Présidentielle au Mali, cet « homme malade du Sahel »
Les Echos – Le pays, où se déroule, dimanche 29 juillet, un scrutin présidentiel attendu, n’en finit pas, ces dernières années, de se déliter en trois grandes zones géographiques, de moins en moins reliées entre elles.
► Dans le nord, la guerre se poursuit
Le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) l’avait promis lors de sa victoire à la présidentielle d’août 2013 : l’accord de paix signé au forceps, deux mois plus tôt, avec les indépendantistes touaregs serait appliqué, la sécurité et l’État seraient de retour… la guerre avec les « terroristes », un mauvais souvenir.
Cinq ans plus tard, les engagements et promesses du président malien sont oubliés. Le premier accord de paix a vite été enterré. Le second, dit d’Alger, signé en juin 2015, célébré par la communauté internationale, est toujours lettre morte.
Si l’État a fait son retour – relatif – à Gao et Tombouctou, il n’en est rien dans les communes rurales, encore moins à Kidal, la troisième grande ville du nord. Après avoir été bousculés par l’opération Serval, en 2013, les groupes djihadistes se sont adaptés à la présence française et à celle des casques bleus. Routes piégées, attaques kamikazes, raids commando… la menace djihadiste est constante et sournoise.
Depuis 2017, la plupart des islamistes se sont fondus dans une même coalition, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Dirigée par le Touareg salafiste Iyad Ag Ghali, cette plateforme du djihadisme sahélien réunit les principaux groupes qui ont conquis le nord du Mali en 2012 : Aqmi, Mujao et Ansar Dine. Ils disposent de bases arrière en Algérie, en particulier dans les montagnes de Kabylie, opèrent surtout dans le nord du Mali, conduisent des opérations jusqu’à Bamako, et étendent leurs ramifications en Tunisie et surtout en Libye. À ce groupe est associé le Front de libération du Macina, dernier né du djihadisme malien, qui opère dans le centre du pays.
À côté du GISM, un autre groupe est très actif dans la région de Ménaka, à la frontière avec le Niger et le Burkina Faso : l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Dirigé par Abou Adnan Walid Sahraoui, un Sahraoui, ce groupe est particulièrement visé par les Français de la force Barkhane, qui s’appuie sur deux milices locales, le Gatia et le MSA, accusées par l’ONU de commettre des exactions contre les civils.
► Dans le centre, naufrage en cours
Cette région de tous les dangers est en train de passer entre les mains du Front de libération du Macina. Ce groupe, fondé par Amadou Koufa en 2015, profite de l’incurie de l’État, de son absence dans le monde rural pour étendre son influence. « Il assure la sécurité, impose la charia, ferme les écoles, dispense la justice, soumet les femmes, règle les conflits communautaires. Son emprise s’étend dans tout le delta intérieur du Niger », constate Florent Geel, directeur Afrique de la FIDH, qui vient d’envoyer une mission dans le centre du Mali.
« Ces hommes ont infiltré les villes de Mopti et Ségou, ils conduisent des opérations jusqu’à Douzam, dans le nord, Diabali, à l’ouest et à la frontière burkinabée, à l’est. Notre équipe a relevé que le premier village à la sortie de Mopti, Nantaka, est contrôlé par Amadou Koufa. »
À cette rébellion, dont la composante est surtout peule, s’ajoute une autre dynamique locale qui déchire le centre : le conflit pour l’accès à la terre et aux points d’eau qui oppose les éleveurs (peuls et touaregs) aux cultivateurs (dogons et bambaras) et leurs alliés, les chasseurs et pêcheurs dozos.
Ces groupes, soumis aux effets du changement climatique, à la pression démographique et à la négligence de Bamako, s’affrontent pour subvenir à leurs besoins dans un contexte de raréfaction des ressources naturelles. Ce conflit prend, depuis deux ans, un caractère de plus en plus violent : chacun a sa milice propre, les exactions ne font que se multiplier.
Durant le 1er trimestre 2018, la Minusma a comptabilisé 85 événements « majeurs violents », ayant provoqué la mort d’au moins 180 civils dans le centre du pays. À quoi s’ajoute la réaction de l’armée malienne. Pour reprendre pied dans la région, Bamako a décidé de lancer une vaste offensive anti-djihadiste. L’opération s’est soldée par de nombreuses exactions commises par l’armée malienne.
« Les militaires, à 90 % des Bambaras, ont pris fait et cause pour les Dogons. Ils ont commis des violations extrêmes des droits de l’homme : nos équipes ont documenté au moins sept massacres, tuant au moins 67 personnes », déplore Florent Geel. Loin de pacifier les esprits, l’offensive a contribué à radicaliser les positions des uns et des autres.
► Bamako, comme si de rien n’était
Alors que le reste du pays lui échappe, la capitale malienne vit un peu comme dans un cocon. Si les tensions du pays résonnent dans le cœur de ses habitants, la vie poursuit son cours dans une forme de normalité. Du point de vue sécuritaire, le dernier attentat d’envergure visant la capitale remonte à un an. Aujourd’hui, tous les grands hôtels sont protégés par des blocs de béton et des gardes équipés d’armes de guerre. Mais au sommet de l’État, on multiplie les initiatives pour montrer que le Mali est sur la bonne voie.
On ne compte plus les conférences, les salons internationaux, les concerts et les événements culturels dans la capitale. Ainsi, ce festival de mode, le Festia, organisé en mai par Fadi Maïga, fille du premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga : « Nous voulons donner de notre pays une autre image. Nous sommes stigmatisés par le “terrorisme”, “l’insécurité”. Mais le Mali, c’est aussi la mode, ses créateurs, ses stylistes, ses mannequins, ses arts et ses cultures régionales », lançait-elle devant un parterre d’invités dont la première dame, le premier ministre et des membres du gouvernement.
Comme un air de fuite en avant au sommet de l’État. « IBK n’a pas été à la hauteur. Ce n’est pas un gros bosseur, son administration n’a pas été réformée, le régime est toujours aussi corrompu. Il a fait preuve d’une grande désinvolture vis-à-vis de son armée », déplore un ancien haut gradé de la force Barkhane. « C’est sûr que le Mali est l’homme malade du Sahel », réplique un diplomate français.
« L’administration n’est pas simplement absente à l’extérieur de Bamako, mais aussi à l’intérieur de la capitale, s’inquiète un ancien diplomate de retour de mission du Mali. L’absentéisme des fonctionnaires est quasi général… » Et de relever que la présence internationale, loin d’aider ce pays à se redresser, génère encore plus de corruption, d’indécence et de dysfonctionnement : « Par exemple, vous ne pouvez plus organiser de réunion de haut niveau sans verser une forte indemnisation à chacun des participants. »
Depuis 2013, Bamako a bénéficié d’un soutien de plus de 1 milliard de dollars (855 millions d’euros) par an en moyenne, selon les statistiques de l’OCDE. La traçabilité de cette aide est des plus obscures. Aujourd’hui, 735 écoles sont fermées dans le nord et le centre du pays. Et le gouvernement, incapable d’y restaurer la sécurité de sa population, délègue cette responsabilité à des milices, creusant plus encore le fossé entre Bamako et sa périphérie.
Repères
« IBK » vise une réélection face à une opposition pléthorique
• 24 candidats sont en lice pour le premier tour de la présidentielle du 29 juillet.
• Le président sortant, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), 73 ans, se représente pour un deuxième mandat. Soutenu par le Rassemblement pour le Mali (RPM), il est l’un des favoris.
• L’ancien premier ministre de la transition, Cheikh Modibo Diarra, 66 ans, et plusieurs anciens ministres, sont aussi en lice.
• Le chef de file de l’opposition, l’ancien ministre des finances Soumaïla Cissé, 68 ans, est le candidat de l’Union pour la République et la démocratie (l’URD) et de la plateforme « Ensemble, restaurons l’espoir », qui rassemble une trentaine de partis politiques et plus de 200 associations.
• Djénéba Ndiaye, 55 ans, est la seule femme candidate, à la tête de l’alliance « Femme en marche pour un Mali émergent ».
Laurent Larcher
cridem