Flamnet-Agora: Mauritanie: la phobie du poids démographique par Aliou Sow
Décidément le poids démographique des Noirs mauritaniens a toujours constitué une réelle hantise pour les dirigeants de ce pays. L’Agence Nationale du Registre d’Etat Civil et l’Office National des
Statistiques montrent malheureusement l’image de structures ayant une vocation plutôt idéologique que scientifique.
Leur mission d’études sur notre population, entre autres, semble être confinée et surtout dévouée à des réglages démographiques au service du pouvoir exclusiviste arabo-berbère. En effet il est incompréhensible que le comité de pilotage de l’enrôlement soit à 99% composé d’arabo-berbères dans un pays pluriethnique et multiculturel.
Le directeur général de l’Agence Nationale du Registre de Population avait tenté de justifier la présence deux Négros Mauritaniens dans le comité de pilotage qui est composé de 13 membres par le fait que leur choix est fondé sur des critères de technicité et de compétence. C’est là un argument soutenu par un racisme primaire latent ponctuant qu’il n’y a pas suffisamment de compétences
chez les Noirs. La démarche de Mr MRABIH a pour socle le préjugé de la supériorité de la composante arabo-berbère sur la composante noire du pays.
Incontestablement tout le mépris affiché par les courants pan-arabistes mauritaniens à l’égard des Négros Mauritaniens a pour soubassement la certitude de leur supériorité sur les autres peuples qui sont considérés comme impurs pour un pays arabe comme la Mauritanie. Cette volonté de façonner une Mauritanie arabe est à la base de toutes les manipulations des données démographiques du pays. Pour tous les recensements de la Population (1961 – 1976 – 1988 -1998) effectués depuis l’Independence du pays, l’Etat n’a jamais accepté de publier des résultats clairs et fiables par
groupe ethnique . L’Office National des Statistiques est une chasse gardée, dont l’accès est interdit aux chercheurs et universitaires. Toutes les supputations sur le poids démographique de chaque communauté n’ont aucune base scientifique, et tout est fait pour présenter la communauté maure bidhaan comme majoritaire pour justifier et fonder les avantages acquis dans les secteurs de la vie
nationale.
Dans la lancée de cette manipulation des chiffres, on divise un même groupe ethnique entre Peuls et halpulaar pour renforcer cette tendance à en faire une minorité. C’est cette obsession du poids démographique que représente la population négro-africaine qui a conduit à tous les excès observés durant les années de braise. Mais si réellement les Négros Africains mauritaniens représentaient le
quart de la population mauritanienne, comme le stipulait « le père de la nation» Maitre Moctar ould DADAH, pour justifier son quota du 1/4, pourquoi toute cette obstination affichée par les gouvernements successifs pour davantage réduire leur poids démographique ?
En effet en 1988, au sortir du recensement général de la population et de l’habitat, les résultats bruts estimaient les Mauritaniens à plus de 2 800 000 habitants. Quelques mois après la « publication » toujours tendancieuse de ces résultats, l’administration mettait en œuvre le plan monstrueux de dé
négrification du pays par terre, air et mer sur une durée de prés de deux ans, et le résultat est éloquent .
Dix ans après, l’Etat lancera l’opération du recensement général de 1998 ; La population mauritanienne revient à près de 2 500 000 habitants ; ce chiffre est validé par Ely ould Mohamed Vall, le moustachu du CMJD lors d’une interview accordée à Télé sud en 2006 ; sans doute, il est mieux placé que quiconque dans ce pays pour connaitre les fondements ainsi que les tenants et aboutissants de cette réduction du nombre de Mauritaniens.
En dix ans la population mauritanienne va diminuer de 11% ; et si nous ramenons ce taux de déperdition à l’effectif estimé de la population négro-africaine, nous comprendrons alors la portée et la performance de ce travail de « déstockage » accompli par le pouvoir tribalo-ethnique de Nouakchott.
La Mauritanie a affaire à des dirigeants qui, étant incapables d’avoir une vision perspicace et harmonieuse du mieux vivre ensemble, sont toujours concentrés sur le contrôle de l’évolution démographique. L’idéologie du péril noir, la hantise du poids démographique des Noirs constituent l’élément central du tableau de bord dans le pilotage stratégique de la Mauritanie. Aujourd’hui le gouvernement nous sort le concept de « l’ enrôlement » dont la première acception fait penser à l’engagement dans l’armée ; or il s’agit de recensement de la population qui ,dans la manière dont il est conduit, a découragé ,déçu et révolté la communauté négro-africaine , qui s’inquiète, à raison , de cette opération aussi bien dans sa conception que de son exécution caractérisée par l’amateurisme ,l’arrogance et le chauvinisme des équipes en charge de l’opération. Quel est l’anthropologue ou le socio-ethnologue qui peut justifier le fractionnement entre Peulhs sédentaires et Peulhs bergers en deux groupes ethniques distincts ?
Par ailleurs, lors du conseil des ministres du 29/09 qui suivi le massacre de Maghama, le gouvernement a annoncé l’adoption d’un projet de décret organisant le prochain recensement général de la population prévu en 2012. L’on peut se poser la question de savoir pourquoi une telle redondance du recensement général de la population dans l’intervalle de quelques mois. N’y a-t-il pas lieux de mieux utiliser cet argent acquis sur les dos du contribuable mauritanien pour résoudre les besoins primaires des citoyens. Si le principe est qu’avant de compter les Mauritaniens, il faut d’abord
définir qui l’est et qui ne l’est pas, on comprend que le pouvoir en place décide de faire une tabula rasa cartésienne à partir d’un doute hyperbolique de la mauritanité pour ne l’accepter que quant elle s’impose par l’évidence, la clarté et la distinction fondée sur l’ethnicité. Pourtant il y a beaucoup de
rumeurs sur le lieu de naissance du Président au Sénégal. Ce qui est sûr c’est qu’il est très à l’aise en Wolof et c’est peu probable qu’il ait acquis la maîtrise de cette langue à Rabat durant sa scolarité militaire.
Aussi si dans les grandes villes du nord et de l’est du pays les Mauritaniens Maures sont calmes face à l’enrôlement c’est qu’ils sont convaincus que leur mauritanité ne souffre d’aucune contestation et que la preuve par papiers/documents d’Etat civil est secondaire. Leur recensement est facilité par la clarté et l’évidence de leur mauritanité ; Ici l’aspect physique et culturel maure justifiant l’appartenance mauritanienne. Donc ce doute sur la mauritanité de certains citoyens est foncièrement raciste parce qu’orienté vers les noirs mauritaniens supposés être étrangers dans leurs terres ; d’où les questions subsidiaires qui leur sont posées au-delà des pièces d’état civil. C’est en cela que le zèle des agents recenseurs est voulu pour dissuader et décourager les Noirs ; l’objectif est d’arriver ainsi à en recenser le plus petit nombre possible afin d’ aboutir , in fine, à un poids démographique de Négro-Mauritanien « idéal » pour perpétuer la domination de l’Etat hégémonique arabo-berbère et trouver la justification de cette domination dans la prétendue supériorité numérique de l’élément maure -bidhaan.
Si ces cinq dernières années le palais ocre a changé trois fois de locataires, cependant, il y a une constante qui est demeurée là implacable : la consolidation des acquis du système ethno-tribal par l’exclusion socioculturelle et physique permanente du Négro-Mauritanien. C’est comme qui dirait que pour le respect du code moral maure, il existerait une règle tacite que personne ne peut transgresser : aucun de nos présidents qui ont défilé au palais ocre ne voudrait être cité comme responsable, dans l’histoire, de la restriction de l’hégémonie de l’élément maure sur le pays ; décidément n’est pas Frédéric DECLERK qui veut. En tout état de cause, l’exigence d’une cohabitation harmonieuse et équilibrée entre citoyens est plus que jamais d’actualité ; et l’évolution de la Mauritanie vers une gouvernance démocratique est une marche forcée ; c’est l’indépassable horizon de notre temps disait JP Sartres. Le système tribalo-ethnique ne peut échapper à la logique du vivant, et il se trouve incontestablement à la fin de son cycle de vie.
Les autorités actuelles plus que celles d’avant flippent en pensant à l’importance et au rôle du nombre dans l’exercice du pouvoir par le suffrage des citoyens. Autrement dit, dans une gouvernance démocratique c’est avant tout par la majorité mécanique et absolue que se conquiert le pouvoir. Si un esprit élargi par la liberté ne peut plus se rétrécir, il faut en conclure et déduire que la marge de manœuvre des élections truquées, du bourrage des urnes, ou du marchandage des consciences deviendra de plus en plus étroite en Mauritanie.
Aussi la phobie du poids du nombre de Noirs mauritaniens, affichée depuis la nuit des temps par les gouvernants, tient au fait que la lutte engagée depuis toujours par les populations noires marginalisées, ajoutée à une conscience citoyenne très prononcée dans la jeunesse actuelle, sont les prémisses d’une alternance inéluctable et dans laquelle la majorité des mauritaniens ne sera
plus gouvernée par une minorité.
SOW Aliou- Nice-France.