Lettre de Protestation, le président Mauritanien ne mérite pas le prix Mandela
Président de l’Institut Mandela
C’est avec une grande consternation que nous avons appris la désignation du chef de l’Etat Mauritanien comme récipiendaire du prix Mandela 2018 pour la paix et la sécurité.
Nous nous demandons encore quels sont les critères qui ont conduit à un tel résultat.
Je rappelle que Nelson Mandela est une des plus grandes figures du 20ème et 21ème siècle pour avoir combattu l’injustice sous toutes ses formes. Il a surtout été l’un des artisans de la chute de l’apartheid et l’émergence d’une nouvelle Afrique du Sud ou blancs, noirs, indiens et métisses vivent ensemble dans la fraternité et le respect mutuel avec un Etat garant des libertés individuelles et collectives, où tous les citoyens sont désormais égaux devant la loi.
En République Islamique de Mauritanie cependant, nous vivons actuellement ce que Mandela a combattu toute sa vie durant.
– Un génocide que la classe politique appelle « passif humanitaire » a eu lieu à la fin des années 80 et au début des années 90 et a visé particulièrement la communauté Pulaar ou Peulh. Il y’a eu des centaines d’exécutions extrajudiciaires de civiles et militaires où la lumière n’a jamais été faite. Pour protéger les criminels, le gouvernement fit voter une loi d’amnistie aux forceps en 1993.
-Plus de cent milles citoyens Mauritaniens déportés au Sénégal et au Mali par leur propre gouvernement (ce nombre serait maintenant au moins 300 milles du fait du taux de croissance démographique de la Mauritanie qui a presque triplé depuis lors). Un peu plus de vingt milles sont retournés en Mauritanie mais n’ont jusqu’à présent recouvré ni leurs terres, ni leurs maisons, et beaucoup d’entre eux sont apatrides car n’ayant même pas de pièces d’état civile que les autorités refusent sciemment d’attribuer à bon nombre de nos concitoyens noirs. La plus part de ces réfugiés sont toujours au Sénégal et au Mali abandonnés à leur propre sort avec tout ce que cela comporte comme risque dans un sahel en ébullition avec ses vastes territoires devenus des « no man’s land ». A l’heure actuelle, le gouvernement mauritanien accueille des dizaines de milliers de réfugiés maliens soigneusement triés sur la base de leur couleur de peau et/ou de leur affiliation ethnique.
-Une purge dans l’armée et dans l’administration qui a débuté dans les années 80 et qui se poursuit de nos jours. Cette pratique consiste à remplacer systématiquement les citoyens négro-mauritaniens par des Beydhanes (la classe dominante). Au moment où nous rédigeons cette lettre il y’a des écoles militaires où la présence des noirs est quasi nulle.
-L’esclavage est une pratique courante malgré des lois votées ici et là pour calmer la communauté internationale mais sans application concrète. Le gouvernement se préoccupe plus à faire taire les activistes abolitionnistes en réprimant toute manifestation demandant l’application des lois en vigueur.
-Un système éducatif programmé exclusivement pour décourager la composante noire du pays et favoriser une classe dominante composée majoritairement de Beydhanes avec bien entendu quelques cadres négro mauritaniens pour amuser la galerie. Il s’agit principalement de l’utilisation de la langue arabe comme instrument d’oppression culturelle à l’endroit des noirs non arabophones qui voient leurs langues interdites dans l’enseignement malgré des expérimentations réussies dans un passé pas lointain.
-Une réforme foncière qui vise à mettre la main sur ce qui reste des terres de la vallée du fleuve Sénégal habitées par les négro-mauritaniens depuis l’antiquité. Ainsi par décrets des centaines d’hectares sont régulièrement attribués aux investisseurs proches de la classe dominante, ou étrangers souvent venant des pays arabes.
-Comme si le génocide et les massives déportations des années 80 et 90 n’auraient pas suffi pour “dénégrifier” le pays, voilà que le gouvernement invente un recensement biométrique avec pour objectif dit-il de doter la Mauritanie d’un fichier sécurisé. Mais nous savons tous que l’objectif ultime est de priver nos concitoyens noirs de leurs pièces d’état civil pour ensuite les priver de tous leurs droits.
-L’impossibilité des citoyens noirs de se déplacer librement dans leur pays sans subir des exactions et des humiliations de toutes sortes de la part des forces de l’ordre qui se comportent comme des occupants dans les quartiers et villages majoritairement habités par des noirs et des ressortissants Ouest Africains.
-Inutile de vous rappeler que toute l’économie, les medias ainsi que le commandement des forces de sécurité est entre les mains d’une seule communauté, minoritaire comme ce fut le cas en Afrique du Sud du temps de l’apartheid.
La liste est longue. Nous ne pourrions pas énumérer ici tout le calvaire que nos concitoyens noirs vivent au quotidien. Mais n’est-ce pas là une situation d’apartheid ? N’est-ce pas la raison pour laquelle Madiba a passé 27 ans en prison ? Alors voyez-vous, nous nous posons des questions. Nous pensons sincèrement qu’attribuer un prix qui porte le nom de Mandela à une personnalité qui incarne encore ce que notre chère Madiba a combattu toute sa vie durant n’est pas de nature à honorer sa mémoire.
Veuillez agréer Monsieur l’expression de notre haute considération.
MNHRUS (Mauritanian Network for Human Rights in US)
La communication
le 3 Janvier 2019
senalioune