S’il y a un article à relire actuellement pour y voir plus ou moins clair dans ce qui se passe actuellement au Burkina c’est bien celui-ci. C’est clair, c’est court et c’est instructif. Quand on lit ça, l’arrivée au pouvoir du général Gilbert Diendéré devient le dernier acte du coup du siècle au Burkina. C’est l’équivalent du général Al Sissi en Egypte ou du général Mohamed Ould Abdel Aziz en Mauritanie. C’est étonnant.
Les trois étaient les gardiens du pouvoir : Morsi et les islamistes ont cru en Al Sissi , Taya était défendu par Aziz et Diendéré était non seulement le patron du Basep burkinabé mais aussi le maître des renseignements et bras droit de Blaise depuis 30 ans. Ce qu’ils ont en commun c’est qu’ils ont le mieux joué leur carte après avoir eu la confiance absolue mais pas n’importe comment. Avant de porter le coup fatal qui va les mener tous au pouvoir et y rester, il leur a fallu laisser se paralyser, se griller tous ceux qui pouvaient leur bloquer la route mais le faire en restant toujours les amis de tous jusqu’au dernier moment.
Il faut relire cet article de Jeune-afrique pour comprendre que le général Diendéré est de l’étoffe de Al Sissi, de Mohamed Abdel Aziz, c’est-à-dire des militaires qui connaissent le mieux l’armée qu’ils tiennent et le peuple qu’il va falloir diriger directement. Ils ont en commun un sang-froid, un goût du secret et une faculté hors norme de cacher leurs pensées même à ceux qui les connaissent le mieux et qui sont par nécessité un peu paranos car il faut l’être un peu pour diriger ces régimes autoritaires.
L’article de Jeune-afrique, qui donne un excellent déroulé des événements qui ont abouti à la chute de Blaise quasiment un an plus tôt, se termine par ces mots d’un général Burkinabé de l’armée dite régulière : “Diendéré, on sait ce qu’il ne veut pas, on ne sait pas ce qu’il veut”.
Comme pour Aziz après 21 ans de règne de Taya, Diendéré ne pouvait pas déposer Blaise sans recevoir en retour sur-le-champ les forces du changement qui n’auraient jamais accepté un nouveau militaire aussi proche du pouvoir honni, d’ailleurs comme pour Aziz, Diendéré ne tenait que le bataillon présidentiel, d’autres tenaient l’armée et n’étaient pas prêts à le lui céder d’ailleurs. Comme pour Aziz, il fallait faire cela en plusieurs étapes sans jamais être sûr d’aller jusqu’au bout, il s’agissait d’abord de sauver sa peau, son commandement.
Aziz resta en retrait laissant les autres encaisser l’enthousiasme après la chute de Taya, ce fut la transition avec le colonel Ely, 18 ans maître de la sûreté nationale sous Taya, c’est ce qu’on appelle le changement ; De même Diendéré envoya le colonel Zida, numéro deux du bataillon présidentiel, qui finit premier ministre de la révolution populaire… Aziz fit élire Sidioca, inconnu au bataillon comme Michel Kafango, Diendéré était certainement prêt à laisser le processus démocratique continuer surtout avec son Zida si haut placé qui entendait tout et voyait tout. Sidioca a voulu limoger Aziz par décret, Aziz le déposa, de même il était question d’en finir avec le RSP bataillon de Blaise dirigé par Diendéré, ce dernier prit le pouvoir.
C’est la même dynamique. La même navigation à vue lucide, la même audace quand il s’agit de jouer le tout pour le tout.
L’armée mauritanienne a suivi le Basep d’Aziz car le Basep était à l’époque mieux armé que l’armée mauritanienne éparpillée et totalement en déliquescence mais surtout parce que Sidioca a voulu éliminer les grandes têtes de l’armée en même temps. Au Burkina ce ne fut pas pareil, le RSP de Diendéré est resté fidèle jusqu’au bout à Blaise sans jamais verser le sang. C’est là le coup de maître de Diendéré qui explique pourquoi aujourd’hui l’armée burkinabée dite régulière le suit. Quand l’armée a lâché Blaise, le RSP n’a pas résisté au-delà de sauver la peau de Blaise qui soit dit en passant a été exfiltré in extrémis par un hélicoptère français alors qu’il tentait de rejoindre son fiel militaire où là encore il était attendu par les fameux révolutionnaires décidément bien organisés.
Ensuite à chaque fois que des éléments sortis de nulle part ont voulu voler la révolution au nez de Diendéré, c’est son RSP qui est venu leur briser les jambes au vrai sens du mot, c’est Jeune-Afrique qui raconte :
« Le RSP craint d’être le dindon de la farce. Les officiers lui expliquent qu’il ne s’agit pas d’un coup d’État, que l’essentiel est de rester uni, armée et RSP… Mais le RSP s’inquiète. Dans l’après-midi, une autre figure a émergé : le général à la retraite Kouamé Lougué. Cet ancien chef d’état-major est populaire dans les rangs, pas chez les officiers, qui le voient comme un “soudard et un putschiste irascible et trop porté sur la bouteille”. Il est aussi connu pour être l’ennemi de Diendéré – au début des années 2000, il avait tenté de mettre au pas le RSP – et l’ami de certains opposants.
Alors que rares sont les Burkinabè à pouvoir l’identifier, son nom est soudainement scandé par les manifestants sur la place de la Nation. Il les retrouve chez le Mogho Naba, le roi des Mossis, en début d’après-midi. Puis il se rend à l’état-major pour revendiquer sa prise de pouvoir. “Non, lui rétorque-t-on avec un certain dédain. Ce n’est pas à toi de gérer ça.” L’épisode Lougué sera un feu de paille, même s’il revendiquera une nouvelle fois la prise du pouvoir, le 2 novembre. Depuis, il a disparu.
“Le RSP lui a fait comprendre qu’il devait se taire, qu’on ne jouait plus”, précise un officier. La rumeur selon laquelle on lui aurait tiré dessus est fausse. Ce qui est sûr, c’est qu’il a les deux jambes dans le plâtre. Comme s’il était tombé d’un mur… »
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De même après la chute de Blaise : « Alors que la place explose de joie, la confusion s’empare de l’armée. Qui va diriger le pays ? Les conciliabules s’éternisent. À 17 h 30, Traoré indique que c’est lui. “Il ne recherche pas le pouvoir, il estime que c’est son devoir en tant que chef d’état-major. Mais c’est une erreur, car cela pousse le RSP à réagir”, explique un proche. Vite, Zida appelle Bassolé : “J’ai besoin de ton soutien, grand frère. Honoré était trop proche du président.” Dans la nuit du vendredi au samedi, Zida se déclare chef de la transition… Et la rumeur court que Traoré a été arrêté. À lui aussi, le RSP a fait comprendre qu’il n’était plus question de rire. Depuis, il se terre et fait donner de ses nouvelles par sa femme. »
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Le RSP avec Diendéré est partout à la manœuvre habillement comme Aziz de 2005 à 2008 sans verser le sang c’est ce qui est rassurant chez chacun et va leur permettre ensuite d’être acceptés par tout le monde au niveau national et international. C’est juste une question de temps et de rhétorique.
Les émeutes incroyables qui ont fait fuir Blaise, comment auraient-elles pu être organisées sans que Diendéré chef des renseignements ne soit au courant ? Ce ne fut rien de spontané, l’opposition a payé et organisé 5500 jeunes avec des cibles précises la veille. Qui peut croire que cela peut être possible sous un régime autoritaire déjà en alerte depuis quelque temps à cause de plusieurs mutineries ?
Ecoutons Jeune-Afrique qui raconte : « Le président ne prend même pas la peine de recevoir les ambassadeurs de France, des États-Unis et de l’Union européenne, qui se sont déplacés jusqu’à Kosyam. Ils l’irritent, à répéter depuis des mois – souvent sans prendre de gants – qu’il doit partir. Alors, à 15 h 30, c’est son directeur de cabinet, Sanné Mohamed Topan, qui les reçoit…
Pendant ce temps, l’insurrection s’organise. Le Balai citoyen parcourt les quartiers et, le soir, tente d’occuper la place de la Nation. Les partis se réunissent au siège du Chef de file de l’opposition politique (CFOP, coalition de plusieurs formations). Voilà pour l’affichage. Mais le sort du régime se joue ailleurs. Quelque part dans Ouaga, en un lieu tenu secret, on se réunit pour finaliser le plan de mise à bas du pouvoir. Il y a là des opposants bien connus pour ne pas être des enfants de choeur, et des acteurs de la société civile. Avec l’argent donné par des commerçants et des hommes d’affaires, ils ont recruté des centaines de jeunes (5 500, selon une source) pour faire le coup de poing, mais aussi des anciens militaires radiés en 2011. Certains sont payés 25 000 F CFA (38 euros), d’autres encore plus. Ils ont également acheté des lance-pierres, des bâtons…
Dans l’anonymat de la nuit, partout dans la ville et même ailleurs (à Bobo, à Koudougou…), on fabrique des cocktails Molotov, on distribue des cartes indiquant les bâtiments à attaquer (des maisons de barons du régime pour la plupart), on définit la mission de chacun, secteur par secteur. Les leaders de l’opposition sont au courant. Le mercredi soir, l’un d’eux demande à un meneur d’oublier certaines “cibles”. »
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A la chute de Blaise, le RSP s’est finalement mis du côté de l’armée dite régulière pour éviter le bain de sang. Cette fois l’armée régulière fait de même par un échange de bons procédés surtout que le général Diendéré abat ses dernières cartes en étant décidé à aller jusqu’au bout certain que c’est désormais jouable…
Comment personne ne l’a vu venir ?
http://chezvlane.blogspot.com/2015/09/burkina-seul-ce-general-dans-un-article.html