Le Coran, héritage de la culture grecque ? Reponse du Prof Makhtar Diouf au Prof Sankhare
Le Coran, héritage de la culture grecque ?
Réponse d’un universitaire
Notre collègue Oumar Sankharé (O.S.) a souhaité autour de son livre
‘’Le Coran et la culture grecque’’ une discussion entre universitaires. Des
musulmans, dont des universitaires, y ont déjà répondu avec brio et
pertinence. Je m’inscris dans cette voie avec le présent texte, et de façon
sereine. Ce texte s’adresse à O.S., mais aussi à tous les intégristes de
l’hellénisme qui perçoivent dans tout ce qu’ils lisent des traces d’on ne sait
quelle culture grecque.
I – Les sources lointaines et proches
« Nous avons imputé à l’Alcoran une infinité de sottises qui n’y furent jamais ».
Ainsi s’exprimait le pamphlétaire français Voltaire dans son ‘’Dictionnaire
philosophique’’ (1764). Adversaire résolu de l’Islam, mais de bonne foi, il
passait aux aveux, après avoir lu la traduction du Coran de l’arabe au
latin de Lodovico Maracci. Et Voltaire d’ajouter que « on pourrait faire un
très gros livre de toutes les imputations dont on a chargé les mahométans ». Un
des premiers gros livres de cette nature avait été de la plume même de
Maracci, ‘’Réfutation du Coran’’ en 1691. Depuis lors, on ne compte pas
les publications qui sont venues s’ajouter au panier-sottisier à l’endroit du
Coran.
C’est à l’intérieur même de l’Islam que sont venus se former des
mouvements réformistes en Egypte et en Inde au 19ème siècle et au début
du 20ème siècle. C’est leur influence qui s’est étendue aux Etats-Unis avec
la naissance il y a une trentaine d’années d’un mouvement dissident. Son
promoteur est Rashad Khalifa, un Egyptien naturalisé Américain, qui se
proclame ‘’envoyé de Dieu’’, inspiré par l’ange Jibril.
Il demande à ses adeptes d’abroger les deux derniers versets de la
sourate 9, (lakhad djâhakoum …‘’il vous est venu un prophète ?’’) et
déclare que c’est à lui qu’est adressé le troisième verset de la sourate
‘’yâsin’’ ( نَIJِ K رْ َ Gُ H نَ ا ْ Gَ ِ H كَ AD إِ (tu es certes du nombre des messagers). C’est
dans un long article de 1982 ‘’Le Coran, les hadîss et l’Islam’’ qu’il rejette
la sounna pour ne considérer comme seule source que le Coran.
A la suite de la disparition de Rashad Khalifa en 1990, le flambeau est
repris par trois de ses adeptes, tous professeurs dans des universités
américaines : Edip Yuksel, Layth Saleh al-Shaiban, et Martha Schulte-
Nafeh qui se présentent comme ‘’Coranistes’’. En 2007 ils publient leur
‘’Traduction Réformiste du Coran ‘’ de l’arabe à l’anglais : les deux
derniers versets de la sourate 9 y sont mentionnés en pointillé, mais pas
numérotés comme versets 128 et 129. C’est du rejet de la sounna que
s’installent les dérives et que prend forme la thèse selon laquelle le
prophète ( صلى الله عليه وسلم ) n’était pas non-lettré.
II – Le prophète ( صلى الله عليه وسلم) non- illettré ?
La thèse selon laquelle le prophète ( صلى الله عليه وسلم) n’était pas illettré a pour
conséquence que c’est lui qui a rédigé le Coran : il s’est donc inspiré de
sources et le texte coranique n’est pas parole divine.
Dans leur traduction du Coran, les ‘’Coranistes’’ intitulent une section :
‘’Muhammad était-il illettré ?’’. Et ils s’en prennent aux ‘’orthodoxes’’ qui,
aux versets 157 et 158 de la sourate 7 ‘’al-a’râf’’ traduisent ‘’ rassoûl
nabbiyy-il ummy’’’ ( ZG\ ُ] ا ْ ZD [ِ AD H ولَ ا K ر ُ D H ا) par ‘’ prophète illettré, ne
sachant ni lire ni écrire’’. Pour eux, écrivant en langue anglaise, la seule
traduction correcte est ‘’gentile’’ qui signifie : ‘’ni juif, ni chrétien, et
habitant la Mecque’’ ; si bien que ‘’Muhammad est un prophète gentile’’,
puisque répondant à ces trois critères.
En France, ce sont le Tunisien Youssef Seddik spécialiste de la Grèce
antique et l’Algérien Ali Merad, islamologue, tous deux professeurs dans
des universités parisiennes qui prolongent les thèses de Rashad Khalifa.
Youssef Seddik est l’auteur de ‘’Le Coran : autre lecture, autre traduction,
2002’’, et ‘’Nous n’avons pas lu le Coran, 2004’’. Ali Merad est l’auteur de
‘’L’exégèse coranique, 1998’’ et ‘’L’Islam contemporain, 2002’’. Des titres
très révélateurs de leur démarche. Ils ont pu s’appuyer sur la traduction
du Coran par Régis Blachère qui lui aussi utilise le terme ‘’gentil’’ pour
traduire ‘’ ummy’’.
Pourtant, le Centre national de ressources textuelles et lexicales (Cnrtl),
institution française, donne ces définitions du terme ‘’gentil’’ : (1) personne
étrangère à la religion juive ; (2) chrétien dans les premiers temps du
christianisme ; (3) païen.
Dans le ‘’Collins Concise English Dictionary’’ qui fait autorité dans
l’espace anglophone, on trouve ces définitions de ‘’gentile’’ : (1) chrétien
opposé à juif ; (2) pour les mormons (secte protestante américaine), toute
personne n’appartenant pas à leur église ; (3) païen ; (4) race ou religion
qui n’est pas juive.
Ce sont les mêmes définitions qu’on trouve dans le ‘’Arabic-English
Lexicon’’ (1863) de l’Anglais Edward William Lane, publié en 8 volumes
sur plus de 3000 pages. Dans le ‘’Elias Arabic English Dictionary’’, la
définition de ‘’ummy’’ est : ‘’illettré’’. Dans le ‘’Dictionnaire arabe-français
des élèves’’ de Dr Lili Maliha Fayad, la définition est : ‘’illettré’’ ; avec la
précision ‘’ne sachant ni lire, ni écrire’’. On y trouve aussi à la même page
‘’ummyat’’ : analphabétisme. Aux Etats-Unis, ce sont les chrétiens
antisémites qui se font appeler ‘’gentile’’ pour se distinguer des juifs. En
aucun cas, le prophète Muhammad ( صلى الله عليه وسلم) ne peut donc être un ‘’gentile’’. Ce
sont ces ‘’coranistes’’ qui ont inventé leur propre définition du terme pour
l’y inclure, pour montrer qu’il n’était pas non-lettré.
Si le prophète ( صلى الله عليه وسلم) sait lire, le premier mot qui lui est révélé رَأْ h ا ْ est :
‘’Lis !’’. Pour les tenants de cette thèse, comme O.S., ‘’l’infinitif’’ رَأَ h َ
(‘’qara’a’’) ne peut signifier que ‘’lire’’ ; seuls les orthodoxes comme les
ndongol’ dâra lui donnent comme sens ‘’réciter’’.
Alan Jones, professeur émérite de langue arabe à l’Université d’Oxford,
auteur d’une traduction du Coran et de nombreuses publications sur la
littérature arabe, donne comme seul sens à ‘’qara’a’’ : ‘’réciter’’ (dans le
lexique de son livre ‘’Arabic through the Quran’’, L’arabe par le Coran). Il
n’est pourtant pas un ‘’ndongo’l daara’’.
Dans le Arabic-English Lexicon de E.W. Lane, on trouve deux sens
pour ‘’qara’a’’ : (1) lire ; (2) réciter En effet, le terme ‘’qara’a’’ a les deux
sens dans la langue arabe. Dans toute langue, lorsqu’un mot a des sens
distincts, il faut le situer dans son contexte. Dans le Coran nous trouvons
deux exemples bien tranchés d’emploi de ‘’qara’a’’ dans les deux sens :
– Dans le sens de ‘’lire’’ :
كَ[َ klَ m رَأْ ِ h ا ْ
Lis ton registre écrit (Coran 17 : 14, Sahih international)
رَؤُهُ tْ AD k[ً klَ m ِ kAَ Iْ Jَ u زلَ َ \ Aَ l ُ nٰ lD o كَ َ I\ h ِرُ ِ H نَ G ؤْ ِ Ar َن H وَ
? Nous ne croirons pas ton ascension tant que tu ne nous apporteras pas un
livre que nous pouvons lire (Coran 17 : 93, traductions Sahih International).
– Dans le sens de ‘’réciter’’ :
xُ H وا َ yُ Gِ lَ Kْ kz رْآنُ َ tُ H ُرِئَ ا ْ h وَإِذَا
Lorsque le Coran est récité, écoutez- le (Coran 7 : 204, Sahih I.)
سِkAD H ا nJَ u رَأَهُ َ tْ lِ َ H هُ kAَ h رَ ْ z َ kA رْآ ً h وَ ُ
Et un Coran que Nous avons divisé pour que tu puisses le réciter aux gens
par intervalles (Coran 17 : 106, Sahih international).
On peut réciter ce qu’on a entendu, mais on ne peut lire qu’un texte
ouvert devant les yeux. Le prophète Muhammad ( صلى الله عليه وسلم) était non-lettré : il lui
a été demandé de réciter et non de lire. Le premier mot de la révélation ne
peut signifier que : ‘’Récite !’’ car il n’avait pas un texte devant lui.
O.S. cite dans sa bibliographie ‘’Une approche du Coran par la
grammaire’’ de l’orientaliste français Maurice Gloton. Celui-ci, dans un
autre texte ‘’Le Coran, parole d’Allah (avril 2008) écrit :
« Le Qur’ân est la Récitation ou re-citation de la Parole révélée ou descendue de
chez Allâh / Le Prophète ‘’non-lettré’’ reçoit la Parole de Dieu.
Du fait que le Prophète est “non-lettré”, il reçoit la Révélation dans une parfaite
disponibilité et réceptivité, sans pouvoir altérer, par une intervention individuelle,
le Message divin ainsi transmis. Le Prophète lui-même a donné une définition de
ce qu’il entendait par le terme ’ummî : “Nous sommes une Matrie non-lettrée (’innâ
’ummat ’ummiyyat, nous n’écrivons ni ne comptons“. Az-Zajjâj, commentant cette
nouvelle prophétique, transmise par Ibn `Umar, précise que ce nom
ummî concerne celui qui est resté dans la disposition en laquelle sa mère l’a mis
au monde, c’est-à-dire ne sachant ni lire ni écrire, comme à sa naissance, et
n’ayant pas encore reçu l’empreinte d’une quelconque connaissance humaine/.
L’Ange ne lui dit pas : ‘’Lis!’’, mais ‘’Récite! ‘’ (iqra’). »
Maurice Gloton n’est pas lui non plus un ndongo’l dâra.
Une fois posé le postulat que le prophète ( صلى الله عليه وسلم) n’est pas non-lettré, que
c’est lui qui a rédigé le Coran, il faut bien lui découvrir des sources dont
comme tout chercheur, il s’est inspiré. Pendant longtemps on lui a inventé
des sources chrétiennes et juives. On va lui trouver maintenant des
sources dans la pensée grecque. Pour puiser à toutes ces sources, il lui
aurait fallu connaître l’hébreu, l’araméen, le syriaque, le grec ? etc. Ce
qui est un non-sens.
III – Les soi-disant sources grecques du Coran
Youssef Seddik soutient que le Coran est l’héritage de la culture
grecque. Ce que O.S. reprend dès la préface de son livre : « Les Arabes
s’étaient déjà familiarisés avec la culture grecque qui constitue indéniablement une
des sources les plus importantes du Coran ». Il parle même de « grécité
coranique » et donne quelques exemples.
1. Alexandre le Grand dans le Coran sous le nom de Zul-Qarnayn ?
L’influence de la culture grecque dans le Coran se serait manifestée par
la mention de Zul-Qarnayn (sourate 18, versets 83-98), car il ne s’agirait
que du souverain grec Alexandre le Grand. Selon O.S. « Dieu mentionne
Alexandre le Grand dans le Coran ». O.S. va jusqu’à dire que « Dieu dans son
dessein a choisi Alexandre, l’élève d’Aristote, pour déclarer la fin de la mission
prophétique pour la relayer par la mission philosophique » (p. 185).
L’assimilation de Zul-Qarnayn avec Alexandre le Grand a duré
longtemps, même chez bon nombre de musulmans. Cependant, des
opinions différentes ont été émises sur ce personnage historique. Selon
l’Encyclopédie juive et l’Encyclopédie britannique, Zul-Qarnayn n’est autre
que le roi perse Cyrus qui régnait à l’Est et à l’Ouest. Le personnage
homme de foi juste décrit dans le Coran ne pouvait pas correspondre à
Alexandre le Grand qui était un païen croyant aux divinités grecques.
Cette dernière thèse est largement acceptée maintenant.
Pour Abdallah Yussuf Ali, traducteur exégète du Coran de l’arabe à
l’anglais, il n’y a pas lieu de se polariser sur la réalité historique du
personnage : Sa mention dans le Coran est une parabole dont il ne faut
retenir que la signification spirituelle.
2. Parménide source de la sourate ‘’al-ikhlâs’’ ?
O.S. soutient que la sourate (112) ‘’al-ikhlâs’’ du Coran se trouvait déjà
chez le philosophe grec Parménide : « Six siècles avant JC, il (Parménide)
vous dit ceci : «Dieu est incréé, Il n’a pas été engendré, Il n’a pas d’associé. Il est
l’Unique ».
Voyons ce que dit Parménide (traduction de G.M. James) : « II n’est plus
qu’une voie pour le Discours, c’est que l’être soit ; par là sont des preuves
nombreuses qu’il est inengendré et impérissable, universel, unique, immobile et
sans fin. I1 n’a pas été et ne sera pas ; il est maintenant tout entier, un, continu ».
Dans ce texte de Parménide qui est un court poème intitulé ‘’De la
Nature’’, où est-il question de Dieu, de création, d’associé, comme le dit
O.S. ? Pour les besoins de sa ‘’démonstration’’, O.S. fait dire au
philosophe ce qu’il n’a pas dit.
Et que dit la sourate ‘’al-ikhlâs’’ ? : « Dis : Il est Allah (qui est) Un. Allah
l’Eternel refuge. Il n’a pas engendré et n’a pas été engendré. Et nul ne Lui est
égal. » (traduction Sahih International).
Selon l’helléniste et philosophe guyanais George G. M. James, les
spécialistes s’accordent pour admettre que le texte de Parménide est
seulement une réponse au philosophe Héraclite connu pour sa dialectique
du mouvement et du changement : tout change dans la vie, tout est animé
de mouvement ; on ne se baigne jamais dans le même fleuve, car l’eau se
renouvelle constamment.
Ce à quoi Parménide rétorque que la vérité consiste à connaître que
l’être est, et que le non-être n’est pas, donc l’être est seul et unique, non
reproductible, inchangé, indivisible. L’être concerne toutes les choses :
leurs particularités, différentiations et mouvements ne sont qu’illusion. Là
où Parménide dit : « il n’a pas été et ne sera pas », cela signifie tout
simplement : « il est immobile, il est sans mouvement ».
Parménide passe pour être difficile à comprendre. Le premier à le
reconnaître est Platon : « Parménide me paraît être, selon l’expression
d’Homère, ‘’ à la fois vénérable et redoutable’’. J’ai approché l’homme quand
j’étais bien jeune encore et lui bien vieux, et il m’a paru avoir une profondeur d’une
rare qualité. Aussi j’ai peur que nous ne comprenions pas ses paroles et que sa
pensée ne nous dépasse bien plus encore (Théétète, 183e-184a, traduction Emile
Chambéry, 1967).
Le philosophe français Serge Thibault trouve « la compréhension de
Parménide ardue / une pensée extrêmement difficile d’accès, ce qui a engendré
un véritable quiproquo philosophique » (Klexis, Revue philosophique, 2010). Le
quiproquo est une erreur qui fait prendre une chose pour une autre. C’est
ce qui est arrivé à O.S., lui qui a compris Parménide, même mieux que
Platon, pour en faire l’inspirateur de la sourate ‘’al-ikhlâs’’.
C’est encore Serge Thibault qui dit que, avec sa philosophie de l’être,
« Parménide est probablement le philosophe qui a le plus marqué la philosophie
occidentale ». Comment pourrait-il alors inspirer le monothéisme pur de la
sourate ‘’al-ikhlâs’’ ?
3. La mythologie grecque dans le Coran ?
O.S. sans même relater l’évènement, nous dit que l’histoire de
Pénélope racontée dans la mythologie grecque par Homère se trouve
dans le Coran. De quoi s’agit-il ? Pénélope était l’épouse du roi Ulysse.
Durant la longue absence de son mari, selon Homère, elle a éconduit tous
les dignitaires qui l’invitaient à l’adultère, avec la promesse qu’elle
acceptera dès qu’elle aura fini de tricoter une pièce de vêtement ; mais
dans la nuit, elle défaisait tout ce qu’elle avait tricoté dans la journée ;
c’est par ce stratagème qu’elle aurait préservé sa fidélité.
O.S. reproduit ainsi sa version du verset 92 de la sourate 16 : « Ne
faites pas comme cette femme qui défaisait la nuit ce qu’elle avait tissé le jour pour
tromper son entourage ».
Le verset se présente ainsi : « Ne soyez pas comme celle qui détordait la
toile qu’elle avait solidement tissée, en prenant vos serments pour vous tromper
entre vous parce qu’une communauté est plus puissante (en nombre ou en
richesse) qu’une autre » ( Sahih international).
Où figurent le jour et la nuit, l’entourage, dans le verset ? On voit que
O.S. s’emploie à faire un placage entre le texte de Homère et le texte
coranique qu’il traduit à sa manière et incomplètement.
Dans le verset précédent 91, il est commandé aux musulmans de rester
fidèles au pacte d’Allah après l’avoir contracté, et de ne pas violer leurs
serments. Par-delà l’aspect universel du verset, il comporte sa particularité
de ‘’asbâb al – nuzûl’’: George Sale, premier traducteur du Coran du latin
à l’anglais en 1734 nous dit que la femme apostrophée dans ce verset est
Raita Bint Saad Ibn Taim de la tribu des quraïches qui, après sa
conversion à l’Islam avait apostasié. Cela semble confirmé par les versets
94 et 95de la même sourate 16. Donc, rien à voir avec Pénélope.
Les Sénégalais qui lisent ce verset pourraient plutôt penser à cette
transhumance politique bien de chez nous. Ce qui témoigne encore de
l’actualité du Coran qui est décidément de tous les temps.
4. ‘’L’Allégorie de la caverne’’ de Platon dans le Coran ?
Selon O.S. c’est Platon dans le livre 7 de ‘’La République’’ qui a inspiré
les versets 9 à 31 de la sourate 18 ‘’al- ahkaf’’ (la caverne).
Voici ce que dit Platon : « Visualise donc des hommes comme dans une
habitation souterraine ressemblant à une caverne ayant l’entrée ouverte à la
lumière sur toute la longueur de la caverne, dans laquelle ils sont depuis l’enfance,
les jambes et le cou dans des chaînes pour qu’ils restent en place. Examine
maintenant, repris-je, leur délivrance et leur guérison des chaînes de la déraison et
qu’il croirait les [choses] vues auparavant plus vraies que celles maintenant
montrées. Si alors, repris-je, de là quelqu’un le tirait de force tout au long de la
montée rocailleuse et escarpée, et ne le lâchait pas avant de l’avoir tiré dehors à la
lumière du soleil. Et celui qui entreprendrait de les délivrer et de les faire monter, si
tant est qu’ils puissent le tenir en leurs mains et le tuer, ne le tueraient-ils pas ? À
toute force !dit-il » (traduction de Bernard Suzanne).
Ce que Platon présente ici c’est sa théorie de l’acquisition des
connaissances qui exige un travail intense et soutenu. Il le fait en usant
de l’allégorie qui consiste à exprimer une idée par une image. L’helléniste
George James nous dit que Platon avait acheté ce texte à Pythagore et
que, si Pythagore parle de caverne, c’est parce que comme le maître qui
l’a formé, il enseignait dans une caverne.
Il serait trop long de reprendre ici la vingtaine de versets du Coran
relatifs aux compagnons de la caverne. Ce que raconte le Coran, c’est le
temps où à Rome, les chrétiens étaient persécutés. Un groupe de jeunes
chrétiens se réfugie dans une caverne avec leur chien. Allah les endort
pendant des années, et lorsqu’Il les réveille, ils croient n’avoir dormi que
quelques heures. L’un d’eux va en ville et constate les changements
(habillement, monnaie ? et.). Mais le changement le plus important est
que le Christianisme est devenu à Rome religion d’Etat et que ces jeunes
n’ont plus rien à craindre.
Quiconque fait la confrontation des versets du Coran avec le texte grec
verra qu’ils sont différents, tant dans leur présentation que dans leurs
enseignements. Celui-ci ne mentionne pas de chien, et le Coran ne parle
pas de chaînes, pour ne donner que ces exemples. Le Coran dégage ici
au moins trois enseignements : la relativité du temps ; la réalité de la
résurrection ; le secours divin pour les endurants.
A supposer que le prophète ( صلى الله عليه وسلم) ait été lettré et qu’il ait été l’auteur du
Coran, ce n’est sûrement pas avec ce texte grec qu’il aurait pu rédiger ces
versets de la sourate ‘’al -ahkaf’’.
5– A propos des emprunts linguistiques du Coran
« Le Coran est rempli d’emprunts linguistiques, c’est-à-dire de mots nonarabes
». C’est ce que dit O.S. en reprenant Youssef Seddik. Il s’agit là
d’un des procédés utilisés pour tenter de désacraliser le Coran, et il est
très ancien. Au 15ème siècle, l’imam As-Suyuti dans ’’al-mutawakkil’’ (cité
par Catherine Pinnachio) y avait ainsi répondu : il existe dans le Coran, en
ce qui concerne la racine, des mots perses, hébreux, abyssiniens, syriens,
grecs ? etc. mais ces mots ont été intégrés à la langue arabe,
naturalisés, et sont devenus arabes bien avant la révélation. Le Coran
étant adressé aux Arabes dans un premier temps ne peut leur être
présenté que dans les formes linguistiques qu’ils comprennent.
Cependant le problème est remis à l’ordre du jour en 1938 par
l’orientaliste australien Arthur Jeffrey avec son livre ‘’The Foreign
Vocabulary of the Qur’ân’’, (Le vocabulaire étranger du Coran). Il y
recense pas moins de 275 mots étrangers.
En 2011, Catherine Pinnachio, linguiste spécialiste des langues
sémitiques et professeur de langue hébreu, s’appuie sur la rigueur des
méthodes scientifiques actuelles pour contester le livre de Jeffrey. Dans
son article ‘’ Les emprunts lexicaux dans le Coran » publié par le Bulletin
du Centre de recherche français à Jérusalem, elle développe les
arguments suivants : (1) beaucoup de mots identifiés par Jeffrey et ses
prédécesseurs comme étrangers sont en fait arabes ; (2) d’autres mots
sont communs aux langues sémitiques comme l’arabe et ne peuvent donc
être des emprunts : c’est le cas entre autres pour ‘’habl’’ (corde), ‘’hinzir’’
(porc), ‘’zaït’’ (huile), ‘’tîn’’ (figue), ‘’ankabout’’ (araignée) ? etc. ; (3) les
emprunts linguistiques sont propres à toutes les langues, et il existe des
‘’mots voyageurs’’.
Dans sa thèse de Doctorat ‘’ Etude du vocabulaire commun entre le
Coran et les Ecrits juifs avant l’Islam’’ (Inalco, Paris, février 2011) elle
écrit : « L’emprunt est un phénomène à la fois linguistique et historique ».
Catherine Pinnachio, se plaçant sur le terrain strictement scientifique,
reconnaît que : « Le linguiste éprouve une difficulté réelle à déterminer l’origine
du vocabulaire technique religieux du Coran / Les découvertes linguistiques du
XXe siècle, notamment l’ougaritique en 1928 et l’épigraphie nord-arabique et sudarabique,
qui révèlent des milliers d’inscriptions, nous invitent à un nouvel examen
des emprunts lexicaux coraniques/ Elles permettent d’attester de l’ancienneté
d’un terme dans la langue arabe ».
Cheikh Anta Diop avait auparavant attiré l’attention sur le caractère
mixte des langues sémitiques : « C’est ainsi qu’on rencontre des racines
communes aux langues arabes, hébraïque, syriaque, et aux langues
germaniques » (‘’Nation nègres et culture, tome 1, p. 196).
Il n’existe aucun argument scientifique pour remettre en cause la nature
arabe du Coran (sourate 41, verset 3). Et puis, les différentes langues ne
nous viennent-telles pas du Créateur ? Le Coran nous le suggère bien
dans le verset 31 de la sourate 2 : « Et Il (Allah) instruisit Adama des noms de
toutes choses ».
IV – Des fautes de grammaire dans le Coran ?
O.S. s’abrite sous le parapluie de son mentor Youssef Seddik pour
traquer avec lui des fautes de grammaire dans le Coran. Mais ils n’en
signalent qu’une seule, au verset 12 de la sourate دَ : 7 .ُ Kْ l َ .D كَ أَ yَ Aَ G َ kG . َ
A la page 138, il se contente de reprendre Youssef Seddik qui en fait cette
translitération en lettres latines : « Mâ manahaka allâ tasdiouda ? » Ce qu’il
donne en traduction française : « Qu’est-ce qui t’a empêché de (ne pas) te
prosterner ? » ; pour eux, c’est ‘’ne pas’’ (‘’allâ’’ dans le texte coranique) qui
est de trop. O.S. rectifie ainsi : « Ma manahaka an tasdjouda ? Ce qui donne :
« Qu’est-ce qui t’a empêché de te prosterner ? ». Et il s’étonne avec Y. Seddik
que personne n’ait relevé cette faute (p. 138). Il a dû se dire que Seddik a
raison, puisqu’il est arabe.
Pourtant O.S., à la page 117 rappelle que la première grammaire arabe
est née sous le règne du khalife Ali, donc des décennies après la
révélation. Mais il se garde de dire que le Coran est la source, la base de
la grammaire arabe.
(1) Ce que ces hellénistes n’ont pas compris est que le terme ‘’a-llâ’’ ici
est composé de ‘’an + lâ’’ : la lettre n est avalée dans la contraction,
comme cela est fréquent dans certains versets coraniques (comme au
verset 1 de la sourate 78 : ‘’ammâ’’ = ‘’an + mmâ’’).
(2) Ensuite, ce ‘’a-llâ’’ ne renvoie pas à une négation, mais à une
affirmation–insistance. Nous en avons d’autres exemples dans le Coran :
4 : 3 ; 6 : 25 ; 7 : 105. 21 : 95 ; 75 : 1 ; 90 : 1. O.S. pour mieux
comprendre, devrait se reporter à ces versets.
O.S. cite dans sa bibliographie le livre du Pakistanais Yusuf Ali ‘’The
Holy Quran’’ (le Saint Coran) qui est une traduction exégèse du Coran de
l’arabe à l’anglais. Les sourates 75 et 90 commencent toutes deux par ‘’Lâ
ouqsimou’’. Yusuf Ali traduit ainsi : ‘’I do call to witness’’ (Je témoigne). Dans
la langue anglaise, lorsque ‘’do’’ est employé dans une affirmation, c’est
pour marquer l’insistance.
Ce ‘’lâ’’ s’inscrit tout simplement dans ce qu’on appelle une figure de
style , ou de rhétorique, qui modifie le langage ordinaire pour le rendre
plus expressif, créer un effet de sens, voire de sonorité. Les grammairiens
et linguistes s’accordent pour admettre que chaque langue a ses propres
figures de style ; ce qui peut poser parfois des problèmes de traduction.
Lorsqu’en 1919 en France, Gustave Flaubert est accusé de commettre
des fautes, ce sont les meilleures plumes de l’époque qui remettent les
pendules à l’heure. Marcel Proust estime que Flaubert n’a pas commis de
faute, il a développé une manière de s’exprimer qui n’appartient qu’à lui.
Céline lui, dira que chez un auteur, il n’y a que le style qui compte.
Depuis quelques décennies on parle de miracles scientifiques du
Coran : des propos émis par le Coran et confirmés des siècles après par
des découvertes scientifiques. Ces miracles du Coran viennent en
seconde position et se situent au niveau du contenu. Le premier miracle
du Coran se situe au niveau de la forme, c’est-à-dire le style du texte qui
est unique et qui avait émerveillé les Arabes contemporains de la
révélation, amoureux de l’art oratoire, de l’éloquence. O.S. lui-même
admet que « le Coran représente un livre inimitable » (p. 180). Aucun Arabe,
poète ou prosateur, n’est jamais parvenu à s’exprimer dans le style du
texte coranique.
Dans son chapitre 18, sur 28 pages, O.S. présente 33 figures de style
en prenant des versets du Coran comme exemples. Dans son chapitre 15
sur la Syntaxe, à la page 137, il présente la prolepse comme « une forme
de mise en relief et d’insistance » et cite le verset 17 de la sourate 88,
ainsi donné en translitération :
Afalâ yanzurûna ilal ibil kayfa khulikhat
Et il donne la traduction de Hamidullah :
Ne considèrent-ils donc pas les chameaux comment ils ont été créés ?
Dans le langage ordinaire, on aurait plutôt dit : « ? comment les
chameaux ont été créés », le ‘’ils’’ étant de trop. Mais ici, O.S. ne fait pas
de rectification, car il lui faut justifier la prolepse d’une phrase grecque qu’il
traduit ainsi : « Il dit l’enfant qu’il est beau ». Dans le langage ordinaire,
n’aurait-on pas dit : « Il dit que l’enfant est beau » ? Le second ‘’il’’ n’est-il
pas de trop ? La prolepse est aussi une figure de style.
Youssouf Seddik et O.S. ne savent pas que les grammairiens et
linguistes de la langue arabe ont depuis longtemps discuté sur ces termes
qui paraissent de trop. Le ‘’lâ’’ des versets cités plus haut est considéré
par certains comme une figure de style exprimant l’insistance ; d’autres le
considèrent comme un ‘’lâm extra’’ ( م. و …….JH ا) qui peut être sauté, sans
incidence sur le texte. Même un apprenant en langue arabe peut
comprendre ces subtilités grammaticales.
D’ailleurs dans le Coran, lorsque l’insistance n’est pas de mise, le ‘’lâ’’
n’est pas employé. Avec une lecture complète et attentive du Coran ces
hellénistes seraient parvenus à la sourate 38, verset 75 où il est dit,
toujours à l’adresse de Ibliss :
دَ.ُ Kْ l كَ أَن َ yَ Aَ G َ kG َ
Mâ manahaka an tasdjouda
L’insistance ayant été faite une première fois (sourate 7, verset 12), il
n’était pas nécessaire de la reprendre ici. Le terme ‘’manaha’’
(‘’empêcher’’, parfois ‘’refuser’’) figure 10 fois dans le Coran (2 : 114 ;
7 :12 ; 9 :54 ; 12 :63 ; 17 :59 ; 17 :94 ; 18 :55 ; 20 :92 ; 38 :75 ; 107 :7). Le
verset 12 de la sourate 7 est le seul où il est suivi de ‘’allâ’’, pour marquer
l’insistance.
A la page 180, O.S. écrit : « En définitive le Coran représente un livre
inimitable/ ». Mais comme sa grécité ne peut pas le quitter, il ajoute : « /
tant ses beautés littéraires puisées dans les fleurs de la rhétorique grecque brillent
d’un éclat à nul autre pareil ». Comprenne qui pourra ! Le Coran est la copie
de textes grecs dans le contenu comme dans la forme, tout en étant
inimitable. Pourtant aucun texte grec ne nous est dit inimitable ; la copie
serait donc meilleure que l’original ? Décidément O.S. passe son temps à
se marcher sur les pieds sans s’en apercevoir.
V – Incohérences et erreurs ‘’géniales’’ de l’helléniste
Les incohérences de O.S. apparaissent dès la préface. Comment peuton
prendre comme préface d’un livre un texte pris dans un quotidien, non
vérifiable, dans la mesure où son présumé auteur Amadou Samb n’est
plus de ce monde ? Ce n’est pas ce musulman que j’ai connu de près qui
(bien que formé aux Lettres classiques), aurait approuvé les thèses de ce
livre. Encore moins Serigne Abdou Aziz Dabakh (RAH) qui y est
maladroitement cité. Une préface est écrite pour présenter un auteur et
son texte. Ce qui n’est pas le cas ici.
Ce n’est pas le seul point où O.S. est en rupture avec la bonne tradition
universitaire : il fait des citations d’auteurs sans indication de page ; il met
en bibliographie des manuels, ce qui ne se fait pas. Espérons que ce n’est
pas avec le manuel de H. Atoui ‘’Arabe langue vivante’’ destiné aux élèves
des lycées (cité en bibliographie), que se situe son niveau de maîtrise de
la langue arabe pour traquer des fautes (ou plutôt une faute) dans le
Coran.
O.S. écrit que lorsqu’il montre la similitude entre les cultures hellène et
arabo-musulmanes il ne s’agit pas pour lui de « prétendre que la Grèce en est
l’origine. Certains faits de civilisation se perdent dans la nuit des temps et
appartiennent souvent à des ères culturelles et cultuelles beaucoup plus
anciennes, comme l’Egypte pharaonique. Souvent la Grèce ne représente qu’un
relai dans la longue chaîne de transmission des civilisations (p.17-18) ».
Admirable aveu ! Mais il ne s’agit là que d’une clause de style, c’est-àdire
une affirmation sans conséquence. Ce qui trahit son incohérence, car
que lit-on après ? :
« Dès lors la bédouinité arabe cède la place à la citoyenneté grecque » (p. 57)?
Le Coran se présente comme un ‘’dhikr’’, un rappel. N’est-ce donc pas la mémoire
de l’antiquité grecque que restitue le Coran ? / Quand le lecteur du Coran tombe
sur la description du Paradis, il ne peut s’empêcher de penser aux banquets grecs
(p. 67)? C’est la figure de Platon qui est omniprésente dans le Coran (p. 107). Il
se montre même très sûr de son fait : « La présence de la culture grecque qui
est le sujet de ce livre ne pourra désormais plus être mise en doute » (p.183).
Son incohérence se situe dans le fond comme dans la forme. Ce qui
l’amène à ne pas respecter l’uniformité dans la transcription des termes : il
écrit ‘’dhikr’’ (p. 17) et ‘’zikr’’ (p.183). Quant au prophète ( صلى الله عليه وسلم), il est
Mohamed (pp. 16, 19, 22), Mouhamed (p. 23), Muhammad (p. 51),
Mahomet (p. 183). Il n’a droit à la prière recommandée par le Coran (33 :
56) que dans la conclusion, en ces termes : « Prophète Mahomet (Psl) ».
Mais le plus grave est que son texte renferme des erreurs qui
procèdent simplement d’une lecture fautive du Coran.
A la page 34, O.S. écrit que « le mythe de la femme fatale à l’homme existe
aussi bien chez les Grecs que dans le Coran » ; et il parle de « la chute d’Adam et
de son épouse qui aurait eu pour nom Hawa » ; c’est ajoute-t-il, « la tradition qui
raconte que c’est Hawa qui aveuglée par Satan et poussée par la curiosité
persuada son époux de goûter au fruit de l’arbre défendu ». Il assimile Hawa à
une femme de la mythologie grecque appelée Pandore. D’abord le nom
Hawa ne figure nulle part dans le Coran. Ensuite, il n’est pas dit dans le
Coran que c’est Hawa qui a poussé son mari à la faute. O.S. dit se référer
à la tradition. Quelle tradition ? Il déclare ne se fonder que sur ce qui est
universel, le Coran, et que c’est pour cela qu’il ne prend pas le reste. La
punition infligée à Adama et à Hawa descendus du paradis à la terre n’est
pas présentée dans le Coran comme une malédiction. D’ailleurs ils ont
ensemble demandé pardon, ce qui leur a été accordé, (Copran 7 :23). Si
bien que le péché originel n’existe pas dans l’Islam.
Dans son texte, O.S. parle beaucoup d’enfants jumeaux de la
mythologie grecque en faisant des parallèles avec des récits du Coran.
Les jumeaux (en arabe ْkG وْأَ َ lَ Aِ ) ne sont mentionnés nulle part dans le
Coran.
Pour O.S. « un autre pilier de l’Islam serait d’origine grecque. Il s’agit de la
zakâte (‘’az-zakât’’) ». D’abord, pourquoi ‘’serait d’origine grecque’’ et pas
‘’est d’origine grecque’’ ? La certitude se mettrait-elle à flancher ? Il ajoute
qu’il s’agit « d’offrir la dixième partie de son revenu, dixième venant du grec
‘’dekatos’’ » (p. 49). C’est là qu’on voit que O.S. est loin de maîtriser son
sujet. L’assiette de la zakât n’est pas le revenu, mais la richesse, et la
base imposable est constituée par une partie de la richesse : ce que le
Coran appelle ‘’al afwâ’’, c’est-à-dire le surplus au-delà des besoins
(Coran 2 : 219) ; ensuite, le dixième (1/10) ne concerne que les récoltes
arrosées par l’eau de pluie ou par les cours d’eau ; dans le cas de culture
irriguée, c’est le vingtième (1/20) qui est donné sur les récoltes (Sahih
Muslim, n° 2143). Il ne s’agit là que du paiement en nature. Dans le cas
de paiement en espèces, la zakât est de « 1 dirham pour chaque 40
dirhams » (Sunan Abu Daoud, book 003, n° 1556) : soit 2,5 pour cent, le
taux tout à fait approprié dans une économie fortement monétarisée. Ces
taux ne figurent pas dans le Coran, ils ont été fixés par le prophète ( .(صلى الله عليه وسلم
Pourtant O.S. en toute modestie, écrit que « la compréhension de la
Révélation exige la maîtrise d’une culture encyclopédique » (p. 16). Dont il serait
certainement dépositaire. Ce n’est pas le pédantisme qui est absent dans
ce livre. Qu’est-ce-que le théorème de Pythagore qu’il cite (« Dans un
triangle rectangle, le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des
côtés de l’angle droit » p. 103) a à voir avec tel ou tel verset du Coran ?
VI – Mystique de la culture grecque
Pour comprendre O.S., ce qui ne signifie pas le justifier, il faut faire un
détour par l’hellénisme.
Le terme ‘’hellène’’ est synonyme de ‘’grec’’ (Hellen est un personnage
de la mythologie grecque). L’hellénisme est présenté comme l’étude de la
civilisation grecque antique. Mais l’hellénisme est devenu une attitude
d’adoration, de vénération, d’adulation, de sublimation, de dévotion de la
culture grecque, au point d’en faire un culte. Le géographe français Michel
Bruneau présente l’hellénisme comme une façon de vivre, d’appréhender
la nature et la culture, une façon de croire, une idéologie (Géocarrefour
2002, vol 77/4, p.p. 319-328).
Certains intellectuels formés aux Lettres classiques (grec, latin) sont
souvent subjugués par la pensée de la Grèce antique au point d’en faire
leur modèle de référence, si ce n’est unique, pour tout ce qui touche aux
choses de l’esprit. Même si leur éducation familiale s’est faite dans l’une
ou l’autre des confessions révélées.
Des historiens allemands ont été parmi les pionniers de la promotion de
l’hellénisme au 19ème siècle. C’est dans ce terreau que les dignitaires
nazis vont puiser pour s’estimer être les héritiers légitimes de la civilisation
de la Grèce antique. L’historien français Johann Chapoutot, dans un
article ‘’ Régénération et dégénérescence : la philosophie grecque reçue
et relue par les nazis’’, montre comment Hitler a mis à contribution ses
hellénistes pour récupérer la civilisation grecque et en faire le socle de la
doctrine nazi de la race aryenne nordique supérieure (Revue Anabases,
n° 7, mars 2008, p. 141-161, 2008). Hitler lui-même déclarant : « Nous
devons conserver aussi dans toute sa beauté l’idéal grec de civilisation /. Cette
civilisation a duré des milliers d’années, elle embrasse l’hellénisme et le
germanisme ».
On voit ainsi à quelles dérives peut mener la sublimation de la pensée
grecque antique.
En France, l’helléniste tunisien Youssef Seddik adopte la même
démarche : dans le Coran, il ne voit qu’une imprégnation de la culture
grecque. Notre collègue O.S. trouve beaucoup de similitudes entre le
Coran et la culture grecque. Je trouve moi, beaucoup de similitudes, trop
même, entre ses propos et ceux de l’auteur tunisien qu’il cite (p. 15, 110,
138) et à qui il rend hommage comme pionnier (p.16). Comme si cela ne
suffisait pas, il met aussi à contribution deux orientalistes islamophobes, le
Belge Michel Cuypers et la Française Geneviève Gobillot, coauteurs de
‘’Le Coran’’ (2007) qu’il cite à profusion (p. 89, 90, 143).
N’oublions pas que O.S. a toujours été un grand admirateur de L.S.
Senghor avec qui il partageait l’idéologie helléniste. Senghor qui, même
lorsqu’il menait la vie dure aux marxistes sénégalais du PAI déclarait avoir
une grande admiration pour Marx, parce que celui-ci lisait Platon et
Aristote dans le texte en grec.
Lorsque Senghor dans ‘’Ce que l’homme noir apporte’’ (1939) dit que
« l’émotion est nègre, la raison est hellène », il soulèvera un tollé d’indignation
chez l’intelligentsia africaine. Il lui sera reproché d’inférioriser les Africains,
pour se mettre au niveau de ce grand admirateur de la culture grecque,
Arthur Gobineau, qui dans son ‘’Essai sur l’inégalité des races humaines
(1853-55) écrivait : « le nègre est la créature humaine la plus énergiquement
saisie par l’émotion artistique ». En fait, Senghor avait pastiché le misogyne
Aristote qui voyait en la femme un centre d’émotion et en l’homme un
centre de raison. Lors de l’inauguration de l’Université de Dakar en
décembre 1959, Senghor déclare : « Il n’est pas question d’abandonner
l’héritage gréco-latin, celui d’Aristote et de Descartes ». Parce que « elle n’est
pas étrange, cette rencontre du Nègre et du Grec ». Senghor a beaucoup
déteint sur O.S.
C’est un hellénisme outrancier qui pousse celui-ci à de véritables
élucubrations fantaisistes sur le texte coranique. Là où le Coran (2 : 223)
dit : « Vos épouses sont pour vous un champ de labour / », O.S. y va de son
interprétation : « Cette métaphore agricole ne peut être comprise que si on la met
en rapport avec la civilisation grecque et sa conception du mariage qui permet
d’assurer à l’homme une descendance’’ (p. 167). Là où le Coran dit que « Allah
a fait pénétrer la nuit dans le jour, et a fait pénétrer le jour dans la nuit » (34 : 29 ;
57 : 6), O.S. conclut : « C’est le Coran même qui assimile Allah au dieu grec
Helios. » (p. 48).
Si ce n’est pas du délire, ça y ressemble ! Pendant qu’on y est,
n’aurions-nous pas nous autres Africains, les Grecs comme ancêtres,
et non les Gaulois, comme on nous l’enseignait à la Coloniale ?
Ces rappels étaient nécessaires pour montrer à quelles dérives ont pu
mener le culte effréné de la civilisation grecque. Hier, comme aujourd’hui.
Rien d’étonnant donc qu’à un moment donné le Coran se trouve dans le
collimateur de ces fous de la culture grecque.
VII – Démystification de l’hellénisme
Cheikh Anta Diop dans ‘’Nations nègres et cultures’’ (1954) est le
premier à nous ouvrir les yeux sur cette mystique de la pensée grecque de
l’Antiquité. S’appuyant sur les témoignages d’historiens de l’époque,
grecs comme Diodore et Strabon, latin comme Pline l’Ancien, il nous dit
que les plus grands penseurs grecs, philosophes (Socrate, Platon,
Aristote), mathématiciens (Pythagore et Thalès) ont été formés dans
l’Egypte pharaonique nègre qui a été l’institutrice de la Grèce. Il s’y étend
plus dans ‘’’Antériorité des civilisations nègres (1967), et dans son dernier
ouvrage ‘’Civilisation ou Barbarie. Anthropologie sans complaisance’’
(1981).
C’est la même année 1954 que paraît aux Etats-Unis le livre du
Guyanais George G.M. James ‘’Stolen Legacy. Greek Philosophy is
Stolen Egyptian Philosophy’’ (Héritage volé. La philosophie grecque est la
philosophie égyptienne volée). George James est alors professeur de
grec, de latin et de mathématiques à l’Université d’Arkansas. En plus de
sa connaissance de l’Antiquité grecque et de l’ancien grec, il s’est appuyé
sur les travaux d’historiens de la philosophie (Eduard Zeller, William
Turner ?), d’historiens de la Grèce antique (John Kendrik, C.H. Vail, Eva
M. Sanford, F.M. Barber?), et d’historiens des mathématiques (W.W. Ball
et Florian Cajori).
Selon James, les premiers penseurs grecs comme Pythagore,
Parménide et Thalès sont nés en Ionie en Asie mineure (une partie de
l’actuelle Turquie), alors sous tutelle égyptienne. De là ils ont transité à
Elée en Italie avant d’aller à Athènes.
La génération suivante des Socrate, Platon, Aristote ? a effectué le
déplacement en Egypte pour s’y former auprès des prêtres de l’Ecole des
Mystères. Et à la suite de l’invasion de l’Egypte par la Grèce sous
Alexandre le Grand, la Bibliothèque Royale d’Egypte est transférée à
Athènes. Les Grecs se livrent alors à un véritable pillage littéraire des
écrits égyptiens. C’est Aristote qui a fait de Platon l’auteur de ‘’La
République’’, mais son véritable auteur est Protagoras qui a fait toutes ses
classes en Egypte.
La situation de troubles internes qui prévalait à Athènes et le conflit
avec la Perse n’offraient pas un climat apaisé pour une réflexion
intellectuelle débouchant sur une grande philosophie. Les penseurs grecs
n’ont fait que copier et compiler des écrits égyptiens disponibles dans
cette bibliothèque. Ils étaient d’ailleurs, comme Platon et Aristote,
persécutés par les autorités d’Athènes qui leur reprochaient de véhiculer
dans le pays des idées étrangères.
On nous a toujours enseigné, dit G.M. James, que Socrate a enseigné
Platon qui a enseigné Aristote : rien de cela n’est vrai ; la source
commune à tous est la science égyptienne. C’est l’Egypte du temps des
pharaons qui a civilisé la Grèce. Cette étude d’un intellectuel pourtant
formé à l’hellénisme devrait contribuer à faire tomber la culture grecque de
ce piédestal qui a voulu en faire le berceau de la civilisation de l’humanité.
Platon lui-même dans ‘’Timée’’ relate le séjour à Saïs en Egypte de
Solon, le plus sage des sept sages de la Grèce antique. Il y est question
de son entretien avec un vieux prêtre. Celui-ci lui dit ‘’qu’auprès de leur
science (à eux Egyptiens) la sienne et celle de tous ses compatriotes grecs n’était
rien’’, et d’ajouter : ‘’vous autres Grecs vous serez toujours enfants, vous ne
possédez aucune vieille tradition ni aucune science vénérable par son antiquité’’.
S’il en est ainsi, c’est parce que ‘’Athènes excellait dans la l’art de la guerre et
dans la confection des lois. Et puis le déluge a tout détruit ne laissant survivre que
des hommes sans lettres et sans instruction / de sorte que vous voilà de nouveau
dans l’enfance. Alors qu’ici en Egypte, se trouve la science ’’ (Timée, texte Internet,
p. 1-14, traduction de Victor Cousin).
Témoignage ne saurait être plus éloquent. La civilisation n’est pas née
dans la Grèce antique qui a tout importé, et qui ne pouvait avoir quelque
rapport que ce soit avec le Coran. O.S. aurait pu, ordinateur à l’appui,
découvrir que l’Egypte sous son nom arabe ‘’misr’’ est cité 5 fois dans le
Coran, et la Grèce pas une seule fois.
Le Pakistanais Abdallah Yusuf Ali a enseigné l’histoire de la Grèce
antique dans des universités britanniques, avec à son actif de
nombreuses visites de sites historiques grecs. Mais il n’a décelé aucune
trace de culture grecque dans le Coran. Sa traduction exégèse du Coran
de 1850 pages (1934, et deux rééditions) fait autorité dans l’espace
linguistique anglophone.
En conclusion
Les textes grecs (et latins) présentés par O.S. n’ont, dans le meilleur
des cas, qu’un lointain rapport avec les versets du Coran auxquels il fait
allusion. Même dans le cas de similitude parfaite entre deux textes, il n’est
pas dit qu’il y a eu emprunt ou plagiat. La même année 1954, le
Sénégalais francophone Cheikh Anta Diop et le Guyanais George G.M.
James anglophone publient chacun un ouvrage révélant les origines
égyptiennes de la philosophie grecque. Il ne viendrait à personne l’idée de
parler d’emprunt ou de plagiat entre ces deux auteurs qui ne se
connaissaient pas, vivant dans des pays différents, écrivant dans des
langues différentes.
O.S. n’a pas à s’offusquer de critiques adressées à son livre. C’est lui
qui déclenche les hostilités en considérant ceux qui n’adhèrent pas à sa
grécité du Coran comme « des esprits fermés » (p. 183), qui « théorisent sur le
Coran des inepties » (p. 16). J’accepte moi, de m’inscrire dans ce groupe.
Néanmoins, prenons-le au mot lorsqu’il proclame sa foi islamique, car,
nulle part dans son livre il ne récuse le Coran. Ecartons donc toute
suspicion de connivence extérieure. C’est son intégrisme helléniste, sans
doute avec le coup de pouce de Chaytan, qui l’a conduit à ces dérives.
O.S. devrait dompter son intégrisme helléniste. Pour cela il gagnerait à
se pénétrer de cette pensée de Serigne Cheikh Ahmadou Bamba (RAH):
Toute science n’est pas utile ; tous les érudits ne sont pas égaux.
Il y a des sciences qui endurcissent le coeur, provoquent la vanité du savant et
lui font oublier le Seigneur
/ La science utile est celle qui fait connaître à l’homme ses propres défauts de
manière claire (Massâlik-ul Jinân, vers 155, 156, 170).
O.S. devrait se rendre compte que nous avons eu dans ce pays
d’illustres penseurs, mais qui ne sont pas du bord de ses maîtres à
penser.
Pour en finir avec tous ces explorateurs de sources du Coran : Le
Coran tel que révélé n’a pas des sources, mais une Source, seule et
unique, qui est Allah. C’est par son Al Laouh –al mahfouz (la tablette bien
préservée, Coran 85 : 22) que sont descendus graduellement les
versets sur une période de 23 ans chez son premier destinataire, le
prophète Muhammad ( .(صلى الله عليه وسلم
Pr Makhtar Diouf
Adresse email : mkdiouf@refer.sn