Category Archives: temoignages
flamnet-rétro: Hommage à nos Martyrs, Tene Youssouf Gueye
Aprés des années de dictature, de terreur, de mensonges et de divisions entre nous,voici le moment venu, d’ édifier ensemble une Mauritanie nouvelle, dans l’unité, le respect de tous et la justice.Fondée sur les héritages trés divers et trés riches que nous ont laissé nos péres, et que nous allons ici partager, dans le respect et l’amitié. Ce faisant nous allons nous réapproprier notre histoire qui nous a été volée. Chacun peut et doit apporter sa pierre: temoignage, document, passage d’un livre,etc….Voici d’abord, sur l’un des trés grands hommes de notre nation, un hommage au poéte et historien Téne Youssouf Guéye. Le témoignage trés touchant d’un jeune militant, proche de sa famille.
Téne Youssouf Guéye historien et poète décédé dans le “mouroir” prison de Walata, des suites de mauvais traitement et de torture dans le cadre de l’épuration éthnique ordonnée par le président ould Taya
Je n’ai pas la prétention de parler de l’homme car je suis jeune et je ne l’ai pas “connu” . J‘ai par contre été de la même promotion que l’un de ses fils et j’ai beaucoup côtoyé ses enfants. Je l’ai vu à plusieurs reprises et je crois avoir retenu de lui, principalement deux souvenirs, encore flous dans mon esprit. Le premier c’est lorsqu’un jour je suis parti rendre visite à l’un de ses fils( je devais avoir14 ans et ils habitaient à cette époque à l’ ILOT K derrière l’hôpital national);c’était le crépuscule.
Il était assis au salon et sur ses genoux un de ses enfants en bas âge(ou un de ses petits enfants, je ne me souviens pas très bien). D’une main, il essayait paternellement, de contenir les ardeurs de l’enfant turbulent, de l’autre, il entamait un morceau de gâteau qu’il devait partager entre sa progéniture dispersée aux quatre coins de la maison; il me rappelait mon père, votre père, nos pères; ces pères de famille austères qui étaient doux comme des agneaux, une fois entouré de leurs enfants. J‘ai été frappé par la tendresse qui se dégageait de son petit corps(il n’était pas très grand).
Le second souvenir remonte au jour de son procès en septembre 86(je n’avais pas vingt ans et je revenais d’un voyage du Sénégal ). A son nom, il s’avançât, fatigué certes mais humble dans son attitude. Machinalement, mais tout aussi poétiquement, il répondait aux seules questions qui leur ont étés posés lors du procès(êtes-vous raciste? faites-vous partie des FLAM? avez vous écrit le manifeste du nègro-mauritanien opprimé? ).Ici, c’est par la dignité de l’homme que j’ai été frappé.
Aujourd’hui encore, quand je rends visite à la famille à la SOCOGIM PS, que je dépasse Mariata(sa première épouse)en train de teindre des habits au “goobu kayhaydi”, que je dépasse ses belles filles assises dans la cour sur leurs “taara” avec tout autour les cris joyeux de ses petits-enfants, que j’entre au salon parler un moment avec Tène Daouda ou Alassane, que je passe dans la chambre de Birome et de Djiby pour écouter un morceau de Funk et qu’enfin en repartant je “taquine” Haby, je me demande pourquoi avoir privé tène youssouf de ce bonheur qu’il a passé tant d’années à bâtir.
Le soir à la maison ,avant de me coucher, je relis encore son “Rella où les voies de l’honneur” qui me donne à chaque fois envie de me marier à l’ancienne. “A l’orée du Sahel” me fait redécouvrir un Gorgol et un Guidimakha que je ne connaissais pas.Ses “Sahéliennes” me percent toujours le flanc(comme si je dansais avec une négresse envoûtante). Cet “exilé de Goumel” est parti, mort de Béribéri(j’ai toujours pensé que c’était une maladie d’oiseaux, pas d’Homme, et de Quel homme).
Parti parce que sa plume avait quelque chose de révoltant, quelque chose de conscientisant, quelque chose de réveillant. J’ai toujours trouvé dommage que les mauritaniens ne le lisent pas assez; ils peuvent pourtant trouver dans son œuvre des réponses à leurs questions. Le lire est le plus grand hommage que l’on puisses lui rendre.
Il aurait eu 82 ans aujourdh’ui et il aurait pu, paisiblement prendre le chemin du paradis avec Oumar Bâ.
N’gaidé Mourtada dit Soulé.
cordialement.
Commémoration des déportations contre pluie et marées à Paris
Vingt-trois années de souffrance et de privation de leur patrie. Tout cela, du seul fait d’un système idéologique raciste. Voici 23 ans que des femmes, des hommes, des enfants et des hommes ont été chassés de chez-eux, de leur chère patrie. Leur seul crime étant la couleur de leur peau, leur culture et leur langue.
Le 24 avril 1989 dans les villes de Nouakchott, Nouadhibou, Aleg, Boutilimit, Zouerat, Akjoujt, Atar, Kiffa, Aïoun, Guérou, Tikjikja, Moudjeria, Kaédi, Sélibaby, Maghama, Gouraye, Ould Yengé, Kankossa, Téthiane, Patoukone, entre autres des hordes bien quadrillées par une police, une gendarmerie et une armée triées sur une base à la fois raciale et ethnique s’adonnaient à une chasse à l’homme bien particulière aidé par des collaborateurs de tout bord.
En deux mois, près ou plus de 200 000 Noirs mauritaniens vont être déportés vers le Sénégal et le Mali.
Cette oeuvre a été orchestrée par l’Etat, ses agents et les Nationalistes arabes et berbères.
Des milliers de Négro-mauritaniens vont être torturés, humiliés, expropriés et jetés hors de leur pays.
23 ans après, le sentiment d’injustice est toujours là, plus nauséabond, plus insidieux, plus amer. C’est cela la vie de ces centaines de milliers de Négro-mauritaniens.
En novembre 2007, des suites des journées nationales de concertation, l’Etat mauritanien avait reconnu ce grand drame et s’était empressé à rapatrier dans une impréparation totale ceux désireux de regagner leur terre dans un délai de 6 à 12 mois sans rien mettre en oeuvre pour leur réinsertion.
Aujourd’hui, des 200 000 déportés, ceux qui ont survécu aux tortures et séquelles de la déportation ont repris le chemin du pays d’exil après des années de croupissement dans l’indignité la plus absolue dans des camps d’infortune. Ceux du Sénégal sont presque tous rentrés au pays après plus de deux décennies d’exil mais on parle rarement de ceux du Mali.
Nous, Collectif des organisations mauritaniennes :
– Exigeons que le retour effectué soit officialisé par des actes et le rétablissement plein et entier, de tous ceux qui sont revenus, dans leur droit et une indemnisation de tous les préjudices subis.
– Demandons à la communauté internationale d’user de tous les moyens en sa possession pour amener la Mauritanie, dès lors qu’elle a reconnue sa pleine responsabilité dans les déportations d’avril 1989, à assumer concrètement les engagements pris devant les communautés nationales et internationales
– Appelons tous nos compatriotes à un réel sursaut patriotique contre cette injustice qui n’a que trop duré.
Et disons: – Si le silence est complice, l’inaction est coupable.
Avril 2012.
Les signataires du Collectif :
AFMAF, AHME, APP, CAMME, CSDM, FLAM, GMR, IRA -France, OCVIDH, MAPROM, OTMF, PLEJ.
FLAMNET-ARCHIVES: SPÉCIAL- DÉPORTATIONS: Nouakchott fait le grand ménage anti-Noirs
Nouakchott, de notre envoyé spécial : Alors que la majorité des réfugiés sénégalais ont pu regagner leur pays, les autorités expulsent maintenant des Mauritaniens ayant obtenu la nationalité après 1966. Des départs massifs qui risquent d’être dramatiques pour l’économie mauritanienne.
Après les violences physiques, les oukases administratifs. Alors que la majorité des réfugiés sénégalais ont pu regagner leur pays, les autorités mauritaniennes poursuivent le « travail » commencé dans la rue par une partie de la population en expulsant, non seulement les sénégalais qui n’avaient pas l’intention de partir mais les Mauritaniens d’origines sénégalaise. Officiellement, on parle de nationaux ayant obtenu illégalement la nationalité mauritanienne, en réalité, il semble que l’on conduise dans les centre de regroupement puis dans les aéroports tous les Mauritaniens ayant obtenu la nationalité après 1966…..Parmi eux, des Wolofs mauritaniens mais aussi des Mauritaniens toucouleurs, des Maliens, des Guinenens.
C’est le grand règlement de comptes entre Maures blancs, assistés de leurs anciens esclaves Haratines, et négro-africains. Illustration de ce qu’avaient dénoncé ces derniers lors de violentes manifestations de 1986 lorsqu’ils parlaient « d’apartheid entre Blancs et Noirs » en Mauritanie. La foire internationale qui vide ces derniers jours est à nouveau remplie. Entassés dans des tentes , ou accroupis en files en plein soleil, en attendant les camions qui les conduisent à l’aéroport, des hommes, des femmes et des enfants ont rejoint les réfugiés des premiers jours. Il y a ici beaucoup de Sénégalais, mais aussi des Mauritaniens dont les policiers ont déchiré les Papiers.
Un jeune proteste : « je suis né ici, j’ai la nationalité mauritanienne,ils veulent que je m’en aille ……ce n’est plus la chasse aux Sénégalais, c’est la chasse aux Nègres. On dénonce ce qui se passe en Afrique du sud , mais c’est la même chose en Mauritanie……….. » un infirmier mauritanien , représentant du croissant-rouge, s’approche : « ce qu’il dit vrai. Ce n’est pas normal de faire attendre des femmes et des enfants en plein soleil pendant des heures. Les conditions d’hygiène dans ce camps sont déplorables . J’ai honte pour mon pays » tout autour, le terrain est jonché d’habits, d’objets divers : « les militaires voulaient nous les confisquer, alors on a tout détruit pour qu’ils ne s’en servent pas »
Plusieurs chefs d’entreprises européens ont vu leurs collaborateurs Sénégalais ou Mauritaniens arriver affolés : « la police est à la maison, ils cassent tout, ils volent et ils me cherchent pour m’expulser » ils se sont rendus sur place , ont effectivement vu les policiers faire le ménage et ont dû abandonner ceux qui leur demandaient de l’aide . cette vague de règlement de comptes touche, non seulement les ouvriers, les techniciens, les fonctionnaires, mais aussi des hauts responsables de l’administration mauritanienne . Ainsi le directeur de la sécurité sociale a été arrêté, expédié à Dakar . La maison du directeur d’Air Sénégal a été pillée, et il n’a du son salut qu’à la présentation de ses papiers mauritaniens établis bien avant 1970.
Quelques centaines de fonctionnaires mauritaniens d’origine sénégalaise ont été conduits dans les locaux des nations unies où ils attendent un avion pour rejoindre le pays de leur ancêtres. Ces départs massifs risquent d’être dramatiques pour la Mauritanie . En effet , tout le monde se demande comment vont fonctionner entreprises ou administrations dont les cadres étaient souvent d’origine sénégalaise.
Ces derniers ne faisaient pas simplement fonctionner le pays, ils le nourrissaient aussi. Une visite au port de Nouakchott est éloquente . Finies les barques qui se bousculaient sur la plage, finie la foule grouillante qui se pressait autour des étals. Il ne reste plus que quelques pécheurs wolofs en ciré jaune qui, désespérés, tiennent de tristes conciliabules à deux pas de la mer. Un jeune Maure, annonçait une catastrophe : « nous ne n’avons jamais été des pécheurs. Il n y ‘a qu’eux qui connaissaient le coins, qui savaient jeter les filets……….lorsqu’ils ont appris ce qui se passait en ville, ils ont tous pris la fuite. Maintenant le kilo de poisson qui valait 80 ougiuyas(la monnaie locale) en vaut 250 …..tout ceci à cause de nos conneries » Pour les légumes, c’est la même chose. Les commerçants sénégalais tenaient le marché et, depuis leur départ, le prix des pommes de terre et des tomates à quadruplé.
Certains Maures se montrent pourtant confiants :cela va nous permettre d’être maitres de notre destin. Nous allons apprendre les métiers que nous ne pratiquions pas. Nous allons devenir pécheurs, soudeurs, mécaniciens………. » le seul problème, comme le reconnaissent d’autres, c’est qu’il sera plus facile aux Sénégalais d’apprendre à tenir des épiceries, ce qui faisaient les maures au Sénégal qu’aux Mauritaniens à devenir ouvriers spécialisés, comptables ou mécaniciens…..
Mais dernier cette affaire, c’est l’histoire de la Mauritanie qui est en train de se jouer. Pays à demi-arabe dont la colonisation avait fait un pays d’Afrique noire et qui, d’année en année, a voulu retrouver l’identité qui n’était celle que d’une partie de sa population………en éliminant ses ressortissants noirs.
Gilles MILLET-LE MONDE
FLAMNET- ARCHIVES- SPÉCIAL- DÉPORTATIONS: Mauritanie- Sénégal: L´intolérable exode
Le gouvernement mauritanien a-t-il pour objectif l’expulsion de tous les Noirs pour s’emparer de leurs terres ?
“Toutes les nuits, des dizaines et, parfois, des centaines de Négro-Mauritaniens traversent le fleuve Sénégal depuis Boghé, d’où ils sont chassés, spoliés de tous leurs biens. Les forces de sécurité mauritaniennes les rassemblent dans une grande salle où ils doivent se déshabiller avant d’être conduits au fleuve. J’ai vu des femmes à qui on avait carrément arraché leurs boucles d’oreilles. Certains des expulsés sont blessés ou portent des traces de coups. Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est la collecte et la destruction systématique de leurs papiers d’identité, cartes
professionnelles et autres. C’est comme si on voulait les radier de tous les registres, à jamais effacer leur appartenance à la nation mauritanienne». Fin juin, l’agronome français Louis de Crisenoy a rapporté ce témoignage d’un séjour d’une semaine dans la vallée du fleuve Sénégal. « Il faut que je me délivre de ce que j’ai vu », s’est-il expliqué en invoquant le «profond sentiment d’abandon des expulsés».
Selon les chiffres avancés par les organisations non-gouvernementales, quelque 45.000 Noirs mauritaniens campaient, à la mi-juin, sur la rive sénégalaise du fleuve. «Ils ont été arbitrairement expulsés, ils ont tout perdu et se trouvent sous des abris de branchages, alors que les premières pluies sont tombées le dimanche 11 juin ». Pourquoi le gouvernement sénégalais ne réagit-il pas ?. « Il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu », a-t-on affirmé à Dakar où entre-temps, le gouvernement semblait avoir relu le fameux décret du 8 décembre 1933, contrairement à ce qui avait été affirmé dans un premier temps, la délimitation de la frontière entre les deux colonies de part et d’autre du fleuve Sénégal ne fit pas mention de «la ligne des hautes eaux».
C’est pourtant sur cette disposition que Dakar avait cru bon de fonder le droit coutumier de ses ressortissants de cultiver la rive septentrionale du fleuve…
L’enjeu du conflit entre le Sénégal et la Mauritanie qui a fait des centaines de morts lors des tueries du mois d’avril, c’est bien cette vallée du fleuve Sénégal, désormais cultivable grâce aux barrages de Manantali, en amont, et de Diama, à l’embouchure.
Dans une prise de position sur «les origines du conflit sénégalo-mauritanien», le Khalife général de la confrérie musulmane des Tidianes. Serigne Abdoul Aziz Sy, l’affirme sans ambiguïté : «A l’époque coloniale, nous étions partout chez nous dans la vallée. Au moment des indépendances, il en était encore ainsi et jamais un Maure n’avait eu une motte de terre chez nous. Aujourd’hui, le gouvernement actuel de Mauritanie est sur le point de réaliser son objectif, à savoir l’expulsion de tous les Noirs de leur patrie pour s’emparer de leurs terres. »
Selon Louis de Crisenoy. Les récits de tous tes expulsés noirs de Mauritanie concordent sur ce point. Dans une déclaration qui lui a été remise par «les déportés mauritaniens» qui ont trouvé refuge à Thiés, à l’intérieur du Sénégal, il est même question d’un «plan machiavélique dont l’objectif inavoué est de vider la Mauritanie de sa composante negro africaine. Selon ces témoignages, des villages entiers ont été vidés et, parfois, incendiés, comme par exemple Diaw, Hamdalaye et Dar Salam dans le seul département de Boghé.
Selon un document détaillé, établi par des organismes d’aide intervenant dans le sud de la Mauritanie, sur 3.425 familles recensées dans 67 villages entre Rosso et Leqceibar, en face de la ville sénégalaise de Podor ; 1.269 on dû quitter le pays au cours du seul mois de mai, soit au moins 6.000 personnes. «Grâce à la Croix Rouge, l’église lutherie allemande et l’incroyable solidarité dans les villages sénégalais, ils ont été pourvus du nécessaire pour survivre», a rapporté Louis de Crisenoy, ajoutant : «Mais à présent, le problème a pris des proportions insurmontables à ce niveau-là».
A Dakar, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (H.C.R.) s’apprête à intervenir début juillet. 45.000 métrés carrés de bâche avaient déjà été commandés pour abriter les expulsés mauritaniens. Mais ceux-ci s’insurgeaient contre «le silence honteux» entourant leur sort et réclamaient «justice». Certains, passant de l’impuissance à un sentiment de révolte, devaient même commencer à demander « des armes plutôt que des secours ».
A Démet, le village sénégalais situé juste en face de Boghé, un jeune expulsé Dahir Thiam. avait confié : «Si on nous aide en armes, nous récupérerons nos biens ». De telles excursions nocturnes de «récupération» étaient déjà parties et plusieurs incidents violents s’étaient produits au mois de juin. Sans doute pour dissuader ces aventures, les garde-frontières mauritaniens avaient pris position de façon à être visibles depuis la rive sénégalaise.
A Dara Halaybé, un village sénégalais, ils auraient même abattu du bétail en tirant à travers le fleuve. «C’est un miracle qu’ils n’aient tué personne», a affirmé un habitant.
Entre-temps, l’armée sénégalaise rongeait son frein, d’autant que les galonnés sénégalais ont du vague à âme depuis le limogeage du général Joseph-Louis Tavares de Souza, en mars dernier.
Dans la vallée du fleuve, certains chefs religieux accusent le gouvernement de Dakar « d’attentisme depuis plus d’un an » en rappelant l’arrêté du préfet de Boghé qui, le 10 mai 1989, aurait d’un trait de plume « confisqué les terres de culture appartenant aux populations noires du Sénégal et de Mauritanie ». Certains laissaient même entendre que l’inertie du gouvernement expliquerait la colère populaire qui s’est déchargée en avril, contre les commerçants maures installés an Sénégal. Le Khalife général des Tidianes soulignait pour sa part que, « devant la passivité des autorités de leurs pays et une certaine indifférence à leurs problèmes. Les populations dans la vallée, du fleuve ont l’impression de n’être pas défendues, protégées contre un ennemi qui affiche au grand jour et de façon provocante ses intentions de dissocier la terre de ses légitimes propriétaires. » Et sa conclusion était sans appel : «Cela prouve que la coexistence sur cette base entre les Maures et les Noirs est impossible. Toute tentative de conciliation est vouée à l’échec, si elle ne tient pas compte de l’unité fondamentale de la vallée au plan humain, culturel et économique et si elle ignore l’exigence d’égalité entre partenaires de toutes races dans la nation mauritanienne. »
L’égalité entre les partenaires de toutes races semble, moins que jamais d’actualité à Nouakchott Depuis les massacres d’avril, de part et d’autre du fleuve Sénégal, les «Nasseriens» – la frange la plus chauvine de la mouvance panarabe, alliée a la Libye tiennent le haut du pavé dans la capitale mauritanienne. A tel point que le seul dirigeant en liberté du mouvement baasiste De wali Ould Chein a tenu à rappeler, depuis les îles Canaries, que « la formation des Baasisies en Mauritanie a été décapitée par la répression en août dernier. Nos plus hauts responsables sont toujours en prison ». Une façon de se démarquer du rêve – hallucinant d’une «Mauritanie blanche» ou au contraire, une offre de ralliement, à condition que les leaders baasistes soient libérés ? Contrairement à l’amalgame qui – à la place des Nassériens – a accablé de tous les maux les Baasistes de Mauritanie, ceux-ci se sont rapprochés, depuis un an, du mouvement démocratique. De là à trancher la question si, oui ou non, il s’agit d’une simple alliance tactique commandée par la détention de ses têtes pensantes, il y a qu’un pas.
Le fait est que, à la mi-juin, le cousin du président Ould Taya et directeur de la sûreté, Dedahi Ould Abdellahi, s’est rendu à Las Palmas pour approcher les «opposants susceptibles de renforcer le front intérieur»…
Fin juin, les rangs paraissaient pourtant déjà bien serrés. Dans la capitale Nouakchott, le couvre-feu restait en vigueur, permettant des arrestations nocturnes « sans que personne n’ait le temps d’intervenir ». Dans pratiquement toutes les entreprises nationales, dans l’administration, la télévision et la radio, des « commissions de liste » s’étaient créées pour recenser les Noirs dont la nationalité mauritanienne était, pour une raison ou une autre, mise en doute. Au ministère du Développement rural où le nombre de cadres Négro-mauritaniens est particulièrement élevé, une « antenne » de la police s’était carrément installée en permanence pour dresser ces listes noires – au propre et au figuré- . Pendant ce temps, une forte pression s’exerçait sur les notables de la communauté négro-africaine de prêter publiquement serment d’allégeance. L’un des premiers à être intervenu à la télévision nationale pour affirmer « qu’il n’y a pas de racisme en Mauritanie », Alassane N’Gaydé. s’est vu promu, deux jours plus tard, conseiller de presse à la présidence…
Stephen SMITH
Africa international n° 218 juillet – août 1989.
FLAMNET-ARCHIVES: DOSSIER SPÉCIAL: Le grand exode des Noirs mauritaniens, de notre envoyé spécial Zyad Liman-Jeune Afrique
Le long du fleuve Sénégal, de Rosso, à l’Ouest, jusqu’à Bakel, à l’Est, près de la frontière malienne, ils étaient déjà, fin mai, près de quinze mille, venus de Mauritanie. Ils sont partis parce qu’ils ont été expulsés ou, tout simplement, parce qu’ils avaient peur. Zyad Liman a rencontré ces réfugiés, recueilli leurs témoignages et constaté, sur place, que leurs rangs ne cessent de grossir. La question, dès lors, ne peut être posée : s’agit-il là de l’amorce d’un déplacement massif des populations noires mauritaniennes ?
Le fleuve Sénégal, frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, est étrangement calme. Pas de trafic, pas de bateaux, plus de commerce. Seules quelques pirogues de pêcheurs, côté Sénégal, s éloignent prudemment à quelques mètres du rivage. La contrebande, autrefois féroce, entre le Sénégal et la Mauritanie n’est plus qu’un souvenir. La ville de Rosso est à moitié sénégalaise, à moitié mauritanienne. Coupée en deux par le fleuve, cet ancien haut lieu de la contrebande entre les deux pays est redevenu un village sans grande importance. La rive sénégalaise, au poste frontière à la sortie de la ville, les douaniers ne cachent plus leur ennui : « Depuis que les Mauritaniens sont partis et que la frontière, il n’y a plus rien contrôler… »
Le débarcadère, autrefois si animé, est déserté. Les petits commerçants du coin sont déjà partis chercher fortune sous d’autres cieux- Seuls signes d’activité, La tente de la Croix Rouge et l’attroupement devant le poste de douane, au bord du fleuve. Nous sommes le 31 mai. A l’intérieur, au moment où nous arrivons un homme et une femme noirs. Ils viennent de traverser le fleuve – le couple est interrogé par trois douaniers.
– D’où venez-vous ?
– De Nouakchott
– Comment êtes-vous venus ?
– En camion, jusqu’à la rive.
– Quel est votre nationalité ?
– Mauritanienne.
Le couple n’a plus rien, hormis les vêtements qu’il porte. L’homme précise :
« On a même pris mon chapelet et les boucles d’oreilles de ma femme ».
Le douanier nous montre le cahier des arrivées. C’est un registre en trois colonnes prévues spécialement pour les Mauritaniens noirs expulses.
Les rapatriés sénégalais sont inscrits sur un autre registre. Sur la colonne de droite on trouve les noms, la colonne du milieu mentionne les fonctions exercées en Mauritanie et la dernière colonne précise k montant des biens confisqués. La mention – totalité » y apparaît plus d’une fois.
On trouve sur la liste un chef de division de la Sonader (Société nationale de développement rural), des personnels hospitaliers de Nouakchott, dont un chef de service, plusieurs agents des douanes, des secrétaires à la présidence de la République, des officiers de police…
Le douanier sénégalais ajoute : « Nous avons accueilli ici jusqu’à cinquante Mauritaniens noirs par jour, expulsés de leurs pays». Au centre d’accueil, à quelques mètres du débarcadère, nous dénombrons une quarantaine de personnes, qui attendent là qu’on leur indique une destination, un endroit où ils pourront commencer une nouvelle vie. Aucun de ceux avec qui nous nous sommes entretenus n’était venu auparavant au Sénégal.
Dans le groupe, nous trouvons deux militaires de l’Armée mauritanienne. Des officiers. L’un a été blessé par les balles du Front Polisario, il y a dix ans. Il montre sur sa cuisse droite l’estafilade laissée par un projectile. L’autre, présent au centre depuis le 20 mai, est lieutenant et s’exprime beaucoup plus facilement en arabe qu’en français : « Dans ma caserne, Akjoujt, au nord de Nouakchott, les officiers maures ont mis aux arrêts tous les officiers noirs. Nous sommes accusés de trahison, d’appartenir au FLAM (Front de Libération des Africains de Mauritanie), ou encore d’avoir des liens avec le Sénégal. J’ai passé vingt jours au poste de police de la ville. Puis on m’a mis dans un camion, à destination de la frontière sénégalaise.
Selon lui, et ce témoignage n’est pas isolé, la moindre trace d’un lien avec le Sénégal, une correspondance par exemple, peut motiver l’expulsion. Un commerçant de Rosso-Sénégal nous raconte l’histoire d’Idrissa Wade.
Idrissa était l’imam de Rosso-Mauritanie et conseiller municipal de la ville. La famille est mauritanienne depuis des générations. Selon plusieurs témoignages concordants, il a été expulsé de Mauritanie, avec une partie de sa famille, le 28 mai. Ses papiers d’identité lui ont été confisqués et déchirés. «Le plus absurde, ajoute le commerçant, c’est que ses deux fils, footballeurs bien connus à Nouakchott, jouaient un match à Bamako et ne savaient même pas que leur père était expulsé… »
De Rosso à la ville de Ndioum, 140 km similaires. Tout le long du fleuve, les habitants des villages mauritaniens traversent, le plus souvent sans rien emporter, vers la rive sénégalaise. A
quelques kilomètres à l’est du complexe sucrier de Richard Toll, nous avons pu assister au débarquement de plusieurs dizaines de personnes qui venaient de traverser avec quelques valises. « Harcelés », disaient-ils, ils avaient préféré fuir.
Pour le moment, une grande partie de ces transfuges est composée d’éleveurs Peulhs, auxquels on a confisqué troupeaux et nourriture. Dans la région de Dagana, au Sénégal, ils se sont regroupés dans des abris de fortune, sur plusieurs kilomètres, le long de la route.
Leur unique rempart contre les vents de sable et la chaleur est constitué de trois branchages et d’un peu de toile. Les témoignages sont souvent accablants : « Ils se sont d’abord attaqués aux éleveurs nomades, puis aux villageois ».
Les Haratines, qui se considèrent comme des « Maures noirs » et qui ont joué un rôle particulièrement actif lors des sanglantes émeutes d’avril à Nouakchott, « précédent souvent les militaires ou les gendarmes dans les villages », soulignent ces réfugiés. Ils menacent les habitants, saisissent tous les biens avant de les forcer à traverser le fleuve ».
Au nord de Thillé-Boubacar, un groupe de Peulhs, prévenu par un habitant d’un village voisin, a réussi à faire traverser son troupeau. Les bêtes se sont disséminées dans les champs alentour. Le chef du groupe raconte qu’ils ont dû se battre contre des Haratines, venus en pleine nuit, pour protéger leurs biens. « Nous avons eu des blessés, mais personne n’a été tué ».
Plus on voyage vers l’Est, plus la situation est tendue. Près de trois mille personnes ont été regroupées au camp de Démet. La Croix-Rouge, très active dans la région, a ouvert un camp-hôpital, quelques kilomètres plus loin, à Ndioum, pour prendre en charge ces réfugiés. Les premiers expulsés qui s’y sont regroupés viennent tous du même endroit de la Mauritanie, la bourgade de Tidjikja, à plus de huit cents kilomètres au Nord. Ils se sont organisés et ont élu un président, professeur de français au collège de la ville. II a pour «adjoint », l’inspecteur des Eaux et Forêts de la localité.
Voici leurs témoignages : « Nous étions en majorité des fonctionnaires, détachés dans cette région essentiellement peuplée de Maures.Vers le 6 mai, nous avons été convoqués chez le gouverneur de la région. On nous a demandé d’amener des dossiers prouvant notre nationalité mauritanienne. Ces dossiers ont été immédiatement saisis. Nous avons été retenus dans un camp militaire pendant deux jours. Le 8 mai, on nous a demandé de retourner au travail. Entre-temps nos maisons avaient subi une perquisition en règle. A partir du 10 mai, nous avons été à nouveau convoqués, un par un, par la police de la ville. Nous étions censés passer devant une commission spéciale.
Ces commissions, chargées de statuer sur la nationalité, sont composées d’officiels mauritaniens, mais aussi de volontaires civils. N’importe qui peut en faire partie. Ses membres se montrent particulièrement zélés. A partir de ce moment, nous avons été placés en détention.
Fin mai, la plupart des fonctionnaires Négro-mauritaniens de la région étaient en prison.».
« Nous avons dû traverser le fleuve à la nage.
Les Sénégalais nous ont recueillis en pirogue. »
Le 30 mai, les gendarmes et les militaires sont allées en ville pour chercher nos femmes et nos enfants, qui n’ont rien pu emmener avec eux, ni bagages ni biens, rien que les habits qu’ils portaient. On nous a mis dans des camions-bennes.
Nous sommes sortis de la ville escortés par le gouverneur, par des militaires et par le chef de la gendarmerie. Nous avons roulé pendant près de 24 heures, la plupart du temps de nuit
A Bogué, au bord du fleuve, on nous a fait traverser la ville, pratiquement nus, après une nouvelle fouille en règle. Impossible de conserver la moindre pièce, le moindre document, le moindre vêtement de quelque valeur.
Ils ont voulu nous faire traverser le fleuve à la nage. Ce sont des sénégalais qui sont venus nous chercher en Pirogues. » L’ex – inspecteur des Eaux et Forets raconte que le commissaire de la ville, Djallo Ibrahim, et son adjoint, Sy Samba, tous les deux Négro-mauritaniens ont été démis de leurs fonctions et emmenés à Nouakchott. Pour enquête. « Ils ont fait montre de trop de zèle dans la protection des Noirs de la ville ». Le même sort avait, dit-il, été réservé au responsable régional de la météorologie, l’ingénieur Gako Sylla. Le groupe n’a plus eu aucune nouvelle d’eux. Un fonctionnaire, Abdoulaye. est le seul membre du groupe à avoir réussi à conserver ses papiers d’identité, en les dissimulant à l’intérieur de sa ceinture. Le président du camp et son adjoint ne veulent pas donner leurs noms, ni être pris en photo, par peur des représailles.
L’inspecteur des Eaux et Forêts a été expulsé sans sa famille. Il n’a pas de nouvelles de sa femme et de ses trois enfants.
Même situation à Rosso, où un petit commerçant gambien appréhendé à Nouakchott, alors qu’il allait poster une lettre, attend des nouvelles de sa femme et de ses enfants. Le regard pointé sur le débarcadère, il s’exprime dans un français hésitant II est à l’affût de la moindre nouvelle. Il est extrêmement difficile d’avoir une évaluation précise du nombre de Mauritaniens expulsés de leurs pays. Un grand nombre d’entre eux n’ont pas encore été comptabilisés, d’autres ont été pris directement en charge par la population locale. Les estimations les plus prudentes de la Croix-Rouge et celles, concordantes, du HCR (Haut Comité des Nations unies pour les réfugiés), faisaient état, début juin, d’un minimum de quinze mille réfugiés.
Sur place, sur la rive sénégalaise, la situation est particulièrement précaire.
Les expulses ne survivent que grâce à la générosité de la population locale et aux efforts des ONG, en particulier ceux de la Croix-Rouge. Un peu partout les Sénégalais se sont organisés pour les aider, en collectant du riz, de l’argent, et en leur offrant un gîte. Cet afflux de réfugiés, après la vague des rapatriés sénégalais, a mis les villages et les villes du fleuve au bord de l’asphyxie économique. La nourriture est insuffisante et les faibles structures médicales locales sont débordées. Les premiers élans de solidarité passés, des affrontements ne sont pas à exclure entre agriculteurs sénégalais et éleveurs peulhs de Mauritanie qui ont réussi à sauver leurs troupeaux.
Un peu partout dans la région la fièvre monte. La discrétion du gouvernement sénégalais, soucieux de ne pas envenimer une situation déjà fort tendue, est ouvertement critiquée par les habitants du fleuve qui y voient plus qu’un signe de mollesse. Plus grave encore paraît être la « racialisation » du conflit, côté sénégalais. A la grande sucrerie de Richard Toll, à une dizaine de kilomètres de Rosso, un cadre sénégalais ne cache plus sa fureur : « Ce que nous font les Maures est impensable. Et cela fait trop longtemps que cela dure. Il va falloir que l’on réagisse, avec ou sans Dakar!»
Un représentant en matériel agricole de la région raconte: «J’avais trois commandes de tracteurs dans la région du fleuve. Finalement je n’en ai vendu que deux. Les villageois m’ont expliqué qu’ils voulaient garder l’argent pour acheter des armes… » •
Jeune Afrique N° 1485, 21 juin 1989.