Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Dr Mariella Villasante Cervello : Chronique politique de Mauritanie décembre 2014 (1)

altRéélection du président Mohamed Ould Abdel Aziz, avancée de l’islamisme radical et mouvements sociaux contre l’esclavage interne et pour les droits civiques des minorités noires

Introduction

La République islamique de Mauritanie connaît depuis deux ans un regain de tensions sociales et politiques organisées autour de la défense des droits à l’égalité sociale, tant de la part des groupes serviles de la société bidân [arabophone] que des minorités ethniques du pays [Halpular’en, Soninké, Wolof]. Cependant, au cours de l’année 2014, la mouvance islamiste a fait des avancées notoires, et les mouvements sociaux ont gagné en intensité suivant deux causes centrales : la persistance, voire l’augmentation, de la pauvreté des majorités mauritaniennes, toutes origines confondues ; et, d’autre part, le renforcement de la politique répressive déployée par le régime du président Mohamed ould Abdel Aziz. On aurait pu croire que la réélection du président en juin dernier aurait impliqué un changement de cap et des améliorations concrètes du niveau de vie des Mauritaniens, et pourtant rien n’a changé, pire encore, l’enfermement dans des vieilles politiques du tout répressif, connues pendant le régime de Maaouya ould Sid’Ahmed Taya [1984-2005], sont revenues de plus belle. Cela étant, les temps ont changé, une société civile plus consciente de ses droits continue à grandir dans le pays, et les secteurs les plus touchées par les inégalités post-modernes, par les vieilles hiérarchies statutaires d’une société d’ancien régime ultra conservatrice, et par la pauvreté extrême, s’opposent avec force à la très mauvaise gouvernance du régime en place.

Et pourtant, avec près de 3,5 millions d’habitants, dont près de 2 millions habitent à Nouakchott, et avec ses riches ressources naturelles (minerais, pêche) les Mauritaniens pourraient avoir un niveau de vie correct, les enfants et les jeunes pourraient avoir une éducation adaptée aux besoins du pays, et les services de l’État, notamment la santé et l’infrastructure urbaine et rurale, pourraient être bien installés dans le quart habité et utile du pays. Or rien de cela n’existe. Le Rapport sur le développement humain du pnud de 2014, [inégalités, santé, compétences sociales, insécurité personnelle, intégration internationale perceptions du bien être], considère que la Mauritanie n’a pas présentée d’évolution notable entre 1980 et 2013, et occupe la 161ème place mondiale (indice 0,487), proche de la situation de deux pays en guerre, l’Afghanistan et le Yémen[1] [Le Calame, NoorInfo du 10 octobre 2014]. Cette triste situation, empirée par les affaires de corruption, est aisément visible à Nouakchott qui continue à être une capitale abandonnée à son sort, et qui s’enfonce chaque jour davantage dans la misère, le chaos de la circulation, et, récemment, dans les eaux des pluies qui ont submergé une bonne partie de la ville. Comme si cela n’était pas suffisant, le ramassage des ordures ménagères s’est détérioré ces derniers mois et la ville connaît une autre période de danger sanitaire, ainsi certains parlent de la possibilité de disparition de la ville[2].

La mauvaise gouvernance du régime en place a une grosse part de responsabilité dans cet état de choses. Cela d’autant plus que le président se présente comme le porte-drapeau de la lutte anti-terroriste dans l’ouest saharo-sahélien, et qu’il est lourdement soutenu par les pays occidentaux, dont l’Union européenne, la France et les États-Unis. Mais il y a plus. Étant donné que les pays occidentaux sont en train d’apporter des sommes considérables  au nom de la lutte anti-terroriste, sans exiger en échange une bonne gouvernance, Ould Abdel Aziz se croit tout permis, et ne fait rien ou si peu pour améliorer la situation désastreuse de la majorité de la population.

Or, le calcul politique des uns et des autres peut s’avérer très mauvais à moyen terme ; les mouvements sociaux menacent aujourd’hui sérieusement la stabilité interne de la Mauritanie, et dans le monde globalisé qui est le nôtre, rien ne pourra les empêcher de continuer à se déployer jusqu’à ce qu’ils obtiennent leurs droits à l’égalité sociale et à la démocratie réelle. De manière parallèle, le mouvement islamiste, légal et souterrain, avance à grands pas, alimenté par la misère et par l’ignorance d’une population abandonnée à son sort. Face à cette situation, le président joue sur les deux tableaux à la fois, comme ailleurs dans les pays arabes de la région ; d’une part, il se présente comme le véritable chef et défenseur de l’islam mauritanien, ce qui dérange les islamistes, et, d’autre part, il les attaque pour leur enlever toute légitimité. La mise au ban des Frères musulmans en Arabie saoudite, en mars, a soutenu cette dernière position. Des émeutes se sont déployées entre janvier et mars autour des questions « religieuses », ce qui est un fait nouveau dans le pays.

D’un point de vue politique, la responsabilité dans la situation nationale est aussi partagée par les groupes politiques de l’opposition qui, encore une fois, ont renoncé à leur participation dans les élections présidentielles de juin 2014. Ce faisant, ils n’ont pas seulement enlevée toute légitimité aux élections présidentielles de juin, mais ils ont abandonné la scène politique nationale aux groupes traditionnellement partisans du pouvoir en place, d’où qu’il vienne, c’est-à-dire les élites enrichies grâce aux privilèges de naissance et des prébendes de l’État, les chefferies traditionnelles, les fonctionnaires et les militaires. Cet abandon a été mis à profit par le mouvement islamiste Tawassoul, bien représenté au Parlement, et, parallèlement, par les mouvements sociaux de défense des droits des groupes serviles, en particulier l’Ira, dirigé par Biram ould Abeid, et des droits des minorités noires, notamment les flam, divisées depuis quelques mois. Leurs marches pacifiques sont brutalement réprimées, et plusieurs dirigeants de l’ira ont été emprisonnés illégalement depuis le 11 novembre.

Face à cette situation critique le gouvernement exprime un déni de réalité patent. En effet, non seulement les militants des mouvements sociaux sont accusés de perturber la « paix sociale », mais les imams sont priés de s’aligner avec les vues du gouvernement sur la question de l’esclavage interne, ce qui revient à le nier purement et simplement. Et alors que les droits humains sont ignorés et bafoués au pays, la Commissaire aux droits de l’homme, Aichetou Mint M’Haiham, a déclaré à Genève, lors de la 27ème session du Conseil des droits humains, que le pays a « accompli des énormes progrès en termes de droits de l’homme[3] ».

Dans cette chronique, je vais aborder les thèmes suivants : La politique générale, dont la réélection présidentielle de juin, le mouvement islamiste, la commémoration ambiguë du jour de l’indépendance et les revendications des Noirs, et le nouveau gouvernement nommé en août. Les mouvements sociaux et les droits humains, dont une mise au point sur la question de l’esclavage interne à partir de l’anthropologie sociale. Les relations internationales, dont la crise au Sahara occidental, ainsi que les rencontres du président Ould Abdel Aziz avec le président Barack Obama et John Kerry aux Etats-Unis. Et enfin La « lutte anti-terroriste » dans la région, le soutien de la France et des Etats-Unis.

A suivre …/

Dr Mariella Villasante Cervello Institut de démocratie et droits humains (idehpucp, Lima, Pérou)  [mariellavillasantecervello@gmail.com]

 

http://adrar-info.net/

Vendredi, 26 Décembre 2014 08:12

altadrar-info– Réélection du président Mohamed Ould Abdel Aziz, avancée de l’islamisme radical et mouvements sociaux contre l’esclavage interne et pour les droits civiques des minorités noires

Introduction : La République islamique de Mauritanie connaît depuis deux ans un regain de tensions sociales et politiques organisées autour de la défense des droits à l’égalité sociale, tant de la part des groupes serviles de la société bidân [arabophone] que des minorités ethniques du pays [Halpular’en, Soninké, Wolof]. Cependant, au cours de l’année 2014, la mouvance islamiste a fait des avancées notoires, et les mouvements sociaux ont gagné en intensité suivant deux causes centrales : la persistance, voire l’augmentation, de la pauvreté des majorités mauritaniennes, toutes origines confondues ; et, d’autre part, le renforcement de la politique répressive déployée par le régime du président Mohamed ould Abdel Aziz.

 On aurait pu croire que la réélection du président en juin dernier aurait impliqué un changement de cap et des améliorations concrètes du niveau de vie des Mauritaniens, et pourtant rien n’a changé, pire encore, l’enfermement dans des vieilles politiques du tout répressif, connues pendant le régime de Maaouya ould Sid’Ahmed Taya [1984-2005], sont revenues de plus belle. Cela étant, les temps ont changé, une société civile plus consciente de ses droits continue à grandir dans le pays, et les secteurs les plus touchées par les inégalités post-modernes, par les vieilles hiérarchies statutaires d’une société d’ancien régime ultra conservatrice, et par la pauvreté extrême, s’opposent avec force à la très mauvaise gouvernance du régime en place.

Et pourtant, avec près de 3,5 millions d’habitants, dont près de 2 millions habitent à Nouakchott, et avec ses riches ressources naturelles (minerais, pêche) les Mauritaniens pourraient avoir un niveau de vie correct, les enfants et les jeunes pourraient avoir une éducation adaptée aux besoins du pays, et les services de l’État, notamment la santé et l’infrastructure urbaine et rurale, pourraient être bien installés dans le quart habité et utile du pays. Or rien de cela n’existe. Le Rapport sur le développement humain du pnud de 2014, [inégalités, santé, compétences sociales, insécurité personnelle, intégration internationale perceptions du bien être], considère que la Mauritanie n’a pas présentée d’évolution notable entre 1980 et 2013, et occupe la 161ème place mondiale (indice 0,487), proche de la situation de deux pays en guerre, l’Afghanistan et le Yémen[1] [Le Calame, NoorInfo du 10 octobre 2014]. Cette triste situation, empirée par les affaires de corruption, est aisément visible à Nouakchott qui continue à être une capitale abandonnée à son sort, et qui s’enfonce chaque jour davantage dans la misère, le chaos de la circulation, et, récemment, dans les eaux des pluies qui ont submergé une bonne partie de la ville. Comme si cela n’était pas suffisant, le ramassage des ordures ménagères s’est détérioré ces derniers mois et la ville connaît une autre période de danger sanitaire, ainsi certains parlent de la possibilité de disparition de la ville[2].

La mauvaise gouvernance du régime en place a une grosse part de responsabilité dans cet état de choses. Cela d’autant plus que le président se présente comme le porte-drapeau de la lutte anti-terroriste dans l’ouest saharo-sahélien, et qu’il est lourdement soutenu par les pays occidentaux, dont l’Union européenne, la France et les États-Unis. Mais il y a plus. Étant donné que les pays occidentaux sont en train d’apporter des sommes considérables  au nom de la lutte anti-terroriste, sans exiger en échange une bonne gouvernance, Ould Abdel Aziz se croit tout permis, et ne fait rien ou si peu pour améliorer la situation désastreuse de la majorité de la population.

Or, le calcul politique des uns et des autres peut s’avérer très mauvais à moyen terme ; les mouvements sociaux menacent aujourd’hui sérieusement la stabilité interne de la Mauritanie, et dans le monde globalisé qui est le nôtre, rien ne pourra les empêcher de continuer à se déployer jusqu’à ce qu’ils obtiennent leurs droits à l’égalité sociale et à la démocratie réelle. De manière parallèle, le mouvement islamiste, légal et souterrain, avance à grands pas, alimenté par la misère et par l’ignorance d’une population abandonnée à son sort. Face à cette situation, le président joue sur les deux tableaux à la fois, comme ailleurs dans les pays arabes de la région ; d’une part, il se présente comme le véritable chef et défenseur de l’islam mauritanien, ce qui dérange les islamistes, et, d’autre part, il les attaque pour leur enlever toute légitimité. La mise au ban des Frères musulmans en Arabie saoudite, en mars, a soutenu cette dernière position. Des émeutes se sont déployées entre janvier et mars autour des questions « religieuses », ce qui est un fait nouveau dans le pays.

D’un point de vue politique, la responsabilité dans la situation nationale est aussi partagée par les groupes politiques de l’opposition qui, encore une fois, ont renoncé à leur participation dans les élections présidentielles de juin 2014. Ce faisant, ils n’ont pas seulement enlevée toute légitimité aux élections présidentielles de juin, mais ils ont abandonné la scène politique nationale aux groupes traditionnellement partisans du pouvoir en place, d’où qu’il vienne, c’est-à-dire les élites enrichies grâce aux privilèges de naissance et des prébendes de l’État, les chefferies traditionnelles, les fonctionnaires et les militaires. Cet abandon a été mis à profit par le mouvement islamiste Tawassoul, bien représenté au Parlement, et, parallèlement, par les mouvements sociaux de défense des droits des groupes serviles, en particulier l’Ira, dirigé par Biram ould Abeid, et des droits des minorités noires, notamment les flam, divisées depuis quelques mois. Leurs marches pacifiques sont brutalement réprimées, et plusieurs dirigeants de l’ira ont été emprisonnés illégalement depuis le 11 novembre.

Face à cette situation critique le gouvernement exprime un déni de réalité patent. En effet, non seulement les militants des mouvements sociaux sont accusés de perturber la « paix sociale », mais les imams sont priés de s’aligner avec les vues du gouvernement sur la question de l’esclavage interne, ce qui revient à le nier purement et simplement. Et alors que les droits humains sont ignorés et bafoués au pays, la Commissaire aux droits de l’homme, Aichetou Mint M’Haiham, a déclaré à Genève, lors de la 27ème session du Conseil des droits humains, que le pays a « accompli des énormes progrès en termes de droits de l’homme[3] ».

Dans cette chronique, je vais aborder les thèmes suivants : La politique générale, dont la réélection présidentielle de juin, le mouvement islamiste, la commémoration ambiguë du jour de l’indépendance et les revendications des Noirs, et le nouveau gouvernement nommé en août. Les mouvements sociaux et les droits humains, dont une mise au point sur la question de l’esclavage interne à partir de l’anthropologie sociale. Les relations internationales, dont la crise au Sahara occidental, ainsi que les rencontres du président Ould Abdel Aziz avec le président Barack Obama et John Kerry aux Etats-Unis. Et enfin La « lutte anti-terroriste » dans la région, le soutien de la France et des Etats-Unis.

A suivre …/

Dr Mariella Villasante Cervello Institut de démocratie et droits humains (idehpucp, Lima, Pérou)  [mariellavillasantecervello@gmail.com]

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