Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Dialogue politique: Entre illusions et réalités

altLa séquence de dialogue politique, entre le pôle du pouvoir et un collectif de quatre partis de l’opposition, lancé le 17 septembre et clôturé le mercredi 19 octobre dernier, a abouti à un document final prévoyant plusieurs réformes constitutionnelles, la fondation d’une nouvelle Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) et une modification de la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA). Signe de l’importance de ces assises, les cérémonies de lancement et de clôture, organisées au Centre International des Conférences de Nouakchott (CICN-Palais des Congrès), se sont déroulées sous la haute supervision du président de la République.
Les parties impliquées étaient, d’un côté, l’exécutif, incarné par le chef de l’Etat et la Coalition des Partis de la Majorité (CPM), et, de l’autre, une partie de l’opposition, avec quatre formations : l’Alliance Populaire Progressiste (APP), El Wiam, Sawab et Hamam. Réagissant aux conclusions du forum, la partie réfractaire à cette démarche – une dizaine de partis, regroupés au sein de la Coordination de l’Opposition (COD) – ont jugé «insignifiants» ces résultats.
Le document du mercredi 19 octobre a été paraphé par Ahmed Ould Bahiya, ministre d’Etat à l’Education nationale et à l’enseignement supérieur, au nom du pouvoir, et Boydiel Ould Houmeid, président du parti El Wiam, pour le compte de l’opposition conciliante.

Détails de l’accord
Les réformes, annoncées au terme de plus d’un mois d’assises, marquées par des négociations serrées, portent sur l’introduction d’un certain nombre de grands principes, dans le préambule de la Constitution: le caractère multi-culturel du pays, la criminalisation des coups d’Etat et des pratiques esclavagistes, la promotion des valeurs citoyennes d’égalité, la place de l’arabe, comme langue officielle, et la promotion des langues nationales.

Parmi les modifications constitutionnelles à venir, figure le renforcement du principe de la séparation des pouvoirs, induisant la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. «Le Premier ministre présente le programme du gouvernement, devant l’Assemblée nationale, au plus tard un mois après sa nomination par le président de la République». Une présentation suivie d’un débat au terme duquel le dit programme sera soumis à un vote de confiance des députés. «Si aucune majorité ne se dégage en faveur du programme, le vote équivaut à une motion de censure», avec, pour conséquence, la chute du gouvernement.
Par ailleurs, partant du principe que «la démocratie repose sur un socle d’élections libres et transparentes, les deux parties conviennent de la mise en place d’une CENI permanente, totalement indépendante, ayant, pour mission, la supervision des opérations électorales et disposant de tous les pouvoirs, depuis l’établissement des listes électorales jusqu’à la proclamation des résultats provisoires et leur transmission au Conseil constitutionnel, pour leur proclamation définitive». Cette CENI sera dirigée par un comité de sept membres, appelés «les sages» et «choisis, de manière consensuelle, sur une liste de quatorze personnalités, proposées, à égalité, par la majorité et l’opposition, reconnues pour leur rectitude morale, leur compétence, leur impartialité et leur expérience». Ces personnalités doivent être âgées au minimum de 60 ans. Le comité directeur arrête l’organisation de la CENI et désigne, lors de chaque élection, ses représentants dans les différentes circonscriptions.
Le document prévoit, également, la fondation d’une Direction Générale des Elections, rattachée au Ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation. Quant à la réforme de la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA), elle devrait permettre de donner une place aux représentants de l’opposition.

Rien que du verbiage, selon la COD
Réunis le samedi 22 septembre, pour une conférence de presse, les responsables de l’opposition «réfractaire» regroupée au sein de la COD, ont clamé le peu d’importance accordée aux résultats de ces assises. Ils estiment, en effet, que le document, signé au terme de celle-ci, se contente de rappeler des principes généraux, aboutissant, ainsi, à des conclusions «insignifiantes». Maître Mahfoud Ould Bettah, qui assure la présidence tournante du collectif, estime, notamment, que «ce dialogue a fait l’impasse sur des points essentiels, à l’origine de la crise politique en Mauritanie: l’implication de l’armée dans le jeu politique, les régimes militaires autoritaires, la récurrence des coups d’Etat et la nature despotique d’un pouvoir qui n’a fait aucune concession», en définitive. La COD considère, également, qu’au-delà d’une simple réaffirmation de principes, «la véritable indépendance de la justice, instrumentalisée et malmenée par l’exécutif, a été ignorée». Bâ Mamadou Alassane, président du Parti pour la Liberté, la Justice et l’Egalité (PLEJ), a relevé que l’absence de décisions concrètes et de garanties, pour la mise en œuvre d’un véritable accord, «laisse entier le besoin d’un dialogue politique sérieux, pour sortir la Mauritanie de la crise multiforme dans laquelle elle est plongée, depuis plus de trois ans».

Le collectif de l’opposition s’insurge, aussi, contre le fait que le chef de l’Etat continue à exercer le commandement direct du Bataillon de Sécurité Présidentielle (BASEP), «ce qui représente une atteinte au principe de neutralité de l’armée». Appréciant l’annonce de la fondation d’une nouvelle CENI, les partis de l’opposition étalent leur pessimisme au grand jour, affirmant que l’indépendance du futur organe électoral est déjà plombée par l’échafaudage à travers lequel le pouvoir affirme son intention de mettre sur pied une Direction Générale des Elections, rattachée au Ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation (MID).

Au-delà du catalogue des bonnes intentions
Après ce forum politique et ses bonnes résolutions et bien au-delà des appréciations divergentes des dialogueurs et des boycotteurs, la question essentielle reste liée aux chances de mise en œuvre d’un accord, même à minima. De ce point de vue, le passé récent et l’accord de juin 2009, sur la base duquel fut organisée l’élection présidentielle du 18 juillet de la même année, incitent à la prudence. Car, mis à part cette échéance électorale, toutes les autres dispositions sont restées lettres mortes, classées au registre du passé, par un pouvoir qui devait, pourtant, en garantir la mise en œuvre. Reste à espérer que le document de la semaine dernière et, en particulier, ses réponses aux questions les plus urgentes échappent au sort qui les reléguerait au rang de reliques.

Sur les questions de fond, on est en droit de s’interroger, tout d’abord, sur la démarche visant à criminaliser les pratiques de l’esclavage et des coups d’Etat, dans le préambule d’une constitution. Ces deux délits sont déjà criminels, aux termes mêmes du Code Pénal. Le juge pénal ne s’occupant pas de la Constitution et le président du Conseil constitutionnel ne prononçant les sanctions pénales, en quoi la démarche serait-elle donc pertinente? Secondement, par quelle juridiction – mauritanienne ou extra-terrestre? – ferait-on juger et condamner un officier qui aurait réussi son putsch? A contrario, les dispositions de notre Code Pénal actuel restent, à nouveau, largement suffisantes. Notre constitution a clairement défini le mode de dévolution du pouvoir et ne comporte, à ce sujet, aucune faiblesse.
En fait, la question de fond se pose en termes de changement de mentalité. Une exigence de comportements en adéquation avec un régime de démocratie. Plus qu’une question de Constitution et de Droit, il s’agit d’un combat éminemment politique et citoyen, dans un environnement où l’indépendance de la justice relève de l’illusion. En se lançant dans l’apologie, en vrac, des changements anticonstitutionnels de 2005 et 2008, le président de la République a-t-il choisi un bon créneau de communication ou commis une double erreur, à la fois au plan des principes et dans le choix du timing?
On ne saurait trop le rappeler: si le putsch du 3 août 2005 mettait fin à un régime militaire en place depuis vingt-et-un ans, bouchant toute possibilité d’alternance pacifique, celui du 6 août 2008, même drapé, depuis, dans des habits civils, s’attaquait à un pouvoir démocratiquement élu depuis, à peine, quinze mois. Quels que soient, par ailleurs, les défauts qu’on pouvait imputer à celui-ci, le constat de cette différence reste valide. Jusqu’à preuve du contraire, c’est-à-dire: la réunion effective des conditions objectives d’une véritable alternance…

Amadou Seck-LE CALAME

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