Empressement suspect à ramener et hâte irréfléchie à absoudre.
Les mauritaniens seraient-ils d’éternels naïfs, d’éternels enfants qui préfèrent prolonger leur fugue pour ne pas subir l’ire paternelle après une vétille? Au regard des délires et des jérémiades qui inondent le site cridem, on est fondé à le croire.
Alors qu’une formidable opportunité leur est offerte pour entamer une guérison et se désentraver des forfaitures du passé, les voilà qui reproduisent les mêmes divisions montrant ainsi, n’en déplaise aux optimistes guindés, que ce vaste territoire s’attribue le titre de nation de façon très indue.
En mettant à exécution une promesse électorale, le nouveau président a déchaîné des passions inattendues. Le pays est devenu un capharnaüm où quelques belliqueux osent même affirmer la perspective du recours aux armes si l’arabité de la Mauritanie était menacée et si l’équilibre démographique justifiant l’hégémonie des maures en venait à être ébranlé. Paradoxale Mauritanie car, sous d’autres tropiques, de telles déclarations auraient valu à leur auteur les foudres impitoyables de la justice, socle de toute démocratie véritable.
Le pays des sables avançant vers le Sud a été, au sortir du dernier processus électoral, installé sur le piédestal des grands pays démocratiques. Les observateurs internationaux, prompts à décerner des satisfecit et des brevets de respectabilité, ont leurré la Mauritanie qui n’a pas rompu avec les recettes les plus viles des dictatures modernes et qui s’abreuve toujours à la mare trouble d’un racisme obligé de muer tout en conservant l’essentiel de ses objectifs.
Trois événements de la vie mauritanienne de ces deux dernières années semblent se tenir et participer d’un même triptyque : la mise à l’écart de Ould Taya, la transition menée par Ely et le sacre du surprenant Sidi Ould Cheikh Abdellahi. Tous les observateurs lucides qui n’ont pas encore perdu la tramontane dans ce jeu lugubre comprennent que le système raciste, pour sortir d’une impasse dans laquelle il s’est encliqueté, a concocté un plan dont le dessein est de colmater les brèches d’une politique désormais démasquée et de plus en plus claudicante au regard des nouvelles tendances imprimant la marche du monde.
Pour s’extraire des nasses de leur déportement, les concepteurs du système, après des mois de conciliabules, ont conclu à trois exigences: faire partir Ould Taya tout en garantissant ses arrières, mener une courte transition militaire qui essuiera imparablement la vindicte d’une communauté internationale plus regardante en matière de droits de l’homme et de démocratie et enclencher un processus électoral au terme duquel l’homme le plus rassurant serait promu Président de la République pour renvoyer après cinq ans de mandature l’ascenseur à un « militaire collé à ses basques ».
Cette analyse qui pourrait paraître, aux yeux de quelques mauritaniens espiègles, déconnectée
de la réalité ou comme le fruit d’une puérile affabulation est corroborée au quotidien par un certain nombre de signes très révélateurs. Taya est destitué pour de graves inconduites et ses tombeurs font tout pour rendre son exil doré. Taya a ébranlé « l’unité nationale » et ses successeurs promettent de sévir contre tous ceux qui seraient tentés de porter plainte contre lui. Le Néron des sables a été éloigné et ses anciens suppôts laissent entrevoir la possibilité de son retour dans le pays natal avec tous les avantages dus à son rang d’ancien chef d’état.
Autre signe on ne peut plus édifiant: sous la transition, alors que l’opposition conséquente lui mettait l’épée dans les reins, Ely avait soutenu mordicus que le problème des déportés trouverait un début de solution avec le régime civil et voilà que Sidi Ould Cheikh Abdellahi en fait un axe de ses premiers jours de mandature, même si son intention n’ira pas au-delà du simple retour des loqueteux dans leurs terroirs d’origine. Pour ne pas s’aliéner les militaires au regard inquisiteur, le pardon obligatoire sera imposé aux victimes. Yall Zakaria, le nègre de service, a déjà donné le ton comme si, hors de ce pardon, le pays courait le plus gros péril de son existence.
Aussi, le nouveau Président reconduit les mêmes règles, les mêmes quotas immotivés et les mêmes critères infondés pour couver la minorité beïdane accrochée à son hégémonie. Le discours officiel fait motus et bouche cousue sur des problèmes essentiels ressurgissant avec une redondance incroyable comme celui de la cohabitation. Le pis-aller pour solidifier davantage les assises du système raciste est incontestablement la black out total sur ce thème se posant pourtant avec une acuité incompressible.
Une fois le trébuchet mis à nu, il importe d’évoquer le cas des groupuscules politiques plastronnant à longueur de journée sur leur rôle chimérique dans le projet du retour des réfugiés. Se parant des plumes du paon, des organisations désuètes et en manque de popularité depuis des lustres tentent d’occuper le devant de la scène. Leurs cibles : les extrémistes des deux bords.
Ce thème éculé n’agraine plus personne. Si la Mauritanie a tangué pendant quarante ans dans des eaux incertaines et si les vrais patriotes comprennent qu’il faut aujourd’hui amorcer un nouveau virage, le mérite ne revient certainement pas à ceux qui jouaient aux équilibristes et aux trapézistes pendant que les forces chauvines tenaient le haut du pavé, tuant, déportant, torturant et humiliant des innocents.
Que faisaient-ils durant ces années de plomb, de démesure alors que les Forces de libération africaines de Mauritanie et Conscience et Résistance investissaient les tribunes du monde pour ameuter l’opinion internationale sur les dérives d’un système au coeur d’airain? S’il y a, malgré la tragédie, un mérite à attribuer, il revient d’abord aux déportés qui ont enduré les affres d’un long exil tout en conservant foi et ferveur pour leurs terroirs.
Il faut également rendre un hommage aux FLAM dont la constance dans la dénonciation et la justesse des analyses constituent un gage pour une Mauritanie égalitaire et respectueuse de ses différences qu’il faut sauvegarder non pas par une théorie sulfureuse et sibylline de mariages intercommunautaires mais par une éducation qui mettrait fin à l’inhibition, qui ouvrirait les vannes enserrant les uns et les autres et qui favoriserait l’osmose tant attendue.
Ignorer les FLAM dans ce processus de rassemblement des débris épars du navire, c’est tout simplement faire preuve de mauvaise foi et appareiller pour une mer encore plus agitée. Dans ce même dessein inavouable, des experts et des analystes politiques mauritaniens aux vues décidément courtes assènent péremptoirement que les FLAM doivent baisser pavillon et se fondre dans la meute instar omnium avec la réconciliation enclenchée.
Un tel galimatias, une thèse aussi balourde et un aveu si indigeste ne résistent pas à l’examen le plus superficiel. Qui ose subodorer dans les circonstances présentes une volonté réelle de changer les donnes en Mauritanie? Ne perçoit-on pas plutôt l’inexorabilité de la fin de l’hégémonie Beïdane pour travailler à différer l’apocalypse en attendant de concocter un autre plan visant à concasser plus encore la partie négro-africaine du pays? Ces questions invitent les FLAM à plus de vigilance.
Les services qu’elles rendent à leur pays depuis leurs différents points de chute sont inestimables. Que les analystes portant des millères comprennent que leur ton goguenard ne distraira jamais les FLAM de l’essentiel : dénoncer les travers d’un système pour fonder une véritable nation.
La Mauritanie, pour réussir sa reconstruction, ne doit pas considérer le pardon comme une panacée pouvant obvier à son mal. Elle doit plutôt explorer la piste de la justice, une justice sereine qui condamnerait lourdement pour l’exemple tous ceux qui ont pris part à la barbarie. Pour prémunir toutes nos communautés du retour de tels périls, il faut sanctionner au prorata des entorses à la droiture commises. Pour évacuer les ressentiments et les rancoeurs, les autorités ont un devoir de vérité et de justice envers les victimes et tous les citoyens. Chercher à extorquer le pardon pour couvrir des personnes fautives serait une piste pour installer définitivement l’impunité. La roue de l’histoire tournant, d’autres groupes pourraient se retrouver un jour dans la situation infâmante de victimes.
Après plus de quatre décennies d’indépendance, de « paupérisme démocratique » et de « disette cohabitationniste », un thème taraude désormais les consciences des mauritaniens :
Le vivre ensemble est-il possible alors qu’on manoeuvre en tapinois pour éterniser l’hégémonie d’une nationalité? Les vrais contempteurs de la Mauritanie, ceux qui trouvent leur compte dans ce racisme anachronique et qui oeuvrent pour la perpétuation du système, ne démordront jamais de leurs certitudes et sortiront toujours de leur escarcelle lugubre la recette clanique, tribale ou ethnique, concourantes du reste, aux fins d’approfondir le fossé entre les différentes composantes du pays. Déjà, les harratines sont au centre de grosses convoitises et on tente de les affrioler, de les affriander et de les aguicher avec des théories de bric et de broc inaptes à masquer le passé de douleur vécu par cette importante communauté.
Ramener les déportés est une bonne initiative. Seulement, on se fourvoierait en tentant de n’en retenir que l’aspect humanitaire : la motivation politique et systémique de leur mise à l’écart ne pouvant souffrir d’aucune contestation. Au lieu de jouer à la mouche du coche et de traiter ce dossier très sensible à la six-quatre-deux, osons d’abord revisiter certains de nos concepts tarabiscotés de tellement de prudence suspecte qu’ils sont devenus à la fois globalisants et réducteurs.
« Le passif humanitaire », « les réfugiés », pour n’en prendre que quelques uns faisant florès de nos jours, inondent la presse et les débats. Nul n’ignore que derrière ces concepts « adoucis » à dessein se dissimulent des crimes abominables, des actes ignominieux, des tombes éparses et des fosses communes qu’il faudrait un jour rouvrir pour que le gamin de Ksar Torchane ou de Kanawal, la fillette de Djaguili, l’ado de Touguène et l’enfant de BélinaBé sachent de quel passé ils sont les héritiers, de quels devanciers ils sont les rejetons et combien de morts innocents leur terre renferme. Ainsi seulement, ils trouveront le levain pour se pardonner, pour s’accepter et pour décider enfin de vivre égaux et libres dans cette terre truffée de paradoxes.
Dakar le 25 août 2007.
Par Soulèye Oumar Ba dit Silèye Samba Hamadi Bâ (Dakar, Sénégal)