Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Dr Mariella Villasante Cervello : Chronique politique de Mauritanie décembre 2014 (9)

Réélection du président Mohamed Ould Abdel Aziz, avancée de l’islamisme radical et mouvements sociaux contre l’esclavage interne et pour les droits civiques des minorités noires

Congrès extraordinaire des FLAM: Résolution de politique générale— Les FLAM se transforment et se divisent
Les dirigeants des FLAM, notamment son président Samba Thiam, est revenu àNouakchott en septembre 2013 après 23 années d’exil volontaire en France. Les principaux dirigeants, dont Thiam, Ibrahima Mifo Sow et Mamadou Wane, ont rencontré le président Aziz en avril puis en novembre 2013, et ont tenu des discussions apparemment cordiales sur les problèmes du pays [Moussa N’Diaye, CRIDEM du 19 juillet 2014]. Cependant, en juin 2014, Samba Thiam a fait des déclarations qui critiquent de front ce qu’il appelle « le système », c’est-à-dire l’ordre étatique qui
discrimine les Noirs. Dans cet entretien au journal Le rénovateur [CRIDEM du 5 juin42], centré sur les élections présidentielles de 2014, Samba Thiam déclare : « Pour nous ces élections sont sans enjeu parce que nous pensons que notre problématique est ailleurs ; et que cette problématique ne peut être résolue par des élections ; c’est notre conviction. Nous le constatons, depuis 50 ans des élections passent et repassent, sans que cela ne change quoi
que ce soit dans notre condition d’exclus ! Mieux, nous croyons fermement que ce ballet d’élections contribuent à cacher, voire à banaliser notre exclusion. Alors, si l’on devrait se résoudre à aller aux élections, par la force des choses, autant au moins le faire avec grâce et style ! Rappelons que notre problématique tourne autour d’un Système que nous voulons détruire et que d’autres (ils sont légion et de tous les bords) s’évertuent à préserver. Un Système qui tire sa source de l’idéologie Afrikaner : “Annihiler la force numérique et la force de travail que représentent les
Noirs afin de les transformer en instruments, sans qu’aucune possibilité ne leur soit laissée de sortir de cette situation”. Nous oeuvrons pour des changements en profondeur, visant à refonder la Mauritanie sur des bases égalitaires, justes, démocratiques, afin de garantir son unité, préserver sa stabilité et assurer son avenir. » [C’est moi qui souligne]. De fait, si le président des FLAM défend avec raison les principes républicains pour la Mauritanie, sa comparaison avec l’ancien système d’apartheid de l’Afrique du Sud, maintes fois repris dans le passé, est déplacée. En outre, il semble paradoxal qu’une formation politique refuse de participer aux élections, qui restent la seule instance de gouvernance démocratique. Mais cette position changera plus tard avec la fondation d’un parti politique par une aile des FLAM. Cela étant, les FLAM ont déployé une campagne de prise des contacts avec les dirigeants nationaux et les fonctionnaires des ambassades. Ainsi, le 16 juillet Samba Thiam a reçu en audience le conseiller politique de l’ambassade des Etats-Unis à Nouakchott, James Ermarth, accompagné du chargé des programmes. On a rapporté que les deux parties ont eu des échanges intéressants sur la situation du pays [CRIDEM du 18 juillet].
Le retour des FLAM a soulevé la question de leurs relations avec les deux mouvements existants dans le pays, l’IRA et TPMN, qui ont été très actifs ces dernières années. Ainsi, lors d’un entretien effectué le 2 août, Samba Thiam a considéré que, contrairement à ces mouvements de défense des droits humains, les FLAM sont une force politique, voici un extrait43 :
« Je trouve d’abord cette comparaison inappropriée, même surprenante ! IRA et TPMN sont des organisations des droits de l’homme, tout court, alors que les FLAM constituent une formation politique. En second lieu, leur champ d’action, plus restrictif, est différent du nôtre, même s’il pouvait y avoir un recoupement, par endroits. IRA et TPMN viennent de naître alors que les FLAM sont une force politique vieille de 30 ans, forgée dans la douleur de la répression et de l’exil, traînant un passé lourd, un parcours singulier. Enfin nous venons juste d’arriver… Nous avons donc besoin d’un peu temps pour reprendre complètement notre place ici, mais nous y travaillons,
avec patience et acharnement, rassurez-vous. »
Communiqué de presse: Une délégation américaine au siège des flamJames Ermarth visite Samba Thiam
[CRIDEM du 18 juillet]
Certes, on peut dire que l’IRA et TPMN ont des revendications centrées sur la défense des droits humains ;cependant, contrairement à ce qu’affirme Thiam, ces revendications ont des objectifs politiques dans la mesure où elles expriment la volonté de justicesociale des groupes concernés. Du reste, l’IRA a fait le choix de sa conversion en parti politique, le RAG, même s’il n’a pas été accepté par les autorités mauritaniennes. Et onaurait tort de minimiser la force politique que représentent tant l’IRA que TPMN seulement parce qu’ils sont nés il y a quelques années ; ils étaient et restent des forces politiques importantes avec lesquelles il faudra compter. La volonté affichée par les FLAM d’assumer la défense des revendications des Noirs mauritaniens a trouvé une limite sérieuse après le mois d’août. En effet, le 29 août, les FLAM ont tenu leur 8e Congrès à Nouakchott, placé sous le sceau de la « mutation ». En effet, après l’annonce de l’abandon de la lutte armée et leur entrée en politique, les dirigeants ont annoncé la transformation des FLAM en parti politique et un programme politique nouveau pour l’Autonomie du Sud de la Mauritanie [CRIDEM du 27 août44]. Dans son allocution, Samba Thiam a proposé, entre autres, l’adoption de l’appellation « Afro-mauritanien » qui remplacerait « Négro-mauritanien » lancée en 1989, et un projet d’Autonomie, voici deux extraits45 :
« Les Négro-africains ont mal, très mal à leur pays. Pour emprunter la formule d’El Said, je dirais que notre présent nous interpelle sur les questions existentielles de notre avenir, dans ce pays, nous « Afro-mauritaniens », pour user d’une terminologie dans l’air du temps ! (…) En guise de solution, pour ce qui nous concerne, nous optons pour l’Autonomie, projet qui sera, sous peu, porté à l’attention du public et de la classe politique. Cette Autonomie, objet de tant de conjectures, agitée comme un épouvantail par nos adversaires, je puis vous assurer et vous rassurer, ne sous-tend aucune arrière-pensée trouble, alors aucune ! Cette Autonomie demeure un projet de réorganisation territoriale et administrative, plus adaptée à notre réalité socio-culturelle, ethnique et tribale, sans plus ! Elle se fonde sur des critères objectifs, naturels, plus à même de réduire les tensions ethniques récurrentes et favoriser la cohésion sociale. La Mauritanie comporte une réalité tribale, ethnique et régionale têtue. Nous ne pouvons en faire table rase sans tomber dans d’autres travers ! Il faut la reconnaître, essayer de la moduler, de l’atténuer avec discernement, avec patience, afin de forger doucement, progressivement, une autre mentalité
sociale ! » [CRIDEM du 30 août]. Comme on pouvait s’y attendre, le projet d’Autonomie a été durement critiqué par les tenants du pouvoir. Le président de l’UPR, Sidi Mohamed ould Maham, a déclaré qu’il « ne rencontre aucun intérêt au sein des composantes du peuple mauritanien » ; les populations de la vallée rejettent, d’après lui, ce discours séparatiste [Saharamedias, Noorinfo du 21 septembre]. Ould Maham a promis enfin de « combattre les
extrémismes et les promoteurs de divisions », et a appelé les autorités à « frapper d’une main de fer sur tout groupe ou individu à tendance raciste ou séparatiste. ». Cependant, certains analystes, comme Ahmed Jiddou Aly, ont considéré que la proposition de décentralisation et d’autonomie est une proposition de bon sens46. Rappelant qu’il existe un Livre blanc de la décentralisation publié en décembre 2009, réalisé à la demande de l’ancien ministère de la Décentralisation et de l’aménagement du territoire, soutenu par le ministère de l’Intérieur, et financé par la coopération espagnole47. Cependant, Jiddou Aly remarque que le découpage envisagé par les FLAM n’est pas réaliste car on suggère la création de quatre régions dans un pays de plus d’un million de km2. Ce qui est
certain, comme il l’avance, c’est qu’il faut réinventer le découpage régional actuel et modifier la gestion des collectivités territoriales.

L'ambassadeur de France en Mauritanie au siège des FPC à Nouakchott à NouakchottL’ambassadeur de France, Joël Meyer, avec Samba Thiam [Noorinfo]
Au mois de septembre, la création d’un parti politique proposé au congrès d’août fut réaffirmée ; les FLAM devinrent ainsi les Forces progressistes pour le changement (FPC) [Le Calame du 1er septembre]. Mais cette tentative s’est soldée par la division du mouvement car les flamistes historiques ont refusé la reconversion en parti légal. Cette faction considère en effet que faire des FLAM un parti revient à légitimer le régime, alors que les FLAM doivent rester un « mouvement de libération nationale ». Cette position est défendue par des groupes mauritaniens et par la diaspora mauritanienne, notamment en France, qui dénonce la tenue d’un congrès « illégitime » et revendiquent la poursuite d’un militantisme radical déconnecté du jeu démocratique48. Il n’est pas encore clair de savoir comment se poursuivra cette division factionnelle qui ne présage rien de bon pour le programme de l’aile légaliste dirigée par Samba Thiam. Celle-ci est cependant appuyée par des personnalités politiques nationales, comme Jemil ould Mansour et Ahmed ould Mouloud, mais aussi étrangères, comme l’a montré la visite que le nouvel ambassadeur de France, Joël Meyer [qui a pris son poste en octobre], a rendue le 13 novembre 2014, à Nouakchott, au Président des Forces Progressistes du Changement, Samba Thiam. [CRIDEM du 16 novembre].

A suivre …/

Dr Mariella Villasante Cervello Institut de démocratie et droits humains (idehpucp, Lima, Pérou)  [mariellavillasantecervello@gmail.com]

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