Pierre Buyoya : «les crises sécuritaires au Sahel appellent une réponse globale»
En marge de l’investiture du président mauritanien, Mohamed Abdel Aziz, Financial Afrik s’est entretenu avec son excellence Pierre Buyoya, ancien président du Burundi et actuel haut représentant de l’Union Africaine pour le Mali et le Sahel. Artisan de la démocratie dans son pays et initiateur des rapprochements entre Hutu et Tutsi, Pierre Buyoya revient sur les défis sécuritaires au Sahel et donne son avis contextuel sur le processus de réconciliation nationale en Mauritanie. Exclusif.
Comment l’Union Africaine procède-t-elle face aux défis sécuritaires du Sahel ?
Bien sûr, les défis sécuritaires dans cet espace sahélo-saharien sont énormes. De nombreux pays de la sous-région ont été déstabilisés ou le sont en ce moment par le terrorisme. Il s’agit essentiellement du Mali, de la Libye et du Nigeria. D’autres pays vivent des crises de basse intensité. L’Union africaine considère cette région comme une zone en crise. C’est pour cela qu’elle a mis en place un dispositif baptisée Mi-Sahel basée au Mali et chargé de faire face au contexte sous-région al. En outre, l’Union Africaine a une représentation en Libye qui collabore avec les pays de la région et les voisins de la Libye pour essayer de faciliter la réconciliation entre les différentes factions et groupes de ce pays.
Concrètement, comment s’articule votre stratégie sécuritaire ?
Au niveau du Sahel, notre mission a mis sur pied une stratégie basée sur trois piliers : la sécurité, la gouvernance et le développement. On sait que les crises dans la région ont pour principales causes le sous-développement et la mal –gouvernance. D’où la stratégie multidimensionnelle pour freiner ce problème. Concernant la sécurité, notre approche est régionale vu qu’aucun pays ne peut faire face à la menace terroriste. Nous préconisons la coopération régionale adoptée à travers le processus de Nouakchott lancée le 17 mars 2013 ici même en Mauritanie. Nous essayons de mettre les différends de côtés et de coopérer au mieux. Nous avons commencé par la coopération en matière d’échanges d’informations et de renseignements militaires. Et là, chaque deux mois, nous réunissons les responsables de renseignements et de sécurité des onze pays concernés afin d’échanger sur les informations détenues dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Aujourd’hui, nous voulons mettre ensemble les responsables de la défense des pays du Sahel afin de voir comment pourront-ils travailler. Une telle coopération donnerait plus de résultats dans la lutte contre le terrorisme. Nous voyons l’amorce de cette stratégie autour des pays riverains du lac Tchad (Nigeria, Niger, Tchad et Cameroun) qui interviennent à travers un système de sécurité commune contre le terrorisme. Nous espérons mettre en place les mêmes mécanismes et les mêmes stratégies sécuritaires dans tous les pays du Sahel. Nous préconisons cette option de coopération régionale.
Quel regard porte l’UA sur la force française Barkhane et la présence de troupes de pays étrangers dans la région ?
Il y a beaucoup à dire. D’abord, il faut accepter que les défis sécuritaires au Sahel, et particulièrement le défi posé par le terrorisme, est un problème qui inquiète le monde entier. Le terrorisme est une menace globale. Ce n’est pas par hasard que les grandes puissances se retrouvent aujourd’hui au Mali pour lutter contre l’avancée du terrorisme. Les pays d’Afrique et particulièrement ceux du Sahel ont encore des insuffisances en matière de sécurité. C’est l’une des raisons de l’intervention française à travers l’opération Serval pour aider les populations. En tant qu’Union Africaine, nous pensons que les pays de la sous-région doivent œuvrer à construire et renforcer progressivement leurs capacités militaires. Dans un premier temps, la coopération avec le reste du monde est indispensable. Les pays concernés prendront leur sécurité par la suite. Nous y travaillons beaucoup à travers le processus de Nouakchott.
La Libye plonge dans le chaos, y-a-t-il une solution Africaine ?
S’agissant de la Libye, vous savez comment on en est arrivé là. L’Union Africaine avait une solution à l’époque qui n’a pas prévalue pour des raisons que vous connaissez très bien. Les puissances extra-africaines ont préféré l’usage de la force pour se débarrasser de Kadhafi. En ce qui nous concerne, nous avons toujours la même approche sur ce dossier. Nous préconisons la solution politique par la réconciliation entre les populations libyennes. Nous y arriverons sans doute surtout avec l’appui des pays voisins de la Libye. On essayera de parler aux autorités libyennes et aux différentes franges de la population. Evidemment ce n’est pas si facile car certaines factions ont privilégié la force. Mais nous continuerons à œuvrer pour cette réconciliation nécessaire à la stabilité de la Libye.
Vous venez d’assister à l’investiture du Président Mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz pour son second mandat, quel regard portez-vous sur son discours et sur la Mauritanie ?
D’abord vous savez que Mohamed Ould Abdel Aziz est l’actuel président en exercice de l’Union Africaine. Je suis venu en Mauritanie particulièrement à son investiture en ma qualité de représentant de la commission de l’UA au Mali et au Sahel exprimé la solidarité de l’UA à son Président. La Mauritanie joue aujourd’hui un rôle important au niveau du continent. Mohamed Ould Abdel Aziz porte l’étendard de l’UA. Au niveau régional, votre pays est un modèle dans son plan de lutte contre le terrorisme à l’échelle nationale. La Mauritanie pourra apporter à travers cette expérience un soutien aux autres pays de la sous région. Nous attendons notamment à ce que le Président Mohamed Ould Abdel Aziz joue un rôle important dans l’opérationnalisation du processus de Nouakchott. Notre mission compte revenir en Mauritanie dans les mois qui viennent afin de discuter profondément avec le président Aziz sur ces aspects de sécurité. J’ai aussi beaucoup apprécié la politique menée par Aziz sur la question de l’unité et de la réconciliation nationale. Vous savez ce qui est à l’origine des crises en Afrique c’est la défaillance dans la gestion de la diversité des peuples qui vivent naturellement ensemble. J’étais impressionné par le Président Mohamed Aziz sur cette question et je pense que si la Mauritanie parvient à dépasser cette donne importante avec Aziz, elle pourra être, comme elle l’a été par son système de sécurité, un bon modèle pour les pays Africains ayant une diversité culturelle élargie.
Propos recueillis par Dia El Haj Ibrahima
Après l’arrestation de Benjamin Dummai, l’ex directeur de Senhuile au Sénégal, M. Giovanni Tampieri, président du groupe actionnaire majoritaire dans le projet Senhuile, a accepté de répondre à nos questions, par écrit.
Propos recueillis par Christelle Marot, Paris
Financial Afrik : Dans quelles circonstances, Benjamin Dummai, ex directeur de Senhuile, a t-il été démis de ses fonctions, puis déféré devant la justice sénégalaise ? Quelles sont les charges qui pèsent contre lui ?
Giovanni Tampieri : Le conseil d’administration de Senhuile, en exerçant un droit prévu par le droit sénégalais, a décidé de révoquer le mandat du directeur général Benjamin Dummai. A la suite des irrégularités détectées par un audit interne, Senhuile a déposé une plainte auprès de l’autorité compétente. L’enquête, aujourd’hui, est couverte par le secret de l’instruction.
Financial Afrik : Comment interpréter aujourd’hui la nomination de M. Massimo Castellucci à la tête de Senhuile ? M. Castellucci est un « homme de la maison », chez Tampieri depuis 11 ans, et directeur financier de Senhuile depuis janvier 2014.
Giovanni Tampieri : Le groupe Tampieri a l’intention de suivre directement le projet qui est d’une grande importance, aussi bien pour l’entreprise que pour le Sénégal. M. Castellucci est un professionnel à haut profil.
Financial Afrik : Depuis plusieurs mois, les relations douteuses de M. Benjamin Dummai et sa probité sont questionnées par un certain nombre d’ONG. On reproche également un manque de transparence dans le montage financier du projet, en lien avec la société AB Int LCC, société écran basée à New York. AB Int LCC contrôlerait ABE Italia, elle même au capital de Senéthanol à hauteur de 75%. Senéthanol, votre partenaire dans Senhuile. Pouvez vous nous dire précisément qui sont vos partenaires ? Quelles sont leurs activités ? Avez vous eu connaissance d’activités douteuses les concernant ?
Giovanni Tampieri : Le capital de Senhuile est détenu à 51% par le groupe Tampieri et à 49% par Senéthanol Sa, dont le principal interlocuteur pour nous est Gora Seck. La structure est très simple et transparente. Le financement du projet Senhuile a été fait directement par l’actionnaire majoritaire, avec des fonds régulièrement transférés de l’Italie.
Financial Afrik : Quelles sont aujourd’hui vos relations avec M. Gora Seck, homme d’affaires sénégalais, et partie prenante au projet ?
Giovanni Tampieri : Gora Seck continue à être le président de Senhuile et il est le garant de la partie sociale et institutionnelle du projet.
Financial Afrik : Cette affaire « Dummai » remet-elle en cause la joint-venture constituée avec la société Senéthanol ?
Giovanni Tampieri : Non, pour ce qui nous concerne. A moins que le partenaire Senéthanol, à ce stade, déciderait de ne pas reconsidérer la situation.
Financial Afrik : Aujourd’hui, que comptez vous faire au Sénégal ? Y aura t-il réorientation des objectifs, redimensionnement du projet, retrait ?
Giovanni Tampieri : La réorganisation complète de la structure d’exploitation est en cours, pour la poursuite du projet. Nous rappelons que ce projet est basé sur l’agro-industrie et pas pour la production de bioéthanol.
Financial Afrik : Les populations locales divisées sur le projet vous reprochent, M. Tampieri, de n’être jamais venu à leur rencontre, sur le terrain. Ils souhaitent discuter avec vous directement, vous exposer leurs difficultés et obtenir des éclaircissements. De nombreux villageois affirment avoir été manipulés, non consultés, ils ont perdu leur moyen de subsistance. Après les derniers événements qui ont tout de même conduit à l’arrestation de Benjamin Dummai, irez vous à leur rencontre ?
Giovanni Tampieri : Moi-même et d’autres membres de notre famille, en plus de nos collaborateurs, sommes allés plusieurs fois au Sénégal. Certains sont résidents à l’année sur le site, où les interventions ont été faites afin de permettre d’améliorer l’accès à l’eau et à la terre. Tous les documents officiels montrent qu’il y a eu participation de la population depuis le début. La réorganisation que j’ai mentionnée vise aussi à améliorer la communication et les relations avec les villages.