RFD/UFP vs INSAF : Vers un pacte républicain ?
Depuis que les leaders du RFD et de l’UFP, partis de l’opposition démocratique, ont informé l’opinion de la décision du président de la République de renouer le fil du dialogue, les Mauritaniens attendaient de connaître la suite. Un document non encore officiel circulant dans la presse et sur les réseaux sociaux n’a pas manqué de susciter, comme nous le signalions dès la semaine dernière, des supputations et des rejets de la part d’autres partis de l’opposition estimant que le contenu d’un tel document « ne les engageait pas ». Mais cette espèce de retrouvailles entre le pouvoir et une partie de son opposition n’en devrait pas moins se traduire par la signature officielle, voire solennelle, de ce que les parties contractantes appellent « Pacte républicain » ou « Charte politique », censé améliorer, selon eux, le fonctionnement de la démocratie mauritanienne…Selon nos sources, les parties continuent à le peaufiner avant de le rendre public.
En attendant, ce document encore « provisoire » dont le Calame a reçu copie s’articule autour de trois points : préliminaires, base de l’accord et feuille de route. Les deux parties expliquent dans les préliminaires que ce pacte vient en droite ligne de la volonté d’apaisement affichée par le président de la République, Mohamed Cheikh Ghazwani, au lendemain de son élection à la tête du pays, et à son attachement à l’essentiel des valeurs et projets de réformes inlassablement défendus par l’Opposition. « Des valeurs partagées », disent les deux parties. Ce pacte se présente donc une réponse à la main tendue du Raïs pour susciter les conditions d’un développement harmonieux et apaisé du pays.
‘’Valeurs partagées’’
La charte recense l’ensemble des points qui feront l’objet de discussions à travers différents ateliers : « renforcement de la cohésion sociale ; préservation de l’unité nationale, en éliminant les pratiques esclavagistes et leurs séquelles et en réglant les dossiers des droits de l’Homme et d’injustices en suspens ; consolidation des valeurs et pratiques de la démocratie et de l’État de droit ; nécessaire réforme des institutions de l’État et impératif de bonne gouvernance. Il s’agit aussi de l’amélioration du niveau de vie de nos populations, de la mise en place d’un service public efficient, tant au niveau de la sécurité et de l’emploi qu’à celui de la santé et de l’éducation, et de l’impérieuse nécessité de promouvoir la concertation entre les partenaires politiques nationaux sur toutes les questions d’intérêt majeur. »
Ces retrouvailles entre la majorité et les deux partis de l’opposition sont intervenues, expliquent-ils, dans « un contexte national délicat où certaines forces cherchaient à entraîner le pays vers l’instabilité, voire le chaos ». Et les rédacteurs du document de poursuivre : « au moment où plus que jamais des réseaux terroristes et de contrebande écument nos frontières et que se développe et se diversifie la criminalité dans notre aire géographique, ces sources de graves inquiétudes viennent s’ajouter à la situation d’instabilité et d’insécurité qui prévaut dans la région où des foyers de tension persistent et où de nombreux pays sont, hélas, en proie à la tourmente et aux crises ouvertes, tant politiques que sociales, dans un contexte de crise internationale aigüe, caractérisée notamment par le déclenchement d’une guerre quasi-mondiale.
Face donc à ses menaces qui pèsent sur le pays et sur la sous-région du Sahel, seul un dialogue franc, sincère et inclusif entre les Mauritaniens peut parer à ces différents périls qui pointent à l’horizon », estiment les parties contractantes, rappelant que des concertations entre le gouvernement et les partis politiques avaient permis l’organisation concertées des élections locales du 13 Mai dernier. Les sérieux dysfonctionnements constatés alors ont cependant prouvé les limites de cette entente et le consensus qui avait prévalu au lendemain de la signature de celle-ci a vite volé en éclats, l’opposition mais également certains partis de la majorité dénonçant des fraudes à grande échelle. Beaucoup réclamèrent l’annulation des résultats et la reprise du scrutin, l’opposition accusa le gouvernement de n’avoir pas respecté les recommandations de l’accord.
Renouer le fil du dialogue
Le Pacte républicain en gestation n’évoque pas l’hypothèse de nouvelles élections anticipées, même si l’on peut penser qu’au lendemain de la présidentielle, le président Ghazwani pourrait, s’il est réélu, accepter de dissoudre le Parlement, donnant ainsi peut-être une chance au RFD et à l’UFP de retourner à l’Assemblée nationale. Ce qui ne manquerait certainement pas de susciter l’ire des autres partis de l’opposition mais également au sein de la majorité présidentielle.
Quoiqu’il en advienne, les parties contractantes ont émis une feuille de route en plusieurs points. Elle actualise pour l’essentiel quasiment celle émise en Septembre dernier. Le pouvoir et l’opposition étaient alors sur le point de démarrer un dialogue inclusif mais des divergences de dernière minute avaient hélas conduit à sa suspension unilatérale par le gouvernement, chaque partie rejetant la responsabilité sur l’autre. Une chose est sûre, tapis dans l’ombre au palais et ailleurs, les faucons du système n’en voulaient pas. Aujourd’hui, le gouvernement semble disposé, à travers son parti INSAF, à renouer le fil du dialogue. La démarche des deux parties n’en pose pas moins une multitude de questions : pourquoi seulement avec deux partis de l’opposition, à savoir le RFD et l’UFP ? Qu’en attendent les uns et les autres ? Quel poids politique aura un tel accord ? Pourquoi le RFD et l’UFP n’ont pas réussi à – ou pas tenté de – rallier les autres partis de l’opposition ? Cet accord en cacherait-il un autre ?
Dans tous les cas, l’avenir nous le dira sous peu. En attendant, les parties contractantes qui ont décidé de « surmonter leurs contradictions pour le bien de la Mauritanie » ont bel et bien produit leur feuille de route. Comme on l’a constaté depuis, ce pacte est loin de faire consensus au sein de l’opposition dont seuls deux partis ont donc décidé de franchir le Rubicon. Déjà contestés du fait de leurs résultats catastrophiques aux dernières élections, leur rôle et leur place au sein de celle-ci pâtiront probablement aussi de ce« rapprochement très poussé » avec le président Ghazwani. Jusqu’où les mènera cette aventure avec le pouvoir ? Wait and see ! (Lire la charte dans son intégralité en bas)
Dalay Lam
Voici la charte de la discorde
Accord Politique
Préliminaire
La scène politique nationale s’est caractérisée, depuis le dernier scrutin présidentiel jusqu’au lendemain des élections du 13 mai 2023, par un climat de détente et d’apaisement, résultant d’une convergence de volontés entre le Président de la République et l’Opposition, ce dont elle avait si grandement besoin.
Cette approche dans la conduite des affaires publiques était en nette rupture avec le mode de gouvernement suivi par le pouvoir précédent.
Base de l’Accord
Quatre années durant, l’Opposition démocratique avisée et responsable a, en effet, répondu favorablement à cette nouvelle approche privilégiant la concertation franche et constructive entre les différents acteurs politiques et a accepté la main tendue par le Président de la République, d’autant plus qu’il a exprimé, ouvertement, son attachement à l’essentiel des valeurs et projets de réformes, inlassablement défendus par l’Opposition, au fil des ans.
Ces valeurs et projets portent, notamment, sur le renforcement de la cohésion sociale, la préservation de l’unité nationale en éliminant les pratiques esclavagistes et leurs séquelles et en réglant les dossiers des droits de l’homme et d’injustice en suspens, la consolidation des valeurs et pratiques de la démocratie et de l’État de droit, la nécessaire réforme des institutions de l’Etat et l’impératif de bonne gouvernance. Il s’agit aussi de l’amélioration du niveau de vie de nos populations, de la mise en place d’un service public efficient, tant au niveau de la sécurité et de l’emploi qu’à celui de la santé et de l’éducation, et de l’impérieuse nécessité de promouvoir la concertation entre les partenaires politiques nationaux sur toutes les questions d’intérêt majeur.
Le rapprochement des vues du Pouvoir et de l’Opposition sur l’essentiel de ces questions nationales a permis la conclusion d’un accord entre le gouvernement et les partis politiques relatif à l’organisation d’élections crédibles et transparentes, seules susceptibles de conférer aux élus la confiance des citoyens, préalable incontournable à leur légitime représentation.
Emanant du souci qu’ils ont en commun quant au devenir de la Mauritanie, l’accord conclu entre l’Opposition et la Majorité est intervenu dans un contexte national délicat, où certaines forces cherchaient à entraîner le pays vers l’instabilité, voire le chaos.
Nonobstant la portée positive dudit accord, la mise en oeuvre des clauses relatives aux opérations électorales a révélé des dysfonctionnements et lacunes, dénoncés par une importante frange de la classe politique qui, pour cette raison, réclame une réforme du système électoral.
La situation de mésentente qui a prévalu entre les différentes forces politiques, à l’issue du scrutin du 13 mai, intervient au moment où plus que jamais des réseaux terroristes et de contrebande écument à nos frontières, et que se développe et se diversifie la criminalité dans notre aire géographique. A ces sources de graves inquiétudes vient s’ajouter la situation d’instabilité et d’insécurité qui prévaut dans la région, où des foyers de tension persistent et où, hélas, de nombreux pays sont en proie à la tourmente et aux crises ouvertes, tant politiques que sociales, dans un contexte de crise internationale aigue, caractérisée notamment par le déclenchement d’une guerre quasi-mondiale.
Feuille de route
Déterminés à faire face à ces multiples défis et périls, nous, partis signataires :
– Réitérons notre indéfectible attachement à la préservation de la stabilité et de la sécurité de notre pays par l’instauration d’un système fondé sur la justice sociale, l’État de droit et la démocratie ;
– Considérons que la Majorité et l’Opposition constituent les acteurs principaux de la démocratie et portent, chacune en ce qui la concerne, la responsabilité politique et morale de tout ce qui pourrait advenir au pays, en raison du manque de lucidité et de clairvoyance ;
– Décidons de surmonter nos contradictions pour servir les intérêts supérieurs de la Nation et éviter à notre pays les dangers pouvant survenir, suite aux désaccords de toute nature au sein de la classe politique ;
– Comptons conduire, en urgence, une profonde réflexion sur notre système électoral et, le cas échéant, engager les réformes pertinentes, afin de dépasser le contexte post-électoral et prévenir tout désaccord électoral à l’avenir ;
– Exprimons notre commune volonté de procéder aux réformes fondamentales indispensables pour la préservation et le renforcement de l’unité nationale et la consolidation des valeurs et pratiques de la démocratie et de l’État de droit. Ces réformes porteront, également, sur la concrétisation de la justice sociale et de la bonne gouvernance ainsi que sur l’amélioration des conditions de vie de nos populations, éprouvées par la crise et par les répercussions des conditions résultant de la dernière décennie. Ces réformes seront menées dans un cadre national inclusif et participatif, sous forme d’ateliers, sur la base de la liste des thématiques en annexe au présent accord, dont elle constitue une partie intégrante.
– Annonçons la création d’une entente politique nationale, républicaine et démocratique, dénommée « Pacte Républicain », ouverte à tous les acteurs politiques désireux de se joindre à nous pour la réalisation des réformes énumérées ci-haut ;
-Œuvrerons dans le cadre du Pacte Républicain, à tous les niveaux et par tous les moyens, en vue de conduire notre pays vers davantage d’unité, d’harmonie, de cohésion sociale et, partant, de démocratie, de développement et de prospérité ;
– Convenons de la mise en place d’un Comité de Pilotage, composé des représentants des parties signataires, pour la mise en œuvre du présent accord, laquelle interviendra dans un délai n’excédant pas deux mois, à compter de sa signature.
Annexe à l’Accord politique
Les réformes évoquées dans le texte de l’accord politique seront articulées notamment autour des mesures suivantes :
– Conduire, en urgence, une profonde réflexion sur notre système électoral et, le cas échéant, engager les réformes pertinentes, afin de dépasser le contexte post-électoral et prévenir tout désaccord électoral à l’avenir ;
– Mettre en place un mécanisme crédible pour le règlement définitif des dossiers des droits de l’homme en suspens, en tenant compte des efforts entrepris par le passé afin de résoudre ces dossiers ;
– Adopter des mesures concrètes visant à traduire, dans les faits, la diversité culturelle du pays dans l’espace public, notamment au niveau des médias, des programmes éducatifs et des événements officiels, et reconnaître la vocation des langues négro-africaines à accéder au statut de langues officielles ;
– Appliquer de manière stricte les dispositions juridiques imposant l’égalité des citoyens devant la loi et pénalisant les pratiques de l’esclavage, du racisme et les injustices à l’égard des couches marginalisées; mettre en place un mécanisme national pour la prise en charge des victimes de ces pratiques, en vue de leur réinsertion dans la société, y compris par l’adoption et la mise en œuvre d’une politique nationale de discrimination positive en leur faveur ;
– Appliquer de manière effective le principe de l’égalité des chances entre tous les citoyens du pays, dans tous les domaines et à tous les niveaux ;
– Combattre la hausse des prix par des mesures appropriées de nature à protéger, durablement, le pouvoir d’achat des populations ;
– Mettre en place un mécanisme efficace pour une mobilisation nationale visant à soutenir et promouvoir la politique d’autosuffisance alimentaire ;
– Promouvoir la bonne gouvernance dans les domaines de la gestion des affaires publiques, de l’administration et des finances de l’Etat, en renforçant et en mettant en œuvre, de manière effective, le dispositif national de lutte contre la corruption ;
– Appliquer les recommandations des concertations nationales sur la réforme de l’éducation, et promouvoir la contribution substantielle de toutes les forces vives de la nation pour assurer le succès de l’école républicaine ;
– Appliquer les recommandations des concertations nationales sur la réforme de la justice ;
– Appliquer la stricte séparation entre les emplois politiques et techniques, et procéder à l’éloignement de l’administration publique du champ politique et des compétitions électorales;
– Assurer la promotion des partis politiques, de la presse, de la société civile, du secteur privé et des communautés locales pour leur permettre de jouer leur rôle d’acteurs majeurs dans le développement du pays ;
– Promouvoir l’établissement d’un dialogue durable entre les partenaires sociaux et assurer la protection des droits des travailleurs ;
– Mettre en place une stratégie nationale intégrée visant à protéger les enfants et les jeunes contre la drogue, la délinquance et la violence, et assurer un traitement adéquat du chômage et de l’émigration des jeunes ;
– Promouvoir une autonomisation plus accrue des femmes, des jeunes et des personnes aux besoins spécifiques, et veiller à leur insertion dans la vie politique, économique et culturelle du pays ;
– Mettre en place un fonds souverain alimenté par les revenus des hydrocarbures pour la promotion du développement économique durable et équilibré du pays et qui préserve les intérêts des générations futures ;
– Assurer la mobilisation des expériences et encourager les investissements de nos communautés à l’étranger au profit du pays.