Nucléaire iranien : Washington et Téhéran se rapprochent mais ne se réconcilient pas
Bien que l’accord-cadre sur l’avenir du programme nucléaire iranien trouvé jeudi à Lausanne marque une étape dans le dégel des relations entre Washington et Téhéran, il reste peu probable que les deux pays commencent à coopérer ouvertement.
C’est le grand dessein de Barack Obama : réconcilier les États-Unis et l’Iran pour espérer apaiser les conflits au Moyen-Orient. Mais les deux pays sont loin de normaliser leurs relations et se borneront à poursuivre leur discrète coopération sur les crises régionales.
“Dans la tête de Barack Obama, il y a le fantasme du grand ‘bargain’ [grand compromis], d’une alliance avec l’Iran, de la reconstruction d’une architecture régionale et d’un changement de paradigme” au Moyen-Orient, analyse pour l’AFP Joseph Bahout, chercheur français de la fondation Carnegie.
Téhéran et Washington, qui il y a quelques années encore s’accusaient respectivement d’être “le Grand Satan” et de former “l’Axe du Mal”, sont de facto en plein rapprochement à la faveur de leurs négociations sur le nucléaire iranien.
Des tractations amorcées dans le plus grand secret en 2011 et 2012, avant que leurs chefs de la diplomatie, John Kerry et Mohammad Javad Zarif, discutent ouvertement et quasiment de manière ininterrompue depuis septembre 2013, jusqu’à l’accord de Lausanne, jeudi 2 avril 2015. Ce dialogue sans précédent a non seulement fait naître une étroite collaboration entre deux régimes en principe ennemis, mais aussi une proximité personnelle entre les deux hommes.
Pour amorcer le dégel, le président américain avait eu en septembre 2013 un entretien téléphonique historique avec son homologue iranien, Hassan Rohani. Il avait ensuite écrit en octobre dernier au Guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, qui a le dernier mot sur les dossiers stratégiques de son pays.
En saluant, jeudi, une “entente historique”, Barack Obama a de nouveau tendu la main au peuple iranien : “Je veux réaffirmer ce que j’ai dit depuis le début de ma présidence. Nous voulons nous engager avec vous sur la base du respect et des intérêts mutuels”. À la fin mars, à l’occasion du Nouvel an iranien, le chef de l’État américain avait souligné dans une vidéo sous-titrée en farsi que “pendant des décennies, nos pays ont été séparés par la méfiance et la peur. Nous avons une occasion d’avancer qui bénéficiera à nos pays, et au monde, pendant de nombreuses années”.
Hostilité et rancœur
L’hostilité et la rancoeur demeurent toutefois très fortes entre les deux capitales. Washington et Téhéran ont rompu leurs relations diplomatiques en avril 1980, dans la foulée de la Révolution islamique et de la prise d’otages de l’ambassade américaine qui dura 444 jours, de novembre 1979 à janvier 1981. Un traumatisme pour l’Amérique.
L’histoire des relations américano-iraniennes est aussi hantée par le coup d’État, orchestrée par la CIA, qui renversa le Premier ministre Mohammad Mossadegh le 18 août 1953 et qui permit le retour sur le trône du chah Mohammad Reza Pahlavi. Le souverain devint l’allié de Washington avant d’être balayé par la Révolution de 1979.
L’Iran figure aussi depuis 1984, aux côtés de Cuba, du Soudan et de la Syrie, sur la liste noire américaine des “États soutiens du terrorisme”, en raison de l’appui de Téhéran au Hezbollah chiite libanais et à des groupes palestiniens de Gaza. La méfiance reste si profonde que l’ayatollah Khamenei avait encore dénoncé il y a trois semaines la “fourberie” des Américains, en riposte à des élus du Congrès vent debout contre un accord avec l’Iran.
“L’establishment en Iran ne veut pas de liens normaux avec les États-Unis. Le président Rohani et son gouvernement veulent peut-être des relations diplomatiques, mais le Guide suprême et ses partisans y voient quelque chose de contraire à leurs intérêts”, explique à l’AFP Alireza Nader du centre d’études Rand Corporation. Mais cela n’empêche pas “d’explorer des zones de coopération discrète”, note toutefois l’expert.
Depuis des mois en effet, Américains et Iraniens ont élargi leurs pourparlers sur le nucléaire à la lutte contre le groupe État islamique (EI) en Irak et en Syrie. John Kerry avait même reconnu en février que Washington et la puissance chiite avaient un “intérêt commun” à combattre l’organisation ultra-radicale sunnite. Et même si les États-Unis nient toute “coordination militaire” avec l’Iran contre l’EI, ils ont été, de facto, alliés dans la bataille de Tikrit, dans le nord de l’Irak.
En Afghanistan aussi, l’Iran et les États-Unis ont des raisons de collaborer, soudés par leur volonté d’empêcher le retour au pouvoir des Taliban. À la chute du régime islamiste de Kaboul fin 2001, Américains et Iraniens avaient coopéré pour mettre sur pied le régime de l’ancien président Hamid Karzaï. Le négociateur iranien de l’époque pour l’Afghanistan n’est autre que Mohammad Javad Zarif, l’un des artisans de l’accord du 2 avril sur le nucléaire.
Avec AFP
france24.fr