Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

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Mariem mint Derwich · Mauritanie

Mariem mint Derwich · MauritanieL’Entre paroles …

Dans ce « DIA » (entre) et LOGOS (paroles), dans cet « entre paroles » échange et partage qu’est le dialogue, que devient la parole devenue non parole, la parole inachevée, la parole qui ne dit pas, la parole devenue monologue, mur, frontières ?

Entre le besoin, la nécessité impérieuse inhérente à l’humain de la communication, du dialogue avec l’autre, et les contraintes diverses, les chemins qui biaisent l’échange, où se perd le dialogue ?

Comment ce dernier passe-t-il du statut de dialogue à celui de non dialogue ou de faux dialogue ?

Je ne parle pas du faux dialogue au théâtre par exemple, figure de style où le narrateur prend à témoin un auditoire dans un « dialogue » devenu monologue.

Je ne parle pas, non plus, du monologue de l’écrivain, centré sur une perception de lui propre à un moment précis. Ce faux dialogue devient dialogue dès lors qu’il est reçu par les regards des lecteurs. Donc faux dialogue redevenu dialogue par la magie du regard autre, spectateur et acteur…

Ces dialogues-là, restent des dialogues.

D’abord comment définir le « faux dialogue » ? Il n’est pas aisé de mettre des contours à un « entre paroles » qui ne serait plus « l’entre » de quoi que ce soit, et qui serait devenu, par la force des choses, un semblant de dialogue.

Un dialogue est-il faux, peut-il être faux ? Un dialogue se doit-il d’être faux puisqu’il serait le pendant d’un dialogue supposé vrai ? Miroir, contre miroir…

Un dialogue qui ne serait plus sens d’ouverture, d’émission, de réception, de partage, qui ne serait plus une vérité émise à un moment, reçue par un interlocuteur, une réponse elle-même vérité, qui ne serait plus signe d’empathie à l’autre, de sympathie à l’autre, de respect à l’autre, qui ne serait plus qu’une coquille vide, est-il un faux dialogue ?

Je suis femme, musulmane, arabe, berbère, africaine, européenne… Cela fait de moi le réceptacle de tant de dialogues autres que dans ce « Moi-l’autre-l’écartelé » de Rodney Saint Eloi, ce Moi qui est tant de choses et rien à la fois, ce Moi intersection de paroles différentes, je ne fais qu’osciller entre dialogue, dialoguisation, faux dialogue et « vrai » dialogue, si tant est que celui-ci ait un sens pour mes racines métisses.

Ce premier « faux dialogue » de la parole métissée, de l’appartenance métissée. Qui dialogue en moi ? Qui dialogue avec qui ? Être la somme, l’aboutissement de dialogues antérieurs à moi me rend sourde aux dialogues.

Je suis enfermée, première pierre de ce faux dialogue, dans une langue, celle que j’appelle la « langue de moi, à moi », la langue Moi et la langue de l’autre.

Cette langue maternelle qui est mienne s’oppose donc à la langue paternelle, aussi mienne, mais aussi autre.

Il est des pays et des cultures où cette revendication d’un dialogue aux autres et à soi en cette langue maternelle est d’une facilité déconcertante. Chez moi ce n’est pas le cas.

Je suis d’un pays se revendiquant arabe et dont l’arabe est la langue officielle. Ma langue maternelle, le français, ce français dans lequel je pense, est considérée comme langue des colons, langue de l’acculturation. Ma mère est donc tuée en sa langue. Je suis donc tuée en elle. Je suis donc l’autre.

Il fut un temps où le dialogue passait entre ces deux langues, chacune représentant une symbolique, le français pour une élite formée sur les bancs de l’école française, l’arabe pour une autre élite. Les passerelles existaient et qui dit passerelles dit dialogue. Ce n’était pas encore le temps des identités exacerbées, des identités recherchées.

Dans mon pays cohabitent plusieurs ethnies, plusieurs langues. Cela pourrait faire penser que les gens dialoguent entre eux, chacun porteur de son histoire et de sa mémoire. Il n’en est rien. L’imposition de l’arabe, l’arabisation forcenée a rompu le fragile équilibre entre composantes nationales. Là où l’arabe était étudié, appris par les populations noires de mon pays, il a presque disparu chez ces mêmes populations, emporté par une résistance à l’arabe comme identité imposée. Nous nous parlons mais nous ne dialoguons plus. Voici un exemple de faux dialogue par excellence : je te parle mais est-ce que je te parle ?

Quand la langue se fait fermeture, repli identitaire, elle ne permet plus le partage et l’échange. Elle n’est plus que monologue nourri à l’aune des rancœurs et des incompréhensions. Une langue, un langage devenu fantasme n’est plus dialogue avec l’Autre. Elle est d’abord monologue. Cela nous mine. Cela nous pèse. Dès lors que l’on charge une langue d’un affect politique, le dialogue meurt car, en déclarant l’arabe comme seule langue valable et admise, le politique n’est plus que dans le miroir et le rejet. Comment dialoguer quand la langue de l’autre signifie d’abord force, pouvoir, obligation ? La langue arabe est notre langue mais elle n’est pas comprise par une partie de la population.

S’il n’y a pas traduction, donc dialogue premier, cela tourne parfois au ridicule car certains, s’exprimant en langues dites nationales, ne sont pas compris par leurs interlocuteurs et vice-versa.

Situation ubuesque, dangereuse que ce faux dialogue, ce dialogue de sourds entre habitants d’un même pays…

Résultat de ce faux dialogue, un non dialogue identitaire à fleur de peau. Et un pays qui s’enfonce dans les crises d’urticaires identitaires.

Cela n’est pas propre à nous. Mais cela est nous. Et nous sommes, de fait, cet « autre, écartelé ».

Quand la force remplace l’ouverture, le langage devient sens creux…

Une autre forme de ce que j’appelle le faux dialogue : le fameux dialogue dit interculturel, pensé par l’Europe, mis en forme par l’Europe, l’ancienne puissance colonisatrice.

Et qui dit dialogue interculturel, dans la pensée européenne, s’est peu à peu transformé en dialogue inter religieux, la religion, l’Islam, étant chose fascinante et en même temps « barbare ». Les événements dramatiques que nous connaissons depuis des années ont réduit le dialogue interculturel à un dialogue sur la religion de l’autre.

Du dialogue au monologue, la peur immobilisant la langue…

Avez-vous remarqué le glissement de sémantique depuis des années : nous sommes passés de l’interculturel et de la nécessité de se parler pour se comprendre et, au moins, s’apprendre, à « dialogue des civilisations ». Comme si une civilisation était une religion, réduite à sa part d’intemporalité.

Quand la presse européenne ou les politiques ou le citoyen lambda parle de dialogue des civilisations, il parle d’abord de religion et de dialogue inter-religieux…

L’Europe nous fantasme, nous musulmans. Elle n’a pas tort mais le fantasme reste ce qu’il est : un non dialogue. Pour anesthésier la peur de l’autre, la main tendue vers l’autre, c’est-à-dire nous, musulmans, est d’abord un discours à sens unique : je ne te comprends pas, donc je ne peux te parler mon langage. Je ne te comprends pas, donc tu es incompréhensible. Je ne te comprends pas, donc tu es « terra incognita ». Je ne te comprends pas et je ne comprends pas ta religion, tes peuples, tes manières de voir le monde, donc je réaménage ton espace à la hauteur de mes besoins géostratégiques. Je ne te comprends pas, donc je te remodèle.

Faux dialogue, faux dialogue, qui exacerbe les haines…

Ce faux dialogue entre une Europe repliée sur elle-même, en crise identitaire, en rejets, en peurs et nous, en implosion, en recherche d’une identité présupposée perdue, en redécoupages régionaux et politiques avec, en filigrane et transcendant les barrières, le fantasme perverti d’un retour au califat des Abbassides (l’imaginaire sanglant de DAESCH), ce faux dialogue reste muraille.

Pourtant, je reste persuadée que si l’Europe des Lumières, l’Europe qui a tant fasciné, qui nous a tant fasciné, se meurt, disparaît dans une logique de repli, ses idées et son apport au monde c’est à nous, Africains, Arabes de la réinventer, du moins d’en réinventer les concepts qui ont fait sa grandeur.

Comme nous nous sommes appropriés cette langue française, qu’elle n’appartient plus à la France ni aux français, mais à nous qui l’avons reçue en héritage colonial, nous devons nous réapproprier ses idées, sa grandeur perdue.

Non pas en vivant en France ou en Europe, mais en vivant dans nos pays en recherche d’eux-mêmes.

Nous devons proposer à l’Europe notre Siècle des Lumières et offrir ceci à l’Europe vieillissante qui n’invente plus rien sur le plan des idées et des idéaux.

Lourde tâche : nous recréer, nous créer, et recréer cette Europe qui ne nous connaît pas et qui nous gère à distance selon des fantasmes. S’ils ne peuvent dialoguer, dialoguons, nous. Forçons-les à entendre et à revenir à l’échange. En faisant glisser les idéaux du Nord au Sud, puis du Sud au Nord, nous retrouverons peut être le chemin d’un vrai dialogue des cultures.

Le dialogue viendra de notre capacité à recréer et à réoffrir.

Il y a aussi le faux dialogue politique, très à la mode dans mon pays mais aussi généralement en Afrique, ce faux dialogue qui est notre arbre à palabres.

Régulièrement on nous ressort les « assises du dialogue national ». Cela en dit long sur notre non dialogue et notre incapacité à nous entendre. Je ne parle pas même pas d’échanger… Il faut donc dialoguer entre opposition et pouvoir. Dialogue biaisé car le pouvoir est, de facto, à la table de ce dialogue. Il a donc tout à gagner. Il est tenant et aboutissant de ce dialogue National.

L’opposition suit ou plonge. Donc dialogue, tout sauf national, et faux dialogue par excellence.

D’un faux dialogue entre communautés à un faux dialogue politique qui est présenté comme la panacée à nos crises politiques et de gouvernance, nous avons perdu le langage autre que celui des besoins primaires : j’ai faim, j’ai soif, etc. C’est le grand enfermement, l’ubuesque dialoguant….

L’ubuesque faux dialoguant.

Il nous faut nous rendre à nouveau maîtres du langage, de la parole offerte, de la parole reçue.

Il faut repenser une circulation des dialogues pour éviter le non dialogue, en construisant un objet dialogal, un méta discours…

Comme le disait Braque, «rechercher le commun qui n’est pas le semblable »…

Source:https://litteratureetdialogue.com

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OLIVIER ROY : « IL N’Y A PAS DE RETOUR DU RELIGIEUX »

altLe crépuscule des dieux n’a pas eu lieu. L’Europe – et la France en particulier – est frappée en son cœur par l’obscurantisme meurtrier du terrorisme islamique. Mais assistons-nous pour autant à un retour du religieux ? Et pourquoi la religion est-elle si persistante au XXIe siècle ?

Telles sont les questions auxquelles le psychanalyste Fethi Benslama et le politologue Olivier Roy ont répondu le 21 juillet, lors des Controverses du Monde en Avignon, conversations menées en partenariat avec le Festival d’Avignon destinées à éclairer les questions qui taraudent notre modernité.

Assiste-t-on à un retour, voire à une expansion du religieux ?

Olivier Roy (O. R.) : Les pratiques religieuses qui sont visibles aujourd’hui ne sont pas ­celles d’il y a soixante ans. Ce ne sont pas les formes traditionnelles du religieux qui font la « une » des journaux. Ce sont des formes néofondamentalistes. Assiste-t-on néanmoins à une expansion de la religiosité ? Les chiffres démontrent le contraire. Partout, y compris dans les pays musulmans, la pratique religieuse baisse. La sécularisation a gagné, ce qui a entraîné un divorce entre la culture dominante et le religieux, qui a commencé dans les années 1960 et qui porte sur les valeurs.

Quand Jules Ferry en 1880 écrivait sa fameuse Lettre aux instituteurs pour expliquer ce que c’était que l’école laïque, il leur disait : ce n’est pas un débat sur la morale parce que nous avons tous la même sur la famille, le rôle de la femme, la séparation des sexes, qu’on soit catholique ou athée.

A partir des années 1960, un nouveau référentiel de valeurs s’impose dans lequel la liberté individuelle devient le centre de tout, qui aboutira au mariage homosexuel, à la procréation assistée, à la gestation pour autrui, en rupture totale avec les valeurs religieuses.

Donc nous n’assistons pas qu’à un débat sur le dogme ou sur la foi, ce qui était le cas en 1905, mais à une controverse sur les valeurs qui fondent notre société. Il n’y a pas de retour du religieux.

Fethi Benslama (F. B.) : De quoi la religion s’occupe-t-elle ? Du point de vue de la psychanalyse, son objet est d’abord la détresse native des humains, leur sentiment d’abandon dans le monde, contre lesquels elle offre le bouclier de l’espérance.

Elle s’occupe ensuite de leur mode de jouissance, en leur imposant des obligations communes, donc une morale. Est-ce que ces problèmes relatifs à l’angoisse d’être n’existent plus ? Evidemment non, et la religion reste pour la majeure partie de l’humanité le principal traitement de cette angoisse. En revanche, le mode d’administration du traitement a changé à cause de la diffusion de la conception scientifique du monde et avec elle de la sécularisation.

Dès lors que la religion ne constitue plus le socle commun unique de la conception du monde, le traitement religieux a tendance à se privatiser en suivant le processus moderne de l’autonomie. De plus en plus d’individus choisissent de se convertir à l’intérieur même de leur religion. C’est le phénomène de la reviviscence et de ce qu’on appelle les born again. Il ne leur suffit plus d’hériter de leur tradition religieuse, il faut qu’ils l’acquièrent par eux-mêmes. Il s’agit d’un processus d’autodéfinition qui est le propre du sujet moderne.

Quand la religion traditionnelle est dominante, les individus lui délèguent la part de leur angoisse de conscience ; ils s’appuient sur un dieu qui prend sur lui leurs fautes et leur pardonne. Ce que nous appelons le surmoi est partagé avec Dieu. La religion constitue un surmoi de prothèse pour l’humanité.

Lorsque le sujet se détache de la conception religieuse du monde et s’autonomise, il doit supporter seul son angoisse de conscience, il devient plus surmoïque. C’est pour cette raison que nous avons aujourd’hui un accroissement des névroses obsessionnelles partout où la religion décroît. D’autres choisissent de revenir à des formes religieuses fondamentales, plus à même de lutter contre la privatisation des tourments surmoïques.

Pourquoi le religieux nous semble-t-il davantage visible aujourd’hui qu’hier ?

O. R. : Parce qu’il a été d’une certaine manière expulsé de la scène publique. Un simple rappel : quand l’abbé Pierre a été élu à l’Assemblée nationale à la fin des années 1940, il est venu au Palais-Bourbon en soutane avec le drapeau tricolore en accroche. Ce serait impossible aujourd’hui. Or la loi n’a pas changé. Donc qu’est-ce qui s’est modifié ? C’est la perception du religieux, qui apparaît comme quelque chose au mieux de bizarre, au pire de fanatique, de dangereux ou d’ignorant.

Les communautés de foi – des catholiques intégristes aux juifs orthodoxes en passant par les salafistes musulmans – se sentent agressées par la société et la culture laïques. Ce sentiment d’avoir été expulsé de l’espace social fait naître soit un désir de reconquête (il faut que la France revienne à ses racines chrétiennes, il faut prêcher, etc.), soit au contraire un complexe obsidional : on est menacé, on est attaqué, il faut qu’on nous accorde un statut d’exception.

On voit de plus en plus de communautés religieuses, aux Etats-Unis par exemple, qui demandent à être protégées par la loi contre les nouvelles lois, par exemple avoir le droit de ne pas célébrer un mariage homosexuel ou être dispensé de financer la contraception dans des accords avec la Sécurité sociale. Donc aujourd’hui le religieux s’autonomise de la société et entre même en sécession avec elle, parce que Mai-1968 est entré dans la loi.

F. B. : La religion a une capacité extraordinaire à s’adapter et à utiliser tout ce qu’elle a sous la main pour produire du sens, en agglomérant les éléments les plus hétérogènes. Vous voyez un homme qui porte la barbe et le qamis, il est chaussé de Nike flashy, son téléphone portable sonne des psalmodies du Coran.

Nous avons cru que la science et la sécularisation allaient effacer la religion ; en fait, celle-ci a muté ; aussi, pour rester croyant, doit-on l’être encore plus et d’une manière plus voyante. Certains musulmans n’ont pas besoin de porter les marques de leur foi, d’autres ne se sentent pas assez musulmans et s’obligent à l’être encore plus et plus visiblement.

Pourquoi est-ce au nom de l’islam que les processus de « radicalisation » sont aujourd’hui les plus massifs ?

O. R. : Il y a d’abord des raisons sociologiques, puisque la grande masse des immigrés en Europe occidentale est d’origine musulmane, ce qui fait que la question de l’intégration va mettre l’islam au cœur des enjeux et revendications.

Deuxièmement, il y a les crises au Moyen-Orient. Or ces crises ne sont pas religieuses, elles obéissent à des logiques géostratégiques, comme la guerre par personnes interposées entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Chacun des acteurs va expliquer le conflit en termes religieux afin de se donner une légitimité à l’égard de sa propre population et afin de miner celle de l’adversaire. On est dans de la realpolitik au sein de laquelle le religieux est manipulé.

Et la troisième dimension, c’est ce que j’appelle le formatage du religieux, c’est-à-dire la façon dont le religieux relève le défi de cette sécularisation. Toutes les religions ont rencontré ce problème-là. Pour l’Eglise catholique, ça s’est fait en un siècle. Aujourd’hui, l’islam doit accomplir sa mutation et son adaptation à la sécularisation du monde en quelques décennies, c’est-à-dire à partir des années 1970.

La pression est énorme pour adapter les religiosités musulmanes au changement de nos sociétés. Donc il y a ceux qui s’adaptent et ceux qui vont au contraire se dire : non, nous n’acceptons aucun compromis, nous voulons l’islam pur et dur. Et là, il y a deux versions, l’une salafiste, qui porte uniquement sur le religieux, et l’autre djihadiste, qui repose sur le mythe de créer un califat, un Etat islamique. Nous vivons donc le moment islamique de la transformation du religieux.

F. B. : Lorsque Napoléon arrive en Egypte, il commet des massacres épouvantables puis réunit tous les cheikhs du Caire et leur dit en substance : « Vous étiez une grande civilisation, mais maintenant vous n’avez plus rien, qu’est-ce qui vous reste ? » Et le grand cheikh du Caire de répondre : « Nous avons le Coran. » Napoléon ironise : « Est-ce que, dans le Coran, il y a comment fondre le canon ? » Tous les cheikhs lui rétorquent en chœur que oui.

Je considère cet épisode comme la scène originaire du fondamentalisme musulman. C’est une réponse défensive à la conquête guerrière occidentale et à la puissance technoscientifique qu’elle porte et à travers laquelle elle perfore le savoir absolu de Dieu.

Il en résulte ce que j’appelle le « surmusulman » qui se veut encore plus musulman pour sauver son Dieu, afin qu’il soit sauvé par lui. D’où la surenchère de signes, de marques, de rites que l’on observe aujourd’hui. Cette angoisse de sauver le sauveur est la souffrance de beaucoup de musulmans.

Comment expliquer que le nihilisme meurtrier d’une fraction de la jeunesse française issue de l’immigration se fasse au nom de Dieu ?

O. R. : Premièrement, il y a un nihilisme générationnel, qui n’est pas du tout propre à des jeunes d’origine musulmane. C’est celui dont la tuerie de Columbine aux Etats-Unis est le paradigme : des comportements suicidaires de jeunes déstabilisés qui massacrent indistinctement et qui meurent eux-mêmes, après avoir annoncé leurs projets criminels sur Facebook.

Deuxièmement, il y a ces jeunes qui rejoignent le djihad et le terrorisme islamique et qui, dans 80 % des cas, étaient connus des services de police. Ceux-là n’ont pas d’éducation religieuse, mais ont basculé dans la religion au moment même où ils ont basculé dans la radicalisation. Ce n’est pas à la suite d’une pratique religieuse intense due à une formation religieuse qu’ils sont devenus radicaux. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de radicaux religieux. Mais les radicaux religieux ne sont pas ceux qui basculent dans la violence.

D’abord je constate que, depuis 1995, tous meurent : soit ils se font sauter, soit ils attendent que la police les tue. Ceux qui partent en Syrie y vont pour mourir. La mort est intégralement liée à leur projet.

Daech [l’acronyme de l’organisation Etat islamique (EI)en arabe] déclare vouloir établir un califat, établir une société islamique pure et juste. Or quelque chose cloche : si vous pensez que vous rejoignez un mouvement qui va créer la société juste, vous ne vous tuez pas, ou alors vous êtes prêt à vous sacrifier mais vous aimeriez bien quand même vivre dans la société bonne et juste, etc. Mais aucun d’entre eux ne le souhaite. Quand ils vont en Syrie, ils y vont pour le djihad, ils y vont pour la mort. Dans le fond, ils ne croient pas au projet utopiste que l’EI met en avant. Et même l’EI, à y regarder de près, ne met pas en avant de projet utopiste dans ses textes, mais l’apocalypse et l’annonce de la fin des temps.

F. B. : Les deux tiers des radicalisés ont entre 15 et 25 ans. Nous retrouvons cette donnée partout. Nous sommes donc face au symptôme d’une fraction d’adolescents et de jeunes adultes qui ont identifié leurs troubles à l’angoisse de Dieu, diffusée par de redoutables communicants qui les appellent au sacrifice ; certains y répondent. Beaucoup d’entre eux sont dans l’errance et cherchent à se réorienter à partir de la mort, à travers une quête de sens qui passe par l’épreuve ordalique.

Pour une part, ils ressemblent à ces adolescents suicidaires qui vous disent : « Je voulais mourir mais pas me tuer », lorsqu’ils en reviennent. Mais, parmi eux, il y a ceux qui ne veulent pas en revenir et qui ont définitivement fusionné leur pathologie personnelle avec l’idéologie de la terreur et sa destructivité.

Y a-t-il un risque que le religieux se sépare davantage de la société, ou bien une réconciliation est-elle possible ?

O. R. : Le pur religieux n’a aucune perspective. La coupure avec la société signifie soit l’orientation nihiliste et meurtrière des jeunes radicaux islamiques, soit des refus moins violents mais séparatistes, comme le rejet total de la mixité avec le monde laïque. Ou bien alors c’est la voie de la reconnexion avec la culture et la société, comme celle qu’emprunte le pape François qui dit : bon d’accord, l’Eglise catholique est à présent une minorité en Europe, alors apprenons à dialoguer avec la majorité.

F. B. : La violence de l’islamisme radical conduit beaucoup de musulmans à réfléchir. Qu’un certain rapport à la religion musulmane puisse produire cette horreur devient la question la plus brûlante. Les islamistes tunisiens par exemple déclarent vouloir renoncer à l’islam politique. Mais la reconnexion de la religion avec la société ne se fera pas sans progrès social. N’oublions pas que c’est aussi l’amélioration des conditions d’existence qui a permis au christianisme de pacifier ses rapports avec la société. Rappelons-nous que les formes de religion les plus violentes naissent de la détresse humaine, qui s’étend sur la planète entière.

Fethi Benslama est psychanalyste et membre de l’Académie tunisienne. Professeur de psychopathologie clinique à l’université Paris-Diderot, il a récemment publié Un furieux désir de sacrifice. Le surmusulman (Seuil, 160 p, 15 euros).

Olivier Roy est directeur de recherche au CNRS et professeur à l’Institut universitaire de Florence. Il a publié La Sainte Ignorance. Le temps de la religion sans culture (Seuil, 2008) et En quête de l’Orient perdu (Seuil, 2014).

Propos recueillis par Nicolas Truong

Prochain article : L’appartenance religieuse n’a pas de sens en Chine

Le contexte

Le XXIe siècle est-il véritablement devenu dominé par une religion qui aurait pris le relais des grandes utopies du précédent ? La sécularisation est-elle inéluctable ou au contraire marque-t-elle le pas ? Âge de la science et foi sont-ils conciliables ? Quelles relations entretiennent politique et sacré et quelle place occupe désormais la spiritualité ? Six points de vue et débats permettent de mieux comprendre la place et les évolutions de l’expérience et du sentiment religieux dans le monde actuel.

Retrouvez tous les articles de la série « Pourquoi le XXIe siècle est-il religieux ? » :

Rendez-vous au Monde Festival !

La troisième édition du Monde Festival aura lieu du 16 au 19 septembre sous un titre qui sonne comme un défi à notre monde en crise : « Agir ! ». Agir sur la politique, bien sûr, mais aussi la science, l’éducation, la culture, la diplomatie, la société, la technologie et les entreprises. Le programme du festival est en ligne sur lemonde.fr et tout l’été, nous vous donnons rendez-vous sur la « chaîne Festival » pour y retrouver des portraits, enquêtes, vidéos sur des initiatives et des engagements qui transforment le monde.

Source : Le Monde

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Baaba Maal va installer une télé et une radio au Fouta

Baaba Maal va installer une télé et une radio au FoutaC’est parti pour la construction d’une infrastructure culturelle à Podor, dans le Fouta. L’artiste musicien de renommée internationale et non moins Roi du Yéla, Baaba Maal, a procédé à la pose de la première pierre de son futur complexe culturel dans sa ville natale, précisément sur le site de l’ancienne radio communautaire, près de Dabaye. Histoire de mieux promouvoir la culture de sa localité.

Source; http://www.leral.net

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Mauritanie, La littérature s’enseigne !

altLa littérature mauritanienne d’expression française est absente des programmes scolaires nationaux. Son enseignement à l’université et à l’ENES date de 2009, grâce à la volonté des professeurs M’Bouh Séta Diagana auteur dEléments de la littérature mauritanienne de langue française (Editions  L’Harmattan, 2008) et de Manuel Bengoéchéa ayant lui commis une thèse sur cette même littérature.

 

Sinon il faudra remonter dans le temps, pour trouver des travaux sur cette littérature jeune et tout autant prometteuse. Il s’agit de : Ouverture sur la littérature mauritanienne de Catherine Belvaude (L’Harmattan, 1989), Guide de la littérature mauritanienne, sous titré Une anthologie méthodique, écrit par Nicolas Martin-Granel, Idoumou Ould Mohamed Lemine et Georges Voisset (Ed L’Harmattan, 1992). En 1995, la revue Notre Librairie lui consacre un numéro spécial. Il sera de même en 2015 avec le numéro 26 d’Interculturel Francophonies intitulé Littérature mauritanienne de langue française. Et ce n’est pas faute d’engouement. Car, non seulement de plus en plus de publications sont produites, mais ils sont nombreux les étudiants, universitaires et chercheurs qui se passionnent pour ce qui s’écrit en Mauritanie. Et par des Mauritaniens. 

Créé en 2012, le Groupe de Recherches en Littératures Africaines (GRELAF) a donc voulu combler un vide. Il vient de publier lAnthologie de littérature mauritanienne francophone (Editions Joussour/ Ponts, 2016, 228 pages). Une équipe de six professeurs, tous chercheurs et enseignants au  Département, a planché sur près d’une quarantaine d’œuvres. Au total, dix-neuf écrivains sont étudiés, suivant un ordre de graduation par date de naissance : Oumar Bâ, Tène Youssouf Guèye, Assane Youssoufi Diallo, Djibril Zakaria Sall, Moussa Diagana, Isselmou Ould Abdelkader, Ousmane Moussa Diagana, Abdoul Ali War, El Ghassem Ould Ahmedou, Moussa Ould Ebnou, Oumar Diagne, M’Barek Ould Beyrouk, Harouna Rachid Ly, Aichetou Mint Ahmedou, Idoumou Ould Mohamed Lemine, Abderrahmane Ngaïdé, Bios Diallo, Mama Moussa Diaw et enfin, le benjamin de tous, Mamoudou Lamine Kane.

Rencontre avec le Professeur Mamadou Kalidou Bâ, directeur du GRELAF et coordinateur de l’Anthologie.     

            

Pouvez-vous nous introduire la première anthologie nationale sur la littérature mauritanienne d’expression française, que vous avez coordonnée?

Pr Mamadou Kalidou Bâ : Je pense que cette Anthologie de littérature mauritanienne francophone, que nous publions avec une maison d’édition locale, Joussour/Ponts, est un ouvrage critique phare. D’abord pour ce qu’elle peut constituer dans l’enseignement de la langue française et dans celui de la littérature en Mauritanie. Ensuite pour ce qu’elle a été dans les projets de recherche réalisés par le Groupe de Recherches en Littératures Africaines (GRELAF) que j’ai l’honneur de diriger depuis sa création en 2012. Unité de recherche qui, je le précise, est une composante de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Nouakchott.

Qu’est-ce qui a prévalu à cette initiative?

J’ai eu l’idée de ce projet d’anthologie lorsque je rédigeais mon mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches, HDR, en 2012. J’en ai dessiné les formes dans la dernière partie de ce document, consacré à mes perspectives. J’avais moi-même découvert la littérature mauritanienne quatre ans plus tôt en lisant l’ouvrage de mon ami et collègue Mbouh Séta Diagana intitulé Eléments de la littérature mauritanienne de langue française publié chez L’Harmattan en 2008. Je découvrais ainsi  des textes d’une richesse que je ne soupçonnais nullement. Il faut dire que jusqu’à cette année, 2008, je poursuivais mes recherches dans la dynamique de ma spécialité doctorale : l’analyse du roman africain francophone post-colonial qui a d’ailleurs fait l’objet de mon premier livre que j’ai publié chez L’Harmattan en 2009 et intitulé Le roman africain francophone post-colonial. Radioscopie de la dictature à travers une narration hybride.

Je me suis d’abord étonné de ne découvrir la littérature de mon pays que si tard. J’ai compris que c’est parce que je n’ai jamais eu la chance de l’étudier, à aucun cycle de mon cursus. En effet, comme je le souligne dans l’avant-propos à cette anthologie, la littérature mauritanienne d’expression française est quasi absente dans les fascicules de lecture destinés aux élèves du collège et du lycée. Ce qui est, de mon point de vue, une aberration ! Dans tous les pays du monde, l’enseignement des langues, ici en l’occurrence le français, s’appuie sur celui de la littérature nationale. Cette approche didactique est d’autant plus cohérente que l’apprenant saisit très vite le sens de l’expression parce qu’elle exprime une réalité culturelle, sociale, géographique qui lui est familière…

Une prise de conscience à combler un vide…

Je m’étais dit qu’il nous revenait, nous autres chercheurs dans cette spécialité, de remédier à ce manquement. Evidemment que nous n’avons pas la latitude de décréter une réforme de l’enseignement, c’est une prérogative des décideurs politiques, mais, à notre niveau, nous pouvions donner plus de visibilité à la littérature mauritanienne francophone en lui consacrant une partie de nos recherches. De sorte que, quand un jour que j’espère proche, nos gouvernants se rendront compte de l’évidente nécessité de réformer notre système éducatif et donc de revoir, entre autres les programmes des enseignements, eh bien que nous ayons un contenu à suggérer.

Après la soutenance de mon HDR en 2012, et la création effective du GRELAF, j’ai proposé à mes collègues deux projets de recherche, dont celui de cette anthologie. Dès que j’ai obtenu leur aval, je me suis mis à la recherche d’un financement. C’est la coopération française, à travers son projet AFRAM qui nous a accompagnés dans la réalisation de cette anthologie ainsi que dans d’autres projets. Les moyens alloués par l’université de Nouakchott à la recherche presque inexistants.

Hormis ce manque de moyens, ce qui vous réconforte c’est qu’on peut à présent parler de la littérature mauritanienne, comme on évoquerait les littératures marocaine, algérienne, tunisienne, sénégalaise ou encore malienne… Pour ne citer que nos voisins immédiats

Oui, je pense qu’on peut parler de la littérature mauritanienne comme on le fait pour les autres pays. Non par simple analogie, mais parce qu’elle existe dans les mêmes termes de définition que les autres littératures nationales. Toutefois, il importe de préciser que, comme la réalité culturelle et anthropologique mauritanienne, la littérature mauritanienne francophone n’est pas uniforme, elle est diverse et variée. Ainsi, si Idoumou  dans Igdi, les voies du temps et El Ghassem ould Ahmedou dans Le Dernier des nomades ou Aichétou Mint Ahmedou dans La couleur du vent proposent une dépeinture de la société bidhane, maure, dans des espaces désertiques (le désert du Sahara), Tène Youssouf Gueye dans Rellà ou les voies de l’honneur, Moussa Diagana dans La légende du Wagadu et Harouna Rachid Ly dans Le Réveil agité déploient des récits où l’histoire et les cultures négro-africaines sont revisitées à travers des postures très critiques. Parallèlement à ces deux orientations qui consacrent le caractère multiculturel et multiethnique de la Mauritanie, il y a une tendance qui est celle de l’émergence d’une plus grande conscience quant aux défis de construction d’une nation mauritanienne viable. C’est ainsi que de nombreux écrivains de toutes les origines, arabo-berbères et négro-africains, planchent sur le crucial problème de la cohabitation et ses négatives conséquences sur la paix sociale, l’éducation, l’esclavage, la féodalité … Je pense notamment à Isselkou Ould Abdelkader avec Le Muezzin de Sarandougou, Ousmane Moussa Diagana, Notules de rêves pour une symphonie amoureuse,  Moussa Oud Ebnou, Barzakh, et Bios Diallo, Une Vie de Sébile, entre autres.

Cela dit, vous ne semblez pas, non plus, avoir pris en compte tous les écrits

L’élaboration d’une anthologie impose toujours aux critiques de faire des choix d’autant plus difficiles qu’ils sont, à certains égards, aléatoires. Pour la présente anthologie, ce choix a été de deux ordres. Nous y avons circonscrit notre analyse à ce qu’il est convenu d’appeler les « belles lettres » : la poésie, le théâtre, les nouvelles et le roman. Ensuite, mes collègues et moi avons été obligés de limiter notre corpus à seulement 34 œuvres, écrites par 19 écrivains mauritaniens. Nous aurions bien voulu être plus exhaustifs, mais, vous savez ce qu’on dit, qui trop embrasse, risque de mal étreindre ! C’est d’ailleurs l’occasion de nous excuser auprès de nos écrivains dont des œuvres n’ont pas été traitées dans cet ouvrage. J’en connais beaucoup qui le méritent amplement.

Certes le champ était circonscrit au français, mais dans un pays où cohabitent d’autres expressions littéraires, autant en arabe, poular, soninké et wolof, le lecteur n’aurait-il pas été plus édifié par un texte même lapidaire sous une forme comparative. On aurait peut-être davantage mieux saisi les choix d’écriture en français, et offrir aussi un survol sur les choix de sujets chez les uns et les autres !

Certes, il existe dans notre pays des expressions littéraires en langues nationales très riches qui, c’est ma conviction, méritent une attention particulière parce qu’exprimant, plus que le français, l’âme profonde de nos composantes populaires. La promotion de ces littératures rime nécessairement, j’allais dire d’abord, avec celle de toutes les langues mauritaniennes. L’arabe est déjà promu, c’est une bonne chose, mais l’impératif de justice exige que le poular, le soninké et le wolof le soient tout autant. Avant que ces langues ne soient introduites dans notre système éducatif pour instaurer l’égalité entre tous, vouloir parler de visibilité de ces littératures est, de mon point de vue, inopportun.

On présume que vous avez pu rencontrer des difficultés dans l’aboutissement de cette œuvre…

Certainement ! La première et sans doute la plus importante, c’est qu’aujourd’hui encore, alors que nous avons des unités de recherches opérationnelles, capables de rayonner au plan international, toutes nos activités dépendent des subventions des bailleurs extérieurs. En effet, tous les projets réalisés par le GRELAF, l’ont été, grâce à l’appui de la Coopération française qu’il me plait d’ailleurs de remercier très sincèrement.

A chaque fois que nous présentons à nos autorités universitaires des projets de recherche, c’est presque toujours la même rengaine : « il n’y a pas de moyens à y consacrer », nous dit-on ! Et quant la direction de la recherche scientifique avoue, quelque fois, avoir vingt millions, à quoi servent vingt millions, à consacrer à la recherche, elle achète quelques ordinateurs qu’elle distribue, non aux unités qui produisent, mais à d’autres qui n’existent que de nom, mais qui sont dirigées par des « copains » ou ceux de sa « tribu ». Il va de soit qu’avec de telles pratiques, la recherche n’est pas prête à décoller à l’université. Il n’ya pas de recherches possibles sans un minimum de moyens, or c’est ce minimum qui n’est pas mis à notre disposition.

A présent que le travail est fait, à qui le destinez-vous?

D’abord à nos étudiants ! Ensuite à l’Institut Pédagogique Nationale, l’IPN, dont on espère qu’elle saisira cette occasion pour, enfin, introduire les textes de littérature mauritanienne dans les livres de lecture. Enfin à tous ceux qui aiment la littérature.

Vous avez parlé de l’IPN, et Joussour qui vous a édité. Mais le manque de maison d’édition d’envergure n’est-il pas un handicap à l’essor d’une littérature ? Puisqu’on entend très souvent des gens dire qu’ils ont des manuscrits sous le bras, et qui finissent dans les caves si ce n’est en décharges ! 

Oui, éditer au niveau national est aussi une nouveauté de cette anthologie. En effet, c’est la première fois que mes collègues co-auteurs de cette anthologie et moi, éditons au niveau national. Je saisis cette opportunité pour remercier le Professeur Mohamed Ould Bouleiba, directeur des maisons d’édition Joussour/Ponts, pour sa contribution à la publication de cet ouvrage. Je pense qu’en se spécialisant dans la publication des écrits critiques, en fournissant  plus d’efforts dans la relecture et la fabrication, déjà de bonne qualité, cet éditeur aura toutes les chances de rayonner sur la sous-région ouest-africaine et maghrébine. Il pourra ainsi, aux côtés d’autres qui se spécialiseront dans l’édition d’autres genres, contribuer à résorber le grand déficit en édition francophone que nous connaissons dans notre pays. J’espère que le développement des éditions nationales aidera à rendre les livres plus accessibles à la bourse de la majorité des Mauritaniens.

  Propos recueillis par Tougué

Anthologie de littérature mauritanienne francophone (Sous la direction de Mamadou Kalidou Bâ), Editions Joussour/ Ponts,  Nouakchott, 2016, 228 p

Source : Traversees Mauritanides

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Réflexion sur la culture maure, ..l’actuelle, ! Par Beyrouck,

altIl est clair que la culture mauritanienne d’aujourd’hui a du mal à comprendre et à vivre le présent. A l’heure où l’immense majorité des mauritaniens est devenue sédentaire,elle reste tributaire de l’esprit de la « badiya »,du désert et de ses us et coutumes, d’un monde irrémédiablement révolu

Aujourd’hui,la jeunesse préfère se réfugier dans une sous culture faite de musique et de feuilletons distillés généreusement par les centaines de chaînes satellitaires arabes

La musique maure devenue incompréhensible pour la majorité des mauritaniens se réfugie dans la répétition inlassable de quelques « echouars » qui ont remporté un petit succès

La poésie maure est souvent supplantée par la poésie en arabe classique encouragée par un système éducatif qui ignore superbement les cultures locales

L’art des forgerons est devenu produit pour touristes,l’imagination est ici stagnante parce que l’exigence d’excellence s’est envolée

L’architecture des villes anciennes est en train d’être étranglée par le béton armé .Les vestiges sont mal protégés .J’en donne comme exemple(douloureux pour moi) les ruelles et la vieille mosquée de la Casbah d’Atar,détruits pour construire une mosquée en béton armé et une large rue « permettant la circulation des voitures »

Les habitudes sociales figées ont également perdu de leur sens profond et se transforment en rite incompréhensible pour la jeunesse

Et pourtant le mauritanien même sédentaire reste nostalgique de son passé. Les villas les plus modernes abritent souvent une tente,lieu de rencontre favori de toute la famille. Les premières gouttes de pluie s’accompagnent d’une migration massive des citadins vers le désert,lieu privilégié de vacances et de villégiature,la poésie maure est écoutée avec ravissement,même si elle n’est plus vraiment encouragée-la réussite de l’émission « Bedae » est le signe de cet intérêt-la musique maure est revendiquée même si elle est de moins en moins écoutée

Mais la culture maure a besoin d’une révolution. Elle a besoin de se libérer de l’emprise quasi-totale des castes et des classes et de devenir culture de tous, ouverte à tous. La musique doit s’ouvrir à toutes les vocations, l’artisanat à tous les génies

Et pourtant on assiste à un phénomène étonnant :ce sont les descendants des anciennes classes opprimé »s les fils des artisans,les harratines descendants d’esclaves qui s’accaparent et revendiquent de plus en plus la culture maure dans sa pureté C’est peut être là une belle revanche de l’histoire C’est peut être aussi là la seule garantie qui vaille de pérennité .La culture maure se « démocratise »,s’ouvre donc un peu. Mais il lui reste à faire sa révolution »

MBAREK OULD BEYROUK
ECRIVAIN
JOURNALISTE

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