Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

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DÉBAT SUR LA TRANSCRIPTION DE NOS LANGUES NATIONALESLet’s be real, Mister Sakho !

DÉBAT SUR LA TRANSCRIPTION DE NOS LANGUES NATIONALESLet’s be real, Mister Sakho !Par Dr Mouhamadou Sy dit Pullo Gaynaako Ainsi donc rouvre le débat sur la transcription des langues non arabes de Mauritanie. Un débat conclu et clos depuis bientôt soixante ans, mais qu’une classe d’idéologues, en Mauritanie, continue de soulever pour la simple raison que la conclusion, pourtant basée sur une expertise bien solide, ne satisfait pas son idéologie conquérante. Il y a moins de deux ans, Pr Ely Moustapha soulevait la même question et prônait, avec beaucoup de méprises sur l’histoire récente de ces langues et leur lutte, et surtout du mépris, volontaire ou par mégarde, à l’égard des communautés concernées et les acteurs de cette lutte, la transcription des dites langues en caractères arabes plutôt que les caractères latins adoptés à la conférence de Bamako. Il y a quelques jours l’on a appris qu’une commission gouvernementale a été mise en place pour veiller à l’application de l’article 6 de la constitution. Le contenu de cet article définit les langues Arabe, Pulaar, Soninké et Wolof comme nationales et promeut l’Arabe à un statut officiel exclusif. À la tête de cette commission se trouve Monsieur Abou Sow, ancien ministre et fervent défenseur de la transcription des langues nationales en caractères arabes. Ce qui frappe dans cette commission c’est déjà l’absence des acteurs reconnus, pour leur compétence et leur dévouement, de la promotion des langues nationales, à commencer par ceux liés de près ou de loin au défunt institut des langues nationales. Comment pourrait cela s’expliquer si ce n’est par un souci de faire passer sans résistance aucune un projet d’empoisonnement de la lutte des langues non arabes du pays ? Il y a plusieurs choses à dire sur cette commission et sur l’article 6 lui-même et son injustice primordiale de laquelle découlent toutes les autres, mais nous y reviendrons une autre fois.La question de la transcription a ainsi inévitablement refait surface à la suite de l’annonce de cette commission et de son programme. Et cette fois, c’est Monsieur Moctar Sakho, dont je viens d’entendre le nom – et je ne le précise que par souci d’exactitude – qui dit nous appeler au « pragmatisme », à la « franchise » et au « réalisme », notamment par la formule « Let’s be real » martelée en point final de son texte. S’il n’y voit pas d’inconvénient, je me permets de la réutiliser. Car en effet, il faut bien être tout cela et regarder la question en face. Sur ce point, Monsieur Sakho, nous sommes vraiment d’accord. Et, il faut surtout analyser les données du problème de façon objective et méticuleuse et non se limiter aux impressions impulsives.Le texte de Monsieur Sakho recycle principalement le fameux argument coranique, dans une saveur qui se veut nouvelle.Tout d’abord, il prétend que l’apprentissage du coran est le point de départ de l’expérience scolaire des enfants mauritaniens, et donc cela peut servir de justification à la décision de changer de transcription en faveur des caractères arabes. En réalité, Monsieur Sakho, il n’en est rien ! les enfants mauritaniens ne commencent pas leur aventure scolaire par l’apprentissage du coran. Que faites-vous de la matrice culturelle et linguistique qui a accueilli ces enfants, à leur naissance, qui les a vu grandir, et qui a forgé les bases d’un certain nombre de leurs fonctions cognitives fondamentales ? Vous allez à l’encontre d’un nombre considérable de résultats scientifiques sur le développement cognitif de l’enfant et son apprentissage en tenant de tels propos. L’école, dans son sens qui sied à ce contexte, commence donc bien avant le coran ; c’est d’ailleurs ainsi que l’apprentissage même du coran utilise les acquis de cette école primordiale dans sa méthode mnémotechnique bien connue chez nous. Par conséquent, ce sont des enfants qui ont déjà expérimenté les vestiges d’une école traditionnelle et ayant subi l’encadrement de diverses institutions sociales, incluant des notions dans divers métiers, qui arrivent chez le maître coranique. En omettant cette réalité qui est loin d’être anodine, vous répliquez les erreurs du système qui a produit les échecs scolaires qui semblent vous préoccuper. Ensuite, vous affirmez, toujours dans le but de défendre une transcription arabe, que ‘notre culture quotidienne est largement arabo-musulmane’. Il faut avouer qu’il y a une certaine ambigüité dans cette affirmation. Mais comme l’on parle des langues non arabes de la Mauritanie, il est logique de considérer qu’elle se rapporte aux communautés non arabes du pays. Elle devient alors tout à fait erronée.Ce qui fait le socle de leur culture quotidienne n’est en aucun cas d’essence arabo-musulmane, ni linguistiquement, ni sociologiquement. Et dire ceci n’est pas nier les influences bien réelles que la culture islamique a sur ces communautés, mais c’est uniquement le faire avec mesure. Affirmer avec aisance une telle contre-vérité scientifique dont le contraire est vérifiable, autant à l’observation de la société en question qu’à la consultation de la vaste littérature de recherche qui lui est consacrée, est tout juste indigne de quelqu’un qui prétend faire une proposition d’une certaine clairvoyance scientifique. Vous nous avez appelés à la raison, en utilisant la malencontreuse formule de Senghor. Ce que, personnellement, je trouve très irrespectueux et mal placé. Tout de même, j’apprécie beaucoup l’invitation en tant que telle. Nous sommes ici précisément sur un terrain strictement rationnel. Vous ne serez certainement pas contre que nous adoptions une attitude logique vis-à-vis de la question, vu que vous l’avez vous-même demandé. Donc je suppose que vous êtes à l’aise.Vous dites avoir basé votre réflexion sur votre propre expérience. Expliquez nous alors comment votre expérience de praticien des langues vous a mené à la conclusion qu’en Mauritanie, toutes les langues devraient utiliser les caractères arabes. Avez-vous déjà été confronté à ces problématiques ? Mieux, avez-vous mené des études dont les résultats l’ont suggérée ? Si de l’expertise il y est, il ne suffirait tout de même pas de réclamer une profession pour la faire s’exprimer ; il faudrait, à la place, fournir des arguments solides qui relient vos observations à la théorie que vous en faites. Tout ceci en gardant à l’esprit que, sans une étude à grande échelle, ces observations personnelles n’auront que la valeur épistémique très limitée qu’un témoignage peut avoir. En tout cas, ce serait ainsi ; si jamais l’on décidait de faire les choses avec raison, comme vous le réclamez. Maintenant que nous avons discuté de la faiblesse des arguments principaux du texte de Monsieur Sakho, il convient d’exposer ceux qui sous-tendent la position opposée. Contrairement à ce que laisse penser un passage du texte de Sakho, l’argument des partisans de la continuation des caractères latins n’est pas basé sur le seul fait que l’UNESCO les reconnaît. Il y a des raisons de nature scientifique qui font qu’ils sont préférables aux caractères arabes, en plus des raisons culturelles, géographiques et programmatiques bien solides. Il y a deux ans, dans le contexte du même débat, il a été exposé le fait vérifiable, basé sur une analyse comparative des sons fondamentaux du Pulaar et ceux du Français et de l’Arabe, que le Pulaar partageait avec le Français 70,97% de ses sons fondamentaux contre 51,61% de sons partagés avec l’Arabe. Un an plus tard, dans une étude statistique sur l’utilisation relative des lettres Pulaar dans sa production écrite, j’ai pu calculer les fréquences d’utilisation de chaque lettre. Je tiens à préciser que l’étude n’était en aucune manière motivée par ce débat. D’ailleurs, qui l’a déjà lu peut, tout au plus, témoigner des motivations cryptanalytiques. C’est bien plus tard que j’ai fait la remarque évidente que ces données peuvent, en fait, raffiner l’observation basique faite ci-haut sur le rapport des sons. On trouve en fait que les sons du Pulaar extra-latins ne sont utilisés qu’à hauteur de 4,34%, ce qui veut dire que les 70,97% des sons que le Pulaar partage avec le Français expriment déjà 95,66% de la production écrite du Pulaar. La même observation montre que 72,65% de cette production est exprimée par les sons arabes. La différence est donc de 23,01% en faveur du Français, et des caractères latins donc ! Vous vouliez de la raison ? Elle est là exprimée par les chiffres et par la méthode dépourvue des sentiments. Reste à savoir ce que vous voudrez rationnellement qu’on en fasse !Rien qu’à ce niveau, on voit donc l’avantage phénoménal que les caractères latins ont sur ceux arabes dans le contexte de la transcription du Pulaar. La même conclusion devrait s’appliquer aux autres langues concernées vu leur parenté avec le Pulaar.Les autres arguments qu’il ne faudrait pas négliger non plus comprennent la standardisation : on ne peut pas sérieusement soutenir que des langues transfrontalières comme celles dont on parle adoptent une transcription différente selon la géographie. Cela constituerait un frein sérieux à leur développement qu’aucune solution nationale ne pourra résorber. Là aussi, let’s be real et pensons convenablement la question. La nature transfrontalière de ces langues et les peuples qui les parlent est un fait qui se passe de toute discussion et vouloir la tronquer pour satisfaire les caprices d’une idéologie est un manque de sérieux inouï qui, dans de conditions normales, ne mériterait qu’un petit sourire. Je crois que les penseurs africains auront toujours tort de vouloir confiner les réalités de leurs peuples dans les aléas géographiques des frontières insoucieuses de toute réalité culturelle ou économique des populations. Surtout, pas au moment où une nécessité pressante fait que même des frontières construites de façon progressive et reflétant une certaine logique historique sont en train de se fléchir au profit du contact des peuples plutôt que de poursuivre les rigidités nationalistes. La véritable Afrique est celle des peuples et non celle des états dessinés à la va-vite. Notre salut passera par le fait que les états finissent par le comprendre, et qu’ils arrêtent de céder au jeu dangereux qui est celui d’assister sans réagir à la mort des peuples (de leurs langues et cultures) quand ils ne l’accélèrent pas par diverses manipulations et mises en opposition génocidaires de leurs communautés constitutives. Ils ont tout intérêt à mettre l’accent sur ces ponts qui les relient de façon si profonde, et de mener des politiques de développement adaptées.La vocation de la Mauritanie, comme celle de tout état africain typique, n’est pas de se matérialiser en un terrain où une culture promue au sommet de l’état assimile -voire assassine – les autres. Il n’est pas question de requérir les mêmes traits culturels, linguistiques ou ‘transcriptifs’ pour garantir la paix dans un pays, surtout pas de le faire en sommant les défavorisés de l’état à rejoindre l’élu. Il est plutôt question d’admettre sa diversité et d’en faire une identité, une force ; d’accueillir l’éventail culturel, linguistique et historique ; d’incuber ces imaginaires dans le plus profond des programmes éducatifs et culturels pour espérer cueillir des créativités diverses. Cela nécessite une dimension dans nos réflexions qui va au-delà des frontières et qui permet de renouer avec notre trajectoire historique authentique.

Mouhamadou Sy

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« Trahir la Constitution, c’est renoncer à l’immunité présidentielle »

Le Point Afrique – TRIBUNE. Qu’il s’agisse de la Mauritanie ou d’un autre pays africain, aucune excuse ne doit empêcher que la corruption des anciens chefs d’État ne soit sanctionnée.

Mon respect est immense pour l’œuvre de Tierno Monénembo. Mais son récent « plaidoyer pour Mohamed Ould Abdel Aziz » me semble contestable. Il est certain que les périodes autocratiques sont destructrices et difficiles à réparer. Il est vrai aussi que l’alternance pacifique en Afrique doit être à chaque fois saluée parce qu’elle sauve notre continent de dérives qu’il n’a que trop connues.

Mais il est plus vrai encore que la corruption et les détournements de biens publics ont condamné nos pays à la pauvreté et la dépendance extérieure, qu’ils ont interdit tout sursaut, qu’ils ont spolié nos populations et qu’ils ont souvent bradé nos richesses.

La corruption une vraie menace

Contrairement à Tierno Monénembo, je pense que l’essentiel est là. Pour avoir servi l’État à ma modeste échelle, je sais ce que coûtent l’appât du gain, les conflits d’intérêts et les petites corruptions qui se cachent derrière les grandes.

La démocratie ne peut être mature tant que l’économie n’est pas un tant soit peu purifiée, tant que l’État de droit n’est pas respecté, tant que les activités prévaricatrices ne seront pas punies.

Le risque est grand de tendre vers des régimes antidémocratiques La Mauritanie a indirectement hérité d’une Constitution inspirée de celle de la France, pays qui a fait le choix d’un présidentialisme fort, imprégnée d’un esprit de monarchique.

De fait, chez nous, le risque est grand pour nos dirigeants de tendre vers un régime antidémocratique. « Il est nécessaire de préciser qu’il est actuellement en détention, non pas pour les faits qui lui sont reprochés, mais pour avoir refusé de respecter les conditions du contrôle judiciaire que la justice lui a imposé. »

Une précision est nécessaire concernant l’ex-président Aziz

Il ne s’agit pas ici de condamner l’ancien président Aziz ou de l’absoudre. Ce sera le travail des juges. Seulement, il est nécessaire de préciser qu’il est actuellement en détention, non pas pour les faits qui lui sont reprochés, mais pour avoir refusé de respecter les conditions du contrôle judiciaire que la justice lui a imposées.

Pour l’écrivain Mbarek Ould Beyrouk, l’ex-président Mohamed Ould Abdelaziz “est actuellement en détention, non pas pour les faits qui lui sont reprochés, mais pour avoir refusé de respecter les conditions du contrôle judiciaire que la justice lui a imposées”.

L’ancien président, inculpé suite aux accusations d’une commission parlementaire, se défend des faits qui lui sont reprochés. Il s’est d’ailleurs largement exprimé dans les médias nationaux et internationaux. Demain, il devrait bénéficier d’un procès équitable.

La loi doit s’appliquer à tous et la justice équitablement rendue

Quel que soit son verdict, il est donc essentiel que ce procès se tienne, car le peuple mauritanien mérite que la loi s’applique à tous et que justice soit équitablement rendue. La velléité avec laquelle les avocats d’Aziz invoquent la prétendue immunité absolue de leur client montre le chemin difficile qu’il reste à parcourir pour que l’égalité devant la justice s’inscrive comme une évidence dans les mentalités.

En effet, Aziz considère que le procès est nul et non avenu, car l’article 93 de la Constitution garantirait à l’ex-président l’immunité dans l’exercice de ses fonctions. Se faisant, ils admettent indirectement que les faits de corruption dont il est accusé font partie de la « norme » dans le service des plus hautes fonctions de l’État.

Donc, finalement…

Ainsi, je voudrais dire à ce grand écrivain qu’est Tierno Monénembo qu’il n’est pas normal que la corruption soit un phénomène normal ; les intellectuels africains ne devraient pas l’accepter. Non, l’essentiel n’est pas dans les kermesses politiques, même pas dans les douces passations de pouvoir, mais bien dans la volonté d’apporter une éducation de qualité, un système de santé acceptable et un niveau de vie décent. Pour ce faire, on ne peut pas accepter que les fonds destinés à ces grands objectifs soient détournés par les rapaces.

Par Mbarek Ould Beyrouk*
 

mauriweb

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Mauritanie : l’institution militaire, colonne vertébrale du grand effacement des citoyens noirs !

L’armée « mauritanienne » existe. Cela ne fait pas de doute. Omniprésente, elle régente le pays depuis plus de quarante ans. Tout passe par elle. Tout revient à elle et tout lui revient. Est-elle nationale ? Sûrement pas. Elle est plutôt ethnique, tribale et l’apanage d’une seule composante du pays : la composante maure. Ce n’est pas la dernière et monocolore vague de promotion d’officiers généraux, intervenue le 8 juin 2020, qui fera penser le contraire. Dix promotions pour dix officiers maures promus. Oui, dix sur dix. Au moins, les faits ont le mérite de la clarté. Même les plus béats des optimistes se rendent à l’évidence : le taiseux Ghazouani est bel et bien un homme du système d’exclusion et fera tout pour le préserver et le consolider.Le pire n’étant jamais sûr, le tout nouveau promu au poste de Chef d’Etat-major des armées (CEMGA), le général Mohamed Ould Meguett est, depuis de nombreuses années, régulièrement mis en cause pour des pratiques génocidaires. Tout juste nommé, l’intéressé a, à son tour, choisi ses collaborateurs. Bis repetita. Dix autres nominations et dix maures dont celle du directeur de l’Ecole Militaire Interarmes d’Atar, pépinière des futurs officiers de l’armée mauritanienne, de fait fermée progressivement aux Noirs. Une autre, au poste de directeur adjoint du bureau présidentiel d’études et de documentation, interroge quand on sait la nature des liens familiaux qui unissent ce promu à l’ancien chef de l’Etat en exil au Qatar depuis 2005. 
Prépare-t-on le retour de celui qui est désigné comme principal responsable du génocide d’une composante de la communauté noire? L’agenda caché serait-il en rapport avec le programme d’effacement des non arabes de la très raciste mouvance panarabiste qui entoure le pouvoir militaire. Son projet d’en découdre, sa présence et son activisme jusqu’au sein des cercles restreints des décideurs politiques ne sont un secret pour personne.
Au-delà de la seule confiscation de l’armée, le général Mohamed Ould Ghazouani a tenu à envoyer un message on ne peut plus clair à ceux qui douteraient encore. Pour le désormais ex-obligé et ex-ami du président sortant, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, il s’agit par-dessus tout de protéger une armée intimement associée au génocide des années 1989 à 1991 notamment. Rien de tel qu’un réel bien qu’invisible panneau « Sens interdit, haut commandement interdit aux Noirs » pour lever toute équivoque. 
Conçu par et sous le pouvoir civil, ce panneau a régi cette institution durant l’effroyable et interminable règne du colonel Maawiya Ould Sid’Ahmed Taya (1984-2005) désigné comme l’architecte du génocide. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz, Chef de l’Etat sortant, un de ses successeurs, n’aura aucun mal à assumer et à  perpétuer cet héritage funeste.
Sûr de sa domination et gonflé de mépris, le pouvoir raciste mauritanien ne prend même plus la peine de faire semblant. A quoi bon ? Comment en est-on arrivé là? Sûrement pas par hasard. La réalité actuelle est le résultat prévisible d’une entreprise, pensée de longue date, voulue et appliquée avec le plus grand soin. Elle repose sur une entreprise d’éviction systématique, programmée depuis plusieurs décennies, de la composante noire de tous les centres et leviers de décision de l’institution militaire.
Toute la stratégie de recrutements est conçue en fonction de cet objectif obsessionnel de « dénégrification ». Relégués, pour combien de temps encore, au statut d’hommes de troupe, quasi absents de la hiérarchie, les Noirs sont réduits à des fonctions subalternes et à des missions ingrates. L’odieux et récent meurtre du malheureux civil Abbass Diallo, froidement abattu par l’armée le 28 mai dernier dans le sud du pays pour un fait mineur, figure au nombre de celles-là. Chacun à sa place et le tour est joué. 
L’artisan acharné et méticuleux de cette opération de blanchiment n’est autre que l’actuel Chef de l’Etat, le général Ghazouani, homme du sérail s’il en est. chef d’Etat-major de l’armée, il s’est évertué avec minutie et acharnement à épurer définitivement celle-ci de ses derniers éléments négro-africains. Pour ce faire, il s’est doté d’un outil. Le recrutement est, dans les faits, remplacé par la sélection sur des bases raciale, ethnique et tribale. 
La cooptation et l’entre-soi sont devenus la règle. Les concours d’entrée n’ont de concours que l’apparence. La discrimination est l’alpha et l’oméga de la « belle » machinerie. L’arabisation artificielle sert de moyen d’exclusion. Tout est fait pour signifier aux citoyens noirs que l’armée de leur pays n’est pas faite pour eux et donc décourager leurs candidatures, de toute façon, vouées à l’échec. 
Il est désormais « naturel » que des promotions entières de recrues ne comportent aucun Noir alors que cette communauté représente un poids démographique considérable. Faut-il rappeler que les militaires noirs se sont, notamment au niveau du commandement, illustrés et durant la guerre dite du Sahara. Rien d’étonnant. 
L’exclusion au sein de l’armée n’est jamais que le reflet du racisme systémique qui est l’essence même de l’Etat mauritanien. On peut l’observer à tous les autres échelons de la vie nationale, qu’il s’agisse de la fonction publique et notamment la haute administration, de l’enseignement, de la santé, de l’information, de la vie économique. La politique d’assimilation par la langue arabe n’en est qu’une manifestation en format réduit. Enjeu important et immédiat de pouvoir, l’institution militaire est une loupe grossissante de la réalité mauritanienne. Celle d’un pays dans lequel le racisme et les discriminations sont incarnés par et dans l’Etat.
Ciré Ba.

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Mauritanie : la campagne d’accaparement des terres de la Vallée est lancée

Boubacar Diagana et Ciré Ba – Dans une interview accordée récemment à un hebdomadaire étranger, Monsieur Ousmane Kane, ministre des Affaires économiques et de la promotion des secteurs productifs affirme être «en train de travailler avec la Banque mondiale afin d’attirer le privé international pour investir dans l’agriculture» mauritanienne.

Son diagnostic est des plus clairs : «nous ne pouvons plus laisser ces terres sans valorisation, les populations locales n’ont pas les moyens d’en tirer tout le potentiel». Sa thérapie révélée dans un audio diffusé par la radio de Dar El Barka, il y a quelques semaines, l’est moins.

Son évaluation des avantages de l’investissement international occulte le fait qu’elle repose sur l’accaparement de ses terres, les dépossessions des uns qui subissent l’exclusion et les appropriations par d’autres considérés comme propriétaires exclusifs de l’espace national, de la mer, du ciel, des richesses et du pouvoir mauritaniens.

Le ministre est dans son rôle

Nul ne songera à le lui reprocher. Dans le même temps, nul ne peut méconnaître que venant de Monsieur Ousmane Kane, le propos revêt des significations politiques et même symboliques particulières. Il n’ignore rien des discriminations dont sont victimes les populations noires. Il avait fait état de ces discriminations lors de la conférence organisée par le Collectif des Cadres Mauritaniens Expatriés fin 2018. Il n’avait pas de charge politique.

Ministre technique à la compétence reconnue, Monsieur Kane est également perçu, à son corps défendant, comme une des cautions négro-africaines du gouvernement Ghazouani dont on sait à quel point il est peu soucieux de la représentation de cette communauté. Monsieur Ghazouani est en effet celui qui a poussé le plus loin l’entreprise de blanchiment tranquille et par contrecoup celle de l’effacement des Négro-africains de tous les pans du paysage mauritanien : forces armées et de sécurité, administration, magistrature, enseignement, monde médical… Les concours et les recrutements se suivent et se ressemblent dans leur implacable monotonie chromatique. Plus blanc que blanc. L’ensemble fait système. Il faut être aveugle pour ne pas le voir.

Quel rapport avec le foncier diriez-vous?

Un rapport évident : en Mauritanie, seul l’État, par le jeu de l’Ordonnance de 1983, peut accorder des concessions aux citoyens (et pour la circonstance aux investisseurs internationaux) qui en font la demande. Les concessions entre 30 000 et 100 000 ha sont soumises à une autorisation du ministre des finances. Celles de plus de 100 000 ha sont cédées par décision du conseil des ministres, auquel il siège. La déclaration du ministre ne peut se lire en ignorant l’arrière-plan qui en est le socle et le soubassement. Ceux-ci ont pour nom réforme foncière. On sait aussi comment l’Institution de Bretton Woods profite des lois floues de certains pays dans lesquels l’État, en « immatriculant » des terres faisant auparavant l’objet de droits traditionnels, droits reconnus au demeurant jusqu’au moment où il décide du contraire, pour exproprier des populations rétives à la modernité ou hostiles au pouvoir.

Associer les populations! Qu’à Dieu ne plaise, elles ne demandent que ça

Oui, Monsieur le ministre. Du moins au principe : « La mise en valeur des terres de la Vallée du fleuve Sénégal débouche sur processus gagnant-gagnant, afin d’en faire une source de croissance et d’emplois au profit d’une région que les habitants quittent».

Les investisseurs internationaux visent des objectifs commerciaux internationaux. Ils n’ont pas le souci de la satisfaction des besoins alimentaires locaux. Au Mali, une société libyenne exploite dans l’Office du Niger, à forte chimisation, motorisation et irrigation, 100 000 ha pour cultiver du riz destiné à l’exportation. En Éthiopie, 4 millions de personnes dépendent de l’aide alimentaire. Dans le même temps, l’État vend des terres à des investisseurs internationaux pour produire des produits agricoles non alimentaires. En Guinée, 100 000 ha sont affectées à une société américaine pour produire du maïs ou du soja destinés à l’exportation ou à la production d’agrocarburants. Aucun véhicule dans ce pays, ni dans nul autre pays africain, ne roule à de tels carburants. Si dans le deal qui se trame, les paysans de la Vallée, détenteurs des terres, ne retrouvent «que» des emplois, non seulement ils n’y gagnent pas (il faudra désormais travailler selon des méthodes jusque là inconnues), mais ils perdent au passage la possession de leurs terres.Une approche gagnant-gagnant ? Éminemment souhaitable. Reste à en voir la traduction réelle.

Mais aurez-vous les moyens de vos ambitions affichées? De tenir vos engagements? Vous en laissera-t-on la possibilité? Le doute est permis

Il y a tout lieu d’en douter compte tenu des précédents et des pratiques traditionnellement brutales qui ont eu cours jusqu’ici. Faut-il rappeler que la politique foncière en Mauritanie est à l’image de la politique mauritanienne? Qu’elle est basée sur un système foncièrement raciste et discriminatoire? Qu’elle a pour levier un Land Act à la mauritanienne fondé sur la confiscation des terres négro-africaines au profit d’opérateurs privés issus tous de la même communauté et appartenant à la même couleur de peau? « Le privé mauritanien» a essayé de venir en appoint » dites-vous Monsieur le ministre.

Existe-t-il réellement un «privé mauritanien»? Les rares qui disposent de la puissance financière nécessaire ont mis à l’abri leurs terres en les mettant en valeur, au grand bonheur de leurs familles. N’avons-nous pas plutôt affaire à une caste monocolore d’hommes d’affaires avides et sans scrupule portée par un pouvoir racialiste jouant les communautés les unes contre les autres? Au risque de générer de nouveaux affrontements et des pogroms alors même que les plaies des pogroms anti négro-africains restent béantes? Les événements récents de Dar El Barka, Feralla et plus généralement dans le sud du pays n’incitent pas à l’optimisme. N’eût été le courage des populations, les terres ancestrales seraient à ce jour aux mains d’affairistes sans vergogne. Ce n’est pas avec la logique mercantile de ces rapaces que les populations tireront de l’exploitation des terres «tout le potentiel » comme vous l’appelez de vos vœux monsieur le ministre.

Vous voulez faire œuvre de «pédagogie»? Dieu vous entende

Ce serait une nouveauté. «La bonne approche» réside dans une bonne gouvernance financière impliquant populations locales via leurs représentants réunis par exemple en conseils ruraux ou collectifs d’exploitants. Ou toute autre forme qu’elles auraient choisie. En tout cas, «la bonne approche» ne saurait être la gouvernance actuelle dans laquelle l’État et ses démembrements imposent toute leur puissance, les paysans opposent leur courage.

Puissiez-vous, Monsieur le ministre faire preuve de la même prudence que vos partenaires potentiels de la Banque mondiale qui, dans un communiqué du 26 février dernier, se sont engagés à prendre en considération toutes les dimensions et tous les enjeux du sujet. Oui, Monsieur le ministre une problématique foncière ne peut être perçue sous le seul angle technocratique et économique. Elle recèle des dimensions de caractère humain, identitaire, symbolique et de justice sociale. Toutes choses allègrement ignorées jusqu’ici par le pouvoir dominateur, éliminationniste et raciste de Mauritanie.

Il est encore temps de changer. L’avenir de la cohabitation paisible entre nos communautés en dépend. Refusons toutes entreprises visant à liguer les unes contre les autres et toutes spoliations injustes de nos paysans. Leurs terres, c’est leur vie, leur dignité.

Pour rappel dans son article 17 la déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans, adoptée par résolution du Conseil des droits de l’homme en septembre 2018, stipule :« Les États prendront des mesures appropriées pour veiller à la reconnaissance juridique des droits fonciers, y compris les droits fonciers coutumiers actuellement dépourvus de protection légale …. Les États protégeront les formes d’occupation légitimes et veilleront à ce que les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales ne fassent pas l’objet d’expulsions arbitraires ou illégales et à ce que leurs droits ne soient pas éteints ni bafoués de quelque autre manière ». Dès lors, les terres des déportés aussi et toute terre considérées «vacantes» faute de moyens d’exploitations ne doivent faire l’objet d’expropriations.

Boubacar Diagana et Ciré Ba – Paris, le 03/06/2021

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CONTRIBUTION AU DÉBAT Sur la question des noirs dans le système éducatif mauritanien Dr Mouhamadou Sy dit Pullo Gaynaako

Je ne veux pas que cette note soit longue – une fois n’est pas coutume. Encore une fois, une nouvelle promotion monocolore vient s’ajouter aux autres. Ceci, pour le coup, devient une coutume qui s’ancre de plus en plus !Il n’est pas besoin de dire des généralités que nous, tous, connaissons déjà assez bien, mais que je nous exhorte à ne pas banaliser. Ce que nous partageons tous comme sentiment est que le système en Mauritanie est sourd, à tous points de vue, à nos revendications légitimes. Pourrait-il en être autrement s’il est lui-même à l’origine du mal, non pas de façon accidentelle mais dans le cadre d’un calcul bien maîtrisé ?Ainsi, à défaut de le casser par forçage, il convient de trouver des solutions alternatives. Je ne serai pas populaire en le disant mais je crois qu’il n’y a que des solutions sectaristes qui peuvent aider les noirs mauritaniens à s’en sortir. Vous avez crié pour l’égalité de tous quand l’autre affichait sa volonté de vous dominer ; vous avez soutenu l’égalité de toutes les langues quand l’autre brandissait la supériorité de la sienne sur les vôtres ; vous avez défendu la dignité de l’Humain quand l’autre faisait tout pour vous humilier ; vous avez chanté le droit à la vie pour tous quand l’autre vous assassinait. Aujourd’hui, le bilan de votre humanité est sans reproche, celui de votre condition est des plus médiocres. Ce sont là des faits auxquels je n’ajoute aucun jugement personnel ; à chacun de faire le sien. Mais quand je dis solution sectariste ; je parle de nécessité, je ne fais donc pas de morale. Mon avis est que les noirs Mauritaniens doivent s’organiser de façon COMMUNAUTARISTE jusqu’à ce que le système devienne plus enclin à les traiter sur un même pied d’égalité avec leurs compatriotes maures. Il est admis que ces derniers ne sont aucunement les ennemis et je suis de cet avis ; seulement le fait est qu’ils sont les élus du système, souvent avec complaisance et quelques rares fois seulement à leurs corps défendant. Mais dans tous les cas, une organisation communautariste noire n’est pas contre eux, ni même contre le système mais pour le salut des noirs mal considérés dans leur ensemble. Dans le secteur éducatif, une telle organisation fournirait une aide aux élèves noirs exclusivement, octroierait des bourses d’études à ceux parmi eux qui sont méritants – mais qui n’obtiendraient rien du système. Dans d’autres domaines, des démarches similaires devraient aussi s’opérer.Si notre auto-détermination repousse un maure qui se disait ami de la cause, c’est que celui-ci n’est pas à la hauteur des enjeux, sinon il ne s’opposerait pas à l’idée de nous voir explorer pacifiquement les nombreuses possibilités que la vie nous offre pour régler nos problèmes de façon provisoire. Si la situation était à l’envers, je serais le premier à aider le maure à mettre en place les solutions aux problèmes qu’on lui infligerait. Et, ne nous occupons pas non plus de certains des nôtres qui, incapables de mesurer l’urgence de notre action, nous diront que nous sommes dans une démarche raciste. So won ko Hammaa waawi dannga yummum yooliima. Ces gens sont d’une mentalité si enfantine qu’ils adorent jouer avec des concept-gadgets qui ont parfois des visées honorables mais sans aucune base concrète à même de les y propulser ; résultat : ils jouent avec des principes parfois en rajoutant du mal au mal. Jouer avec des principes est une chose mais se battre corps et âmes afin de les voir devenir une réalité en est une toute autre. Souvent c’est bien de la confrontation que surgissent les bases respectueuses de l’égalité ; c’est la vie témoignée par l’histoire des peuples qui nous l’enseigne. Ce qui veut dire que la condition de justice sociale à laquelle nous aspirons peut requérir, selon notre contexte, une approche contraire à ses propres principes pour son propre avènement. Le plus simple exemple bien connu est celui de faire la guerre pour accéder à la paix ; et seuls les esprits terriblement enfantins sont incapables de le digérer.La vérité est aussi qu’il y a dans les plus grandes démocraties des bourses qui ne s’adressent qu’aux femmes par exemple, et ce dans des sociétés qui sont misogynes certes mais pas anti-féminines. Nous, notre société nationale est anti-noire dans ses politiques diverses ; elle est parvenue à faire du noir une rareté à telle enseigne que l’on est réduit à parler de la nécessité d’une mise en place d’une discrimination positive. Quel contre-sens ! Les noirs Mauritaniens n’ont pas de difficulté à arborer un système éducatif quand celui-ci reste neutre, ou les échelons de l’administration quand celle-ci est honnête. Ils le font dans les divers systèmes du monde entier qui n’ont rien à leur reprocher. Donc parler de discrimination positive comme solution en Mauritanie c’est prendre des vessies pour des lanternes ; il convient de plutôt refuser de jouer le jeu du système qui veut que nous intégrions une condition de dominés et que nous soyons réduits à quémander. Il faut donc continuer à exiger que la communauté nationale revienne sur des bases équitables dans tous les domaines, le domaine éducatif notamment. Et en même temps mettre en place, sans attendre, une organisation alternative à même de sauver la génération actuelle confrontée à l’exclusion ayant lieu au cœur du système éducatif. Mouhamadou Sy

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