Présidentielle en RDC : l’Union africaine sort de sa réserve
Le Monde Afrique – L’Union africaine (UA) a fini par rompre avec sa tradition de déclarations prudentes et consensuelles.
Dans un communiqué diffusé jeudi 17 janvier au soir à l’issue d’une réunion à Addis-Abeba, en Ethiopie, l’organisation panafricaine a émis « des doutes sérieux sur la conformité des résultats provisoires » proclamés une semaine plus tôt en République démocratique du Congo (RDC).
En conséquence, « les chefs d’Etat et de gouvernement demandent la suspension de la proclamation des résultats définitifs des élections ». Ce que nulle organisation internationale n’avait osé faire.
L’UA est présidée pour quelques semaines encore par le chef de l’Etat rwandais, Paul Kagame, qui a convoqué cette « réunion de haut niveau » sur la situation post-électorale en RDC. Président réformateur de l’organisation, M. Kagame agit alors que les résultats provisoires annoncés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) proclament la victoire de Félix Tshisekedi, peu apprécié par Kigali mais avec qui le président congolais sortant, Joseph Kabila, a pactisé pour partager le pouvoir. Or, son rival de l’opposition, Martin Fayulu – qui, selon une fuite de données de la CENI, l’a emporté –, conteste ces résultats. Les résultats définitifs sont censés être annoncés sous peu, le président devant prêter serment le 22 janvier.
Longtemps discret, s’interdisant de prendre position publiquement sur la crise politique de son voisin congolais, où il a soutenu des milices et considérablement profité des ressources naturelles, le président rwandais a fini par intervenir diplomatiquement par le biais de l’UA. Et par mettre la pression sur M. Kabila, qu’il connaît bien pour l’avoir encadré puis soutenu après avoir structuré la rébellion de son père, tombeur de Mobutu Sese Seko en 1997.
Les Nations unies paralysées
Joseph Kabila, dont le dernier mandat s’est achevé en décembre 2016, est désormais considéré comme une menace sérieuse pour la sécurité de pays voisins. Ses ruses politiques et son recours à la force pour se maintenir au pouvoir ont fini par considérablement agacer certains de ses parrains régionaux comme l’Angola, l’Afrique du Sud, l’Ouganda et le Rwanda.
« Ce communiqué, c’est du pur Kagame !, observe un haut responsable de l’UA. Kabila est affaibli et isolé. On veut le forcer à recompter les voix sans utiliser le terme de “recomptage”. Le successeur de Kagame à la présidence de l’UA, l’Egyptien Abdel Fattah Al-Sissi, n’est pas du tout sur cette même ligne interventionniste. »
Il est rare que l’UA, faisant fi du sacro-saint respect de la souveraineté, se mêle de la politique intérieure de l’un de ses pays membres. Ce qui lui vaut aujourd’hui d’être accusée d’« ingérence » par les stratèges de M. Kabila. L’organisation, qui avait déployé une mission d’observation électorale en RDC, adopte une position bien plus tranchée que les Nations unies, paralysées par les rivalités entre puissances. Après avoir appelé – puis renoncé – à un « recomptage des voix » et à la formation d’un gouvernement d’union nationale, la Communauté de développement d’Afrique australe, qui s’est réunie quelques heures plus tôt, s’est contentée d’inciter les acteurs congolais au calme.
L’UA, elle, a « convenu d’envoyer en urgence en RDC une délégation (…) dans le but de trouver un consensus sur une issue à la crise post-électorale dans le pays ». Avec une mission délicate : faire valoir la vérité des urnes en évitant une invalidation des élections qui maintiendrait au pouvoir M. Kabila.
Par Joan Tilouine
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