Les racines – très anciennes – du racisme anti-Noir dans le monde arabe
The Conversation – Dans les pays à dominante arabe « blanche », les Noirs arabes sont sous-représentés et largement invisibles. Ils sont également écartés des institutions politiques, universitaires, artistiques et religieuses.
Les deux termes ne s’excluent pourtant pas l’un l’autre : certains Noirs sont arabes et certains Arabes sont noirs. En tant qu’intellectuel arabe en Occident – je suis professeur de langue et de littérature arabes à l’Université de Waterloo – m’exprimer sur le racisme anti-noir dans le monde arabe me place dans une position délicate.
Jusqu’à récemment, le sujet était tabou dans la société arabe. En 2004, cette situation a commencé à changer lorsque le critique culturel bahreïni Nader Kadhim a publié en arabe un livre portant sur l’image des Noirs dans l’imaginaire arabe médiéval, et que je traduis en ce moment en anglais afin de sensibiliser l’Occident à leur situation.
Le racisme anti-Noir dans le monde arabe n’est pas un phénomène détaché du contexte mondial. Depuis la mort de George Floyd, le mouvement « Black Lives Matter » s’est répandu dans le monde entier, et les Arabes noirs y voient une occasion d’alerter l’opinion publique sur l’oppression dont ils sont victimes quotidiennement.
Les racines du racisme arabe
Nader Kadhim a créé le terme al-istifraq, ou « africanisme », pour décrire l’étude de la manière dont les Arabes noirs sont perçus, imaginés et représentés dans les écrits arabes. Son livre souligne les éléments fondamentaux qui caractérisent ce discours.
L’africanisme part du constat que les récits arabes classiques et médiévaux – notamment la littérature de voyage, les livres de géographie, d’astronomie, d’astrologie, d’histoire, de théologie, les biographies, les sciences marines, la philosophie et la médecine ancienne – représentent tous les Noirs en tant qu’inférieurs. Aujourd’hui encore, cette représentation péjorative est présente dans de nombreux aspects de la culture arabe moderne.
Selon la théorie de Nader Kadhim, cette image négative découlerait de trois courants : (1) la conception anthropologique controversée selon laquelle la culture – y compris la religion, la langue, les lois et les valeurs – définit ce que signifie être humain ; (2) le récit biblique de Noé et la malédiction de son fils Cham – dont la peau aurait été plus foncée – condamnant ses descendants à la servitude ; et (3) la théorie des sept climats du philosophe grec Ptolémée, selon laquelle l’emplacement géographique d’une personne détermine sa race – la proximité du soleil « cuirait » les humains selon une échelle du cru au brûlé.
La diffamation des Arabes
En 2014, j’ai présenté un article intitulé Waiting for Obama : The Forgotten Black in Iraq lors d’un symposium à l’Université York intitulé Home and Land, Transnationalism, Identity and Arab Canadians. L’article démontrait comment le discours raciste et discriminatoire des Irakiens déstabilise la conception de la patrie chez les Afro-Irakiens.
Durant la période de questions, un romancier arabe réputé a nié l’existence du racisme anti-noir dans le monde arabe. Par la suite, il est venu me trouver pour me demander : « Pourquoi dénigrez-vous notre culture ? »
En mai dernier, j’ai animé un événement intitulé Deconstructing Africanism : the Image of Black People in the Arab Imaginary autour du livre de Nader Kadhim. L’une des principales préoccupations exprimées par le public arabe était que l’activité insistait sur le côté raciste de leur culture. Après l’événement, une connaissance qui y avait participé m’a appelé pour me demander : « Pourquoi étaler ainsi nos travers ? »
J’ai réfléchi pour savoir si c’était mon intention de dépeindre ma propre culture de manière négative. Pas vraiment, mais je reconnais que d’autres Arabes puissent le percevoir ainsi.
Aérer le linge sale
Je viens de Bassora, en Irak, où la majorité des Arabes sont « blancs » comme moi. Quelques années après avoir déménagé au Canada, j’ai commencé à me renseigner sur le racisme en Occident. J’ai également subi un changement d’identité raciale, en passant d’« Arabe blanc » à « personne de couleur ». Cette reconfiguration raciale, très nouvelle et très personnelle, m’a amené à réfléchir au racisme qui affecte la communauté noire de Bassora.
Certains Irakiens ne sont même pas conscients que des Irakiens noirs sont présents dans leur pays depuis des siècles. Le racisme disséminé à l’encontre des Afro-Irakiens déstabilise leur sentiment d’appartenance.
Pour répondre à ce racisme, j’ai entrepris d’explorer les racines du racisme anti-noir dans ma culture et j’ai découvert qu’il est même plus ancien que l’Islam. J’ai commencé à écrire, à traduire et à documenter le patrimoine culturel des Arabes noirs, mais je me heurte sans cesse à des résistances. Certains Arabes refusent de reconnaître qu’il puisse y avoir du racisme dans leur propre communauté.
Ce travail de sensibilisation comporte certains risques personnels, dont celui d’être considéré comme un « comprador », un complice en quelque sorte, qui agirait pour le compte des institutions occidentales.
Ce qui pourrait entraîner mon exclusion complète des cercles intellectuels de la diaspora arabe et faire de moi une cible dans mon pays d’origine. Je ressens une tension entre la célébration de la richesse et de la beauté de ma culture (j’ai créé un festival culturel arabe annuel) et la dénonciation de ses travers.
La ligne est très mince entre le fait de militer pour la justice raciale et d’en rajouter quant à la diabolisation des Arabes. Et en effet, dévoiler des aspects moins reluisants pourrait être nuisible. Cependant, en tant qu’intellectuel canado-irakien jouissant de certains privilèges, j’estime qu’il est de mon devoir de les utiliser en faveur de la justice raciale.
Jabulani Sikhakhane
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