FLAMNET-AGORA: Hommage aux exceptionnels leaders du village de Teccaan!
Ce 20 Mai 2014, s’est éclipsé notre oncle Mamadou Eli Diallo, un des derniers pionniers de Teccaan moderne. C’est l’occasion pour moi de dire toute ma reconnaissance à cette brave génération qui m’a donné la possibilité de m’exprimer aujourd’hui dans ces langues de Molière et de Shakespeare. En effet, ces leaders éclairés : Mamadou Eli Diallo, Amadou Abdoulaye Barry, Sambouldou Ba, Samba Kandé Sow, Samba Faama Diallo, Demba MBaalou Ba, Amadou Daado Diallo, Mamadou Djibi Diallo, Amadou Boubou Ba, Abou Hamadi Sow et Amadou Samba Mali Diallo, et tant d’autres encore ont été les initiateurs de la création de l’école moderne de notre village natal.
Ces visionnaires ont affronté et surmonté d’innombrables difficultés : Tout d’abord il fallait dépasser la vision dogmatique d’antan. La compréhension religieuse du Fuutanké de l’époque ne favorisait pas l’accès à l’éducation française. Car ‘’celui qui prend la main de son enfant pour l’acquisition de la connaissance occidentale, se verra conduire par ce même enfant vers les portes de l’enfer au jour du jugement dernier’’. Ensuite, le poids socio-économique par rapport à l’utilisation des jeunes pesait lourd sur la balance aux dépens de l’établissement d’une école occidentalisée. En effet, dans un village où cent pour cent des habitants sont des peulhs, et dont la majorité était riche en bétail, il n’était pas aisé ‘’d’arracher’’ aux familles leurs garçons qui leur assuraient la fonction de berger ou de gardien de troupeaux pour l’entretien et la conservation de leur richesse matérialisée par leurs vaches et leurs moutons. Enfin, il fallait considérer les grandes difficultés liées à la réalité politique de la Mauritanie. Ils faisaient face au gouvernement raciste qui était convaincu que le taux des noirs mauritaniens éduqués était déjà trop élevé par rapport à celui des arabo-berbères et qu’il fallait alors le ralentir. Les pouvoirs publics n’hésitaient pas d’évoquer le manque de moyens gouvernementaux. Ainsi, ils justifiaient leur opposition à l’établissement des écoles par des déficits budgétaires qui rendaient, d’une part, impossible la construction des écoles et l’achat de l’équipement nécessaire, et la pénurie des enseignants d’autre part. Bien que ces raisons régulièrement évoquées par le gouvernement s’emblaient être crédibles pour empêcher la création de toute nouvelle école dans les villages du sud du pays ; Cependant, les plus avertis connaissaient les vraies motivations inavouées de nos autorités nationales. Nos mousquetaires ne s’entendaient pas être découragés par ces faux prétextes.
Face à ces difficultés, nos leaders se sont montrés déterminés. Ils étaient conscients de leur environnement social et politique et ils avaient décidé de lutter jusqu’à la concrétisation de leur projet. Pour ce faire, ils utilisaient, alternativement, leur pouvoir de persuasion et leurs dons de fin- stratèges par la technique de l’imposition du fait accompli. Pour certains parents, ils pouvaient simplement les convaincre en défendant leur vision progressiste en évoquant les bien-faits de l’école moderne. Pour d’autres ils ont choisi la technique ‘’de la mise devant le fait accompli’’. Par exemple, pour mon cas, venant d’une famille maraboutique, j’étais ‘’prédestiné’’ à suivre des études traditionnelles de Coran. D’ailleurs mon père avait promis, dès ma naissance, á son ami Mamadou Bintou connu sous le nom de Thierno Mamadou Ousmane Kane (un marabout de Guidjilone) que je serais dans ses soins pour toute la période nécessaire pour la maîtrise du Coran et la Sharia islamique. Amadou Samba Mali Diallo était au courant de la situation et il savait que ce serait difficile de convaincre mon père de revenir sur sa décision par simple argumentation. Alors il fallait m’inscrire sur la liste des élèves et avertir mon père au moment opportun. Ce qui fut fait, le jour même de l’arrivée dans le village du premier enseignant ce jour de dimanche, de l’année 1969. Cette technique marcha aussi avec les autorités éducatives. Après avoir établi le premier édifice pour une classe complète et avec la fourniture scolaire nécessaire, nos leaders se présentèrent à Kaédi avec une liste d’une soixantaine de candidats dont figuraient plusieurs filles- chose qui était inimaginable pour nombre de mauritaniens à cette période-là. Face à cette volonté et cette détermination, le gouvernement n’avait plus de choix que d’affecter un enseignant à Teccaan.
Ces personnalités, ne s’étaient pas limitées seulement à s’occuper de l’obtention d’une école mais ils avaient continué dans leur mission d’encadrement des élèves jusqu’à la fin des études primaires. C’est dans ce cadre qu’un jour quand Sambouldé Ba remarquât que les élèves jouaient dans la cour de l’école au moment où ils devaient être en classe avec leur maître, il est venu voir ce qui n’allait pas. Une fois sur place il manifestât son désir de parler avec notre enseignant. Nous lui avions fait savoir qu’il était parti à Kaédi et cela depuis quelques jours. Il a sorti son petit carnet et son crayon. J’avoue que jusqu’ aujourd’hui je me demande qu’est ce qu’il a pu bien écrire et quelle langue il a pu utiliser ! Sachant qu’il ne savait ni lire ou écrire. Mais, le plus important c’est qu’il s’était rendu immédiatement à Kaédi pour se plaindre auprès des autorités régionales. En conséquence, le maitre absenteiste a été muté et nous avions eu un autre enseignant beaucoup plus assidu.
Par ailleurs, il faut noter que Sambouldé Ba n’était pas seulement qu’un leader local, mais il avait montré son courage et son engagement pour la cause des noirs mauritaniens une fois dans les camps des refugies au Sénégal. C’est pour cette raison qu’il avait reçu la reconnaissance de ses pairs refugies et qu’il avait eu l’honneur de présider la plus importante et prestigieuse association des refugies mauritaniens au Sénégal (AMRS) dans les années 90.
Alors, je me suis fais un devoir d’honorer ces grands-hommes parce qu’ils ont eu un impact positif dans ma vie et dans celle de tous les enfants de Teccaan qui ont eu à fréquenter notre école. Et qu’ils méritent toute notre reconnaissance. J’espère que la jeunesse de notre village trouvera des voies et moyens pour graver leur noms sur un ‘’WALL OF FAME’’ pour qu’ils restent à jamais dans notre histoire commune.
Mamadou Barry Dit Hammel.
USA.