête mise en place par le gouvernement, ont révélé que les violations étaient commises par les deux camps.
Alors, on sait que la situation ici à La Haye concerne des faits dans des périodes bien déterminées, des victimes bien déterminées. On a dit que la crise a fait autour de 3 000 morts. Ici, on ne parle que de 726 victimes qui seraient concernées par le procès. (…) C’est un pan de l’histoire de la Côte d’Ivoire qui se joue ici, mais il y a encore d’autres choses à faire pour avoir toute la vérité sur ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire. Je félicite le procureur, et je l’encourage à continuer dans ce sens, c’est-à-dire à rechercher la vérité, de l’autre côté aussi. »
rfi