Mauritanie: Bios Diallo ou l’écriture du réel
« On a coutume de dire que mes textes sont durs. Que les mots sur la violence sont crus », disait le 18 janvier dernier Bios Diallo au Centre Culturel Français lors d’une conférence qu’il donnait sur ses œuvres. « Mais, poursuit-il, on feint d’ignorer que les réalités que je décris sont cent mille fois en deçà, plus indicibles ! Je dirai que le venin de mes mots atténue la douleur dans le cheminement qui va de la conception de la pensée, de l’écriture, son accouchement à l’arrivée à l’édition ».
Voilà qui donne une entrée certaine dans Une vie de sébile. Ce roman, qui est son premier mais sa 4e publication personnelle, Bios Diallo a voulu le bâtir à partir d’un sujet douloureux. Il revisite, en effet, les événements de 1989 qui avaient secoué notre pays. « Je le sais, confesse-t-il, le sujet est sensible, pénible même pour l’écriture, puisque des plaies restent encore béantes. Mais il faut nommer les choses, si on veut entamer leur cicatrisation rapide. Le président de la République n’a-t-il pas donné le ton, en posant un acte majeur, en présidant une prière à l’absent à Kaédi ? Il s’agissait là d’un sursaut de reconnaissance des drames, et un appel au pardon. A mon tour, j’ai romancé les cicatrices pour les rendre supportables, observables mais dans un cru qui rappelle leur horreur. Car, continue-t-il, le but est que chacun en arrive à se dire, après relecture des drames, plus jamais ça ! » Il conclue, alors, que Une vie de sébile ferme une longue trilogie précédée de 2 recueils de poésie ; Les pleurs de l’arc-en-ciel (2002) et Les os de la terre (2009). Les titres, à eux seuls, suffisent à l’évocation des faits énoncés. « Je suis entré dans la littéraire en pleurant », a même lâché l’enfant de Sélibaby, sud du pays. Témoin d’une certaine période ayant heurté son enfance qu’il projetait plus gaie, il ne se prive pas du détail : « C’est parce que la Mauritanie, symbolisant l’arc-en-ciel, grâce à ses composantes ethniques, raciales et culturelles, a vu ses Blancs comme ses Noirs pleurer que je n’avais pu m’empêcher de souligner cet état de fait ».
Il crée alors des personnages, protagonistes, dans lesquels tous les Mauritaniens pourraient se reconnaître. Tout au moins sur les choix des débats qui fâchent, l’identité. Haame et Bayel sont deux jeunes amoureux. L’un, tour à tour élève, étudiant puis journaliste, est un homme hybride ; parents maure, haratine et peul. Quand éclatent les événements de 1989, la crise s’invite dans le couple. Le mari, Nimsa (Peul) ne fait plus confiance en sa femme Mete (Hartani). La peine de leur divergence se retrouve dans les noms que leur attribue : Nimsa (regret) et Mete (remords). Dans le même temps, Haame et Bayel (l’orpheline, dont une partie de la famille a été expulsée), se retrouvent devant l’épreuve du délicat choix de l’engagement ou de la séparation. On assiste alors aux rudes dialogues sur la déchirure et l’identité.
C’est la force du livre qui pose, à travers des échanges de paroles osées, les préoccupations d’une Nation qui a besoin de se reconstruire. De regarder son histoire et de réconcilier ses fils. Le pardon après des périodes d’épreuves.
Soulignons que Bios Diallo, qui est Conseiller chargé de la communication au Ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, a publié aussi un essai, De la naissance au mariage chez les Peuls de Mauritanie [Editions Karthala, 2004]. Ce livre, qui revisite les us et coutumes chez les Peuls, a été préfacé par Cheikh Hamidou Kane, auteur du célèbre roman L’aventure ambiguë. Bios diallo a, également, collaboré à plusieurs autres livres dont Les Paris des Africains, qui porte sur les Africains vivant dans la capitale française, et à Aimé Césaire et Nous, un hommage à l’un des pères fondateurs du mouvement de la négritude né dans les années 1930. Bios avait eu d’ailleurs l’opportunité de rencontrer celui-ci en 2003 dans son île de la Martinique.
Avec Une vie de sébile, on referme les jours d’une période sombre de notre histoire. C’est la parole prophétique de Tevragh, épouse du cruel Coumba, qui appelle à la réconciliation. Kil chi yavragh, dit-elle. Autrement dit même les horribles choses peuvent connaître une fin. La place désormais à l’unité des cœurs, l’unité nationale, avec ce beau poème que Haame ne résiste à poser sur la dépouille de Bayel :
Le pays est un rêve à vie
Les blessures dans son champ
Une douloureuse moisson
[…]
Dans le pays meurtri
De réveils agités et de hontes bues
Blessés et convalescents soufflent dans la canne [que le]
Bonheur [est]
Impossible [sans une]
Organisation
Solidaire
[…]
Haaman njehi
Mauritanie tan
Terre arc-en-ciel
C’est la renaissance de la Mauritanie nouvelle, la Mauritanie de l’espoir, réconciliée avec elle-même. On peut y lire l’espoir, l’hymne qui devra enchanter tout le peuple mauritanien. Ce roman est à mettre entre toutes les mains, pour son projet réunificateur !
Abou Tagourla
La Nouvelle Expression
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Une vie de sébile : par Bios Diallo
Une vie de sébile est un roman qui aspire à la réconciliation et à l’unité nationale en Mauritanie. En toile de fond, les événements de 1989. L’auteur Bios, Moussa Diallo de son vrai nom, y relate une vie difficile et conflictuelle entre deux jeunes amoureux mauritaniens : Bayel, (fille Peule) et Haamé (métissé Peul et Maure). Malgré qu’ils soient liés par un pacte d’amour, ils se sépareront en raison du deuil qui frappe la famille de Bayel. Un deuil duquel les oncles et tantes de Haame sont présumés complices.
L’histoire commence à Kidye, une ville imaginée par l’auteur, et qui se situerait quelque part dans le sud mauritanien. Ici Gon, «le petit dieu» sous les ordres de Coumba, perquisitionne les maisons. Sa mission est « d’envoyer les démons (les noirs) au diable, vers l’autre rive du fleuve Sénégal.
Gon, et sa bande appelés «les Fanta», sèment la terreur. Partout où ils passent, on dénote « des morts et des blessés ». Parmi ces morts, il y a la fillette de Tegge, oncle de Bayel, que le drame poussera à la folie. Et pour s’échapper à la mort, Kesnido, la mère de Bayel, fait ses valises. Entre temps, elle aussi devient folle et «lâche ses habits dans la rue.»
Nimsa, le père de Haame, est du côté des Fan ennemis des Fanta. Par ce fait, n’a plus confiance en sa femme, Meté, soupçonnée d’appartenir aux Fanta, en raison de ses liens de sang avec eux. Mete ne cesse, pourtant, de clamer son innocence et même d’essayer de détourner Coumba de son projet, par l’entremise de la femme Tevrag, jugée neutre.
Bayel, ne supporterant plus «le deuil et la déchirure», martèle : «Qu’on arrête de blesser la mémoire de ce peuple…Mon père, mes frères et soeurs sont tous enterrés dans ce pays. À cause de leur seule couleur de peau ». Puis, elle précise que ce conflit avec le Sénégal ne justifie en rien ce qui se passe. « C’est une bataille interne d’exclusion», dit-elle. Pour elle, il ne reste plus qu’à «prendre les arme» et de combattre, à partir de «l’autre rive, les lâches qui ont mis le couteau sous la gorge» de ses grands parents.
Mais Bayel ne réussira pas à convaincre Haame sur ce choix. Et pour cause : «les armes n’on jamais rien résolu ». Il prône une solution par le dialogue. Bayel refuse, le traite d’indécis et d’être partagé entre les Fanta, sa lignée maternelle, et les Fan, le clan paternel. Il nie : «Tu te trompes ! Je ne cautionne rien. J’observe, impuissant (…) Je reste persuadé, aussi que tous mes oncles ne satisfont pas le dessin de Coumba.»
Bayel, malgré les conseils, quitte la ville, parce qu’elle «se refuse à être le témoin d’une terre où l’aurore brime la rosée». Et elle avoue son cœur plein de remords : «Haame, cette ville de Kidye n’est plus mienne». Elle s’en ira mais demeure attachée à la Mauritanie dont elle résume l’histoire : « Pour moi, dit-elle, l’histoire de ce pays, est celle de ma présence (…) La Mauritanie appartient à ceux qui l’habitent, aiment son drapeau».
Plus tard, dans les camps des réfugiés, à Dar Salam, sur l’autre rive, au Sénégal, Bayel mobilisera les réfugiés pour la résistance. Et quelque temps après, Haame la rejoint pour la convaincre à retourner au pays. «Bayel, c’est toi que je suis venu chercher. Je ne voudrai pas retourner sans toi». Sur le coup, elle ne le suit, mais par amour finira par le rejoindre à Seeno ( une ville facilement identifiable à Nouakchott. Pas pour longtemps. Car, devant le refus de Haame à céder à la violence, Bayel se braque. Elle exhibe les morts pour faire la lumière sur se qui s’était passé. Catégorique, Haame lui dit : « On ne peut pas construire un pays en exhibant ses os». Bayel s’exile en France, en lui abandonnant « son lit et ses espoirs». En France, «terre des droits de l’homme», elle milite pour les droits de son peuple et se rend partout pour faire entendre sa voix. Ceci, jusqu’au jour où elle sera surprise de revoir Haame, venu en France, dans un sex shop.
Après cette bavure, Haamé renoue avec l’action militante et quitte Chabi, sa petite amie, qu’il croyait pourtant être «attachée à l’Afrique et aux africains». Puis il aura la curieuse révélation : «Tu sais, enfin, qui je suis, une perdue». Une perdue qui sera à l’origine de l’assassinat de Bayel. Les enquêteurs réécouteront ses appels téléphoniques avec Haame : « Cette écervelée de Bayel je l’aurai. Tu as intérêt à la mettre dehors …surtout de cesser de la soutenir dans ses actions».
Bayel, morte, ne sera pas enterrée, comme elle le souhaitait, chez elle à Kidye. Car pour «les autorités mauritaniennes» elle est « une traîtresse». Il n’empêche que des pèlerins viendront se prosterner devant son cercueil, lui rendre hommage à Juuga, à la frontière. Et c’est de là-bas que Haamé vient lui annoncer la bonne nouvelle : «une Mauritanie nouvelle est née. Une Mauritanie où tous les citoyens sont égaux». Une vie de sébile, un roman d’espoir, et pour la réconciliation.
Mohamed Diop
SAHEL INFO