Droit de sépulture aux disparus des années noires : Un pari national pour le président
L’annonce faite mercredi dernier par le ministre des affaires islamiques, l’illustre érudit Ahmed Ould Neiny, de la volonté de Nouakchott de procéder aux sépultures des victimes des droits de l’homme n’a pas eu un grand effet de surprise.Au contraire, elle était attendue depuis des semaines, en raison de la crise interne et des pressions croissantes sur le président de la république et sur son entourage, pour dévoiler le sort de dizaines d’officiers et de civils, dont les dépouilles ont disparu, après leur exécution dans des circonstances diverses.
Bien que les premières réactions des proches des victimes étaient positives, la majorité observe encore le silence total, dans l’attente de discerner les secrets du plan des sépultures envisagé par le pouvoir ; alors qu’au même moment, le mystère règne sur le destin des tortionnaires et des auteurs de ces violences tragiques. Bien que les proches des victimes sont concernées par la connaissance du sort des leurs, rendre justice et punir les responsables de ces événements douloureux peut tenir valeur de condoléances à celui qui a perdu son père, son frère ou son fils au cours d’incidents politiques violents ou inconnus, faisant l’objet de beaucoup d’incertitude, en raison de l’absence de confiance entre les parents des disparus, les tribunaux chargés de ces épineux dossiers et leurs enquêteurs. Un regard empressé sur l’histoire politique mauritanienne peut tout de même révéler la portée des attentes qui reposent sur la nouvelle commission ministérielle, à travers la présentation succincte de certaines périodes ayant connu des exécutions dont le sort des victimes est jusqu’à ce jour inconnu.
1976
La première des victimes dont les demeures sont inconnues en Mauritanie, de la gestation politique, après l’indépendance est la tombe d’El Wely Moustapha, chef du Polisario et l’un des plus importants leaders de ce mouvement séparatiste arrêtés par le gouvernement mauritanien dans ses affrontements avec ce front, qui réclame la libération du Sahara Occidental des régimes mauritanien et marocain. En raison du symbole qu’il représentait aux yeux des sahraouis et de certains mauritaniens, curieux de savoir où il a été enterré, suite à sa mort au cours d’une bataille connue au centre de la capitale Nouakchott, son destin est demeurée une énigme. La mort d’El Weli a été vantée par le régime civil mauritanien de l’époque, comme une vengeance infligée à ses adversaires à l’intérieur et à ses ennemis à l’extérieur, avant qu’il ne soit inhumé dans un lieu inconnu. Le chercheur mauritanien Sidi Amar Ould Chiekhna estime que la dépouille de l’home se trouve dans la sixième région militaire à Toujounine, où il aurait été enterré le 9 juillet 1976 après sa mort. Son compagnon El Welid Laroussi, quant à lui, aurait été enterré, à Binnechab, au Nord de Nouakchott, après la célèbre attaque menée le 8 juillet sur la capitale Nouakchott. Une information que l’état-major n’a ni confirmé, ni infirmé jusqu’à cette heure. L’occasion sera-t-elle donnée alors aux proches de l’homme de connaître le lieu de son enterrement comme l’a promis le ministre des affaires islamiques ?
1979
En 1979, l’influent militaire et Premier ministre de l’époque Ahmed Ould Bouceif, s’était envolé au bord d’un avion mauritanien en direction de Dakar, pour assister à un congrès international organisé dans la capitale sénégalaise. Mais, c’était le dernier voyage de cet homme populaire, qui a quitté de manière précoce la scène et le conflit des officiers au sein du comité militaire. Bien que les causes de cette disparition restent encore mystérieuses, la stèle de Ould Bouceif restera inconnue en raison de l’incapacité, sinon du refus des parties habilitées de dévoiler le lieu de cette mort, en attendant une commission dont la formation suscite plus d’une interrogation.
1981
Les registres militaires au sein des rangs de cette forte institution en Mauritanie indiquent qu’un tribunal militaire spécial a été créé pour juger le commando accusé de fomenter le putsch contre le colonel Mohamed Khouna Ould Haidalla. Le 24 mars 1981, ce tribunal militaire spécial s’est saisi des dossiers des victimes et a commencé le procès des officiers, plus connu sous le nom du commando Kader et compagnons, au milieu d’un black-out médiatique total. La direction politique avait demandé aux officiers Cheikh Ould Boyde, Sow Samba, Mohamed Ould Boilil et Ahmed Ould M’Bareck le jugement rapide des leurs collègues impliqués dans le coup d’Etat. Le tribunal n’a pas accordé l’occasion aux officiers et aux civils d’organiser leur auto-défense, avec toute de même l’aveu de certains d’entre eux de leur rôle dans ledit complot, ayant fini par conduire à des sentences dures dont la peine capitale contre les officiers feux les colonels Mohamed Ould Abdel Kader dit Kader et Ahmed Salem Ould Sidi, le capitaine Niang Moustapha ete lieutenant Mohamed Ould Doudou Seck. Les verdicts étaient durs, comme le disent les proches des victimes. Le président Ould Haidalla avait tranché en refusant son droit de grâce aux auteurs de la tentative de putsch et en décidant leur exécution et leur enterrement dans des tombeaux jusque là inconnus. Des sources militaires indiquent que ceux qui ont été chargés de l’opération d’exécution avaient demandé à l’un des médecins français de leur remettre l’officier Mohamed Doudou Seck dés sa sortie du bloc opératoire pour être exécuté. Ce qu’il aurait refusé avant d’être soumis à des fortes pressions de la part de l’Ambassade de France qui ont fini par le contraindre à renoncer dans la douleur à sa décision ; pour que Doudou Seck soit exécuté avec ses collègues contestataires du régime militaire prévalent. La sentence fut accomplie et les dépouilles avaient disparus. Depuis, les injustices sont restées suspendues. Le président Ould Abdel Aziz et sa commission ministérielle seront-ils en mesure de retracer le paysage de nouveau ? La commission sera-t-elle effectivement capable d’accomplir sa mission sans reprendre les investigations avec les personnalités influentes qui ont exécutées les peines et inhumées les victimes ? Qui acceptera, au sein de l’institution militaire et sécuritaire d’assumer la responsabilité de ces drames dont il n’est resté que les effets politiques et sécuritaires après que les régimes et les positions de tous aient changés ?
1987
Le leader du mouvement Flam vivant à l’exil Fara Oumar Ba se souvient encore du sort de ses compagnons au célèbre bagne de Oualata, où l’obscénité de l’officier chargé de superviser la prison a crié aux yeux de ses détenus qu’ils ont été transférés à Oualata pour périr sous la faim ou sous la torture. Les propos du régisseur Mohamed Ould Bouffali peuvent être durs, mais gardent à la commission une chance de connaître le sort des disparus de ce bagne à savoir :Alassane Oumar Ba (26 août 1987) ; Tene Youcef Guèye (2 septembre 1987) ; Abdel Ghoudous Ba (rapatrié de l’Algérie après les bouleversements politiques, tué sous la torture dans les geôles de Oualata avec les lacets aux pieds (13 septembre 1987) et Tafsirou Djigo (28 septembre 1987).
1991
Le 28 novembre 1992, survient le génocide le plus dangereux de l’histoire des forces armées ; étant donné que des officiers avaient supervisé l’exécution de leurs frères d’armes négromauritaniens avant que leurs dépouilles ne soient transportées vers un lieu inconnu. Les mauritaniens, en particulier les négromauritaniens se rappellent qu’un nombre d’officiers de l’institution militaire étaient témoins de la tuerie alors que d’autres étaient une partie prenante.
Les mauritaniens sont également conscients que certains officiers, dont certains sont actuellement bien placés à la tête de la pyramide Etat, étaient témoins de cette barbarie et peuvent s’ y être impliqués. Mais les familles des officiers négromauritaniens ont continué à réclamer la révélation du sort de leurs fils, à juger les persécuteurs impliqués dans cette tragédie. La question qui se pose de soi est de savoir si les choses ont mûri pour cette fin ? Si également Nouakchott est déterminée à dévoiler le sort des victimes et qui désignera la commission ministérielle autre que les bourreaux et les registres émanant des cercles des forces armées et de sécurité, avec des changements opérés par la force ou à travers les scrutins !! L’un des officiers mauritaniens avait dit, au cours d’un procès organisé par la cour correctionnelle à Ouad Naga en 2004, lors du jugement des cavaliers du changement, qu’il avait vu les voitures de l’armée transporter les disparus vers un lieu inconnu après leur exécution. Le même officier avait indiqué qu’un cimetière non éloigné de la base militaire (non précisée) aurait recueilli des restes de corps déchirés par la torture dans les cellules de l’armée après des mois de tensions politiques en Mauritanie. Les négromauritaniens se souviennent tristement, à chaque anniversaire, les noms d’officiers et de soldats dont les plus connus sont : Abdallahi Djigo, Samba Baba Ndiaye, Samba Oumar Ndiaye, Brahim Diallo, Mamadou Hamadi Sy, Mbodj Abdel Kader Sy, Samba Demba Coulibaly, Demba Diallo, Mamadou Saidou Thiam, Mamadou Oumar Sy, Abderrahmane Diallo, Mamadou Ousmane Ly, Mamadou Demba Sy, Hacen Yéro Sarr, Amadou Mamadou Ba, Lam Touré, Camara Souleymane, Moussa Ba, Oumar Khalidou Ba, Amadou Mamadou Thiam, Samba Sall, Abdallahi Diallo, Cheikh Tidiane Jean, Samba Bocar Soumaré, Moussa Ngaidé, Sarajou Lo, Demba Oumar Sy, Amadou Yéro Ly et Djibril Samba Ba.
1992
Les élections présidentielles mauritaniennes avaient annoncé la victoire du président Maaouiya Ould Taya, alors que la capitale économique connaissait un regain de tension et une atmosphère coléreuse à cause de présumées fraudes ayant caractérisées ce scrutin et empêché par conséquent le leader de l’opposition Ahmed Ould Daddah de remporter le fauteuil de la magistrature suprême. Les autorités prêtaient une grande attention à la recrudescence des incidents dans la ville, alors que le Maroc suivait lui aussi avec inquiétude les tensions sur ses frontières. Les récits véhiculés actuellement indiquent que les autorités centrales de Nouakchott avaient convoqué le Wali Sidi Mohamed Ould Mohamed Ould Mohamed Lemine (frère de l’actuel président de l’UPR), mais son avion s’est perdu dans l’espace national sans laisser de traces. D’autres dires doutent de l’authenticité du crash et estiment que l’avion a fait l’objet de tirs au cours de sa route vers la cité minière Zouerate, précisant que le dossier a été clos pour des raisons liées à intérêts intérieurs et autres sous-régionaux au cours du règne de l’ex chef d’Etat Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya. En attendant d’avoir plus de lumière sur cet incident, Nouakchott sera sollicitée pour révéler une énigme ayant ému de nombreux mauritaniens et entraîné des douleurs profondes à certaines familles civiles et militaires, qui ont servi l’Etat et le peuple avant de disparaître dans des règlements de compte politiques étroits et dans des crimes que les jours montrent omniprésents et inaltérables malgré l’âge.
Les interrogations soulevées aujourd’hui par de nombreux mauritaniens sont « qui les a tués et pourquoi ? », « la justice doit-elle identifier les victimes et le criminel doit-il échapper au châtiment », « la Mauritanie sera-t-elle au rendez-vous d’une réconciliation historique ou d’un spectre de tensions politiques qui peut resurgir de nouveau au milieu de plaies douloureuses non encore cicatrisées ».
(Source : alakhbar)
Mohamed Ould Mohamed Lemine-LE RÉNOVATEUR