« Mamoudou Touré – Un Africain au cœur de l’économie mondiale » d’El Hadji Kassé et Mamoudou Ibra Kane : Un enfant des deux rives qui a illuminé le monde des finances
Mamoudou Touré habite un pays enjambant deux frontières dessinées par l’équerre, entre Thilogne et Kaédi. Il n’est pas simplement un Africain ayant pris racine entre la Mauritanie et le Sénégal. Il est un enfant des deux rives qui a choisi d’illuminer tous les terreaux d’excellence dans l’espace monde.
De l’exclusion de l’Ecole Blanchot au Département Afrique du Fmi, ce texte est le roman d’une trajectoire, un portrait plutôt moral que physique. El Hadji Hamidou Kassé et Mamoudou Ibra Kane sont les deux voix qui racontent ce modèle de rigueur qui a simplement choisi d’habiter le territoire de la vertu, de l’éthique et du mérite. Un seigneur, cet enfant de l’aristocratie locale.
La vocation de l’éthique est de devenir un pilier inamovible pour les actes et les mots. A partir de ce moment, la compétence devient une ressource précieuse. Voilà le sentiment qui survit à la fermeture du livre « Mamoudou Touré : Un Africain au cœur de l’économie mondiale », écrit par El Hadj Hamidou Kassé (conseiller spécial du président de la République, chargé de la coordination de la Communication) et Mamoudou Ibra Kane (directeur général du Groupe Futurs Medias), publié aux Editions l’Harmattan du Sénégal. Mamoudou Touré est simplement un monument de l’économie. Sans écurie.
Pourtant, entre les débuts et la gloire, le chemin aura été rocailleux ! L’un des repères de sa vie est une désillusion : il sera exclu de l’Ecole Blanchot de Saint-Louis pour « une grève presque banale », en même temps que huit de ses camarades. C’était durant l’année scolaire 1941-42. Il ne peut s’inscrire dans aucune école publique ou privée de l’ex-Afrique occidentale française. Un souvenir amer. Aujourd’hui encore, M. Touré cherche la réponse à une question : Pourquoi a-t-on « voulu stopper » sa trajectoire ? En vérité, « loin des habitudes, loin du cocon familial », Mamoudou Touré est confronté au mépris culturel.
Pour un simple exercice de géométrie, la sentence du maître de mathématiques est implacable : « Vous êtes sortis des livres. Vous avez triché ». Autre perle sombre du chapelet de malheurs : hébergé en 1948, à Saint-Louis, par le neveu d’une co-habitante de Blancs à l’étage et des fonctionnaires africains au rez-de-chaussée, il est mis à la porte. Il retrouve ses bagages dans la rue : « Je n’étais pas civilisé ! »
Renvoyé de l’école le 17 mai 1943, malgré l’intervention de Lamine Guèye auprès du Gouverneur Rey, Touré voyage au bout de lui-même en faisant preuve de persévérance. Là, s’étalent de belles pages du portrait psychologique de cet homme qui s’est forgé dans le culte de l’effort. Aux côtés de son père, Ibra Mamadou Falil, il fait son parcours initiatique. Il puise des trésors de spiritualité dans le Coran. Du Fouta, carrefour des cultures, il tire la rigueur et l’ouverture. Face à la tentative de le démolir moralement, son cœur est habité par l’humilité et l’abnégation. Des valeurs domestiquées quand, enfant de l’aristocratie locale, il a été obligé de mendier.
«L’oeil du Fmi » : vérités et exagérations
La constance est une marque indéfectible chez Touré. Il est porté par l’ambition de « poursuivre ce que l’on a voulu interrompre… ». Il fait de sa détermination la grande académie du savoir. « L’idée d’un échec lui est insupportable. Touré veut vraiment prendre sa revanche sur Blanchot », lit-on dans ce texte. Il se forme grâce aux livres que son frère Mamadou « Racine » lui envoyait de Paris et aux cours par correspondance. Les auteurs tentent l’immersion dans les mots comme dans les silences. Ils convoquent un symbole de la liberté : « Que faut-il à l’oiseau : des ailes pour voler ? Que faut-il à l’écolier : un livre pour étudier ? » Touré a une réponse à ses propres questions. « Tant qu’il y a des livres, s’était-il juré, j’étudierai ».
Passerelle entre les cultures et les nationalités, cet intellectuel est nommé, en 1961, ambassadeur de la Mauritanie à Paris. Un coup de main à son ami Moctar Ould Daddah, premier président de la Mauritanie indépendante, mais, surtout, à une jeune République manquant de cadres. Ayant un moment envisagé de devenir médecin puis vétérinaire, le docteur en économie sera plutôt appelé au chevet des économies africaines fragilisées par l’enrichissement d’une nouvelle bourgeoisie locale, les choix stratégiques peu pertinents, le déficit interne (le budget) et le déficit externe (la balance de paiement). L’endettement a alourdi la facture. Politiques de la majorité comme de l’opposition, syndicalistes, étudiants et autres citoyens des villes et des campagnes se lancent dans un concert de désapprobations.
Le Sénégal n’échappe pas aux effets d’une économie chancelante. Le président Abdou Diouf l’appelle à ses côtés comme ministre du Plan, fonction qu’il cumulera plus tard avec celle de ministre de l’Economie et des Finances. Ce modèle de rigueur est dépeint comme « l’œil du Fmi » à cause des coupes sur les dépenses sociales et l’adoption de règles budgétaires strictes. Avec une trentaine d’années de recul, il fait preuve d’une grande humilité en reconnaissant les limites du « remède », tout en assumant le caractère scientifique des guides de discipline budgétaire distribués aux « élèves » africains. « Ces périodes d’austérité furent un mal nécessaire… Tout le monde s’accordera pour dire que l’on ne peut raisonnablement pas dépenser plus que ce que l’on gagne », dit-il. Lui, un antisocial ? « S’il (le social) n’a rien dans ce que l’on fait en économie, l’économie n’existe plus. L’on ne peut pas préférer l’économie au social quand l’homme est la finalité », dit Mamoudou Touré.
Il réfute aussi une hostilité au monde de l’éducation. La preuve par son parcours : « L’éducation m’a tout donné ; sans elle, je ne serais rien ». Il n’en laisse pas moins entendre une intime conviction sur les syndicats : « Ils voulaient tout avoir et rien pour les autres ».
Les Assises ? : « Ni coup d’Etat, ni complot ! »
Ce ministre quittera le Gouvernement au cours de la crise post-électorale de 1988 pour retourner au Fmi comme directeur du Département Afrique. Il n’en est pas frustré. Stoppé par feu Jean Collin dans sa volonté de remettre en cause le monopole de la Css sur le sucre, il avait tenté, à plusieurs reprises, de rendre le tablier. Il s’est toujours ravisé sur les conseils d’Abdoul Aziz Sy et Serigne Abdoul Ahad Mbacké. Il a aussi été secrétaire général de la Commission de coopération technique en Afrique au Sud du Sahara, organe de coopération entre l’ex-Communauté économique européenne (Cee) et les « pays et territoires d’outre-mer associés » (Ptoma), conseiller de l’Unicef à New York…
Symbole de l’anti-balkanisation épanouie entre deux frontières et dans la même culture, Mamoudou Touré devient, en lui-même, une théorie du grand ensemble africain avant tous les plans comme le Nepad, Omega, Renaissance. Le Plan africain « Mamoudou Touré » est une histoire qui se raconte loin des blessures causées au cœur des riverains de tous les « Murs » de Berlin sur tous les territoires de l’Afrique.
Le développement est une obsession. D’ailleurs, la vie publique ne tentera plus cet homme que pour la cause des Assises nationales. Il cède à l’argument des visiteurs d’un soir : la crédibilité d’Amadou Makhtar Mbow. L’ancien conseiller de Senghor et ministre de Diouf n’a aucun contentieux avec leur successeur, Me Abdoulaye Wade. Façonné au culte du résultat, sa grande foi est son certificat d’honnêteté. Les Assises, assure-t-il, ne sont « ni coup d’Etat, ni complot ». Nourri au sens du devoir et des dévotions, il passe sa vie à « écouter la parole de Dieu qui seul mérite adoration et soumission ».
Les mots déroulent une littérature de la mémoire et du mouvement. Sur le ton de la conversation, le style est limpide, malgré quelques répétitions de fresques et deux temps de narration parfois désaccordés (le présent et le passé). Le livre est aussi la grande avenue de la vie sur laquelle Mamoudou Touré a rencontré d’illustres promeneurs de la grande aventure humaine (même si Touré s’y refuse !), comme Alassane Dramane Ouattara, auteur de la préface, Me Babacar Sèye, alors jeune instituteur à Blanchot, Ibrahima Niang, Cheikh Hamidou Kane, Abdoulaye Fadiga, ancien directeur de la Bceao, Kwamé Nkrumah, etc. Certains d’entre eux ont apporté leur témoignage à ce parcours exceptionnel (en neuf parties et des annexes). Ils ont assuré que la personnalité décrite par El Hadj Hamidou Kassé et Mamoudou Ibra Kane, même perçue comme « l’œil du Fmi » à l’époque des ajustements structurels, a toujours refusé, sous la dictée du pouvoir et de l’argent, d’ajuster ses qualités de rigueur, de vérité, de loyauté et d’engagement. Né deux fois (officieusement en 1926 à Thilogne et officiellement en 1928, à Kaédi), il est resté ce citoyen du monde de la vertu, « méfiant à l’égard de la politique, mais aussi à l’égard de ce dieu des temps modernes qu’est l’argent ».
Habib Demba FALL-Le Soleil du 01 octobre 2012.
« Mamoudou Touré, un Africain au cœur de l’économie mondiale » : Un livre d’El Hadj Kassé et Mamoudou Ibra Kane
Editions L’Harmattan du Sénégal
Collection « Mémoires et Biographies »
Août 2012
219 pages.