Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Témoignage d’un jeune peul déporté au Sénégal: La plaie s’est-elle refermée ? (5)

altRapatrié. Un mot étrange pour beaucoup de Mauritaniens qui ne perçoivent guère tout ce que cela signifie, en quotidien de souffrances. Le Calame publie, ici, le témoignage de Sow Samba, un jeune peul exilé au Sénégal, à l’âge de sept ans, et revenu au pays, vingt ans plus tard. Après le récit de l’expulsion, suit, en trois parties, celui du long exil au pays de la Teranga ou Sénégal. En voici la troisième : le retour au pays approche…

C’est après le baccalauréat que mon statut de réfugié, sinon d’étranger, a commencé à affecter mes études. Mes copains de classe me croyaient sénégalais. Seul le personnel de l’administration éducative connaissait la situation qui m’empêchait de bénéficier d’une bourse d’études, amplement justifiée, pourtant, par mes résultats au bac… si j’avais été sénégalais. L’unique personne qui me soutint, en cette année blanche, ce fut ma mère : « Courage ! », m’exhortait-elle sans cesse, « je prie pour toi ».

Je passai ce temps mort à militer et établir des contacts. Je découvris, ainsi, diverses organisations de réfugiés mauritaniens, comme l’Association des Réfugiés Mauritaniens au Sénégal (ARMS), les Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM), le Regroupement de Réfugiés pour la Réinstallation (RRR) ou l’Association des Réfugiés Mauritaniens pour la Défense des Droits de l’Homme (ARMDDH). Avec eux, je pris pleinement conscience de ma dimension nationale et, rencontrant d’autres étudiants réfugiés mauritaniens, du caractère assez banal de ma situation.

Aussi avons-nous, tous ensemble, fondé, fin 2006, l’Association des Élèves et Etudiants Réfugiés Mauritaniens au Sénégal (AEERMS). J’y reviendrai plus loin. Cette initiative nous a permis d’obtenir reconnaissance à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar : accès aux restaurants universitaires, aux services de soins médicaux, aux logements, etc., à l’instar des étudiants nationaux. Entre temps, j’avais fini par obtenir une exonération des frais d’inscription, après examen de mon dossier, et pu donc m’inscrire au département des Sciences Juridiques et Economiques, pour l’année 2006-2007.

Parcours du combattant

Mon tuteur habitait à Diamaguène, un quartier très éloigné de l’Université. Ce fut une année particulièrement difficile pour moi. Je n’avais pas d’argent et ne pouvais pas en demander à la famille car, pour eux aussi, le besoin était pressant. Mon problème N°1, c’était le transport. 150 FCFA jusqu’à Colobane et le reste à pied, je quittais Diamaguène à 6h, pour ne pas être en retard. Deux heures de marche jusqu’à l’Université.

Parfois, je passais la nuit à l’Université, dormant dans une salle de lecture, front sur la table. Je me « couchais » tardivement, attendant que le dernier étudiant soit remonté dans sa chambre. Certains ne partaient qu’à une heure du matin, tandis que d’autres redescendaient à 5h. J’avais, donc, assez souvent des difficultés à soulever la tête, au réveil, et Il me fallait une bonne dizaine de minutes avant d’émerger.

Ces pénibles situations, après tant d’autres, me ramenaient à notre situation d’avant l’expulsion : un paradis sur Terre, assurément. Et, évidemment, cela ne me portait guère à estimer Son Excellence le Président Maaouya Sid’Ahmed Ould Taya, responsable, selon moi, de tout ce qui m’arrivait. Mais je me résignais, face à la Volonté d’Allah. Ce qui était advenu ne pouvait qu’arriver. C’était une prédestination divine du Seigneur. Après tout, donc, un mal nécessaire dont il nous fallait tirer le meilleur. Et, de fait, malgré la déportation, les pertes en matériel et en vies humaines, les humiliations et les privations, notre communauté s’était instruite et était devenue plus solide.

Personne n’était au courant de la situation que je vivais à l’Université. Fréquemment malade, je maigrissais mais tenais bon, refusant même, parfois, les offres de mes camarades. Parmi eux, Alhousseynou Sambakhé me connaissait depuis Bakel. Nous avions, ensemble, accompli les deux dernières classes du primaire, le collège et le lycée. « Cesse d’être peulh ! », me conseillait-il gentiment, faisant allusion à ma fierté, un tantinet excessive, selon lui. Il est vrai que, mourrais-je de faim et m’inviteriez-vous à manger, mon premier réflexe serait toujours de refuser poliment.

Mes amis me demandaient où j’habitais. Je détournais la question. J’avais ma carte d’étudiant mais ne pouvais accéder aux restaurants universitaires car il nous fallait, Mauritaniens, payer quittance pour obtenir ce droit et ce n’était vraiment pas à la portée de mon maigre pécule. Biscuit mélangé à l’eau et du sucre constituait donc mon ordinaire. Mais, me présentant, à l’occasion, à la porte du self – le restaurant central de l’Université – à l’heure de fermeture, j’ai été, parfois, invité à manger avec les gérants. Il y avait, là, un homme très gentil, nommé Alioune Sall, qui me laissait entrer à ma guise et me servait, systématiquement, un plat.

Cependant, un autre de mes amis, Abou Diallo, intrigué de me voir dépérir, m’espionna, finit par découvrir ma situation et me proposa d’habiter avec lui. Il avait, lui, déjà obtenu une bourse de l’UNHCR et s’en sortait relativement bien. Mais son voisin de chambre s’opposa à son désir de m’héberger. Cela n’empêcha pas Abou Diallo et ses amis de tout faire pour me secourir, me donnant de l’argent, m’aidant à entrer au restaurant. C’est avec lui que j’ai pris l’initiative de fonder l’AEERMS. Grâce à cette association, tout étudiant mauritanien réfugié ne disposant pas d’une bourse de l’UNHCR bénéficiait d’une assistance sociale du Bureau d’Orientation Sociale (BOS) qui venait en aide à tous les démunis, notamment les réfugiés, quelle que fût leur nationalité.

Mauritanien et fier de l’être

Je reçus, ainsi, de ce bureau, soixante mille FCFA par trimestre. J’en envoyais à la famille, le reste me permettant, surtout, d’assurer mon transport. L’année s’achevait, pour moi, beaucoup mieux qu’elle n’avait commencé mais pas assez, cependant, ou trop tardivement, pour que je réussisse à l’examen. Je me réinscrivis, donc, au même département. Dans la foulée, j’obtins, de l’UNHCR, une bourse d’études. Le ciel s’éclaircissait : je parvenais à subvenir, non seulement, à mes besoins mais, aussi, à ceux de ma famille.

J’étais, maintenant, pleinement intégré au système universitaire sénégalais et les résultats ne se firent pas attendre. Une fois passé, sans aucune difficulté, mon examen de fin d’année, je pouvais envisager, désormais, mon avenir au Sénégal. Mais c’est dans mon pays que je voulais vivre, j’en avais, au cours de ses deux années dakaroises, acquis la ferme certitude. Aussi décidai-je de rentrer en Mauritanie avec ma famille, à l’occasion du Programme de Rapatriement Volontaire.

Comme son nom l’indique, il s’agissait d’un retour volontaire. Il permettait, au réfugié mauritanien au Sénégal, de recouvrir l’ensemble de ses droits et de rentrer chez lui, dans la dignité. Pour moi à qui la citoyenneté mauritanienne était devenue vraiment chère, c’était une opportunité à saisir sans tergiverser. J’avais eu, en 2006, celle de m’installer en Angleterre mais ma maman s’y était opposée et je la bénissais, maintenant, d’avoir fait front. Certains s’étaient fait naturaliser sénégalais, d’autres s’étaient installés aux USA, en France, en Belgique ou au Canada… A présent, je ressentais cela comme une dénaturation. Ainsi devins-je farouche défenseur du rapatriement et coopérai-je fortement en ce sens avec l’UNHCR.

La majeure partie des réfugiés mauritaniens installés dans le département de Bakel seront rapatriés. Mais il en reste encore, aujourd’hui, comme un peu partout à travers les territoires sénégalais et, surtout, malien. Candidats au rapatriement, ils attendent, du gouvernement mauritanien, une main tendue pour revenir en Mauritanie. Non pas un simple appel au retour mais action concertée avec l’UNHCR, incluant indemnisation et pièces d’état-civil car il s’agit, notamment, de jeunes nés en exil dont les parents ont déjà été rapatriés. Pourquoi notre Etat mauritanien reste-t-il silencieux sur ces déplorables situations ? Pourquoi notre cher Président, Son Excellence Mohamed Ould Abdel Aziz, a-t-il déclaré clos le rapatriement, alors qu’il existe encore des réfugiés, au Sénégal et au Mali, qui veulent rentrer en Mauritanie ? C’est incompréhensible et très incompris de notre communauté, toujours soumise à d’injustes déchirements, en dépit des promesses, maintes fois réitérées, d’y mettre définitivement fin. (A suivre).

Samba Sow

 

Source: Le calame

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