Le 53 ème anniversaire de notre de décolonisation
Au sujet des indépendances qui ont été «données» en 1960 à 17 pays africains – dont le mien – j’ai toujours eu une opinion atypique. Je pense que la décolonisation a été prématurée.
En fait, le désengagement de la France a plutôt été une démission, dans ce sens qu’il répondait plus à des impératifs et contingences du colonisateur, qu’à des besoins des colonies ou leur aptitude à se prendre en charge.
La célébration, le 28 novembre 2013, du 53 ème anniversaire de l’indépendance nationale de la Mauritanie constitue, pour ma génération (Génération indépendances), un événement marquant : nous avons, à peu près, le même âge que notre Etat.
L’à peu près ici n’est pas de trop. Un sérieux doute entache la précision des dates effectives de naissance de la plupart d’entre nous. Seule une minorité a vu le jour dans des centres où se trouvait un embryon d’état civil, et a pu avoir des documents appelés « acte de naissance », où il est mentionné ‘’né le…’’.
Les autres – moi parmi eux- avaient bénéficié de ce qu’on appelait « jugement supplétif », et qui mentionnait, se limitant à l’année supposée, « né vers… ». C’est que nous étions, dans notre quasi-totalité, des nomades ayant peu de rapports avec les villages ou bourgs où l’administration avait une présence.
Nous avons pris l’habitude, nés le et nés vers confondus, de toujours considérer la cérémonie officielle commémorant la fête nationale du pays, comme une célébration nationale de nos propres anniversaires. Et nous nous suffisons de cela, satisfaits, voire honorés. C’est pour vous décrire dans quel Etat embryonnaire, et dans quelle précarité, la France nous avait laissés.
A l’occasion de l’actuel anniversaire, les nostalgiques parmi nous, se souviendront du discours de feu Mokhtar Ould Daddah, appelé aussi le Père de la Nation. Par ledit discours, prononcé entre des dunes de Sables d’où devait jaillir la capitale politique Nouakchott, il annonçait au Monde l’accession à l’indépendance de la République Islamique de Mauritanie.
Je pense que les motivations de cet « Islamique », que rien, à l’époque, ne pouvait mettre en doute, étaient de noyer d’éventuels tiraillements identitaires entre l’arabité et la négritude, dans la religion, trait d’union entre tous. Tout en célébrant cet événement hautement symbolique, les pragmatiques, quant à eux, ne manqueront pas de se rendre à l’évidence que nous avons été tout simplement décolonisés, pour devenir une dépendance.
En réalité, l’indépendance ne se donne pas. Elle s’acquiert, s’impose, et s’arrache. C’est dans ces cas qu’elle a une saveur, une valeur, qu’elle devient source de fierté et signe de maturité. C’est aussi ainsi qu’elle implique de grandes responsabilités qui incombent à ceux qui prennent la relève de l’administration coloniale. A défaut, ils continueraient à se comporter comme intérimaires, pour assurer les affaires simplement courantes et particulièrement urgentes.
En réalité, en 1960, nous avons bien pris possession des symboles de notre souveraineté, mais nous n’avons jamais maîtrisé les outils de son exercice effectif et efficient.
En guise de symboles, nous avons eu une constitution préconçue, que nous avons modifiée, tronquée, bafouée, suspendue, réanimée, suivant les conjonctures, et selon nos cycliques caprices, et comme bon nous semblait. Un hymne national, dont la musique fait danser la plupart d’entre nous, et dont les textes sont méconnus de tous, ou presque.
Il n’a jamais été appris aux écoliers, à quelque niveau que ce soit. Un beau drapeau vert avec étoile et croissant jaunes, que nous voyons souvent flotter, déchiré, au-dessus des bâtisses de nos institutions régaliennes. Tout morveux se permettrait, sans suite ou poursuite, d’en faire un mouchoir.
C’est donc peu préparés à la prise en main de notre destinée, que nous avons « reçu » notre indépendance. Prendre les rênes d’un Etat caractérisé par la diversité ethnique, la multiplicité tribale, l’immensité territoriale, et l’absence quasi-totale d’infrastructures de base, n’est pas chose facile à gérer.
Gérer c’est prévoir, et prévoir ne fait pas partie, non plus, de notre culture. Nous avons l’habitude de vivre au quotidien, notre heure, comme dit notre adage.
Le manque de compétences nationales, malgré la qualité appréciable de ceux qui avaient accompagné la naissance de la Mauritanie, était un facteur limitant. La rareté des cadres était du fait que faire l’école coloniale était considéré par bien des autochtones comme une hérésie. L’école était, le plus souvent, abritée par une tente, et nomadisait avec le campement. On n’allait pas à l’école, mais il lui revenait de nous suivre, voire poursuivre.
Sur le plan économique, les revenus miniers étaient l’apanage de la Société MIFERMA (Mines de Fer de Mauritanie), qui n’avait de Mauritanien que le nom. Elle va être nationalisée au tout début des années 70.
Mais s’il y a eu quelque retombée de cette mesure, elle va être rapidement engloutie par l’effort de guerre au Sahara Occidental. La seule autre richesse, était les ressources animales. Elle ne va pas tarder à être décimée par la forte sécheresse de 1969.
Sur le plan politique, et sans vouloir écrire l’Histoire, il faut reconnaître que les régimes qui se sont succédé depuis le 28 novembre 1960, ont tous vécu sous le sceau de l’urgence, ou de l’instinct de maintien et d’existence. Il y a lieu de distinguer trois périodes : la période de l’indépendance, le mouvement du 10 juillet, et la Mauritanie nouvelle.
La période de l’indépendance
Le régime de feu Mokhtar Ould Daddah, père de la nation, devait, dès l’indépendance, contre vents et marées, faire face à des défis existentiels majeurs. Il devait, d’abord, asseoir sa légitimité et celle de son pays contestées par des Etats qui étaient loin d’être insignifiants. Ceci a nécessité des efforts, et pris du temps.
Une fois cette bataille gagnée, il devait faire face, à un front intérieur, dont le premier déclic était les incidents ethniques de 1966 qui, à mon avis devaient être l’occasion de régler durablement la question nationale, devenue depuis à rebondissements cycliques.
Le point culminant de ces rebondissements a été les événements de 1989. Il a suffi d’un incident mineur entre éleveurs mauritaniens et agriculteurs sénégalais, pour que se déclenche une crise dont les conséquences, ramifications et séquelles sont encore vivantes. On se devait, dès les prémices de 1966, crever l’abcès, soigner la plaie en évitant de laisser la moindre cicatrice.
Aussi, en plus des mouvements d’obédience nationaliste arabe, il se développera une contestation de plus en plus grandissante de la part d’une jeunesse marxisante et farouchement opposée au néo-colonialisme. Sous la pression de ce mouvement progressiste, qu’il va d’abord réprimer sévèrement, Le Président Mokhtar prendra des décisions courageuses parmi lesquelles, la nationalisation de la MIFERMA, la révision des accords de coopération avec la France, et la création d’une monnaie nationale.
A la suite de cette ouverture, une grande partie de la jeunesse contestatrice va adhérer au parti unique PPM (parti du peuple mauritanien). Malheureusement, ces efforts vont être, anéantis par l’effort et les affres de la guerre du Sahara qui va finir par avoir raison de son régime.
Le « mouvement » du 10 juillet 1978
Las d’une guerre dont la fin ne pointait pas à l’horizon, un groupe d’officiers va finir par déposer le régime de Mokhtar Ould Daddah. A partir du 10 juillet 1978, les militaires ont pris possession du pouvoir, et ne vont plus le lâcher. Je ne connais pas qui est le constitutionnaliste qui leur a trouvé cette formule par laquelle, dans leur premier communiqué radiodiffusé, ils avaient justifié leur putsch : « les forces armées et de sécurité, dépositaires en dernier recours de la légitimité nationale, ont repris le pouvoir à ceux qui l’ont lâchement spolié ».
Leur priorité était de sortir de cette guerre qui les a épuisés. Ils ont, unilatéralement, annoncé l’arrêt des opérations militaires, et ont signé à Alger un acte jugé par certain comme une « capitulation ». Ils ont amorcé leur reconversion, et commençaient à prendre goût à l’exercice savoureux du pouvoir.
Mais toutes les mesures promises de « redressement » et de « salut », sont restées au niveau des slogans, et de la démagogie. Ils n’ont eu la possibilité de réaliser quoi que ce soit, si ce n’est l’armistice et la fuite du Sahara. Aussi étaient-ils accaparés par les déchirements internes et les interminables complots à la Sékou Touré de Guinée, et à bâtir leurs camps Boiro à eux. Chaque groupe d’officiers renversait l’autre, pour annoncer une image idyllique qu’il compte, d’une baguette magique, donner illico presto au pays.
Le seul parmi eux qui a eu une longévité, au cours de laquelle il s’est « civilisé » par des élections (contestées) à la suite du discours de François Mitterrand au sommet de la Baule, était Ould Taya. Ses vingt ans de pouvoirs (tous les pouvoirs), lui aussi, ont connu des soubresauts (événements de 89, divers ‘’complots’’), qui ont perturbé les efforts entrepris sous son règne.
Malgré le volume impressionnant de l’appui extérieur, les projets ne se sont pas inscrits dans une approche globalisante ou une vision prospective pour le développement du pays. Les actions entreprises étaient – et elles le demeurent de nos jours- des actions de propagande à but conjoncturel.
La Mauritanie nouvelle
Puis, depuis 2005, vinrent les Mauritanie (s) virtuelle et nouvelle. La première de SIDIOCA1n’a eu, ni le temps, ni la latitude de faire quoi que ce soit. La seconde quant à elle, s’est lancée dans d’interminables, et d’innombrables projets, dont la pertinence et l’efficience sont mises en doute par nombre de spécialistes. Des projets sans études, sans évaluation de l’impact réel sur le pays et ses populations.
D’aucuns les qualifient de populistes, visant tout simplement à montrer que la Mauritanie venait de naître. Cette Mauritanie nouvelle n’est qu’une version révisée de Ould Taya. Les méthodes ont été maintenues et sophistiquées, mais avec un discours totalement différent. Et dans un pays à tradition orale, c’est le discours qui prime. Par pudeur, si les faits n’ont pas lieu, on fait semblant de fermer les yeux.
Si depuis 1978 nous imputons tous nos maux aux militaires. Nous devons aussi, par souci d’équité, reconnaître que les élites civiles sont largement responsables et coupables. En effet, chaque groupe de militaires a toujours eu ses civils, et vice-versa. La complicité est permanente et quasi-parfaite.
L’objectif commun, est de déplumer le pays qui continue à subir une très forte hémorragie de ses ressources de tout genre, au profit de groupes de plus en plus mafieux. Le peuple lui, pauvre mais digne, demeure l’éternelle victime de toute cette farce.
On lui demande d’applaudir ceux qui ne laissent à ses enfants, comme alternative, qu’aller par désespoir se faire exploser dans une mosquée, église, ou synagogue. Ceux qui au lieu de lui offrir l’opportunité légitime de meilleures conditions de vie, le confinent dans une bataille quotidienne pour la survie.
La irresponsabilité responsabilité de nos élites par rapport à nos déboires, ne disculpe en rien la puissance coloniale. Elle nous a quittés prématurément. Son ombre était perceptible dans tous les événements majeurs que nous avons connus au niveau institutionnel, et qui ont jalonné notre histoire moderne. Elle sait quand même distinguer entre les biens mal acquis, et ceux qui l’ont été de façon limpide.
Elle fait aussi la différence entre des suffrages réalisés, et des voix acquises. Elle avait le devoir de nous tenir par la main, comme un nouveau-né, jusqu’à ce qu’on puisse tenir debout. C’est pourquoi nous avons rapidement trébuché. Moralement, elle se devait de veiller à nos biens jusqu’à ce qu’on atteigne l’âge de la majorité (pas celle au pouvoir). Le système d’appui en vigueur n’est pas de nature à nous sortir du gouffre.
Ils doivent nous aider à renforcer les capacités de nos ressources humaines. C’est seulement avec cela que nous pourrons, à terme, nous prendre en charge. Comme l’a dit Romano Prodi récemment, nous devons innover en matière de démocratie. Aidez-nous, chers partenaires, aimables anciens colonisateurs, en cessant de nous imposer des démocraties copiées de chez vous, et qui ne collent pas chez nous.
Elles ne font que perpétuer les dictatures déguisées, les présidences à vie, et la « légitimité » héréditaire. Ils viennent même d’inventer, en Egypte, la « légitimité de la rue ». Laissez-nous trouver une légitimité consensuelle qui nous sied.
Vous avez le devoir de nous aider dans notre quête de solutions durables pour vivre en toute quiétude dans nos contrées. Avec une égalité des chances, dans les droits et les devoirs. Sans distinction de race, de genre, de croyance ou d’obédience. Nous ne pourrons y arriver qu’avec des politiques dépassionnées, des ressources humaines compétentes, intègres et motivées.
A cet effet, il nous faut des schémas et stratégies de développement durable. C’est le devoir et la responsabilité historique de tous. En premier lieu, elle incombe à ceux qui ont l’honneur et la charge de diriger le pays. Ils ne peuvent continuellement invoquer les manquements de leurs prédécesseurs. Que souhaiteraient-ils que leurs successeurs disent, ou l’histoire immortalise d’eux ?
Perspectives et Alternatives
Nos actuels dirigeants, comme leurs prédécesseurs, gèrent le pays comme une boutique de détail. Ils s’attellent aux raccommodages, à faire face aux urgences. Comme avait dit Edgar Morin « à force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel ». Un Etat n’improvise pas. Le développement ne se décrète pas. Il se planifie à une échelle qui dépasse au moins la génération. La France aujourd’hui, en matière d’aménagement du territoire, sait ce qu’elle veut et va être en 2040.
Si réellement nous allons demeurer ainsi, autant supplier la France pour une recolonisation. A défaut, trouver avec elle une formule originale pour lui sous-traiter la gestion de la République. J’ai tenu à rassurer nos dirigeants, en proposant une formule contenant le « sous ».
En attendant de pouvoir trancher, sachons que le 28 novembre 1960, nous avons eu droit à un État. Et que le 28 novembre 2013, nous devons amorcer l’ère de consolidation des fondements et institutions de l’Etat de droit. L’Etat est, avant tout, un état d’esprit, et non une succession d’états d’âme.
Nous devons nous efforcer de renforcer l’unité Nationale. Réparer les fautes, erreurs ou injustices qui auraient pu l’altérer, en développant la culture du pardon, au lieu de feindre l’oubli. Notre diversité ne doit jamais constituer une source d’adversité. Nos différences doivent être perçues comme une richesse incommensurable, et une complémentarité valorisante et sécurisante. Etre différents n’implique pas nécessairement d’avoir des différends.
Le père de la nation, feu Mokhtar Ould DADDAH aimait dire, non sans conviction : « La Mauritanie sera ce qu’en fera sa jeunesse ». Le fondateur du journal « Le Calame » , feu Habib Ould MAHFOUDH avait prédit: « La Mauritanie sera ce qu’en feront ses femmes ».
Chacun, avait ses raisons, les contextes étant totalement différents. Loin de moi toute velléité de me mesurer à cet homme politique hors pair, ou à cet intellectuel de bon acabit, je me permets de dire: « La Mauritanie sera ce que nous en ferons tous, ou ne sera pas. » Bonne fête à tous. Qu’elle soit une occasion d’indépendance véritable, dans la justice, la sérénité, la stabilité, la prospérité et la quiétude.
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Debellahi
Publié aussi sur http://dabdat.mondoblog.org/
Source: CRIDEM