La Mauritanie devant l’impossible dialogue politique: La tentation de la rue
Depuis le début de l’année 2011, le monde arabe connaît, d’Ouest en Est, une vague de contestation où la rue, animée par la «génération Facebook», joue le rôle de cheville ouvrière. Bien plus qu’un simple effet de mode, ce phénomène présente toutes les caractéristiques d’une véritable lame de fond et agit en bourrasque sociale et politique. Il a, ainsi, emporté les pouvoirs de Zine Abidine Ben Ali, en Tunisie, et Mohamed Hosni Moubarak, en Egypte. Et s’attaque, maintenant, à «l’indéboulonnable» guide libyen, le colonel Mouammar El Kadhafi. Dans les deux premiers cas, il s’agissait de régimes ayant régné, sans partage, sur des pays fortement urbanisés, avec une population bien éduquée, pendant une période dont le cumul – cinquante-quatre longues années! – donne, littéralement, le vertige aux adeptes de l’alternance au pouvoir.
Quelques semaines après la Tunisie et l’Egypte, l’onde de choc révolutionnaire s’est, donc, emparée de la Libye. Etat où le pouvoir, quarantenaire, de Kadhafi est, d’abord, passé par «la gloire révolutionnaire». Signe des temps et usure du pouvoir – seul celui d’Allah est éternel – le règne du «Guide» entre, aujourd’hui, dans une agonie, marquée par la couleur, rouge, du sang des manifestants, réprimés par les armes. Tunisie, Egypte, Libye: une ambiance à trois variantes, dans des pays qui ont, toujours et à plusieurs titres, constitué référence, pour les Mauritaniens.
La Mauritanie attend, depuis près de dix-huit mois, l’enclenchement d’un hypothétique dialogue politique, entre pouvoir et opposition. Une attente plombée par la sempiternelle «guéguerre», entre les différents protagonistes de la scène politique nationale. Cela perdure depuis le scrutin présidentiel du 18 juillet 2009, organisé sur la base d’un accord politique qui aura, ainsi, permis le retour à l’ordre constitutionnel, après le coup de force du 6 août 2008. Un retour signifiant la fin du bannissement international dont faisait l’objet la «République des poètes».
Aujourd’hui, la nouvelle donne maghrébine interpellent tous les Mauritaniens: le pouvoir et ses soutiens, l’opposition, bien sûr, mais, aussi, l’ensemble de la société ; pour tout dire, les forces vives de la Nation, mises en demeure d’opérer de véritables réformes, à la place des petits replâtrages qui n’auront, jusque là, que servi à éviter la chute d’un système aux commandes depuis plusieurs dizaines d’années. La seule évolution étant, en vérité, les changements d’hommes, le nouveau roi faisant juste preuve d’ingéniosité, au plan de la rhétorique, pour calmer les attentes du peuple.
L’exception mauritanienne ?
Le président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, leader de l’Alliance Populaire (APP) et opposant historique, s’inscrit, résolument, dans la dynamique de dialogue obligé, entre toutes les forces politiques nationales. Une orientation concrètement exprimée, à l’occasion de la clôture de la session ordinaire du Parlement, au soir du samedi 26 février.
Morceaux choisis. «Les profondes mutations, dans notre environnement géographique immédiat, nous incitent, quelque soient nos choix politiques, à réfléchir, en patriotes honnêtes et loyaux, soucieux de préserver l’unité, la prospérité et l’indépendance de leur pays». Précisant sa pensée, le président de la Chambre basse poursuit: «la nouvelle donne doit pousser tous les Mauritaniens à œuvrer pour que le dialogue auquel nous aspirons trouve sa consécration sur le terrain, en dépit du fait qu’il s’impose de lui-même, pour différentes raisons».
Au plan de la valeur pédagogique, le discours du président de l’Assemblée nationale sonne, également, comme un avertissement, pour éviter les risques de dérives, dans la rue. «Après avoir, longtemps, enduré les conséquences d’une crise économique dévastatrice, les peuples arabes, d’Est en Ouest, sont gagnés par la colère et à l’origine de profondes et, parfois, douloureuses mutations que nul ne pouvait prévoir». Des peuples qui auraient, ainsi, longtemps supporté l’injustice et les brimades de pouvoirs incompétents et corrompus, au point de laisser croire à leur apathie, découvrent, maintenant, les vertus incomparables de la liberté, grâce à laquelle ils sont décidés à prendre leur destin en main.
Maturité du fruit du dialogue.
Ce discours tombe quelques mois après l’appel du président Mohamed Ould Abdel Aziz, à l’occasion de la célébration du cinquantenaire. Dans l’intervalle, soit à la mi-janvier 2011, le chef de l’Etat et le président de l’Assemblée nationale se rencontrés, pour faire avancer le dialogue ? Celui-ci semble porter, maintenant, toutes les caractéristiques d’un fruit mûr. Pour en arriver là, le pouvoir a dû réaliser qu’une simple rhétorique sur la lutte contre la gabegie ne saurait servir de panacée. Un changement en profondeur, au-delà des discours, est une nécessité absolue, pour un pays confronté à une multitude de problèmes simultanés.
Manière d’inviter ceux qui nous dirigent à faire preuve de moins d’arrogance, en arborant leur tableau de chasse auquel sont accrochés les noms de trop rares poissons. Des clients dont les arrestations, émaillées de multiples violations des règles de procédure, semblent avoir, trop souvent, plutôt servi des règlements de comptes personnels que des redressements de comptabilité publique.
Quant à l’opposition, elle doit, également, intégrer la réalité politique, économique et sociale propre à la Mauritanie, qui lui confère une sorte d’exception. Les conditions de la «Révolution de Jasmin» – notamment, les structures sociales et le niveau d’éducation de la masse – devant servir de nécessaires catalyseurs à la poussée de la rue, ne sont pas forcément réunies ici, a contrario de la Tunisie et de l’Egypte.
L’appel à manifester, lancé par la génération Facebook mauritanienne, pour le vendredi 25 février, n’a pas connu un franc succès. Certes et pour relativiser cet échec, l’opposition classique fait remarquer qu’elle n’était pas derrière le mot d’ordre. Mais cette restriction ne saurait changer la réalité du pays par un coup de baguette magique. Sauf que, côté pouvoir, on ne devrait pas non plus perdre de vue que, si une révolution est prévisible, son déroulement et ses débouchés, ne le sont, par nature, jamais.
La prise en compte de ces différents paramètres débouche sur les enjeux conjoncturels et structurels d’un dialogue politique national. Dans l’immédiat, il y a les élections législatives et municipales de novembre 2011. Plus en profondeur, les Mauritaniens doivent mener une réflexion suivie, sur la présence, récurrente, de l’élite militaire, dans le jeu politique, présence responsable d’une dizaine de coups d’Etat, depuis 1978. Ce qui pose l’équation de la réforme des forces armées et de sécurité, qui doivent revenir à leurs missions traditionnelles.
Autre chantier: la réforme des médias du gouvernement, pour en faire de véritables organes de service public et non plus de simples caisses de résonance n’écoutant que la voix du maître du moment. Autres défis: le système d’éducation, la cohabitation communautaire, le règlement, définitif, du passif humanitaire qui demeure une revendication, constante, des ONGs de défense des droits humains, qui jugent encore insuffisante la prière aux morts de Kaédi et les indemnisations, au profit des ayant-droits. De bonnes actions qui laisse planer «le mystère» de l’identité des auteurs de crimes d’une extrême gravité, constituant un véritable trouble à l’ordre public national et international.
Pour aller de l’avant dans le développement, au sein d’un système de «démocratie apaisée», les Mauritaniens doivent, forcément, accorder leurs violons, par un consensus autour de certaines constantes, en place de la malgouvernance actuelle dont l’expression la plus navrante est le petit jeu de chaises musicales par lequel le pouvoir récompense ses soutiens politiques, via des nominations à quelques postes juteux, sans aucun souci de compétence.
Amadou Seck -le Calame.