Feu du voisin, brasier chez soi par Ibrahima BAKHOUM
L’enfer c’est les autres. De part et d’autre des rives du Fleuve Sénégal, le regard n’est plus fraternel. Oubliés les heures et jours où Nouakchott ne jurait que par Dakar. Le président sénégalais avait réussi le tour de passe-passe de trouver au Général Mouhamed Abdoul Aziz, une porte de sortie pour légitimer le pouvoir d’un ancien putschiste. La lune de miel dura le temps qui sépare du réveil des vieux démons. Et chaque partie du couple se remet à considérer les contours de son nombril.
Pour un poste convoité mais qui fait le bonheur d’un autre compétiteur d’un pays de la même sous région ouest africaine, Dakar doit payer de n’avoir pas voté pour Nouakchott. La goutte d’eau de trop sur les berges d’un Fleuve dont les riverains n’ont jamais cessé de se faire des reproches relativement aux enjeux fonciers et de l’exploitation des ressources marines. Ce n’est pas tout. Le Sénégal ne peut prendre le risque de faire comme si la configuration ethnique de la Mauritanie devait être considérée comme une simple affaire intérieure. Le sud mauritanien renvoie au nord sénégalais et la mince bande qui sépare les populations des deux rives ne suffit pas à faire une frontière infranchissable.
Pour les mêmes peuples, on se retrouve hélas avec des constitutions épidermiques différentes et cela suffit à entretenir un climat de méfiance hérité d’une période durant laquelle l’habitant avait une couleur de peau avant d’avoir un pays. Ces considérations interpellent aussi la rive gauche dont la composante démographique a des prolongements naturels sur la rive droite. La perméabilité de la frontière fait dès lors le lit des suspicions.
La Mauritanie peut-elle être le seul pays africain à recenser sa population, avec la langue et les traits physiques comme critère d’exclusion ?
Dans ce qui semble être les prémices d’une nouvelle brouille aux conséquences incalculables, Dakar paierait pour son activisme. S’imposer des habits de faiseur de paix partout, ne réussit pas à un Etat dont les dirigeants sont loin d’avoir mis de l’ordre dans leurs affaires intérieures. Les Ivoiriens sous Laurent Gbagbo n’avaient-ils pas le malin plaisir de rappeler à Abdoulaye Wade qu’il avait « suffisamment à faire avec le conflit casamançais », pour pouvoir s’accorder un rôle de facilitateur loin de ses bases nationales ?
Peu importe que la comparaison ait été tirée par les cheveux pour des situations plutôt très différentes. Il y a un « passif » au Sénégal, ce devrait être la priorité pour quelqu’un qui sait éteindre l’incendie chez le voisin. Tant que le courant passe, les contempteurs potentiels peuvent faire comme si de rien n’est. Mais sous le coude, on garde toujours les dossiers sensibles, question d’en faire une arme de riposte dès que la situation l’exige. Des solutions dignes de Machiavel, sénégalais et Mauritaniens en ont déjà vécu.
Dans la crise qui déclencha les tueries dans les deux pays en 1989, le gouvernement de Taya s’empressa de pointer les tensions électorales post électorales dont le Sénégal peinait à sortir, ce qui amena les autorités à instaurer l’état d’urgence. Des observateurs n’exclurent pas que ce fut une bouffée d’oxygène pour le pouvoir socialiste contesté, pour cause d’élection présidentielle chaotique en 1988. Dans le même temps, en Mauritanie, des officiers étaient condamnés à mort ou à des peines dégradantes, faisant ainsi les frais d’une instabilité chronique.
La situation n’est pas encore arrivée à « maturité » pour autoriser de croire que les Libéraux au pouvoir au Sénégal auraient besoin d’une crise avec un pays voisin pour détourner l’attention de leurs difficultés. Mais le ciel de Dakar alterne si souvent nuages et éclaircies, que nul ne peut se hasarder à prédire le temps qu’il fera dans les prochains mois.
On le voit, Abdoulaye Wade commence à se retrouver un peu trop souvent, « au cœur » de situations avec lesquelles sa communication jure, la main sur le cœur, que le président sénégalais « n’a rein à voir ». Des dénégations aussi classiques de la part d’un présumé coupable, que le fait pour la Guinée de Sékou Touré et d’autres comme lui, de voir des « complots » toujours venus de leurs voisins. C’était durant la décennie 70. Le successeur des successeurs de Touré tient le même langage, parce que sa maison a été attaquée en juillet dernier. Alpha Condé sorti vainqueur d’une élection certifiée « démocratique » voudrait-il remettre sur le métier, l’ouvrage des vieilles recettes expérimentées des décennies avant lui ? C’est le temps qui dira quel rôle a – ou n’a pas – joué le gouvernement sénégalais, dans la tentative d’assassinat qui a visé le président guinéen.
Banjul, Nouakchott, Bissau, Conakry … ce n’est pas encore le cercle de feu, mais Dakar pourrait avoir des raisons de se poser des questions sur ses relations avec ses voisins. Pas question d’encourager les autorités à se méfier des capitales en question. Le Sénégal a plutôt besoin de se rendre plus réaliste : on ne peut faire chez l’autre ce qu’on peine à réaliser chez soi. En diplomatie de pays pauvre, la bonne volonté ne suffit pas. Il faut surveiller ses arrières et considérer que des coups peuvent venir de l’intérieur comme de l’extérieur.
Ceux qui font des annonces fracassantes un jour, pour ensuite se rendre compte de leur « erreur » dès le lendemain, ne s’illustrent pas par hasard. Ils travaillent sur des plans élaborés avec des objectifs précis. Isoler le gêneur s’il n’est pas possible de l’abattre. Les guerres économiques et militaro-stratégiques qui se mènent ouvertement ou en sourdine sur le continent ne laisseront aucun pays africain libre de créer les conditions d’émergence d’une conscience panafricaine. Alors il faut tuer le poussin dans l’œuf. Diviser peut rendre plus simple de régner sur des populations que tout devrait unir. A l’oublier, les pouvoirs au Sénégal et en Mauritanie auraient à répondre de leur faute devant l’histoire.
L’OBSERVATOIRE(Sénégal)