Lueurs dans un océan de ténèbres./ par Abou Hamidou Sy
Il est des tragédies difficiles à commémorer, l’on préfère les enfouir au plus profond de la mémoire. Prétendre qu’ils n’ont jamais existé de peur de réveiller la douleur, de revivre le cauchemar ou tout simplement pour ne pas avoir à expliquer l’horreur à la nouvelle génération.
Ce n’est que plusieurs décennies après l’holocauste, par exemple que les survivants commencèrent à expliquer, plutôt à raconter à leurs enfants et petits enfants ce qui s’est passé dans les camps de concentration. Certains même emportèrent avec eux au tombeau l’horrible secret.
Ce qui est communément appelé chez nous “les événements de 89” est une parfaite illustration de genre de tragédie.
Certes, la barbarie n’avait pas atteint l’amplitude de la “Shoa”, mais l’intention était la même: l’extermination de toute une communauté, en l’occurrence la communauté negro-mauritanienne. Il ne s’agissait ni plus ni moins que d’un génocide dans sa définition la plus élémentaire: « crime qui consiste en une élimination physique intentionnelle, totale ou partielle d’un groupe national, ethnique ou religieux ». Dans le cas qui nous concerne, on peut affiner cette définition en y incluant les génocides culturel et biométrique toujours en cours en Mauritanie. Bien sûre il se trouve toujours dans nôtre pays des esprits malhonnêtes qui versent dans le révisionnisme en essayant d’occulter la nature génocidaire de cette tragédie en la mettant entièrement sur le dos du régime sanguinaire d’Ould. Taya. Qu’ils se rassurent cependant pour le moment, le but de mon propos d’aujourd’hui n’est pas de trouver un sens à ce drame inqualifiable ou d’en indexer les auteurs, qui, de tous les façons n’échappent à personne.
En ce jour, 5 Mai, trente ans après ma déportation j’aimerai d’abord saisir cette occasion pour renouveler mes condoléances et ma compassion à toutes les victimes et leurs familles , surtout ceux qui sont morts en exile sans jamais revoir leur pays tant chéri.
Je voudrai ensuite revenir sur ces petites histoires, oh combien grandes, perdues dans le vacarme du drame qui se dessinait. Des histoires de dignité, de courage, de bravoure, de bienveillance et de résilience.
La dignité de ces chefs de familles acheminés tôt le matin au groupement avec leurs progénitures tirées de leurs sommeils Manu militari. Tous des agents ou cadres de la SONELEC ou de la CNSS.
Aucune protestation, aucun signe de faiblesse, devant les enfants. Chacun restait stoïque peut être pour gâcher le plaisir des agents déporteurs qui se délectaient des lamentations de leurs victimes.
Le courage de ce commissaire maure Abdoul Al Ghafir ( emprunt), un ami d’enfance à mon grand frère trouvé au commissariat de l’aéroport qui s’opposa avec véhémence à notre déportation. Il entra dans une vive altercation avec ses collègues:
« Ces gens sont plus mauritaniens que vous. C’est ma famille, ça fait vingt ans qu’on vit ensemble. Déportez-moi avec eux », disait il en plaidant nôtre cause.
Il se tint debout barrant de son corps la petite porte qui menait au tarmac.
Finalement, un officier en civil intervint pour proposer un compromis:
« Abdel Al Gafur; ils ne peuvent pas tous être tes amis. Dis-nous exactement celui qui a grandi avec toi ».
Celui-ci, dépité pointa le doigt vers mon frère qui fut séparé de la famille et sauvé de la déportation.
La bravoure du pilote algérien, un capitaine qui refusa de nous embarquer après que quelqu’un du groupe lui signifia que nous étions des mauritaniens.
« J’ai reçu les ordres de rapatrier les sénégalais vers leurs pays. Je ne prendrai aucun mauritanien dans mon avion », lançât-il aux officiers maures devenus de plus en plus agités devant notre déportation qui prenait du retard, alors qu’elle devait se faire en catimini.
Devant l’intransigeance de l’algérien, notre groupe fut embarqué dans un avion militaire ( peut être français) vers le Sénégal.
La bienveillance des autorités sénégalaises et leurs agents qui nous accueillirent les bras ouverts.
Résilience enfin des déportés eux même, qui, malgré l’épreuve ont su survivre et se battre pour être reconnus en tant que tels jusqu’au retour à la patrie.
Voilà ce que j’ai choisi de me rappeler de ces “ événements de 89”, qui étaient à mes yeux un génocide avorté, par la grâce de Dieu.
La lutte continue.
Abou Hamidou Sy
Tampa, FL