Ouverture du procès de la décennie : Toute la vérité, rien que la vérité
Le procès très attendu de l’ancien président Aziz et certains de ses anciens collaborateurs et proches a démarré ce 25 janvier 2023 au palais de justice de Nouakchott. Le jour J, on attendait du monde, c’est pourquoi les autorités ont déployé les forces de sécurité pour parer aux débordements. Les soutiens du président Aziz étaient attendus de pied ferme. Certains sont venus crier leur colère et dénoncer ce qu’ils ont qualifié de « forfaiture ». Des journalistes nationaux, des correspondants étrangers et des curieux ont effectué le déplacement. L’évènement est très important car c’est pour la première fois qu’un ancien chef d’état, homme très puissant et redouté était appelé à la barre pour s’expliquer les sur les faits qui lui sont reprochés : détournements de deniers publics, blanchiment d’argents, obstruction à la justice etc. Des faits passibles de lourdes peines certainement si le ministère public réussit à les prouver. Pour cela, l’état mauritaniens s’est attaché les services des avocats avec à leur tête, le bâtonnier de l’ordre national des avocats mauritaniens, Me Ebetty. Face aux conseils de l’état qui a réussi à dénicher et fait geler le patrimoine suspect de l’ancien président, on trouve d’autres avocats nationaux et étrangers ayant à leur tête Me Ichiddou et Me Taleb Khiyar. Ils ont le soutien d’un des ténors du barreau sénégalais, le pénaliste, Me Clédor Ly et une avocate libanaise et un avocat français. Ce collectif qui se plaignait de n’avoir pas eu accès au dossier de leur client, a déclaré l’avoir reçu, juste à la veille de l’ouverture du procès. Un dossier de milliers de pages, affirment-ils. L’équipe continue cependant à dénoncer l’arrestation et le placement en prison de son client à la veille du procès. Dans la bataille médiatique, les conseils d’Aziz parlent d’un dossier vide, illégal tout simplement « politique ». Ils ont promis de le démonter durant les prochains jours. L’avocate libanaise affirme qu’il est impossible pour le tribunal de prouver la culpabilité de leur client en quelques semaines, en quelques mois, voire en quelques années en se basant sur les accusations avancées. Ils ont fini aussi par obtenir l’annulation de l’inscription comme témoins des organisations de la société civile, ce qui en soi, constitue pour les avocats de l’ancien président les prémices de la bonne disposition du tribunal en attendant la suite du procès
Le décor est donc ainsi campé. Les deux parties auront à défendre chacun son client. Sans préjuger sur le sort des plaidoiries, il sera difficile, voire impossible de voir l’ancien président et ses coaccusés échapper à la case prison sauf bien sûr si les uns et les autres arrivent à trouver un arrangement. Et à ce niveau, il est impossible de l’envisager. L’enjeu est important pour le pouvoir surtout. Ce dernier n’a ménagé aucun effort pour arriver à la tenue de ce procès, à travers lequel il voudrait donner un exemple, dissuader tous ceux qui seraient tentés de confondre leurs poches avec les caisses de l’état. Dieu sait qu’il y en a beaucoup dans ce pays où chacun voudrait devenir riche, très riche même et tout de suite quitte à voler et à mentir. Même si la volonté politique de combattre la corruption à travers différents instruments juridiques adoptés dans ce sens, n’a pas réussi de dissuader les voleurs, le procès de la décennie pourrait servir tout de même d’exemple. Nul n’est au-dessus de la loi même si dans la pratique, il est difficile de maintenir en équilibre les deux plateaux de la balance. Ce procès aurait eu plus d’impact, de retentissement s’il avait été retransmis à la télévision et à la radio comme celui jadis de Moussa Traoré au début des années 90, d’ Hissène Habré en 2016 et celui en cours de Dadis Camara en Guinée. En tout cas, faute de retransmission en direct et de refus du tribunal d’accepter à l’intérieur de la salle d’audience des caméras, photos et téléphones, les mauritaniens s’accrochent aux réseaux sociaux et aux déclarations des avocats et proches des prévenus. Ils s’y accrocheront durant des semaines voire des mois. Le temps qu’il faudra pour connaître la vérité sur la gestion de dix ans de leur pays par l’ancien président Aziz. Toute la vérité, rien que la vérité, réclame le peuple qui se sent trahi au vu de la gravité des charges portées contre les prévenus. Ould Abdel Aziz a promis de le faire. Le déballage redouté et attendu de la part de l’ancien président est-il enfin arrivé? On verra.
En plus de leur aspect pédagogique, ce genre de procès demeure de véritables humiliations pour les anciens dirigeants qui ont eu à diriger, en hommes forts et craints leur pays. Aucun d’entre eux n’aurait pensé finir ainsi. Le roi est nu, diront certains. C’est d’ailleurs pourquoi certains d’entre eux ayant sucé leur pays s’accrochent à leur fauteuil jusqu’à la mort ou cherchent à céder celui-ci à leur fils. En Mauritanie, Ould Abdel Aziz qui a régenté le pays durant dix ans – avait le droit de vie et de mort sur tout le monde – était craint et redouté sinon comment il a pu piller le pays sans que quelqu’un puisse lever le petit doigt. Le procès doit être l’occasion de connaître les réseaux qui le soutenaient – des complices qui lui ont permis de s’enrichir ainsi sans puiser, comme il l’affirme, dans les caisses de l’état. C’est un des enjeux du procès, il doit lever le coin du voile sur cet aspect de complicité. Ould Abdel Aziz s’est trompé très certainement sur les hommes qui l’ont entouré durant des années, il méprisait certains et considérait d’autres comme des naïfs, incapables de se passer de lui, une fois hors du palais présidentiel.
Le temps que ça prendra
Depuis qu’il a démarré, le procès de l’ancien président alimente les débats des mauritaniens. Dans les bureaux, dans les transports, les marchés et autres commerces, les mauritaniens s’interrogent. Leurs questions portent sur l’énorme fortune dont disposerait l’ancien président. Certains organes de presse et de réseaux sociaux ont même sorti du frigo, les montants colossaux que l’ancien président avait placés dans des banques mauritaniennes. Une face cachée de l’iceberg diront certains. Il disposerait de plus et les montants et patrimoines seraient cachés sous des prête-noms. L’ancien président ne s’en cache pas, il est très riche sans prendre son salaire et sans prendre des commissions sur des marchés juteux. Les mauritaniens ont besoin de connaître comment il a réussi cette prouesse car ils ne comprennent pas qu’un président de la république qui s’est autoproclamé président des pauvres puisse s’enrichir à ce point alors que l’écrasante majorité du peuple crève de faim. Ould Abdel Aziz peut se targuer d’avoir produit quelques réalisations en infrastructures surtout, mais le jeu vaut-il la chandelle ? Le procès doit lever beaucoup de zones d’ombre et donc fournir aux mauritaniens sceptiques des informations claires et nettes, pour permettre d’écarter toute suspicion et volonté de règlement de compte ou de harcèlement contre l’ancien président Aziz.
le calame