Monthly Archives: April 2020
M. Brahim Bilal Ramdhane, Président de la Fondation Sahel : ‘’J’ai toujours pensé, avec constance et sans calcul politique qu’en Mauritanie, il y a bien un semblant d’Apartheid qui n’en dit pas le nom’’
Le Calame: Notre pays vient d’enregistrer un 3e cas de COVID-19. Un mauritanien venu de France dans le vol d’Air France du 15 mars dont les passagers n’avaient pas été confinés. Ne s’agit-il pas là d’une faute lourde de conséquences de nos autorités?
Brahim B. Ramdhane : Je ne saurais commencer ces propos dont vous m’offrez l’occasion sans exprimer la solidarité des cadres et militants de la Fondation avec nos chers concitoyens et par-delà avec le gouvernement dans ses efforts visant à circonscrire les dangers et les incidences de cette pandémie sur les populations. En effet, le moment est grave et exige de chacune et de chacun de faire montre de dépassement mais aussi d’altruisme, tant étant entendu qu’aujourd’hui la situation nécessite plus que jamais, la conjugaison des efforts de toutes les forces vives du pays.
Pour en revenir à votre question, le défilement du mauritanien venu de France au confinement est inadmissible. C’est une faute grave, certes. Mais je ne pense pas qu’elle soit celles des autorités,lesquelles travaillent, comme nous le voyons, d’arrache-pied pour nous prémunir des conséquences catastrophiques de cette pandémie et éviter au pays la psychose et les horreurs qui en découlent.
A cet effet, j’estime que les mesures jusqu’ici prise sont tout à fait adéquates; même si d’ailleurs, et cela le président de la République l’a dit à juste titre dans sa première sortie: les actions engagées ne donneraient les résultats escomptés que si seulement les populations suivent à la lettre les consignes et directives données par les services compétents ! Et ici je ne saurais m’empêcher de dire avec amertume que ce 3ème cas auxquels viennent s’ajouter deux autres sont des faits de négligence, j’allais dire de la malhonnêteté intellectuelle de nos compatriotes fuyant de gré les exigences du confinement requis. Sans doute que ces citoyens quelque peu inconscients jouissent quelque part d’une certaine complicité dans les maillons des structures sanitaires et sécuritaires, complicité devant être identifiée et sévèrement condamnée !
Bref, il y a des responsabilités quelque peu partagées. Cela n’est pas cependant surprenant, eu égard à notre faible niveau de civisme et de prise de conscience par rapport à ces dangers. C’est pourquoi il va falloir éviter le pire avec le risque de propagation à l’intérieur du pays… Le 5ème cas découvert à Kaédi tout comme les rumeurs de plus en plus persistante faisant état de personnes fuyant le confinement exposant les leurs… Dieu ne nous dit-il pas que ce qui nous arrive de mal c’est toujours de nous-mêmes? Je crains fort que la culture de l’impunité soit en train de porter ses fruits?
Je profite de votre créneau pour demander aux populations plus de vigilance et de méfiance et aux autorités plus d’intransigeance voire de mesures draconiennes pour éradiquer les prémices d’un désastre imminent.
Je pense aussi que le ministre de la Santé ne doit pas puiser ses informations de l’administration territoriale mais des sources médicales qui sont présentement les seules crédibles. C’est si vrai que les docteurs, on le sait, sont sous le serment d’Hippocrate. Ils sont donc assermentés et dignes de foi.
Cette révélation a été faite au lendemain de l’annonce par le président de la République de la création d’un fonds de lutte contre le COVID -19. Avez-vous le sentiment qu’il s’agit là d’une bonne décision?
Oui …Mais …! C’est effectivement mon sentiment. C’est une très bonne décision. Cependant ma préoccupation majeure, c’est comment ces mesures peuvent être exécutées pour que les soutiens puissent arriver à bon port. En matière de programmes socio-économiques prises par nos gouvernants, elles sont souvent bonnes, mais ce sont les mesures d’applications qui laissent souvent à désirer. Les décideurs publics pêchent à chaque fois par maladresse dans le choix des personnes qu’il faut précisément dans de pareils cas ! Nelson Mandela disait: «Ce que tu fais pour moi, si tu le fais sans moi, tu le fais contre moi».
Au vu des expériences passées, ne craignez-vous que cette manne profite plus aux gros bonnets qu’aux véritables nécessiteuxÂÂ ? Que faudrait-il faire pour sa mise en œuvre?
Effectivement c’est bien cela notre crainte majeure. C’est aussi la même crainte que nous avons formulée lors de la création de TAAZOUR dont on a éloigné les victimes tant au niveau de la gestion que de la planification. Pour tous ces cas, nous avons tendu la main et exprimé notre volonté d’y participer dans le suivi et le contrôle des programmes afin d’en assurer la transparence et l’efficacité… L’espoir d’être entendu est toujours là, présent.
A la veille de la décision de créer le fonds spécial Covid-19, le président de la République s’est entretenu avec les acteurs politiques du pays. Et la société civile?
La société civile n’a pas été consultée ni contactée par le président de la République avant sa dernière sortie. Mais nous estimons qu’elle a été interpellée en filigrane à travers l’appel inclusif à la participation tous azimuts à la conjugaison des efforts pour venir à bout de cette pandémie. Et ici, nous disons haut et fort nous sommes disposés à y participer. Mieux nous sommes même demandeurs de cette coopération gage de bonne gestion des ressources en question pour que seuls les pauvres puissent en bénéficier.
La déclaration du président d’IRA Mauritanie, Biram Dah Abeid, traitant la Mauritanie de pays d’Apartheid a suscité une levée de boucliers. Il a subi des tirs croisés des proches du pouvoir mais aussi de ses détracteurs. Comprenez-vous ses réactions? Les partagez-vous?
Je pense que cette levée de boucliers est une preuve suffisante pour dire qu’il y a effectivement anguille sous roche… J’ai toujours pensé, avec constance et sans calcul politique qu’il y a bien un semblant d’Apartheid qui n’en dit pas le nom. C’est vrai que ce n’est pas un Apartheid réglementé, légiféré, déclaré. Mais il est tacite. Vous pouvez voir ses manifestations partout présentes dans les comportements de tous les jours, et ce depuis 1960. On les trouve dans le traitement sélectif des soumissionnaires, les recrutements militaires et prémilitaires surtout dans les corps des officiers, les promotions et nominations dans les postes de haute responsabilité, l’’attribution de toutes les sortes de licences ou agréments de banques et la liste est longue. Il y a discrimination même dans l’enseignement!
Ceci dit, ce n’est pas la première fois que ce sujet de discrimination et de racisme revient en surface. On en parlait dans les années quatre-vingt-dix. Certains l’appelaient racisme d’Etat. Et cela suscita à l’époque autant de colère que maintenant. Mais qui s’en offusqua? Exactement les mêmes qu’aujourd’hui. C’est le système avec ses ramifications, ces sangsues qui sucent les victimes et tiennent à leur privilèges indus aux dépens de leurs prochains.
Peu importe cependant le qualificatif, encore moins le nom! Il y a bel et bien inégalité criante et donc une véritable injustice sur la base de la race et de la naissance. Il y a bien un mal aux relents racistes qui exige une solution sans délai, une prise de décision juste. Face à cette situation de non-droits, il faudra un traitement de choc pour mettre fin aux dysfonctionnements structurels et multidimensionnels qui minent les rouages publics et privés de l’Etat. La solution n’est pas le déni. Loin s’en faut. La solution, c’est la reconnaissance et accepter de s’engager immédiatement dans une politique d’ouverture immédiate aux fins d’établir un équilibre au sommet de l’Etat de nature à rassurer chaque Mauritanienne et chaque Mauritanien et les convaincre du contraire de ce que nous disons.
Cette sortie remet sur le tapis la question de l’unité nationale que l’on rabâche tout le temps. Avez-vous le sentiment que le président Ghazwani est dans la disposition d’y apporter des solutions?
J’ai beaucoup d’estime et de considération pour le président Mohamed Ould Cheikh Ghazouani avec lequel j’ai discuté tout récemment. Je reconnais qu’il est plein de volonté. Il me semble aussi très sincère et honnête. Mais son défaut majeur c’est qu’il ne veut pas appeler un chat le chat. Il veut soigner un mal sans dire c’est quoi exactement ce mal ! Il y va par métaphores. L’expérience a montré, hélas que cela n’est pas payant tout comme LES GRANDES DECISIONS N’ONT JAMAIS ETE POPULAIRES! Ainsi il doit oser …!
Et si on vous demandait de proposer des solutions à la problématique de l’unité nationale, que préconiseriez-vous?
Alors je suggérerai les mesures suivantes:
- Régler définitivement la question du passif humanitaire et réparer les dégâts que continue à causer le racisme d’Etat dans notre pays; en organisant un débat national, en créant une commission vérité et réconciliation et en appelant au retour de tous les déportés mauritaniens encore en exil.
- Créer d’une véritable Agence Nationale pour l’Eradication de l’Esclavage dotée de moyens autonomes, directement rattachée à la Présidence avec un mandat clair et bien défini ;
- Proclamer une réforme du foncier agricole devant permettre aux victimes de l’esclavage d’accéder à la propriété de terres et mettre en place un fonds spécial aux fins de leur assurer une aide financière et technique ;
- Créer des commissariats pour la lutte contre l’esclavage chargés de traquer et débusquer les infractions à la loi criminalisant l’esclavage, loi N° 31/2015;
Une commission d’enquête parlementaire travaille depuis quelques mois sur la gestion de l’ancien président Aziz. Que pensez-vous d’abord de sa création, de son mandat et sa méthodologie de travail?
l’idée est très bonne. Les dossiers à contrôler ne devaient pas être limités. Il fallait donner à la commission carte blanche d’enquêter sur tout ce qui a trait à cette décennie et qui soit suspect !
Ainsi faite, je ne pense pas que la commission apportera de grands résultats. Surtout que certains membres de ladite commission ne sont pas en odeur de sainteté! Malgré tout cela, j’ai beaucoup d’estime et de considération pour Dane Ould Ethmane et le jeune député Ould Sidi Mouloud!
La question que l’opinion mauritanienne se pose est de savoir si la commission est suffisamment indépendante, si elle pourra éclairer l’opinion et si ses recommandations seront transmises à la justice. Et pour cause, les révélations de la Cour des Comptes, rendues publiques, il y a quelques mois dorment encore dans les tiroirs.
Tout cela est vrai. C’est d’ailleurs notre souci à nous tous! Mais s’il y a une volonté politique de faciliter le travail de cette commission, le travail aboutira sûrement à des résultats qui peuvent être le début de quelque chose.
Pouvez-vous nous dresser succinctement des activités de votre Fondation depuis création?
La Fondation Sahel pour la Défense des Droits de l’Homme, l’Appui à l’Education et à la Paix Sociale (agrément numéro 082 du 7 mars 2017) est née de la volonté de quelques militants chevronnés de la cause antiesclavagiste et pour la défense des droits humains qui. Après avoir expérimenté les méthodes d’agitation et de mobilisation sur le terrain des victimes de l’esclavage, nous en sommes arrivés à la conviction que, maintenant, il convient de passer à la vitesse supérieure et de changer de braquet.
La vitesse supérieure et le changement de braquet consisteront à s’attaquer aux racines du mal et à l’éradiquer. Pour la Fondation Sahel, les racines du mal sont symbolisées dans le maintien des fils et filles des victimes dans l’assujettissement, l’exclusion, la marginalisation et l’ignorance; cette camisole de force que se transmettent des générations en générations et qui les briment en leur bouchant tout espoir de s’en sortir.
Les victimes de l’esclavage, de ses séquelles, de la discrimination raciale, l’exclusion sociale et celles de la marginalisation sont maintenant conscientes de leurs droits. Elles les revendiquent avec une impatience de plus en plus tenace risque, une fois méprisée ou ignorée, de mettre à mal la cohésion sociale et la paix civile dans notre pays.
Sans attendre une quelconque aide, notre Fondation a pu, sur ses propres moyens, scolariser, pour l’année scolaire en cours, plus de 700 enfants issus des milieux les plus défavorisés qui étaient destinés à la rue. Elle a initié à ces fins des campagnes de porte-à-porte de recherches et de rencontre avec leurs familles pour les identifier, résoudre leurs problèmes d’Etat-civil. Nous leur avons proposé des schémas éducatifs, du reste, nombreux et variés, allant des places accordés gracieusement par des écoles privées ou octroyées moyennant des frais de scolarité réduits ou bien aux parrainages par tierces personnes en passant par les écoles d’été, les cours de soutiens en faveur des écoliers en classes d’examen (BACCALAUREAT ET BREVET).
Propos recueillis par DL
Le confinement : seul antidote au COVID-19/ Par Sidi Mohamed Sidaty Ambassadeur chargé de mission
Le silence du confinement libère l’intuition originelle, à des moments d’évasion de l’esprit, par un bouillonnement d’idées qu’il serait égoïste de laisser en friche.
Egrenant les heures qui se succèdent du temps qui suspend son vol avec le refrain du poème (le lac) d’Alfonse de Lamartine, se dévoile, stoïquement, la fragilité de l’espèce humaine face à l’agression foudroyante d’un virus invisible qui menace la vie des terriens sur une planète, déjà, secouée par le dérèglement climatique, les conflits sanglants, les guerres destructrices et l’insécurité due à l’expansion du terrorisme transnational avec ses multiples formes et ramifications.
Sans céder à la tentation pessimiste, comme Henri de de Matherland qui conçoit la vie comme «une ronde mélancolique des êtres», je ne suis mu que par le désir de sensibiliser mes semblables sur les bienfaits du confinement et des mesures protectrices édictées par l’autorité détentrice du pouvoir légitime dans l’intérêt de la nation:Rester à la maison pour se protéger, n’est pas une restriction punitive; mais, au contraire, un comportement civique qui renseigne sur deux qualités intrinsèques d’un citoyen modèle: le civisme et l’amour de la patrie.
Certes, la liberté d’aller et revenir est un droit inaliénable, mais ce droit connait des limites dictées par l’intérêt général.
La pandémie se répand, de façon frénétique, prenant au dépourvu, l’humanité tout entière.
Le seul antidote, à l’heure actuelle, est le confinement préventif qui, pour produire ses effets, doit, nécessairement, se nourrir d’une conscience collective des risques liés à la contagion, en se mêlant aux autres sans prendre les précautions d’usage par l’observance des règles prescrites aux plans national et international.
Sur un plan interne, notre pays a vite réagi face à l’ampleur du phénomène en actionnant les leviers éventuels, grâce à des mesures de prévention dans les divers domaines.
Ces mesures se sont traduites par la création de commissions chargées du suivi de l’épidémie du corona virus et qui sont à pied d’œuvre en matière de diplomatie, de santé, de sécurité, d’économie, de transport et d’hébergement dans des sites aménagés pour accueillir les personnes soumises au confinement, dont certaines sont sorties de l’isolement suite à des tests négatifs à la fin de la période d’observation (14 jours).
C’est, ici, le lieu de noter la promptitude avec laquelle le gouvernement a fait face à la menace du COVID-19 et la prise de conscience de la population qui va crescendo au fur et à mesure du bilan lugubre de la pandémie dans le monde.
A cet égard, le discours que le Président de la République a prononcé le 25 mars courant est venu comme une réponse puissante à la question: «Comment prévenir l’épidémie en conjurant les risques d’une crise socio-économique qui pourrait en découler? »
Ce sera, désormais, grâce à une conjonction de la prévention avec la création d’un fonds de solidarité, doté de 25 milliards MRO destiné à éviter une éventuelle pénurie alimentaire, soutenir le pouvoir d’achat des populations en exonérant certains produits et services à l’importation.
En filigrane de son discours, le Président de la République a réveillé la fibre citoyenne en faisant un appel à chacun, sans distinction aucune, pour intégrer dans son l’idiosyncrasie la nécessité de renforcer l’action gouvernementale face au péril épidémique.
Quant à la mobilisation internationale, la dynamique attendue repose sur la stratégie de l’organisation mondiale de la santé pour faire face à la progression rapide et incontrôlée du virus.
Dans ce contexte de fébrilité généralisée, le monde est saisi d’une panique corona-virale et semble, démuni, en dépit de la puissance des uns et de la superpuissance des autres. Aucun Etat n’est, en ce moment, capable d’endiguer ce fléau mortifère.
Hélas, le XXIe siècle continue de livrer ses mystères avec l’alternance de chocs et naufrages exposant les nations de tous les continents aux Tsunamis, catastrophes naturelles et épidémies d’Ebola à Coronavirus.
Ces défis multiformes, associés à la menace asymétrique du terrorisme, affectent, sensiblement, la quiétude et la tranquillité sur notre planète et induiront, probablement, des transformations de l’ordre mondial.
Un nouvel ordre naîtra de ces mutations intrigantes au sein duquel la puissance et la faiblesse se confondent du fait de l’absence quasi-nulle de résilience des uns et des autres face au choc sanitaire.
Ce constat lancinant m’inspire les réflexionssuivantes:
*La crise sanitaire mondiale nourrit la théorie du choc et naufrage des civilisations;
*La capacité de résilience des puissants est, relativement, égale à celle des faibles face au Coronavirus;
*Le choc épidémique révèle l’importance de l’individu en matière de prévention, puisqu’en se confinant il contribue à prévenir sa contagion et celle des autres;
*Le dépistage de masse est une mesure préventive pour réduire les risques de la contamination par le virus;
*La solidarité sociale est nécessaire face à l’urgence humanitaire;
*La mondialisation de la santé relègue au second plan celle de l’économie.
*La communication numérique permet de suppléer le vide créé par le confinement;
*La pollution diminue grâce au confinement au profit de l’air pur sur une planète menacée par le réchauffement climatique;
*La recherche scientifique, à ce jour, balbutiante focalise l’espérance d’une population mondiale friande d’un antidote miracle;
*L’ordre mondial est-il en train de subir de profondes mutations génératrices de nouveaux paradigmes et suprématies?
le calame
Les séquestrés d’Etat ou la conséquence d’une incompétence notoire
Cher compatriotes,
Hier soir lundi 30 mars j’ai signé un court récit de notre aventure sous le titre « Du confinement à la séquestration ».
Dans cet écrit paru sur Cridem, Al Akhbar et dans de nombreuses autres plateformes d’information, je relatais les faits qui m’ont amené à déclarer que tous nos droits élémentaires étaient foulés au pied par ceux-là mêmes qui devaient les garantir en la matière, en l’occurrence le ministère de la santé et celui de l’intérieur.
Aujourd’hui je vous propose une analyse pour aider les uns et les autres à comprendre ce qui se serait passé et qui a aboutit à notre séquestration.
Je rappelle encore à ceux qui n’auront pas lu mon texte d’hier que je suis arrivé à Nouakchott en même temps qu’un groupe de mauritaniens le 16 mars 2020 à bord d’un vol d’air France. Nous avons été isolés dans plusieurs hôtels de Nouakchott pour s’assurer que nous étions indemnes ou pas de toute contagion au covid 19. J’étais évidemment très content d’être soumis à cette mesure préventive pour ne pas être un éventuel nouveau cas dans notre pays.
Selon la majorité des spécialistes qui se sont exprimés sur cette question, le virus du corona 19 avait un temps d’incubation dans le corps humain de 10 à 14 jours maximum. C’est pourquoi, il a été décidé que notre isolement préventif devait durer 14 jours. Puisque notre isolement total a commencé le 16 mars, il devait donc se terminer logiquement le 29 mars 2020.
Pendant le temps que dura notre isolement les seuls visites que nous avions étaient ceux de l’infirmier et du médecin. Le premier passait avec son thermomètre pour prendre, matin et après-midi, la température de notre corps et le premier pour nous poser toujours la même question « aywa ça va ? » et d’ajouter « alhamdoulihahi ». Un jour je déclarais au médecin que j’étais enrhumé et que je toussais un peu le matin.
A ma grande surprise, il ne me consulta point. Lorsque le surlendemain, j’insistais auprès de la réception de l’hôtel notre médecin se décida malgré lui à me consulter pour que je n’ameute pas tout le monde. Il conclut que c’était juste un petit rhume et me promit de m’apporter « tout à l’heure » des médicaments. Jusqu’aujourd’hui, j’attends toujours ces médicaments. L’ordonnance aurait été déposée au ministère pour être achetée …
Et les gens du ministère de la santé trop occupés à élaborer un plan de dépense des de 2 des 5 milliards annoncés, ont dû oublier par inadvertance mon ordonnance. Après trois jours d’attente, je me suis rappelé le remède de ma mère et demandé au livreur de repas de m’apporter du Laï. Je me suis traité avec succès en mâchant du Laï pendant les repas.
Si un(e) autre confiné(e) a connu la même négligence, si en plus cette personne a le malheur de trainer une quelconque maladie chronique diabète, hypertension artérielle, obésité… alors il n’est pas étonnant que son cas ait abouti à des complications aux conséquences irréversibles. Est-ce le cas de cette compatriote qui vient de perdre la vie ? On ne le saura jamais puisque dans notre pays, la transparence lorsqu’elle est proclamée, est souvent destinée à faire effet de discours.
Rappelez-vous le vocal de ce médecin de Kaédi rétablissant la vérité sur un mensonge déroutant de nos autorités et que le ministre de la santé a menacé de sanction dans son allocution d’hier. Transparence ne rime jamais avec musellement Messieurs les ministres !
Toujours est-il que le 30 mars, de 8h à 18h l’envoyé du ministère de la santé nous a donné plus de 4 rendez-vous pour nous libérer de notre isolement. Tous se sont avérés être de vulgaires mensonges. Lorsque « notre » médecin consent enfin à se présenter devant l’accueil de notre hôtel où il trouva déjà beaucoup parmi les confinés prêts à partir, n’attendant que lui, il nous délivra nos « attestations de sortie ». Nous devrions juste attendre que les véhicules de la commission soient là puisque le couvre-feu a commencé…
C’est à, que nous vîmes les signes d’un retournement spectaculaire de la situation : l’hôtelier ferma la porte d’entrée à clef alors que la gendarmerie se mettait en position visible pour nous faire comprendre que nous n’étions pas autorisés à sortir. Interrogeant le propriétaire de l’hôtel, celui-ci nous dit qu’il venait d’avoir « des instructions fermes » » selon lesquelles, nous devrions remonter dans nos chambres. Jamais je ne me suis senti aussi infantilisé de ma vie ! « Montez dans vos chambres » ! C’est tout !
Le même ministère de la santé qui venait de nous délivrer des attestations de sortie (que j’ai toujours en ma possession) vient nous enfermer une minute après ! C’est pire que de l’incompétence c’est de l’amateurisme à moins que ce ne soit l’habitude de dire et de se dédire. Aucune explication ! Ceux qui furent intimidés par le changement de la situation montèrent. Moi je répondis que je ne montais point! Et que la gendarmerie n’avait qu’à m’y conduire de force ou mieux encore, en prison, comme savent bien le faire nos bidasses !
Des coups de fils passés ça et là ont fini par nous apprendre qu’une compatriote qui serait venue dans le même vol que nous, mais confinée ailleurs, serait brusquement décédée après son séjour de confinement. D’autres nous diront qu’elle a été testée, après sa mort, au covid 19.
Ainsi donc, c’était à nous, qui nous sommes conformés en tout aux mesures de nos autorités, de payer pour leur incompétence caractérisée qui a causé la mort de notre concitoyenne. Pourquoi a-t-on attendu qu’elle soit morte pour lui faire faire un test qui était déjà disponible ? Comment est-ce que les médecins chargés de son suivi pendant les 14 jours de son confinement n’ont pu détecter le moindre signe de son infection ? Qui a choisi ces médecins entre des centaines d’autres ? Ces médecins sont-ils des spécialistes de maladies infectieuses ? Y’aurait-il eu, comme on en a l’habitude, du népotisme, du favoritisme et tous les autres « ismes » qui gangrènent notre pays, dans le chois du personnel de suivi de cette épidémie pour laquelle, rappelons-le, des milliards sont agités ?
Moi qui pensais que nous avions une petite longueur d’avance sur la pandémie ! Ce que je puis affirmer c’est que tout le système est honteusement grippé. Et je ne suis pas d’accord de subir les conséquences de l’incompétence des autres et des tares qui plombent la gouvernance de notre pays. Je ne suis pas d’accord de me retrouver, du jour au lendemain, l’otage d’un Etat qui n’assume pas ses responsabilités.
Oui, chers concitoyens, mes voisins et moi de l’hôtel Ziwanya et d’ailleurs, sommes devenus depuis ce lundi 30 mars les séquestrés de nos autorités qui nous retiennent contre notre gré sans daigner nous fournir une explication en tout cas scientifique, du moins rationnelle. Aujourd’hui c’est nous qui subissons le revers, mais demain ce sera un de vous autres.
Peut-être que mon internet sera rompu, mon téléphone confisqué ou subirai-je d’autres formes de répressions, ce qui est certain, c’est que je ne me coucherai pas ! Et si demain vous ne me lisez pas, comprenez que je suis muselé, car totalement à leur merci.
Une rumeur, car personne ne s’adresse officiellement à nous, nous apprend que notre isolement serait prolongés. Si aucune explication valable ne m’est donnée, à partir de mercredi, je m’engagerai dans une grève de la faim pour mettre fin à ma détention arbitraire ou mourir. Car il est grand temps que dans notre pays on arrête de traiter les citoyens comme de vulgaires pillons.
Nouakchott, le 31 mars 2020.
Pr Mamadou Kalidou BA