Dia Alassane, porte-parole de Conscience citoyenne : «Ce qui se passe en ce moment dans les bureaux de recensement est une honte»
Eveillé très tôt à la conscience politique pour avoir vécu la campagne d’arrestations des étudiants négro-africains en 1986, Alassane Dia s’engagera d’abord en mettant sa plume d’apprenti journaliste au service de ses convictions.Longtemps absent de la Mauritanie pour des raisons liées à ses études puis à sa profession d’enseignant universitaire, il décide de rentrer en novembre 2009 pour participer de l’intérieur à la lutte pour l’avènement d’une Mauritanie débarrassée des démons du racisme et de l’esclavagisme. C’est donc tout naturellement qu’avec d’autres camarades, il fondera le mouvement Conscience citoyenne, force politique émergente dont il est le porte-parole. Le Rénovateur Quotidien a eu avec lui l’entretien suivant :
Le Rénovateur Quotidien : Pouvez-vous, nous rappeler les objectifs de Conscience citoyenne, l’organisation dont vous êtes le porte-parole ?
Alassane Dia : Conscience citoyenne est née d’un constat : l’Etat mauritanien a pendant les cinquante années de notre indépendance privilégié une communauté, la communauté arabo-berbère sur toutes les autres et ce quelques soient les régimes qui se sont succédé au pouvoir. Ce parti-pris de l’Etat a atteint son paroxysme pendant les années dites de braise avec la tentative de génocide qui ne dit pas son nom contre la communauté négro-mauritanienne et qui a heureusement fini par échouer. Notre objectif premier est d’éveiller les consciences, celles du peuple bien entendu mais surtout celles des dirigeants de ce pays pour leur signifier que la Mauritanie appartient à tous ses fils et qu’il n’y a pas de raison qu’une communauté, une seule, s’accapare de tous les pouvoirs tandis que les autres font figure de faire-valoir. Nous voulons que les exclus du système, les laissés pour compte du fait de leur origine ethnique ou raciale et qui ont fini par intégrer cet état de fait, je pense en particulier à nos compatriotes haratines entravés par les chaînes de l’esclavage, que ceux-là sachent qu’ils ont autant que tout le monde droit à ce qu’il y a de meilleur dans ce pays et qu’ils n’ont pas à se contenter des miettes qu’on peine d’ailleurs à vouloir leur laisser.
Le Rénovateur Quotidien : Au cours de votre intervention lors de la conférence-débat organisée, le 20 juin, à l’Espace culturel Diadié Tabara Camara, vous avez laissé entendre, que le combat de Conscience citoyenne s’inscrit dans le cadre de la légalité. Peut-on savoir un peu plus sur la stratégie de lutte politique que vous comptez mettre en action pour porter vos revendications ?
A.D : Notre combat se situe dans la limite de la légalité dans la mesure où nous comptons mettre en œuvre tous les moyens que met à notre disposition la loi pour faire aboutir nos revendications. Nous organiserons ainsi des conférences, des sit-in, des marches pour nous faire entendre et, si l’on nous y pousse, nous irons jusqu’à la désobéissance civile. Si vous prenez l’exemple de nos terres du sud que l’Etat est entrain de brader aujourd’hui à des saoudiens ou à d’autres étrangers si ce n’est à des privés nationaux sur la base d’une loi domaniale taillée sur mesure pour exproprier exclusivement les propriétaires négro-mauritaniens, nous pensons qu’il est légitime dans ces cas de figure de défier la loi au profit de la légitimité. Notre demandons donc à tous les justes et à tous les progressistes de rejoindre Conscience citoyenne pour le triomphe de nos idéaux communs
Le Rénovateur Quotidien : L’état civil, vous tient particulièrement à cœur, quel est le regard que vous portez sur le recensement des citoyens qui est en cours?
A.D : Ce qui se passe en ce moment dans les bureaux de recensement est une honte. Tout est fait pour décourager la composante négro-mauritanienne à s’inscrire. Les vexations, les humiliations sont le lot quotidien de ces populations dans ces bureaux. Un de mes collègues me racontait il y a quelques jours avoir été recensé en tant que Maure et non en tant que Mauritanien. La raison ? Il s’est présenté au bureau de recensement en même qu’un autre citoyen négro-africain de ses connaissances : à celui-ci, on a demandé un certain nombre de justificatifs qu’il ne pouvait produire, et à lui rien du tout parce qu’étant, de son propre aveu, tout simplement Maure.
Le Rénovateur Quotidien : Que comptez vous faire pour contribuer à amener les pouvoirs publics à rectifier le tir, en ce qui concerne le recensement ?
A.D : Nous comptons, en collaboration avec les organisations progressistes de la place et notamment nos partenaires du FLERE, harceler les pouvoirs publics afin de les amener à revoir cette histoire de recensement. Il est d’ailleurs prévu un sit-in ce jeudi 30 juin à 10 heures devant les locaux de la commission chargée de l’enrôlement du côté de Sebkha sous le slogan « Touche pas à ma nationalité ». Il n’est pas admissible après tout ce qu’a vécu ce pays depuis le milieu des années 1980 et l’espoir suscité par le semblant de volonté de régler ce que l’on appelle avec une hypocrisie bien mauritanienne le passif humanitaire, que de telles dérives se répètent. Ce recensement inique et qui met encore une fois en péril l’existence même de notre pays doit impérativement être arrêté. Nous en appelons à la mobilisation de toute la communauté des opprimés et de tous les démocrates sincères pour combattre ce recensement et, par delà, le système injuste qui nous gouverne.
Le Rénovateur Quotidien : Pour nouer le fil du dialogue d’avec le pouvoir, les partis réunis sous la bannière de la Coordination de l’Opposition démocratique viennent de remettre une feuille de route au président de la République, que vous inspire ladite feuille ?
A.D : La différence entre un mouvement comme le nôtre et les partis traditionnels, opposition comme majorité, c’est que nous estimons que ces partis mettent la charrue avant les bœufs. Avant de discuter des problèmes de démocratie, du rôle de la majorité ou de celui de l’opposition, il faudrait d’abord rediscuter le contrat fondant la Mauritanie elle-même. Ce contrat, si contrat il y a, est profondément vicié et tant qu’on n’y aura pas remédié on file droit vers le mur…C’est vous dire que nous n’attendons pas grand chose de cet improbable dialogue.
Propos recueillis par Samba Camara-LE RÉNOVATEUR