Notre ami Janus par Boye Alassane Harouna- Rennes- France
Ce que Janus veut se réalise. Il veut vibrer au rythme de son temps. Il tient à se mettre au diapason. Il a donc troqué son olympe contre un site ─ Internet. Sur ce site, devenu son olympe, il y étale régulièrement des textes triés, souvent repris à partir d’autres sites. Textes naturellement suivis des inévitables commentaires des invariables commentateurs. Toujours les mêmes, bien emmitouflés, maquillés à l’aide de pseudonymes si bizarroïdes que leur psychanalyse nous révélerait sans doute d’innombrables curiosités… Notamment cette ubiquité dans laquelle se meut, avec une élasticité à faire frémir un saltimbanque, cet internaute aux multiples cagoules.
Ce Janus de l’ère Internet a fait de ce site un purgatoire, son lieu de prédilection pour glorifier ou pour crucifier ; pour faire l’apologie de certains ou vilipender d’autres. Il y cultive à satiété ses manies, comme d’autres leur dada : il traque son texte ; comme le prédateur, son gibier. Sauf que lui, son gibier il ne le rate jamais. Il n’est point besoin d’avoir été militaire, chasseur ou tireur d’élite pour savoir que la cible fixe est plus vulnérable, plus facile, plus accessible que la cible mobile, qui se déplace. Il lui suffit donc, à notre Janus-cybernaute, de sélectionner son texte, et, par un simple clic, de le capter et le transposer sur son site. Là, en ce purgatoire, son auteur n’en sort qu’encensé, embelli, couvert de toutes les vertus, élevé au rang de divinité ; ou bien il est brocardé, broyé, calciné, réduit en cendre nauséabonde, croit-on.
La mesure, la nuance, la voie médiane, Janus, paradoxalement, ne les connaît pas. S’il n’est qu’un, il a plusieurs visages — par définition —, auxquels correspondent ses multiples masques, laborieusement confectionnés, toujours prêts à être utilisés, soigneusement rangés dans différents tiroirs qu’il actionne au gré de ses humeurs, selon sa disponibilité, son angle d’attaque ou de caresse, et en fonction du calibre de sa cible.
Tout le monde le sait, il y a belle lurette que Janus s’adonne à cœur joie à ce sport particulier qui fait de lui l’un de nos plus grands internautes histrions. C’est un peu de bonne guerre, dirait-on. Dans l’adversité, chacun fait selon sa vision, sa sensibilité, ses moyens ; il reste que le procédé de Janus, devenu méthode d’expression et de réplique systématique, est plutôt couard, et dépourvu d’élégance. Mais les bonnes manières, le débat loyal, direct, yeux dans les yeux, Janus s’en tape. N’est-il pas Janus, Protéiforme, fort de sa faculté de se dédoubler, de se métamorphoser ? Cette aptitude à apparaître sous plusieurs formes ou visages, qui le prédispose à des pantalonnades, qui mieux que lui peut s’en prévaloir ? Sacré Janus ! Toujours dans la manigance. La zizanie, il adore ; elle lui permet de prospérer, de se mettre en valeur. Aussi s’est-il taillé un costume de trublion, qui semble lui aller à merveille. Plus à l’aise encagoulé qu’à visage découvert, il déambule sans gêne, distribuant fleurs par-ci, piques et chiquenaudes, adoucies parfois par quelques tapes amicales, par-là ; histoire de s’essayer à la nuance. Peine perdue.
Avec le temps, et l’itération aidant, Janus a acquis de l’expérience. Ce qui ne l’a pas empêché de s’emberlificoter plus d’une fois, parce que cherchant sans cesse à jongler avec ses différents masques. Masques auxquels il a attribué, pour faire diversion, des pseudonymes divers sous lesquels il se manifeste avec une jubilation gamine. Ainsi révèle-t-il lui-même sa véritable identité. Sans même s’en rendre compte, il ressemble à celui qui nuitamment s’introduit par effraction dans un domicile, et qui pense être protégé des regards par l’obscurité, ignorant que ses moindres faits et gestes sont scrutés avec des moyens de vision nocturne. Ainsi démythifié et tout dénudé, donc identifiable sous quelque forme qu’il apparaisse, il se désacralise lui-même, perdant ipso facto son essence, qui fait de lui Janus. Du coup, ses propos, qu’ils soient corrosifs ou laudateurs, deviennent sans intérêt. Car il devient évident pour tous qu’ils émanent d’un piètre bateleur, dont le paraître compte plus que l’être ; le contenant, plus que le contenu.
A vouloir en faire trop en prenant les gens pour des gogos, on finit inévitablement par se trahir, se démasquer. Où l’idiot apparaît sous toutes les facettes de son idiotie. Le comble du cocasse c’est qu’il n’en a pas conscience. Dépossédé de ce « don d’ubiquité » dont il se croit toujours dépositaire, il est comme possédé par la berlue : à force de vivre dans le fictif et de survivre par l’« usage de faux », il finit par prendre l’irréel pour le réel…
Pauvre Janus, qui tombe de son olympe sans ses masques qu’il affectionne tant. Mais il croit toujours s’y trouver — confortablement installé et à l’abri de tous regards. Quand les effets de sa chute se feront sentir, son réveil risque fort d’être brutal et ses désillusions amères.
Sacré Janus.
Boye Alassane Harouna
16 février 2011