Les criteres de la jeunesses
« La jeunesse n’est pas une période de la vie. Elle est un état de l’esprit, un effort de la volonté, une qualité de l’imagination, une intensité émotive, une victoire du courage sur la timidité, du goût de l’aventure sur l’amour du confort ». Samuel Ullman
Introduction
La jeunesse a depuis longtemps été considérée comme un vecteur du changement social, soit, du côté des tenants de l’ordre, pour s’inquiéter de ses éventuels débordements, soit, du côté des progressistes ou des révolutionnaires, pour se réjouir de sa capacité contestataire. Certains événements (ceux de Mai 68 furent les plus spectaculaires) semblèrent confirmer cette thèse, et avec elle les espoirs et les craintes des uns et des autres. Toutefois, à mesure que cette idée finissait par être reconnue par tous, les comportements des jeunes paraissaient plutôt évoluer vers le repli sur soi, une certaine apathie, voire un recentrage sur les valeurs traditionnelles du travail et de la famille. Bref, l’idéologie qui entoure le discours sur la jeunesse semble entrer constamment en décalage avec les comportements des jeunes eux-mêmes : ce que le discours dominant attend d’eux correspond rarement aux pratiques sociales effectives de cette classe d’âge.
Ce décalage est banal, on peut le constater pour tout groupe social, toujours enjeu d’idéologies ; il est peut-être pourtant plus marqué pour les jeunes : en effet, la définition de cette catégorie est sans doute plus incertaine que celle des classes sociales par exemple, qui semble relativement bien établie, parce que fondée sur la place dans les rapports de production, ou celle des sexes qui s’appuie sur une indiscutable distinction biologique. Mais « être jeune », qu’est-ce que cela signifie au fond ? Quels sont les critères qui définissent sans ambiguïté cet état ? Où se situe la frontière entre la jeunesse et l’âge adulte ? Ces questions mériteraient réponses pour mieux comprendre la situation de la jeunesse….La jeunesse n’est pas seulement fondée sur des critères naturels et physiques mais elle est aussi fondée sur des critères culturels, sociologiques ou psychologiques. C’est durant cette période que l’individu mûrit, acquiert une certaine maturité. La jeunesse est un état d’esprit qui n’existe pas dans toutes les sociétés, elle n’est pas non plus présente à toutes les époques. Les jeunes ont des privilèges : ils ont une grande liberté par rapport aux adultes. Ils se caractérisent par leur dynamisme et ont des activités culturelles, sportives… Ils bougent beaucoup, se croient libres, pensent que tout est permis et aiment découvrir de nouvelles choses.
La définition sociologique de la jeunesse a principalement consisté à étudier les transformations sociales dont cette « catégorie » est l’objet. Cette voie d’élucidation n’est pas univoque mais ouvre sur différents points de vue d’analyse réunis cependant par une démarche commune qui consiste à substituer au concept de jeunesse des notions qui désignent des enjeux sociaux particuliers. La jeunesse est tour à tour désignée comme une « post-adolescence », un « passage à l’âge adulte », une « phase de cycle de vie », un lieu privilégié de « relations entre générations ». À travers l’histoire, les représentations sociales de la jeunesse ont pris des formes variées et contradictoires : une forme critique, les jeunes étant définis avant tout par défaut, par excès, ou encore par opposition au monde des adultes ; une forme positive, qui exalte et glorifie leurs capacités d’innovation et d’enthousiasme. Les perceptions sociales de la jeunesse sont donc ambivalentes, mettant l’accent tantôt sur sa capacité d’innovation, tantôt sur le danger potentiel qu’elle représente pour la cohésion du corps social. Selon les périodes historiques, l’une ou l’autre de ces formes de représentations a dominé, selon que le corps social avait intérêt à insister sur son unité ou au contraire sur sa volonté de changement. Les représentations de sens commun de la jeunesse constituent donc des évaluations subjectives de son intégration dans la société.
De multiples portes d’entrées, une identité plurielle, une forme élaborée de conformisme
Dès lors la difficulté est de comprendre comment la famille, l’école, le travail, la vie affective, la vie associative, les loisirs, etc. concourent à la formation de l’identité. Le terme de « jeune » justifie ici, malgré son approximation, son utilité : il n’est guère possible sans lui de désigner l’unité de ce qui n’est vu que par fragments dans chacun de ces lieux : l’enfant dans sa famille, l’élève à l’école, l’adhérent dans une association, l’apprenti ou le débutant au travail… qui donnent chacun une image d’une personne qui est pourtant toujours la même. L’identité est plurielle, elle renvoie à des appartenances multiples dans des univers hétérogènes. De même le terme pourtant polysémique de « socialisation » est commode pour désigner le processus d’ensemble qui se joue à travers ces différents lieux. Le parcours du jeune ne consiste pas à aller d’un de ces lieux de formation de l’individu à un autre mais de les traverser simultanément. On l’envisage trop souvent comme une succession stricte : la famille, puis l’école, puis le travail. On ne passe en réalité pas de l’un à l’autre, il y a recoupement. Ainsi peut-on remarquer, avec François Dubet, que l’investissement scolaire est un mélange de poursuite d’une utilité scolaire, de désir d’intégration dans une culture commune et de quête d’épanouissement personnel. L’école est un lieu de socialisation par sa fonction d’ouverture intellectuelle. Il s’agit en effet pour elle de donner accès à une expérience qui n’est pas l’expérience familière du jeune et par conséquent de lui faire sentir l’existence de réalités avec lesquelles il n’est pas en contact dans la vie quotidienne mais aussi de lui apprendre à découvrir d’autres points de vue ou à les dépasser par le savoir objectif. Mais elle l’est également dans le sens où elle est un endroit d’intenses relations entre jeunes. Certains auteurs comme Pascale Garnier ou Jean-Pierre Augustin convergent ainsi sur l’idée que l’allongement de la scolarité contribue à faire du groupe de pairs une référence de plus en plus importante dans la construction de l’identité.
La construction de soi dans le rapport à l’autre
La construction de l’identité n’est pas que construction de soi, elle est aussi construction du rapport aux autres. Dans un contexte où la crainte de voir les jeunes, encouragés par les messages consuméristes, ne penser qu’à leurs intérêts personnels et immédiats, il est d’autant plus nécessaire d’accorder du prix à la construction de l’altérité. La découverte de la richesse du lien social passe par toutes les expériences de l’étude, du travail, du loisir et de l’action. La famille, l’école, le travail, l’engagement civique et associatif contribuent tous à apprendre à l’individu à changer de point de vue. Indépendamment de leurs autres fonctions, ce sont des opérateurs par lesquels nous apprenons à déplacer notre regard, à intégrer le point de vue de tous dans nos points de vue particuliers. Il s’agit de donner à l’individu la volonté et la possibilité de participer à un projet collectif, ce qui suppose de savoir se considérer soi-même du point de vue de tous, en apprenant à « se regarder comme un parmi d’autres » selon la formule de Marcel Gauchet, pour qui les mutations de « l’apprentissage de l’abstraction de soi qui crée le sens du public, de l’objectivité, de l’universalité, apprentissage qui vous permet de vous placer du point de vue du collectif, abstraction faite de vos implications immédiates » constituent le véritable enjeu. Ainsi considérés, construction de soi et apprentissage de la vie en collectivité ne sont pas sans lien, bien évidemment, avec les évolutions et le développement des pratiques sociales des jeunes, avec leurs comportements sexuels.
Évolution et développement des pratiques sociales des jeunes
Le développement des pratiques sociales juvéniles qui s’opèrent désormais bien au-delà des lieux de socialisation classiques (famille, école, travail) constitue une des facettes les plus significatives des transformations de cette phase de la vie. Les pratiques sociales des jeunes se distinguent en effet de façon assez marquée de celles des générations précédentes par l’importance du volume de leurs relations quotidiennes, par la plus grande ouverture de celles-ci à des activités externes (sorties entre amis, participation à des activités culturelles, sportives), enfin par la nature informelle de ces relations où les liens d’amitié prédominent, où le choix des autres est possible. La transformation structurelle de la jeunesse au cours des vingt-cinq dernières années a contribué à amplifier l’importance de cette sociabilité entre pairs et à modifier le rôle de celle-ci dans la formation de l’identité. La sociabilité juvénile fournit un terreau fécond pour la réalisation d’apprentissages sociaux, comme l’a montré Claire Bidart les jeunes apprennent à travers ces relations à négocier leur place, à gérer des contradictions, à exploiter des ressources, à concilier des compétences et des contraintes, à orienter leurs parcours. Ces apprentissages participent à la construction de l’autonomie, ils contribuent, pour reprendre les termes d’Hugues Lagrange, à la « mise en continuité de l’héritage et des identifications nouvelles ». Cette intégration du moi, qui demande – particulièrement dans les périodes de changement rapide comme celle que nous vivons – une maturation plus longue comme une diversité d’expériences, passe par la construction de ces mondes à soi. « Les cultures juvéniles ne sont pas simplement des contestations du monde adulte, ce sont des niches générationnelles nécessaires dans la phase ouverte par des sociétés dans lesquelles les changements macro-sociaux anticipent sur l’évolution de l’économie psychique ». Les activités sportives et de loisirs, les activités musicales et culturelles sont communément répandues parmi les jeunes, même si leur formidable développement concerne également d’autres catégories d’âge. Souvent promues par le mouvement associatif, encadrées par des professionnels et des bénévoles, mais de plus en plus concurrencées par le secteur privé lucratif, ces activités donnent à ceux qui y participent l’occasion de se confronter à d’autres formes de socialisation et d’expériences qui concourent le plus souvent de façon positive à la construction d’un rapport à l’autre et parfois d’une conscience collective plus affirmés. Alors que la consommation joue un rôle croissant dans le mode d’affirmation sociale des jeunes allant parfois jusqu’à l’ostentation, le développement de leur participation à la vie associative rappelle utilement que la recherche d’une capacité d’action, individuelle et collective, fait aussi partie des découvertes fondatrices des temps de la jeunesse Les pratiques sportives comme les pratiques culturelles constituent un univers où les personnalités, les goûts, les aspirations peuvent s’exprimer, l’un des champs privilégiés de ce que l’on pourrait appeler le « bricolage identitaire ». Ces pratiques se caractérisent par une grande diversité. Les enquêtes sur les pratiques culturelles des jeunes régulièrement réalisées par le ministère de la Culture sont ainsi conduites à subdiviser la jeunesse en quatre catégories entre 8 et 19 ans pour tenter de donner du sens aux observations. Elles distinguent ainsi les 8-10 ans tournés vers les activités physiques et ludiques ; les 11-13 ans qui opèrent une première rupture avec la pratique encadrée par l’école et la famille, rupture organisée notamment autour de la consommation de musique ; les 14-16 ans, qui s’émancipent des prescriptions des adultes ; enfin, les 17-19 ans, dont les pratiques culturelles commencent à se rapprocher de celles des adultes. Au-delà de ces observations, ces enquêtes montrent un décalage entre la forte consommation culturelle juvénile qui accréditerait l’idée d’une plus grande autonomie des jeunes et la réalité de leur dépendance familiale prolongée, qui renvoie à leur manque de ressources propres et à leur maintien dans le logement parental. Ce décalage ne produit pas seulement des conflits familiaux, qui tournent autour de l’usage domestique des biens de consommation et poussent à un équipement toujours accru des ménages en téléphones, matériel hi-fi, informatique, télévisions, vidéos, etc., il rend aussi particulièrement complexe la compréhension des parcours individuels, faits de rythmes non synchronisés.
Les jeunes, « plaque sensible » du changement
Enfin, il faut compléter ce paysage en rappelant que les pratiques sociales des jeunes passent aussi par l’inactivité, par des rencontres informelles qui amènent à un usage intense de la rue, des espaces publics. Ces nouvelles pratiques « urbaines » peuvent déboucher dans certains cas sur des formes de « socialisation délinquante ».
Pour ne pas conclure
Dans une société démocratique pluraliste qui entérine la liberté d’expression et la divergence des options politiques, les individus sont appelés à arbitrer par eux-mêmes le désaccord des principes auxquels on peut se référer pour organiser la vie collective. Mais à ce repérage des systèmes de valeurs divergents, qui suppose une formation intellectuelle et civique, s’ajoute la nécessité de faire la part des contraintes et des injonctions d’une société dans laquelle l’économie et le marché développent également leurs messages. Dans un tel contexte, il n’est pas très pertinent de se demander si les jeunes partagent les mêmes normes que les adultes, comme si l’on croyait que les adultes vivent selon un seul système de normes. Il est plus exact de se demander comment jeunes et adultes, ensemble, parviennent à se repérer dans un système de pluralité et de contradiction des normes.
Ce système ne produit pas seulement une difficulté de repérage pour les jeunes, il conduit en outre à créer une forme nouvelle d’inégalité. En effet, la réaction à la dispersion des références de conduite ne s’opère pas de la même manière selon le milieu social : le « capital culturel » ainsi que la marge de manœuvre dans les négociations familiales creusent des écarts entre les milieux qui se sentent à l’aise dans le « bricolage » des normes et ceux qui ont du mal à s’y retrouver.
Les réflexions sur la « transmission des valeurs » qui traduisent une conception parfois naïve de la transmission, comme si une société transmettait son héritage devant notaire, devrait affronter plus directement l’évidence de ce double discours devant lequel les adultes mettent les jeunes et devrait s’inquiéter du caractère anxiogène de l’affrontement, le plus souvent opaque, des normes implicites et des normes explicites de nos comportements. Simultanément, cela suppose que nous soyons capables de nous demander comment nous pouvons donner de la visibilité au conflit des normes : quels sont les lieux où les conflits peuvent se manifester pour s’apaiser ? (nous y reviendrons…..).
Quelques précisions
Samuel Ullman (né le 13 avril 1840 à Hechingen en Allemagne – mort le 21 mars 1924 à Birmingham dans l’Alabama) est un poète et homme d’affaires américain.
Pascale GARNIER est docteure en sociologie, professeure en sciences de l’éducation à l’université Paris 13, co-directrice du laboratoire EXPERICE.
Jean-Pierre Augustin, est un géographe français, professeur émérite à l’université Bordeaux-Montaigne, membre de l’UMR PASSAGES (anciennement ADESS) et ancien directeur de recherche à la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine (MSHA).
Marcel Gauchet est un philosophe et historien français né en 1946 à Poilley (Manche). Directeur d’études émérite à l’École des hautes études en sciences sociales (Centre de recherches politiques Raymond Aron),
Claire Bidart- Sociologue- Directrice de Recherche (DR2) au CNRS
Hugues Lagrange, né en 1951 à Bourg-sur-Gironde, est un sociologue français, Directeur de recherche au CNRS
Sociologie de la jeunesse – 6e éd. Broché – 8 novembre 2017 de Olivier Galland (Auteur).
Les étapes de la pensée sociologique Poche – 23 octobre 1976 de Raymond Aron
Sociologie de la vieillesse et du vieillissement Poche – 6 mai 2015 de Vincent Caradec
Dr. Sao Ousmane
Président du CCDMD
Source: Dr. Sao Ousmane
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