Recensement: Ahmedou Ould Abdellah: «…Si on n’y fait pas attention, un pays peut se diviser à l’infini…»
Par rapport à un autre sujet brûlant de l’actualité nationale, comment voyez-vous le recensement administratif en cours et qui provoque beaucoup de bruit dans la communauté négro-africaine?
D’abord, il faut être clair. Procéder à un recensement national est tout à fait normal et même obligatoire. Certains pays le font tous les 10 ans. Un recensement aide les responsables nationaux à préparer les grandes lignes de la politique nationale actuelle et future, à partir d’informations chiffrées relatives à sa démographie – pyramide des âges, migrations internes, urbanisation, scolarisation, santé, emploi, retraite, etc. Etant donné notre peu d’expérience administrative en ce domaine (des administrateurs expérimentés sont soit à la retraite soit non utilisés) et la disparition des archives d’état civil, nous aurions pu demander de bénéficier d’expertises nationales et internationales. Ce qui donc est grave en la matière, ce n’est pas le recensement en soi, mais la perception qu’il est dirigé contre une communauté. Dans les cas d’espèce, la perception est souvent plus importante que la réalité. En d’autres termes, sur ce sujet comme dans d’autres, les responsables doivent expliquer et informer les populations avant la mise en œuvre de leurs politiques. Une campagne d’ information, l’établissement d’un comité de sages et l’appui technique d’experts auraient permis d’éviter tout ce gâchis, y compris la perte d’une vie humaine, les destructions matérielles et la publicité négative qui l’accompagne.
Évidemment, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Ce n’est pas nous rendre service à nous-même et notre pays, que de penser que les événements de 1989 n’ont pas été traumatisants pour tous. Nous avons un pays ouvert sur la mer et sur le reste du continent, plein de promesses et des populations entreprenantes, généreuses et endurantes.
Bâtir sur ces atouts est plus sûr que de chercher un héroïsme d’un autre âge et fondé sur les divisions. Si on n’y fait pas attention, un pays peut se diviser à l’infini: en riches et pauvres, en régions, en ethnies, en confréries, etc. Face à la méfiance, à la peur et aux égoïsmes des hommes, l’unicité religieuse ne suffit pas à elle seule pour maintenir la cohésion nationale. Les Somaliens sont tous musulmans, parlent et écrivent la même langue. La religion n’a pas empêché ou arrêté une guerre atroce qui y perdure depuis deux décennies et largement du fait des leaders. S’agit-il uniquement d’ingérence extérieure? Aucune interférence étrangère ne peut réussir dans un pays où les élites assument leurs responsabilités avec courage et dans la tolérance. De plus, 50 ans après, continuer à blâmer le colonialisme pour nos difficultés actuelles a peu d’effets.
Propos recueillis par Moussa Ould Hamed– Biladi